- il y a 9 heures
Antoine Garapon, ancien magistrat, enquêteur international sur des atrocités de masse, expert sur la justice transitionnelle, membre de la CIASE ; il dirige la commission de reconnaissance et de réparation pour les victimes d’agressions sexuelles commises par des religieux, est l'invité du 8h20.
Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00Invité du Grand Entretien ce matin, c'est un magistrat essayiste.
00:05C'est l'une des voix majeures de la réflexion contemporaine sur la justice.
00:10Auteur de « Pour une autre justice », la voix restaurative aux presses universitaires de France.
00:16Cela fait des années qu'il défend l'idée d'une justice qui ne se limite pas à punir,
00:22mais également à réparer, à écouter, à retisser du lien.
00:26Il met en pratique ses réflexions comme directeur de la commission de reconnaissance et de réparation
00:32pour les victimes d'agressions sexuelles commises par des religieux.
00:37On va en parler avec lui, évidemment, vos questions, chers auditeurs,
00:40vos réactions au 01 45 24 7000 ou l'application Radio France.
00:46Antoine Garapon, bonjour.
00:47Bonjour.
00:48Bonjour.
00:48Merci infiniment d'avoir accepté notre invitation pour essayer de réfléchir à une question
00:53qui est un véritable pari de société.
00:57C'est une question qui a été soulevée au moment des 10 ans de la commémoration des attentats du 13 novembre.
01:04Et une question que vous connaissez bien.
01:06Lorsque l'on a appris que Salah Abdeslam émettait le souhait, cette semaine,
01:11et par l'intermédiaire de ses avocats,
01:14d'échanger avec des victimes des attentats du 13 novembre,
01:18c'est dans le cadre, justement, de ce qu'on appelle la justice restaurative.
01:22On va parler du cas de Salah Abdeslam et de ce qui se joue dans ce cas très particulier,
01:3010 ans après les attentats, mais justice restaurative, définition ?
01:35Eh bien, c'est une justice qui est basée sur la rencontre.
01:38Une rencontre entre des hommes et des femmes qui dépasse en quelque sorte le fait d'être,
01:43on est soit victime, soit auteur.
01:46C'est une forme qui donne à tout le monde une parole propre, une parole à soi.
01:51et qui cherche finalement son but, c'est une reconnaissance mutuelle,
01:58y compris de ses différences d'ailleurs,
01:59mais une reconnaissance mutuelle, on pourrait dire de manière un peu pompeuse,
02:04de l'humanité de l'autre, être capable de se mettre à la place de l'autre.
02:08Que le criminel et la victime, ou les proches de la victime,
02:12puissent dialoguer entre êtres humains,
02:14et non plus comme assigné à la criminalité d'un côté, victime de l'autre.
02:20Exactement, et c'est particulièrement vrai en matière de terrorisme,
02:24parce que le terroriste est dans son monde, il est dans sa bulle.
02:27Il ne voit que d'autres radicalisés, il se montre le bourrichon,
02:31c'est une expression un peu familière,
02:33et donc il finit par ne plus voir le réel.
02:37Il est dans une maison sans fenêtres, pour prendre l'expression de Camus.
02:40Et donc l'explosion, l'attentat, c'est le sommet, c'est l'aboutissement de cette solitude.
02:48Et je pense que rencontrer une victime, ça change beaucoup de choses.
02:51Mais il est condamné alors Salah Abdeslam à une peine de réclusion criminelle
02:54incompressible pour sa responsabilité dans les attentats du 13 novembre.
03:00Qu'il souhaite dialoguer, échanger avec des victimes, des survivants des attentats du 13 novembre,
03:07à quoi ça sert et dans quel cadre ? Est-ce que ce serait possible ?
03:11Alors tout à fait c'est possible, c'est pas la loi de 2015 n'exclut pas les affaires de terrorisme,
03:17c'est possible, ça pourrait l'aider, je parle aux conditionnels, à mieux vivre sa peine,
03:23à mieux la supporter, à l'accepter.
03:25Parce que la première chose...
03:27Mais vous comprenez que ça c'est inaudible ?
03:30Je ne sais pas.
03:31C'est inaudible pour beaucoup, la justice elle est là pour punir.
03:34Oui, alors pour beaucoup je ne sais pas, parce que l'expérience des pays étrangers,
03:39et notamment je pense à l'expérience qui est la plus proche de nous,
03:42c'est celle de la Belgique ou celle de l'Italie.
03:45Pour les brigadistes, l'Italie d'ailleurs.
03:46Donc je reviens juste d'eux.
03:48Et je viens de rencontrer l'équipe de Milan qui a fait ça.
03:52Et il parle d'un homme qui disait, c'est le fils d'un policier qui a été tué par les brigadistes,
03:58et il dit...
03:58Les brigades rouges dans les années 70.
04:00C'est ça.
04:01On m'a privé de mon père, on m'a privé de mon enfance, on m'a privé de ma vie parce qu'il n'était plus là.
04:05Il était débordé par la haine.
04:06Et il avait une expression qui revenait tout le temps, il disait,
04:08je suis condamné à perpétuité, lui sortira, moi non.
04:12Et puis à un moment il s'est dit, mais pourquoi ?
04:14Le fils !
04:14Le fils, il disait ça.
04:15Il disait ça ?
04:15Oui, parce qu'il dit, je suis privé de mon père pour toujours.
04:19Enfermé dans son deuil.
04:20Enfermé dans son deuil et enfermé dans sa haine, dans son ressentiment disons.
04:25Et il y a un moment où il s'est dit, mais je m'enferme moi-même.
04:28Je suis enfermé par ma souffrance.
04:30Et paradoxalement, c'est une histoire absolument exacte, c'est quand il a pu rencontrer.
04:35Alors vous imaginez les premières rencontres, comment elles ont pu se dérouler.
04:39Non, on ne l'imagine pas justement, décrivez-nous.
04:41Eh bien, c'était impossible.
04:43Et alors toutes les victimes disent ça et certains auteurs disent ça.
04:47Rencontrer ma victime, ça c'est pas possible.
04:49Je préfère m'affronter à la loi plutôt que de voir ma victime.
04:52Ça c'est extrêmement fréquent.
04:54Mais vous dites que la loi n'exclut pas les affaires de terrorisme pour la justice restaurative.
04:58Mais ça ne s'est jamais fait en français.
05:00Il y a effectivement la question de jusqu'où elle peut se faire, dans quel cas la justice restaurative.
05:05Notamment dans le cas de Salah Abdeslam qui est le seul survivant des attentats du 13 novembre.
05:10Est-ce qu'en l'espèce ça vous semble opportun ?
05:12Parce que par exemple, le procureur national antiterroriste disait cette semaine qu'Abdeslam était toujours dans un processus de radicalité.
05:20Alors c'est un début.
05:22Bon, il exprime ça par son avocat.
05:24La première chose que fait la justice restaurative, c'est de travailler cette demande.
05:29Alors si c'est une demande opportuniste, stratégique, pour rester au centre du jeu, c'est possible.
05:36Dans ce cas-là, ça se voit tout de suite.
05:37Parce qu'il faut au minimum, c'est le début de tout, reconnaître sa culpabilité.
05:43Ou du moins, reconnaître une partie de sa culpabilité.
05:46Lui, il s'est excusé déjà.
05:47Il s'est excusé, mais ce n'est pas suffisant.
05:51C'est-à-dire qu'il faut se reconnaître l'auteur de ce qu'on a fait.
05:55Et puis prendre une distance, la distanciation par rapport à l'idéologie et par rapport à la conception radicale de la religion.
06:03Et ça, ça se mesure quand même assez facilement.
06:06Alors ça, c'est une première condition.
06:08Mais ce que dit le parquet, parce que le parquet, cette semaine, a aussi confirmé,
06:11même avant la proposition de Salah Abdeslam,
06:13qu'il allait installer un comité de pilotage pour les victimes et auteurs d'attentats
06:17pour que la justice restaurative puisse avoir lieu dans ce cadre.
06:20Le parquet a dit que le rejet de la radicalité violente sera un prérequis.
06:26Ça, c'est indispensable.
06:27Bien sûr, bien sûr.
06:28Parce que c'est la première distanciation.
06:31Et c'est un véritable travail.
06:32Et je ferai une différence entre les mouvements idéologiques, le terrorisme idéologique et le terrorisme spirituel.
06:39C'est plus facile de se distancier d'un terrorisme idéologique quand la guerre est finie,
06:45en Irlande du Nord, quand l'ETA a rendu les armes,
06:48quand les brigadistes, l'extrême gauche, sont passés à autre chose.
06:54Parce que l'Europe est passée à autre chose que lorsqu'il s'agit d'un terrorisme spirituel.
06:58Et là, il faudra faire un travail qui est déjà en cours dans les prisons françaises,
07:04qui est d'ailleurs assez avancé.
07:06Ça marche pas mal.
07:09Ça ne concerne pas tout le monde.
07:10C'est-à-dire une distanciation de la radicalité religieuse à l'intérieur de l'islam ou à l'intérieur de sa religion.
07:19Alors Antoine Garapon, justement, continuons ce travail passionnant de philosophie du droit comparé.
07:26Vous revenez d'Italie.
07:27Reprenez donc, quand on dialogue avec un ex-brigadiste qui est souvent sorti de prison parce qu'il a effectué sa peine,
07:37comment est-ce qu'une fois qu'on a dépassé l'impossibilité de dialoguer, on arrive à quoi ?
07:43Il faut que chacun fasse un pas.
07:46Le pas de l'auteur, c'est de se dégager, de se distancier, de renier ce qu'il a fait en quelque sorte.
07:53Et le pas pour la victime, c'est de se distancier de sa colère.
07:57J'allais dire, paradoxalement, de se distancier de la légitimité absolue de sa condition de victime.
08:02De sa colère.
08:02Alors, en Italie, ce qui s'est passé, ça a commencé, j'allais dire, dans la clandestinité, ça a commencé de manière confidentielle.
08:11C'est-à-dire qu'il y a eu des rencontres, d'abord une rencontre de deux heures, puis ensuite plus,
08:17entre les brigadistes, qui étaient des repentis, c'est très très important, et qui ont rencontré leurs victimes.
08:24Et c'est toujours une épreuve, c'est bien sûr une épreuve pour la victime, c'est aussi une épreuve pour le brigadiste qui se rende compte des dégâts qu'il a fait.
08:35Et alors, il se passe des choses très très importantes, notamment il y a le témoignage d'Agné Zemoro, qui est la fille d'Aldo Moro.
08:43La fille d'Aldo Moro, qui a été tuée dans des conditions atroces après deux mois de détention, où on sait maintenant ce qui s'est passé.
08:51Il a été torturé ?
08:51Oui, et puis parce qu'il y a cru, il a cru qu'il pourrait s'en sortir, et ce n'est qu'à la fin qu'il s'est rendu compte que ce n'était pas possible,
08:59et il a été exécuté à ce moment-là.
09:02Et Agné Zemoro raconte cette rencontre, et raconte à quel point, paradoxalement, ce sont ces rencontres, d'abord très difficiles,
09:13et puis ensuite, elle parle par exemple d'un échange que je trouve très très très fort,
09:18elle dit, au cours d'une rencontre, ils arrivent maintenant à passer des week-ends ensemble, à passer des week-ends ensemble.
09:24La fille d'Aldo Moro, ancien chef du gouvernement italien, enlevée, tuée par les brigades rouges,
09:31donc passe des week-ends avec les auteurs de l'assassinat de son père.
09:35Absolument, et c'est une élaboration qui est longue, c'est la même chose en Belgique avec Rôtisson-le-Lien.
09:40Oui, j'allais y venir, parce qu'il y a une association en Belgique, Rôtisson-le-Lien,
09:44le cas de l'Irlande du Nord, c'est un cas emblématique, parce qu'il y a eu de nombreux attentats,
09:48il y a eu également la violence d'État du Royaume-Uni contre l'Ira et tous ceux qui militaient pour l'indépendance de l'Irlande.
09:56En Irlande, ça existe donc ?
09:58Ça existe également. Alors ça existe, j'allais dire, depuis le début, parce que ce sont des, comment dirais-je,
10:03des ans ouverts et qui étaient pour le désarmement des deux parties qui ont permis ce rapprochement.
10:09Mais ce qui est intéressant dans Rôtisson-le-Lien, qui est une organisation belge,
10:14c'est que les victimes qui étaient dans le métro à Bruxelles, c'est très très proche de ce qu'ont vécu nos victimes du 13 novembre,
10:21disent que c'est une manière de se reconnecter à l'humanité.
10:25Et de se reconnecter à l'humanité pour ces victimes qui se sentent exclues de l'humanité,
10:30qui ont vécu extrêmement, quoi, qu'on a du mal à comprendre quand ça n'est pas approché.
10:34Alors, il y a plusieurs façons de faire de la justice restaurative.
10:37Par exemple, dans le film « Je verrai toujours vos visages » de Jeannery en 2023,
10:41les victimes, et je crois que c'est le processus le plus fréquent,
10:43elles rencontrent non pas les auteurs du crime ou du délit qui les concernent directement,
10:48mais d'un crime ou d'un délit du même genre, du même type que celles qu'elles ont subies.
10:53En revanche, par exemple, là, certaines victimes du 13 novembre se dispraient à échanger directement avec Salah Abdestam.
10:58Tout à fait, c'est une énigme.
11:00Vous savez, depuis que je suis engagé dans ces questions, j'ai reçu un message très émouvant d'une enfant
11:06qui était dans un bâtiment d'Alger en 1962, qui a été plastiqué par l'OAS.
11:12Et elle me disait, je ne sais pas comment expliquer ça,
11:16mais j'ai envie de rencontrer les gens qui ont déposé la bombe.
11:19Vous écrivez d'ailleurs dans votre livre que c'est fréquent, en fait.
11:21Oui, très fréquent.
11:22C'est très fréquent aussi, les victimes de violences sexuelles, on le sait,
11:2680% d'entre elles souhaitent revoir ou avoir un contact avec leur agresseur.
11:32Pas toujours pour leur dire d'ailleurs des gentillesses,
11:34mais parce que c'est besoin de rencontre et en quelque sorte,
11:39la rencontre vient terminer un travail de justice.
11:41Et ça justement, j'aimerais qu'on s'y arrête parce que, je le disais,
11:44vous dirigez la commission de reconnaissance et de réparation
11:46pour les victimes d'agressions sexuelles commises par des religieux.
11:49C'est des demandes par centaines, vous travaillez énormément.
11:54Dans quel cadre, et très souvent, les agresseurs sexuels sont décédés aujourd'hui ?
12:00Donc, qui rencontre qui et comment se crée la circulation de la parole
12:05et pour quelle efficacité, quel résultat, Antoine Grapp ?
12:09La colère des victimes se porte sur l'agresseur,
12:13mais surtout sur l'église, sur l'église qu'a couvert.
12:15Il faut savoir que le délai pour parler de la violence qu'on a vécue
12:20entre 9, 12, 13 ans, il est, de mon expérience, j'en ai vu plus d'un millier,
12:26il est entre 45 et 50 ans.
12:29Donc, c'est souvent prescrit.
12:30C'est totalement prescrit.
12:31L'auteur est décédé.
12:34Judiciairement, on ne peut plus rien faire.
12:36Et pourtant, les victimes n'arrivent pas à parler.
12:39Et donc, ce qui est très important, c'est qu'elles puissent parler,
12:42qu'elles puissent adresser leur colère à l'église.
12:45Et elles le font.
12:46Et c'est très bien.
12:48Parce que si on ne s'est pas mis en colère, c'est difficilement dépassable.
12:53Mais ça se fait dans quel cadre ?
12:54Est-ce que ça se fait dans le cadre du tribunal ?
12:55Pas du tout.
12:56Pas dans la prison ?
12:57Dans la prison ?
12:57Dans la prison ?
12:58Dans un endroit neutre ?
13:00Dans un endroit neutre.
13:01Et un endroit qui commence souvent par une visite chez la victime.
13:05Très important.
13:06Ça nous arrive à des gens qui travaillent dans la commission,
13:08des référentes, traverser la France pour rencontrer une victime.
13:11Et la victime qui a vécu souvent une vie de solitude et détresse dit
13:15« Vous êtes venue pour moi ».
13:18Et donc, le deuxième acte, en quelque sorte, c'est de dire « On vous croit ».
13:24On vous croit.
13:25Pratiquer une écoute radicale.
13:27Alors, c'est tout à fait paradoxal pour un juge.
13:29Qu'est-ce que c'est une écoute radicale ?
13:30Une écoute radicale, c'est une écoute qui n'a aucun présupposé,
13:33ni thérapeutique, ni judiciaire, ni policier,
13:37ni amicale, ni de soutien militant.
13:40C'est une écoute où on laisse absolument la parole.
13:44Une personne, ça dure souvent plusieurs heures.
13:47Et qui va lui permettre de s'approprier sa parole,
13:50de redevenir l'auteur de sa propre parole,
13:53alors que souvent, elle a passé une vie dans le secret.
13:56Alors, ces personnes, au moment de la rencontre, ces victimes,
13:58elles doivent être accompagnées nécessairement ?
14:00Ou au contraire, c'est du tête-à-tête ?
14:02Non, c'est jamais du tête-à-tête.
14:04La rencontre est encadrée.
14:05Elle est sécurisée et donc sécurisante.
14:07Et donc, elle est dans un cadre dans lequel il y a des professionnels,
14:11il y a des citoyens, j'allais dire.
14:13Ça, c'est une autre caractéristique de la justice restaurative.
14:16Il y a ce qu'on appelle les représentants de la communauté,
14:19c'est-à-dire des citoyens qui viennent
14:21et qui peuvent partager l'expérience de la victime.
14:26Ça, c'est très important.
14:28Et il y a des cas où ça ne marche pas du tout ?
14:30Parce que vous parliez de la justice restaurative
14:32en matière d'abus sexuels,
14:33la justice restaurative même en matière de terrorisme politique,
14:36par exemple en Italie.
14:37Il y a des cas où ça ne peut absolument pas se faire ?
14:39Tout à fait.
14:40Tout à fait.
14:40Il y a des cas où ça ne se fait pas
14:41et on met en avant, bien sûr,
14:43parce qu'ils sont porteurs d'espoir,
14:45les cas qui fonctionnent.
14:47Il y a des gens qui n'arrivent pas à sortir de leur solitude.
14:50Il y a des gens qui n'arrivent pas à ressortir de leur ressentiment.
14:54Et il ne faut pas croire que la justice restaurative
14:56banalise ces crimes.
14:57Au contraire.
14:59Mais elle permet, en quelque sorte,
15:01chacun de s'approprier sa propre expérience
15:03en étant capable de se mettre à la place de l'autre.
15:06Et c'est ça qui est très important.
15:09Alors, nous, après, ça se termine par une...
15:12On recommande de verser une somme d'argent
15:14à titre de réparation.
15:15Ce n'est pas une indemnisation.
15:17Ça, c'est systématique ?
15:18Oui, oui, quoi, quand la personne le souhaite.
15:21Et puis, ça se termine par un geste symbolique.
15:23C'est très important, les gestes symboliques,
15:24parce que le geste symbolique, ça veut dire que
15:26c'est vraiment ce qui marque l'apaisement
15:29et ce qui marque le début de quelque chose d'autre.
15:32Alors, ça varie.
15:33C'est les gens qui choisissent eux-mêmes
15:36quelles manifestations ils vont faire.
15:40Je pense à un cas d'un homme
15:41qui avait été violenté par une religieuse, d'ailleurs,
15:45quand il était en orphelinat
15:46et qui, toute sa vie, a fait des jouets.
15:48Un peu comme si, pour retrouver son enfance,
15:51il avait fait des jouets.
15:51Et des jouets qu'il avait accumulés dans son garage.
15:54Et on lui dit, mais qu'est-ce qui serait réparateur pour vous ?
15:57Il avait dit, j'aimerais bien faire une exposition
15:59où je montrerais tous ces jouets.
16:02Ouest France est venu, ça a été...
16:04C'est toujours cette idée de se reconnecter,
16:07comme dit une victime belge,
16:09se reconnecter à la société,
16:11sortir les jouets du garage
16:13pour les montrer à tout le monde.
16:14Un mot à nos auditeurs
16:16et qui aimeraient nous appeler.
16:17Nous avons un problème au standard.
16:19Il vaut mieux nous écrire sur l'application Radio France
16:22ce qu'a fait Lucie,
16:24qui vous interroge sur la justice restaurative
16:27ou restauratrice en France.
16:29Et Thomas, qui conseille...
16:32Alors, un film que vous connaissez par cœur.
16:35C'est un très beau film espagnol sur ce sujet,
16:38Les Repentis.
16:39Et c'est un film important, Antoine Garapon,
16:41parce qu'il met en scène le dialogue
16:43entre un ancien terroriste de l'ETA
16:45et la veuve de l'une de ses victimes.
16:47C'est un film qui a été inspiré de faits réels.
16:50Il a marqué les esprits en Espagne.
16:52Pourquoi est-ce que c'est un film important
16:55pour comprendre cette dimension
16:56qui est réelle, très réelle
16:58et qui n'a rien de la fiction ?
17:00C'est un film magnifique.
17:01C'est un film magnifique parce que ce sont des faits réels.
17:03C'est un film magnifique parce qu'on voit
17:04l'état de stupeur de la femme quand on dit...
17:08Il se trouve que l'assassin de votre mari
17:12souhaite, accepterait, souhaite vous rencontrer.
17:16Et c'est magnifique parce que ça vient d'elle-même
17:19et ça montre toute la puissance
17:21et toute la puissance qui ne fait pas disparaître le deuil,
17:24qui ne fait pas disparaître la douleur
17:26d'avoir été séparé brutalement d'un être cher,
17:29mais par contre qui permet de dépasser.
17:32Dépasser, mais quoi ?
17:33C'est un supplément d'âme ?
17:35Non, ce n'est pas un supplément d'âme.
17:38Je crois qu'il y a de l'irréparable
17:40et qu'on ne répare pas l'irréparable.
17:42Mais il y a toujours du dépassable.
17:44L'irréparable peut être dépassé,
17:46y compris, c'est mon expérience dans cette commission,
17:49y compris pour des personnes très âgées.
17:52Mais qu'est-ce que ça veut dire,
17:53l'humilité devant le mal ?
17:55Vous comprenez là aussi que ce soit difficilement audible,
17:58Antoine Garapont ?
17:59Ça veut dire que l'événement traumatique,
18:02que le crime,
18:03que cette expérience épouvantable de l'attentat
18:05ou de la violence sexuelle,
18:07cesse d'occuper toute la place.
18:08Il y a de la place pour autre chose,
18:10il y a de la place pour du nouveau,
18:11il y a de la place pour vivre sa vie.
18:13Pour autre chose que la prison, par exemple.
18:15Pour autre chose que la prison.
18:16Et des gens en prison peuvent s'ouvrir,
18:19j'allais dire sortir de prison dans leur tête.
18:21C'est très, j'allais dire séduisant presque,
18:24cette description que vous nous faites
18:25de la justice restaurative,
18:26qui est une forme de réparation.
18:28Et pourtant, en France, depuis 2017,
18:31l'Institut français pour la justice
18:32ne recense que 449 mesures,
18:35ce qui est assez peu.
18:36Ça existe depuis près de 50 ans au Royaume-Uni,
18:38par exemple, et c'est plus répandu.
18:40Pourquoi ça ne prend pas, ou pas encore, chez nous ?
18:42Alors nous, on a un rapport à la loi
18:44très particulier en France.
18:46Les Français, la loi pour les Français,
18:49est investie d'une très, très grande charge samolique
18:52et c'est un fétichisme de la loi.
18:54C'est une sorte de traité de paix post-révolutionnaire.
19:00C'est-à-dire que la loi, avec un L majuscule,
19:02c'est vraiment, et avec sa dimension brutale,
19:05qui est aussi une...
19:06Pour punir.
19:06Oui.
19:07Et il y a un côté punitif dans la loi républicaine
19:10qui caractérise notre pays.
19:14Et donc, dépasser la loi,
19:16c'est toujours, c'est pas forcément envisageable
19:21ou bien vécu.
19:22Mais ce qui est certain, je vous donne un exemple.
19:25La justice, le procès, n'est pas un lieu,
19:27c'est un lieu où on tient une parole,
19:30pour la preuve, pour connaître quelqu'un
19:32qu'on va juger, etc.
19:33C'est pas un lieu où on s'explique.
19:36Dans un groupe de parole,
19:37qu'on s'explique,
19:39dans un groupe de parole en prison,
19:41un détenu me dit, c'était il y a six mois,
19:43me dit,
19:44j'étais dans une affaire de coup mortel,
19:46un garçon,
19:47j'ai tué un garçon sans le vouloir,
19:49mais par des coups.
19:50Et donc, il dit,
19:53je sais que la famille de ce garçon
19:54veut me poser des questions.
19:56Et je sais les questions qu'elle me posait.
19:57Et j'ai envie d'y répondre maintenant,
19:59que j'ai accepté ma peine,
20:01que je suis installé en prison,
20:03il a pris une peine de 16 ans,
20:04donc c'est des choses importantes.
20:05Et je crois que toutes les victimes disent,
20:08le procès est frustrant,
20:10parce que bien sûr,
20:11on a établi des faits,
20:12bien sûr,
20:12et c'est tout à fait indispensable
20:14dans une démocratie,
20:15un état de droit,
20:15bien sûr, chacun a eu la parole,
20:17mais on n'a pas pu parler pour soi.
20:21Les victimes de violences sexuelles le disent,
20:23les victimes de terroristes,
20:25beaucoup de victimes le disent.
20:26Et donc, il faut un lieu après la prison
20:28pour qu'on puisse se parler.
20:31Et ce fétichisme de la loi,
20:33en France,
20:33vous comprenez aussi
20:34que ça laisse libre cours
20:35pour certains à critiquer
20:36la justice restaurative,
20:37parce qu'ils la trouvent
20:38en quelque sorte laxiste.
20:40Et d'ailleurs,
20:40si on entend certaines réactions
20:41à la proposition
20:42de Salah Abdeslam cette semaine,
20:44on entend par exemple
20:45un rescapé du Bataclan
20:46qui dit
20:46ça banalise le fait terroriste
20:48de parler
20:49avec le seul rescapé
20:51des attentats,
20:51des auteurs
20:53des attentats terroristes.
20:54Le directeur de Charlie Doris,
20:56lui,
20:56dénonce une intention perverse.
20:58Il y a ça aussi,
20:59cette petite musique ?
21:01Je ne pense pas
21:02que ça le banalise,
21:03ça l'humanise.
21:04Parce qu'effectivement,
21:05les terroristes
21:06sont des hommes
21:08et l'objet de la peine,
21:11c'est de les ramener
21:12dans cette humanité.
21:14Ils s'étaient déshumanisés
21:16eux-mêmes
21:16par la radicalité,
21:19l'abstraction de l'autre.
21:20Il n'y avait plus d'émotions
21:21si ce n'est que
21:22de l'enthousiasme mortifère.
21:25Mais pourtant,
21:26beaucoup aimeraient
21:27les exclure,
21:28les rejeter,
21:29les enfermer,
21:30éventuellement,
21:32en balançant la clé
21:33de la prison
21:34pour qu'ils ne ressortent jamais.
21:37C'est une réaction
21:38pour les gens
21:38qui regardent cela de loin.
21:40Et je la comprends parfaitement.
21:41mais le propre
21:44de la justice restaurative,
21:45c'est qu'elle rapproche
21:46les gens.
21:46Elle se rapproche aussi,
21:47y compris pour un juge.
21:49C'est surprenant.
21:50C'est passionnant
21:50d'écouter justement
21:51votre discours,
21:52vous qui êtes magistrat.
21:54Quand on rencontre
21:55quelqu'un,
21:57on est toujours
21:58un peu désarmé
21:59par ces gens
22:01qui ne sont pas
22:01à la hauteur
22:02de ce qu'ils ont fait.
22:03Par les gens
22:04qui montrent
22:04une certaine médiocrité
22:06ou des suiveurs.
22:09Et donc,
22:10ce qui est important,
22:11et je pense que ça,
22:12ça sera une grande difficulté
22:13si Abdeslam
22:14continue dans cette voie-là,
22:16c'est résister
22:17à la pression des pères.
22:19Il s'est fait une image
22:20pour survivre, lui.
22:21De ses pères à lui,
22:22vous voulez dire.
22:22De ses pères P.A.I.R.S.
22:23qui sont en prison avec lui.
22:25C'est très bien montré
22:26dans le film
22:26Les Repentis,
22:27dont vous parliez,
22:28où on voit que
22:29cet état-rin
22:30qui s'est dégagé,
22:31qui a compris
22:32que c'était
22:32une organisation criminelle,
22:34l'ÉTA, etc.
22:34L'ÉTA.
22:35Il est sous la pression
22:38des autres.
22:38Il dit ce que tu te fais,
22:39tu trahis la cause,
22:40tu n'es plus toi-même.
22:41Il y a un moment
22:42où le criminel,
22:43et notamment les terroristes,
22:45ont besoin de garder
22:45cette identité
22:46de criminel
22:47pour ne pas son vrai.
22:48C'est absolument passionnant.
22:50Merci Antoine Garapon.
22:51Il y a de nombreux auditeurs,
22:53justement,
22:54des étudiants
22:54en droit
22:55qui s'interrogent
22:56justement
22:57sur le type
22:57d'affaires pénales
22:58qui pourraient être concernés
22:59par cette autre forme
23:00de justice.
23:01d'autres qui s'étonnent
23:03ou s'interrogent
23:04sur justement
23:06cette part d'humanité
23:07dont vous parlez
23:08et sur l'importance
23:10que pourrait avoir
23:10cette autre justice
23:12pour reprendre le titre
23:13de votre livre
23:14dans la collectivité.
23:15C'est publié
23:16aux presses universitaires
23:17de France.
23:18Merci infiniment
23:19Antoine Garapon.
23:20Et très bonne journée.
23:21Merci à vous.
23:21Merci à vous.
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