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Anne Fulda reçoit Hélène Rossinot pour son livre «Revivre malgré la douleur» dans #HDLivres

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Transcription
00:00Bienvenue à l'heure des livres, Hélène Rossignot.
00:02Merci beaucoup.
00:03Vous êtes médecin, vous êtes spécialiste de santé publique,
00:07vous avez déjà écrit plusieurs livres,
00:09notamment sur le thème des proches aidants,
00:12un livre notamment qui s'appelait
00:13« Aidants, c'est invisible », publié à l'Observatoire.
00:16Vous venez là de publier « Revivre malgré la douleur »,
00:19un livre qui est paru aux éditions Robert Laffont
00:21et un livre qui n'existait pas,
00:24qui est étonnamment bien écrit,
00:27qui est sensible, courageux,
00:29qui aborde un sujet universel, celui de la douleur,
00:32mais qui semble demeurer tabou, en tout cas peu abordé.
00:37Vous le dites dans le livre,
00:38c'est parce que vous-même êtes atteinte d'une maladie chronique
00:41que l'on a mis du temps à diagnostiquer,
00:43que vous êtes intéressé à ce sujet de la douleur.
00:47Comment vous l'expliquez ?
00:49Est-ce que la douleur demeure une espèce d'impensée de la médecine,
00:53même s'il y a eu des progrès dans la prise en compte de la douleur,
00:57et dans une moindre mesure de la société ?
01:00On a beaucoup de mal à parler de la douleur
01:03parce qu'en face, les interlocuteurs ont beaucoup de mal à l'entendre.
01:06Et c'est vrai qu'on a énormément de patients,
01:08des femmes en particulier,
01:09qui ne sont pas crues quand elles parlent,
01:11et qui du coup prennent sur elles, mettent un masque
01:13et arrêtent de dire qu'elles ont mal.
01:16Et le problème, c'est que plus on a des patients
01:18qui se taisent et qui cachent qu'ils ont mal,
01:21et moins on peut faire changer les choses,
01:23moins on peut avancer, moins on peut développer des traitements,
01:24et surtout, moins on peut améliorer la prise en charge médicale,
01:28les études médicales,
01:29et sociétalement la manière dont on voit les gens qui ont mal.
01:31On l'a vu, il y a un chiffre qui est sorti il y a quelques jours,
01:3423 millions de personnes en France qui souffrent de douleurs chroniques,
01:37et pourtant, quand j'ai travaillé sur le livre,
01:39il n'y avait rien quasiment sur la douleur,
01:41ce qui est quand même fou.
01:42Vous venez de dire que, étonnamment,
01:47les femmes, on croit moins les femmes lorsqu'elles disent qu'elles ont mal.
01:50À quoi est-ce lié ?
01:51À l'histoire de la médecine et de la recherche médicale de manière générale.
01:58Vous l'évoquez dans le livre.
01:59Exactement, je l'évoque dans le livre.
02:00Freud et ses amis ne nous ont pas fait du bien de manière générale.
02:04On a encore une vision des femmes qui exagèrent,
02:07qui sont hystériques,
02:08qui ne savent pas prendre sur elles,
02:10alors que, très honnêtement,
02:12toute personne qui connaît des femmes sait qu'on est plutôt coriace,
02:15en règle générale.
02:17Mais c'est vrai que c'est enseigné,
02:18et il y a un biais qui reste.
02:22Et il n'est pas conscient.
02:23Les médecins ne sont pas consciemment sexistes,
02:24mais c'est vrai que la médecine qu'on nous enseigne est sexiste,
02:27et pas à jour en plus.
02:30Vous écrivez,
02:31j'ai longtemps écouté la douleur des autres,
02:33sans oser parler de la mienne,
02:34jusqu'au jour où j'ai compris que se taire
02:36empêche de faire changer les choses.
02:38Alors, encore, faut-il...
02:39Alors, déjà, deux choses.
02:40Il faut effectivement arriver à parler de sa douleur,
02:43et il faut qu'en face,
02:44il y ait quelqu'un qui puisse l'entendre,
02:46et qui puisse s'en débrouiller d'une certaine façon.
02:49D'ailleurs, vous évoquez ce sujet.
02:52Il faut parler,
02:54mais après, en face,
02:55il faut qu'on puisse traiter la personne qui dit qu'elle a mal.
02:58Complètement.
02:58Alors, c'est vrai que...
02:59L'accueillir ou pas ?
03:00Parler, ce n'est pas facile.
03:01On tente petit bout par petit bout.
03:03Quand j'ai écrit le livre,
03:05je m'étais dit que j'allais parler,
03:06mais pas que de moi,
03:07parce qu'il y a plein d'autres patients
03:08dont je parle dans le livre.
03:10Et pour être honnête avec vous,
03:11quand j'ai commencé à l'écrire,
03:12au bout de deux mois,
03:14je me suis rendue compte
03:14que j'avais oublié de parler de moi.
03:16Oublié.
03:17C'était sûrement inconscient,
03:19mais...
03:19Donc, j'ai effacé une partie de ce que j'avais écrit,
03:21et j'ai recommencé,
03:22cette fois-ci,
03:22en me forçant, entre guillemets,
03:24à parler de moi,
03:25parce que j'étais beaucoup dans le contrôle.
03:27J'avais pas envie de...
03:28J'étais habituée à mon image de médecin.
03:29Si, peut-être.
03:30Oui.
03:30Puis j'étais habituée à mon image de médecin,
03:32d'experte,
03:33et c'est pas simple de se retrouver de l'autre côté,
03:34d'admettre qu'on est vulnérable,
03:36qu'on est normal,
03:36qu'on est humain.
03:38Et c'est vrai que ma grande question était
03:40mais comment ça va être pris ?
03:42Est-ce que les gens vont me regarder différemment,
03:44que ce soit mes proches
03:45ou les gens avec qui je travaille ?
03:47Et j'ai été très surprise de voir que
03:48non seulement le regard n'a pas changé,
03:51mais s'il a changé,
03:52c'est plutôt en bien.
03:53Parce que ça a renforcé l'intimité
03:54avec mes proches,
03:58quand je demande une chaise de temps en temps ou autre.
04:00Au contraire, c'est assez respecté.
04:02Et il y a plein de gens qui m'ont dit
04:03mais maintenant j'ose en parler aussi.
04:04Alors ça, c'est ce qui concerne l'énoncé de sa douleur,
04:07mais en face, il y a celui qui doit l'entendre.
04:10Oui.
04:10Et ça aussi, ce n'est pas évident.
04:12Alors ce n'est pas évident quand on est le proche,
04:13ce n'est pas évident quand on est le professionnel de santé.
04:16Quand on est le proche,
04:18moi en racontant ma douleur,
04:19j'ai essayé d'expliquer aussi ce dont j'avais besoin.
04:21Ce qui est très difficile,
04:22parce que déjà que c'est compliqué d'énoncer sa douleur,
04:25mais de savoir exactement ce dont on a besoin,
04:28ce n'est pas si simple que ça.
04:29Et je me suis rendu compte
04:31qu'il y avait beaucoup de proches
04:32qui se sentaient un peu impuissants.
04:34C'est affreux de voir quelqu'un qu'on aime qui a mal.
04:37Et qui ont réalisé au fur et à mesure,
04:38quand on en discutait,
04:39qu'une simple présence,
04:41une vraie présence,
04:42que ce soit au téléphone ou dans la pièce,
04:44est beaucoup plus importante
04:45que d'essayer de trouver une solution à la douleur.
04:47Parce que s'il y en avait des solutions,
04:49on les aurait trouvées.
04:50Et donc je pense que ça apprend aux autres
04:52qu'ils le souhaitent à être présents.
04:54et ça montre à ceux qui n'ont pas envie d'être présents
04:56que peut-être c'est le moment de s'éloigner un peu.
05:00Et les médecins m'ont cru.
05:03Étonnamment, une fois que j'ai commencé à parler,
05:05pendant longtemps, ils se sont trompés,
05:06mais au moins, ils m'ont écouté.
05:07Oui, parce que vous ne parlez pas que de vous.
05:11Ce que vous voulez dire,
05:12effectivement, vous évoquez d'autres patients
05:14qui ont dû être confrontés à la douleur.
05:17En ce qui vous concerne,
05:18vous souffrez depuis 20 ans de spondylarthrite ankylosante.
05:21C'est une maladie chronique
05:22qu'on a mis du temps à diagnostiquer.
05:24Et alors, quand on met du temps à diagnostiquer,
05:27quand on tombe dans une forme d'errance médicale,
05:30il y a aussi parfois des regards
05:32« Bon, est-ce qu'elle n'affabule pas ? »
05:36Ou on remet en question la douleur.
05:40Ça, c'est extrêmement compliqué.
05:42C'est surtout vrai pour les maladies chroniques
05:43ou les maladies qu'on a du mal à diagnostiquer.
05:45C'est très vrai et on a tendance en plus à faire ça pour soi-même à un moment.
05:50Parce qu'à force d'avoir des résultats qui sont négatifs et normaux,
05:54on finit par se demander si finalement on n'est pas un peu chauchote.
05:58Dans mon cas, moi, c'est un mal de dos.
06:00« Mais est-ce que finalement tout le monde n'a pas mal au dos ?
06:03Est-ce que je suis la seule à dire quelque chose ? »
06:06En fait, non.
06:07Mais je le vois sur l'endométriose,
06:09je le vois sur les maladies de Crohn.
06:10On met des années en général à poser ces diagnostics
06:14et c'est épouvantable pour les patients
06:17de ne pas être cru et écouté.
06:20Parfois, d'avoir des proches qui le remettent en question,
06:23mais aussi des professionnels de santé.
06:25Le fameux « c'est dans la tête »
06:27ou « perdre des 5 kilos, ça ira mieux »
06:30ou « c'est le stress ».
06:31Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas réduire le stress
06:32et ne pas perdre 5 kilos.
06:33Il y a un ami qui vous dit « il faut arrêter les médicaments ».
06:36Oui, c'est de l'anthalgie de confort,
06:38tu prends trop de médicaments.
06:39Le livre est venu de cette réflexion-là.
06:42Tout a commencé là-dessus.
06:43C'est vrai qu'on ne peut pas comprendre la douleur de l'autre
06:46parce que chacun ressent sa propre douleur.
06:49Il faut faire preuve d'empathie
06:50et tout le monde ne sait pas faire preuve d'empathie.
06:53Certaines personnes sont naissantes, paisiblement.
06:56Pour moi, ça s'apprend.
06:57Mais c'est vrai qu'un simple « je te crois »,
06:59que ce soit d'un proche, d'un médecin ou autre,
07:01« je ne sais pas ce que tu as, je ne sais pas quoi faire,
07:03mais « je te crois »,
07:04ça ferait déjà un bien fou à énormément de patients. »
07:08Alors, l'un des grands problèmes de la douleur,
07:12c'est qu'elle isole.
07:13Et donc, c'est un problème qui est encore plus aigu
07:15lorsque ça arrive chez des personnes qui sont justement seules.
07:18Et puis la douleur, elle peut faire fuir,
07:20elle fait peur.
07:21Et c'est là que ça croise un sujet qui vous est cher,
07:25celui des aidants,
07:26c'est comment avoir le bon comportement.
07:30Parce que ça peut, la douleur, comme la maladie,
07:32ça peut, comme la vieillesse, l'extrême vieillesse,
07:34ça peut réunir des familles,
07:36mais ça peut aussi les séparer,
07:37voire les disloquer complètement.
07:38Oui, la douleur, ça peut faire peur en particulier.
07:42J'en parle dans le livre aussi, dans un chapitre,
07:44je le comprends très bien,
07:45ça m'est arrivé d'avoir peur de la douleur de quelqu'un que j'aimais.
07:48De votre grand-mère.
07:49Exactement, de ma grand-mère.
07:50C'est vrai que dans la majorité des cas des douleurs chroniques,
07:53même si on a peur,
07:55on peut travailler sur soi,
07:56prendre le temps,
07:57et revenir petit à petit vers le patient.
08:00Pour le patient aussi, c'est compliqué
08:01quand il y a le diagnostic, etc.
08:03C'est des moments où on se sent seul,
08:05les dents, les proches se sentent seuls aussi,
08:08mais si on a envie,
08:09on peut revenir l'un vers l'autre.
08:11Ça peut prendre du temps,
08:12je ne dis pas que ça s'invente,
08:15mais la question c'est
08:16est-ce qu'on a envie d'être là pour l'autre ou pas ?
08:19Après, chacun a ses limites,
08:20chacun a ses barrières,
08:22tout le monde ne peut pas tout faire,
08:23et c'est pour ça que la communication est tellement importante
08:25et que j'encourage tellement les patients à parler,
08:28même s'ils ont peur que les autres fuient,
08:30c'est possible qu'ils partent à un moment.
08:31S'ils nous aiment,
08:33il y a un moment où ils reviennent.
08:36Mais il faut aussi prendre le risque,
08:38parce que si la douleur ne les intéresse pas du tout,
08:41est-ce qu'ils nous aiment vraiment, honnêtement ?
08:43Moi, j'ai reçu des dizaines de témoignages de femmes
08:45qui me racontaient que leur mari leur demandait
08:47d'aller vivre à un autre étage de la maison,
08:49en particulier quand elles étaient en crise,
08:50parce qu'ils ne voulaient pas les voir souffrir,
08:52et pas parce que c'était insupportable pour eux,
08:54parce que ça les dérangeait.
08:56Pardon, mais est-ce que des proches
08:59qui agissent comme ça
09:00sont vraiment des gens qui méritent,
09:02qu'on les appelle proches ?
09:03Je ne suis pas sûre.
09:04Ce n'est pas un bouquin pour faire la leçon,
09:06mais c'est juste que la douleur,
09:08ça permet de faire le tri aussi
09:09entre ceux qui ne sont pas parfaits,
09:10mais qui essayent d'être là,
09:12et ceux qui n'ont pas envie d'essayer.
09:14En tout cas, vraiment,
09:15je vous conseille de lire ce livre.
09:17C'est Revivre malgré la douleur.
09:20C'est un livre qui est paru aux éditions Robert Laffont.
09:22Merci beaucoup, Hélène Rossignot.
09:23Merci beaucoup.
09:24Merci beaucoup.
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