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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Chers amis, le dossier extraordinaire de la police que nous allons ouvrir aujourd'hui contient des pièces particulièrement horribles.
00:19Si nous l'avons choisi, néanmoins, c'est parce que l'horreur même de cette affaire fait d'autant mieux ressortir le fait que la personnalité psychique d'un homme est composée d'éléments relativement indépendants les uns des autres, souvent contradictoires, et qui se combattent.
00:36Mais nous l'avons choisi aussi parce qu'il se trouve que j'ai personnellement rencontré, dîné et conversé avec le héros déconcertant de ce peu banal exploit dont Jacques-Antoine a tout juste changé le nom comme celui des lieux où les faits se déroulent pour une raison qui vous sera donnée à la fin.
01:068h30, 2 août, au pont de Sèvres, à Paris.
01:23Un cimentier boiseur qui travaille à la construction du nouveau pont vient d'embarquer à bord d'une plate pour aller au milieu de la Seine accoster une pile.
01:33Le moteur refuse de partir.
01:35En se penchant pour examiner l'hélice, il voit un paquet de chais.
01:43Il croit d'abord qu'il s'agit d'une bête crevée.
01:46Mais pas du tout.
01:49C'est un morceau de corps humain.
01:53Inutile de vous dire que ce brave homme n'insiste pas.
01:56Il se contente d'accrocher le, enfin,
01:59enfin, disons la chose avec une gaffe au milieu des ouvriers du chantier rassemblé et l'on va prévenir la police.
02:07La chose est un bassin humain.
02:13Là, je trouve le texte du journal que j'ai sous les yeux assez amusant.
02:16Il nous dit
02:17La police détermine rapidement qu'il s'agit d'un bassin de femmes.
02:23La chose paraît, ma foi, assez proprement sciée en haut des deux cuisses et à la hauteur d'une ombri.
02:31Le boucher du coin vient voir la chose en bas d'eau et déclare qu'à son avis, c'est un travail de professionnel.
02:38Mais vous allez voir, chers amis, que ce détail n'est finalement pas précieux pour les inquiéteurs
02:44car, par professionnel, on entend boucher, plombier, chirurgien, charcutier, menuisier, carisseur, voire ouvrier sur métaux.
02:54Ces messieurs du quai des Orfèves ne peuvent évidemment identifier la victime
02:57ni par témoignage, ni par comparaison d'empreintes digitales et pour cause.
03:01Par contre, ils établissent assez rapidement l'endroit où a pu être jetée la chose dans la Seine.
03:09Pas du pont, car ça aurait fait trop de bruit en tombant dans l'eau.
03:14La nuit, il y a des gardiens sur le chantier et le jour, beaucoup trop de passants.
03:18Et seul un endroit précis de la berge, par le jeu des courants, peut avoir amené la chose là.
03:25Mais que sont devenus les autres morceaux du corps ?
03:29Imaginez, chers amis, ce tableau bucolique.
03:31Tous ces petits policiers montés dans des petites barques
03:34qui, par ce chaud soleil du mois d'août, se promènent sur la Seine avec des épuisettes.
03:40Ils ne trouvent rien.
03:42Une petite statistique faite à l'époque.
03:45Sur 14 cadavres de femmes dépecées à l'époque, en 10 ans, 5 ont été identifiés
03:51et, sur ces 5-là, l'identification a provoqué l'arrestation de 4 assassins.
03:56Le 5 août, le médecin légiste établit que la victime devait avoir 20 ans environ,
04:05des cheveux châtain clairs et que le meurtre remonterait à 5 ou 6 jours.
04:10Le 13 août, en se promenant le long du lac d'Anguin,
04:17un postier aperçoit, dans les hautes herbes, le long d'un mur au bord d'une allée,
04:22devinez quoi ?
04:26Un essaim de mouche.
04:27Madame, les jours passent pour les morts comme pour les vivants.
04:31Bref, sous cet essaim de mouche, il distingue une forme.
04:37Il est un peu surpris.
04:39Il dira plus tard,
04:40« Je me disais, mais non, mais non, ça ne peut pas être une jambe,
04:44ça ne peut pas être une jambe ! »
04:46Eh bien si, c'est une jambe !
04:49Là encore, le texte du journal est assez amusant car je lis
04:52« L'enquête, aussitôt ouverte par le commissaire de police d'Anguin,
04:55établit rapidement qu'il s'agit d'une jambe de femme.
05:00Vous me direz qu'il est plus difficile de distinguer le sexe d'une jambe
05:03que le sexe d'un bassin. »
05:06Évidemment, la question se pose de savoir si le bassin du pont de Sèvres
05:08et la jambe d'Anguin ont un rapport quelconque,
05:12soit qu'ils appartiennent à la même victime, soit au même criminel.
05:15Sinon, il faudra admettre que deux assassins d'épeceurs
05:19se promènent simultanément dans la région parisienne
05:21en semant de-ci, de-là, leurs petits paquets.
05:26À 20 km l'un de l'autre, l'un à Anguin et l'autre à Sèvres,
05:31les deux morceaux ne semblent pas collés.
05:32Ne disposant pas d'un fémur entier, le médecin légiste
05:36ne peut pas déterminer la taille.
05:38Or, tant qu'on n'aura pas déterminé la taille,
05:40impossible de commencer des investigations sérieuses.
05:44Mais, sauvez, rassemblez les deux morceaux sans boîte.
05:50Un peu plus de 20 ans, taille 1,55 m à 1,60 m,
05:54cheveux châtain, poiture 36,5 m.
05:56Tel est donc, après cette opération, le signalement de la victime.
06:00Ce qui va faire de l'assassin, écrit dramatiquement un journal de l'époque,
06:06un homme traqué.
06:08Vous allez vous rendre compte, chers amis,
06:09que j'ai des raisons personnelles de sourire en lisant ces mots.
06:13Évidemment, la première tâche des policiers est d'examiner
06:15les déclarations de personnes signalant, depuis le 25 juillet,
06:18date approximative du meurtre,
06:20des disparitions de jeunes femmes correspondant à ce signalement.
06:23On en trouve cinq.
06:24Cinq des jeunes femmes disparues depuis le 25 juillet dans la région parisienne
06:28avaient plus de 20 ans,
06:29les cheveux châtain et mesuraient environ 1,60 m.
06:32Laquelle de ces cinq femmes
06:33est la dépecée du pont de Sèvres et d'Anguin ?
06:37Et d'ailleurs, car on ne désespère pas de trouver d'autres morceaux.
06:40Bref, une chance sur cinq.
06:42Ce n'est déjà pas si mal pour la police.
06:44Et le 18 août,
06:46le juge d'instruction Batting
06:47ouvre une information contre X.
06:49L'identification va être très rapide.
06:52Certains amis, très proches ou des parents
06:55sont mis en présence de...
06:57Enfin, de ce qui reste de la malheureuse victime.
07:00Et entre autres, un dénommé Armand Capitan
07:02qui, le 29 juillet, est venu signaler la disparition de son épouse
07:06au commissariat du PEC.
07:08Le pauvre homme,
07:10sans être tout à fait formel,
07:11reconnaît que les macabres débris
07:14pourraient en effet appartenir à sa femme.
07:17Le journaliste Raymond Evenin
07:18décrit ainsi Armand Capitan.
07:20Le visage est bouffi, large,
07:22comme s'il avait été écrasé,
07:23le nez court et relevé du bout.
07:25La lèvre supérieure, trop haute,
07:27tombe sur une bouche charnue et boudeuse,
07:29mais que relève parfois
07:30un très discret et très fugitif sourire.
07:34Les yeux sont écartés
07:35et le regard attentif est souvent immobile.
07:38L'ensemble fait irrésistiblement penser
07:40à un batracien.
07:42Il a 31 ans,
07:43représentant d'une grosse société de radioélectricité,
07:45il est un excellent professionnel,
07:47ce dont personne ne peut douter,
07:48dès qu'il ouvre la bouche,
07:50car si la voix de ce vendeur est sans éclat,
07:52le discours est nuancé, précis, courtois
07:55et d'une inaltérable complaisance.
07:58Il faut dire que Armand Capitan,
08:00petit-fils de consul,
08:01a été élevé par une famille très bourgeoise
08:03et vit dans un quartier distingué du PEC.
08:06On enquête sur Armand Capitan
08:07et d'abord les enquêteurs
08:09essaient de se faire une idée
08:10de la personnalité de sa femme
08:11et des raisons
08:12qui peuvent avoir entraîné sa disparition.
08:15Or, l'unanimité est frappante.
08:18Les personnes interrogées
08:19la présentent comme une...
08:21Passez-moi l'expression,
08:22mais comme une emmerdeuse.
08:24Mais le tableau,
08:25qui en effet rend ce mot,
08:27qui dit pourtant bien ce qu'il veut dire,
08:29insignifiant.
08:31Il faudrait,
08:32dit un témoin de l'époque,
08:33un autre mot.
08:34Il faudrait en inventer un exprès pour elle.
08:36Coléreuse,
08:38méprisante,
08:39instable,
08:40Louisette,
08:40qui a trois ans de moins que Armand,
08:42lui faisait mener une vie d'enfer.
08:44Sans cesse,
08:45elle lui faisait des scènes,
08:46n'hésitait pas à se moquer de lui
08:47devant ses amis
08:48à propos de son manque de finesse,
08:50de son mauvais goût,
08:50de sa situation
08:51qu'elle juge médiocre,
08:52etc.
08:54Évidemment,
08:54le métier d'Armand
08:55n'a rien de glorieux,
08:56mais c'est un métier
08:57comme des millions d'hommes en exercent
08:59et qui ne se sentent pas déshonorés
09:00pour autant.
09:02Après tout,
09:03heureusement que tout le monde
09:04n'a pas de l'ambition
09:05et que pour la plupart des gens,
09:06l'ambition est un défaut.
09:08Armand fait bien son métier,
09:09aime bien son métier
09:10et son métier le rend heureux.
09:13Enfant,
09:14c'était un écolier bien élevé
09:15mais pas très travailleur.
09:16Armand Capitan,
09:17d'ailleurs,
09:17le reconnaît lui-même.
09:18Je n'étais pas paresseux,
09:19mais rêveur.
09:21Il a certainement fait
09:22un mariage d'amour
09:22et n'ignorait pas
09:24que sa femme avait
09:25un mauvais caractère.
09:26Enfin,
09:26il ne pensait pas
09:27que cela irait jusque-là.
09:29Ils ont eu un enfant,
09:31mais cela n'a pas amélioré
09:32le caractère de Louisette.
09:34Il faut dire que
09:34les Capitans
09:35habitent au paix
09:35dans un pavillon
09:36où vivent également
09:37la mère d'Armand,
09:39sa sœur
09:39et son beau-frère.
09:41Mais bien que vivant
09:42sous le même toit,
09:43tout ce petit monde s'ignore.
09:45Ils trouvent le moyen
09:46d'entrer par une porte
09:47quand les autres
09:48sortent par ailleurs,
09:49ne sont jamais
09:50dans les mêmes pièces
09:51et se saluent
09:52comme des étrangers
09:53lorsqu'ils se croisent
09:54devant le portail.
09:55Tout cela paraît-il
09:56de la faute de Louisette
09:57qui ne supporte pas
09:58cette cohabitation.
10:00À tel point
10:01que Armand ne voit sa mère
10:02qu'en cachette,
10:03car Louisette a giflé
10:04sa belle-mère
10:05et lui a craché
10:06au visage.
10:07Pourquoi ?
10:08Comme ça,
10:08en repassant
10:09dans le couloir.
10:11Ce n'est pas tout.
10:12Cette malheureuse Louisette,
10:14je dis malheureuse,
10:14car au fond,
10:16si elle martyrisait
10:16ses proches,
10:17il n'en est pas moins vrai
10:18que c'était une névrosée.
10:20Donc,
10:20cette malheureuse
10:21avait pris l'habitude
10:22de se lever la nuit
10:23vers deux ou trois heures
10:24du matin
10:24pour ranger des vêtements,
10:26repasser du linge
10:27et faire la lessive.
10:29des voisins prétendaient
10:30qu'elle était hystérique,
10:32car elle sortait la nuit
10:33dans le jardin
10:33en hurlant
10:34des mots sans suite.
10:36Malgré tout ça,
10:38le pauvre Armand Capitan
10:39était obligé,
10:41dès qu'il quittait
10:41cet enfer,
10:42de se recomposer
10:43son personnage,
10:43bien cravaté,
10:45bien élégant,
10:46jovial,
10:46bon vivant,
10:47comme l'exigait
10:48son métier de vendeur.
10:50Mais je suppose
10:50qu'il devait faire
10:51pour cela
10:51un effort
10:52quotidiennement répété
10:53et certainement épuisant
10:55pour un homme comme lui.
10:56Les enquêteurs
10:57seraient donc assez tentés
10:58de voir en lui
10:59l'assassin,
11:00mais trois éléments
11:01combattent l'hypothèse
11:02de sa culpabilité.
11:03Premièrement,
11:05la sœur de Louisette
11:06déclare à la police
11:06que Louisette
11:07lui aurait dit
11:08quelques semaines
11:09avant sa disparition
11:10« Au fond,
11:12même pour l'enfant,
11:13il vaudrait mieux
11:14que je disparaisse. »
11:16Cette petite phrase
11:16est très importante
11:17car elle prouve
11:18que la malheureuse
11:18se rendait compte
11:19qu'elle gâchait la vie
11:20de son mari et de son enfant
11:21et qu'elle s'en sentait
11:22responsable.
11:23C'est à cause
11:24de cette petite phrase
11:25aussi que la famille
11:26ne s'est pas trop étonnée
11:27lorsqu'Armand
11:28est venu leur annoncer
11:29que sa femme
11:29avait disparu.
11:31Deuxièmement,
11:31il faut reconnaître
11:32qu'il est difficile
11:33d'imaginer
11:34que ce correct,
11:35élégant,
11:35affable
11:36et doux petit monsieur
11:37puisse être l'homme
11:39qui a,
11:40dans un ruissellement
11:41de sang,
11:42patiemment,
11:43méticuleusement,
11:44mais avec maîtrise,
11:45découpé à l'aide
11:46d'une scie égoïne
11:47sa femme
11:47morceau
11:48après morceau.
11:50Enfin,
11:50chers amis,
11:51est-ce que vous vous rendez
11:52compte ?
11:52Sa femme.
11:53Est-ce que vous vous voyez
11:54en train de couper
11:55votre femme en morceaux ?
11:57Est-ce que vous voyez
11:57quelqu'un autour de vous
11:58capable de couper
11:59une femme en deux
11:59par le travers
12:00du nombril ?
12:02Si vous avez répondu
12:03oui,
12:04il vaut mieux
12:04de plus fréquenter
12:05la personne
12:05à laquelle vous avez pensé.
12:06Troisièmement,
12:08non seulement
12:09c'est lui-même
12:10qui est venu signaler
12:11au commissariat du PEC
12:12la disparition de son épouse,
12:14mais il a téléphoné
12:14au médecin
12:15avec lequel
12:15elle avait rendez-vous
12:16pour lui dire
12:17qu'elle serait empêchée
12:18de venir.
12:19Évidemment,
12:21rien ne prouvait
12:22qu'elle n'allait pas
12:22venir chez ce médecin
12:23et à la limite,
12:25cela aurait pu être
12:26retenu contre lui,
12:27mais comme il l'explique
12:28lui-même,
12:29puisqu'elle n'était pas
12:30rentrée à la maison
12:31sans prendre la précaution
12:32de prévenir,
12:33je ne vois pas pourquoi
12:34je n'aurais pas prévenu
12:34son médecin,
12:35je ne voulais pas
12:35qu'il n'attendait pour rien.
12:37Le geste était tellement naïf
12:39qu'on le porte donc
12:40plutôt à son crédit.
12:42Donc impossible
12:43de soupçonner officiellement
12:44le brave Armand Capitan.
12:46Mais officieusement,
12:47les enquêteurs continuent
12:49à la voir,
12:50comme on dit,
12:50à l'œil.
12:52Des mois,
12:54une année,
12:55puis deux années passent,
12:58mais à aucun moment
12:59la police ne cesse
12:59de le surveiller
13:00et même quelquefois
13:01de lui tendre des pièges.
13:03Mais Armand Capitan
13:04reste inattaquable.
13:06Parfois,
13:06il téléphone au policier
13:07ou au magistrat instructeur
13:08pour leur demander
13:09s'ils ont des nouvelles.
13:11Il lui arrive même
13:11de dire à l'un d'eux
13:12qui lui paraît réticent.
13:14Mais si vous avez
13:15des soupçons,
13:15arrêtez-moi !
13:18C'est alors
13:19que va se produire
13:19l'événement
13:20qui nous a paru
13:22justifier cette émission.
13:24C'est pour ce
13:24qu'Armand Capitan
13:25va faire maintenant
13:26que nous avons décidé
13:28de vous raconter
13:29cette histoire.
13:30Les récits extraordinaires
13:38de Pierre Belmar,
13:40un podcast européen.
13:41Donc, chers amis,
13:42deux années se sont passées.
13:44La police suspecte
13:45officieusement
13:46Armand Capitan,
13:47mais rien de plus.
13:48Et cela pourrait durer
13:49cinq ans,
13:49dix ans,
13:50vingt ans,
13:50cent ans.
13:51seulement voilà.
13:54Armand Capitan
13:55sait que la police
13:56le suspecte.
13:57Position déplaisante
13:58pour un homme comme lui
13:59qui tient tant
14:00à la bonne apparence
14:01des choses,
14:01à la légalité.
14:03Et puis,
14:03il y a pire.
14:05Socialement,
14:06sa situation
14:06n'est pas nette.
14:08Il n'est ni marié,
14:09ni divorcé,
14:10ni veuf,
14:11ni célibataire.
14:14Sa femme a disparu
14:14comme une saletimbanque.
14:17Elle est censée
14:17pouvoir revenir.
14:19Il est censé
14:19être toujours marié.
14:21Comme on n'a retrouvé
14:22ni la tête
14:22ni les mains,
14:23la femme dépecée
14:23n'a pu être formellement
14:24identifiée
14:25comme étant sa femme,
14:26Louisette.
14:27Avouez que pour un homme
14:28comme Armand Capitan,
14:30c'est une situation
14:30réellement inconfortable.
14:34Pour que cette situation
14:36s'améliore,
14:38il faudrait que quelque chose
14:39permette d'une part
14:41de le disculper
14:43de ce crime horrible
14:44et d'autre part
14:46que lui soit rendu
14:48sa vraie liberté légale
14:49qu'il soit admis
14:51une fois pour toutes
14:52que sa femme
14:52ne peut plus être
14:53sa femme,
14:55qu'il puisse par exemple
14:56se remarier
14:56s'il le désire.
14:59Ce besoin irrésistible
15:00d'ordre,
15:01de l'égalité,
15:03est un trait
15:04dominant de son caractère,
15:05trait
15:06qui vient certainement
15:07de son éducation
15:08extrêmement bourgeoise
15:09et compassée.
15:11Comme Armand Capitan
15:13n'a pas la véritable
15:14force morale
15:15qui lui permettrait
15:16d'être un être
15:17inattaquable,
15:18impeccable,
15:19mais qu'il admire
15:20certainement la rectitude
15:21morale de sa famille,
15:23il essaie frénétiquement
15:24de lui ressembler
15:25au moins par l'extérieur,
15:26par les apparences.
15:29C'est poussé
15:30par ce trait
15:30de caractère
15:31qu'il va commettre
15:33la faute
15:34qu'il ne pardonne pas.
15:36Car,
15:38en compulsant
15:39ces dossiers extraordinaires,
15:41nous avons acquis
15:41au moins une conviction.
15:42c'est que ce sont
15:45toujours
15:46les traits
15:47de caractère
15:48qui font
15:49commettre
15:49aux criminels
15:50les erreurs
15:51qui, par la suite,
15:53les dévoilent.
15:55J'ai personnellement
15:57connu Armand Capitan
15:58car, à l'époque,
15:59par une coïncidence,
16:01j'habitais
16:01non loin de chez lui.
16:04J'ai vu
16:04Armand Capitan
16:05à table,
16:05entouré de sa famille,
16:06parfaitement respectable
16:07en apparence.
16:09Et j'aime mieux vous dire
16:10qu'il ne paraissait
16:11pas du tout
16:11traqué.
16:12Et d'ailleurs,
16:14si la police
16:14le soupçonnait,
16:16elle n'avait rien
16:16dans les mains
16:17qui lui autorisait
16:18à le tracasser
16:19vraiment.
16:22Pourtant,
16:24le 2 juillet,
16:26Armand Capitan
16:26retourne
16:27à la police.
16:29Il apporte
16:30une lettre
16:31qu'il vient
16:31de recevoir.
16:33La lettre
16:34est écrite
16:34en caractère
16:35d'imprimerie
16:35dans un charabia
16:36franco-italien
16:37qu'il a cependant
16:39déchiffré
16:39grâce aux quelques
16:40connaissances italiens
16:41acquises
16:41pendant son voyage
16:42de noces.
16:43Le correspondant
16:44d'Armand
16:44expose
16:45qu'il a fait
16:46des propositions
16:47à Louisette
16:48et qu'ayant été
16:49repoussé,
16:49il l'a étranglé
16:50et dépecé,
16:51puis il a jeté
16:52les morceaux
16:52de son corps
16:53dans la seine.
16:56Malgré leur
16:57scepticisme,
16:59malgré de multiples
17:00interrogatoires,
17:01les policiers sont
17:02bien obligés
17:03de s'en tenir
17:03aux faits
17:04et les faits
17:05sont là.
17:05un inconnu
17:07s'accuse
17:08du meurtre
17:08de Louisette
17:09Capitan.
17:10Des parties
17:11du cadavre
17:11de cette dernière
17:12ont été retrouvées
17:13et on ne peut
17:14rien retenir
17:15contre son mari.
17:17Il y a donc lieu
17:17de clore
17:18définitivement
17:18l'enquête
17:19sur ce dernier
17:19et le 8 octobre,
17:21un non-lieu,
17:23mais Armand
17:23Capitan
17:24hors de cause
17:25et l'affaire
17:26va être
17:26définitivement
17:27classée.
17:29Mais le 17 décembre,
17:31Armand Capitan
17:34pour être fidèle
17:35à son personnage,
17:36à l'image
17:37qu'il veut donner,
17:39se croit obligé
17:40de déposer
17:41une plainte
17:42contre X
17:43pour homicide
17:45volontaire
17:45sur la personne
17:46de sa femme
17:46et s'associe
17:48à la démarche
17:49de son beau-père
17:49pour faire reconnaître
17:51l'état d'absence
17:52de Louisette.
17:54S'il ne l'avait pas fait,
17:56la police
17:57en serait restée là,
17:58impuissante.
18:00Mais,
18:00Capitan
18:01aurait su
18:02que quelque part
18:03dans l'administration
18:05policière,
18:05des gens
18:06se seraient étonnés
18:07qu'il n'ait pas
18:08déposé cette plainte.
18:10Pour leur imposer
18:11une bonne image
18:12de lui-même,
18:13une image
18:14respectable,
18:16il convenait
18:16qu'il fasse
18:17ce qu'un mari
18:18respectable
18:19devait faire
18:19en la circonstance,
18:20c'est-à-dire
18:21rechercher le coupable,
18:24même si ce coupable
18:25c'est lui-même.
18:28Ainsi donc,
18:30on le voit,
18:31le désir forcené
18:32de l'égalité
18:32et de respectabilité
18:33d'Armand Capitan
18:34aller à l'encontre
18:35même de tout
18:36raisonnement logique
18:37et du plus élémentaire
18:38instinct de survie.
18:40En effet,
18:41que s'est-il passé ?
18:42Eh bien,
18:43une nouvelle plainte
18:44étant déposée,
18:45un nouveau juge
18:46d'instruction
18:47est saisi du dossier
18:48et reprend tout
18:49à zéro.
18:51Oh,
18:52cela va être difficile
18:53puisqu'il faut encore
18:55quatre années,
18:57quatre années
18:57pendant lesquelles
18:58Armand Capitan
18:58a apparemment
18:59une vie tout à fait normale.
19:00Donc en tout,
19:01six années étonnantes
19:02pendant lesquelles
19:03il s'occupe
19:04de l'éducation
19:05de son enfant,
19:06travaille,
19:06part en vacances,
19:07achète une voiture,
19:08fait de la gymnastique,
19:09etc.
19:09Pendant deux ans,
19:12il mène une vie d'asset.
19:13Puis il rencontre
19:14une jeune allemande,
19:15Gisèle X,
19:16âgée de 28 ans,
19:17réfugiée d'Allemagne
19:18de l'Est.
19:19Et cette rencontre
19:20va le perdre.
19:21Gisèle est interpellée
19:22en septembre
19:23par la DST
19:24qui la soupçonne
19:25d'espionnage économique.
19:27Elle fait l'objet
19:27d'un arrêt d'expulsion
19:28et on la refoule
19:30en Allemagne de l'Est.
19:31Alors non seulement
19:32Armand Capitan
19:33se retrouve plus seul
19:34que jamais,
19:34mais le nouveau juge
19:35d'instruction
19:36est mis au courant
19:37de cette liaison.
19:38Le juge pense alors
19:39que c'est peut-être
19:41pour épouser Gisèle
19:42qu'Armand
19:42a voulu faire proclamer
19:44l'état d'absence
19:45de sa femme.
19:45Il va plus loin.
19:47Pourquoi
19:47n'aurait-il pas écrit
19:48lui-même la lettre ?
19:50Pourquoi
19:50n'aurait-il pas
19:51tué sa femme ?
19:53Le 4 mai,
19:55Armand Capitan
19:56reconnaît avoir écrit
19:56la lettre.
19:57Il finit
19:58sans résister beaucoup
19:59par donner du drame
20:00la version que voici.
20:02Il s'est disputé
20:03avec Louisette,
20:04elle est tombée
20:04et s'est fracturé le crâne.
20:06Il ajoute
20:07qu'en la relevant,
20:08il a passé le bras
20:09autour de son cou
20:10et ainsi
20:10l'a peut-être étranglé.
20:12Après,
20:12il l'a dépecé
20:13et a dispersé
20:14les morceaux.
20:16Lors du procès d'assise,
20:18Armand
20:18ne parle plus
20:19de l'éventuel étranglement.
20:21Voici sa version.
20:22Nous nous sommes disputés,
20:23je l'ai giflé.
20:24En se débattant,
20:26elle a dû se prendre
20:26les pieds
20:27dans le fil de la lampe
20:28et elle est tombée
20:28la tête
20:29sur l'angle
20:30du cache radiateur métallique.
20:31puis elle s'est écroulée
20:33sur le plancher.
20:35Qu'avez-vous fait ?
20:36Avez-vous cherché du secours ?
20:37Avez-vous appelé un médecin ?
20:39Je me suis penché sur elle.
20:41Elle a eu
20:42deux ou trois mouvements
20:42convulsifs de la bouche.
20:45J'ai écouté son cœur,
20:46deux ou trois battements
20:46et c'était fini.
20:49Le président sceptique
20:50regarde Armand
20:51qui a raconté son histoire
20:52avec la même voix objective
20:53qu'il devait avoir
20:54pour vendre
20:55un rasoir électrique.
20:57On est bien forcé
20:58de vous croire,
20:58dit le président,
20:59puisqu'on n'a jamais
21:00découvert la tête.
21:01Ensuite ?
21:03Bien ensuite,
21:04je l'ai traîné
21:04dans la salle de bain,
21:06je l'ai plongé
21:07dans la baignoire
21:08pleine d'eau
21:08avant le découpage.
21:12Quelle idée !
21:13Bien évidemment,
21:13c'est idiot,
21:14ça serait peut-être
21:15passé aussi bien à sec.
21:17Je me suis servi
21:17d'une scie égoïne
21:18et d'un couteau de cuisine.
21:20Puis j'ai fait des paquets
21:21que j'ai déposés
21:22dans le coffre
21:23de ma voiture.
21:24Comme le tronc
21:25ne pouvait pas y entrer,
21:26je l'ai mis
21:27dans le poulailler.
21:29Mais c'est horrible,
21:29murmure le président.
21:30« Oh oui,
21:31monsieur le président,
21:32répond Armand.
21:33Qui sait de quoi il parle ?
21:34C'était horrible
21:35et idiot.
21:36Car mon neveu
21:37venait souvent jouer là.
21:39S'il l'avait découvert,
21:40ça aurait été atroce. »
21:42Le représentant
21:43de la partie civile
21:44conclut sa plaidoirie
21:46par ce mot malheureux
21:47qui provoque
21:48un rire incongru.
21:50Armand lisait
21:52dans les yeux
21:52de sa femme
21:53comme dans un miroir
21:54le reflet
21:55de sa triste médiocrité.
21:57Il a brisé
21:57le miroir en morceaux.
21:59L'avocat général
22:01se contentera
22:02d'affirmer
22:02qu'il ne croit pas
22:03à la mort accidentelle
22:04de Louisette
22:05dont la chute
22:05ne pouvait être mortelle.
22:06De plus,
22:08si Armand
22:08a placé sa femme
22:09dans la baignoire
22:10pleine d'eau,
22:11c'est pour s'assurer
22:12qu'elle est bien morte.
22:14Enfin,
22:14s'il a découpé
22:15le cadavre,
22:16c'est pour faire disparaître
22:17la tête de la morte
22:18et supprimer ainsi
22:19une pièce à conviction.
22:21Mais ce qui frappe
22:22le représentant
22:22du ministère public,
22:23c'est le sang-froid
22:24stupéfiant de l'accusé
22:25et une hypocrisie
22:27dont il a rencontré
22:28peu d'exemples
22:29au cours de sa carrière.
22:31La thèse de la défense
22:32est simple.
22:33Premièrement,
22:35on n'a aucune preuve
22:36qu'Armand Capitan
22:37ait tué volontairement
22:38sa femme.
22:38Tout porte à croire
22:39que le meurtre,
22:40s'il y a meurtre,
22:41est involontaire.
22:42Deuxièmement,
22:44par peur du scandale,
22:45Armand Capitan,
22:45certes,
22:46a dépecé sa femme.
22:47Mais le code pénal
22:49ne poursuit pas ce geste,
22:51pas plus que la religion
22:52ne le condamne.
22:54Un corps privé de vie
22:55n'est plus que poussière.
23:00Pendant que la cour
23:00se retire pour délibérer,
23:02Armand Capitan
23:03pleure dans son box,
23:05mais il va écouter
23:06impassible l'incroyable,
23:08car le verdict
23:09des jurés est incroyable.
23:11Ce qui est incroyable,
23:12ce n'est pas
23:13qu'il soit condamné
23:13à 15 ans
23:14de réclusion criminelle.
23:15Ce qui est incroyable,
23:17c'est que le jury
23:18ne retient pas
23:20l'homicide volontaire,
23:21mais par contre
23:22refuse
23:23les circonstances
23:24atténuantes.
23:25Autrement dit,
23:27Armand Capitan
23:27n'est pas condamné
23:28à 15 ans de prison
23:29pour avoir tué sa femme,
23:31mais pour l'avoir découpé
23:32en morceaux.
23:34Bref,
23:35Armand Capitan
23:36fera 15 ans de prison
23:37pour avoir été,
23:39comme disent les Anglais,
23:40« shocking ».
23:42Avouez que cette histoire
23:43méritait bien
23:44de figurer
23:45dans les dossiers
23:45extraordinaires de la police.
23:51Vous venez d'écouter
24:07les récits extraordinaires
24:08de Pierre Bellemare,
24:10un podcast
24:11issu des archives
24:12d'Europe 1.
24:13Réalisation et composition
24:15musicale,
24:15Julien Tarot.
24:17Production,
24:18Estelle Laffont.
24:19Patrimoine sonore,
24:21Sylvaine Denis,
24:22Laetitia Casanova,
24:24Antoine Reclus.
24:25Remerciements
24:26à Roselyne Bellemare.
24:28Les récits extraordinaires
24:29sont disponibles
24:30sur le site
24:31et l'appli Europe 1.
24:33Écoutez aussi
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24:35en vous abonnant
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