00:00Bonjour et bienvenue en Tête à Tête sur France 24.
00:13Notre invité est Claude Joseph.
00:15Il est ancien Premier ministre d'Haïti et il est président du parti Les Engagés pour le Développement.
00:20Bonjour Claude Joseph.
00:21Un plaisir d'être avec vous pour la première France Studio. Je suis honoré.
00:25Alors fin septembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a donné son feu vert à la transformation de la mission multinationale de soutien à la police qui est sur place, avant tout des troupes kenyans et qui doit être remplacée par une mission pour vraiment combattre les gangs.
00:43On parle d'une mission qui pourrait aller jusqu'à 5500 personnes sur place, des policiers mais aussi des militaires.
00:49Alors la question c'est, est-ce que c'est la solution pour ramener la sécurité en Haïti ou est-ce que c'est encore un essai qui risque de ne pas porter ses fruits ?
00:59D'abord j'applaudis la décision du Conseil de sécurité des Nations Unies de transformer la mission multinationale d'appui à la sécurité en une force de répression des gangs.
01:10Je pense que c'est un pas dans la bonne direction, étant donné, je dirais l'incapacité actuelle de nos forces de l'ordre à garantir, à contrer, si vous voulez, la violence des gangs.
01:26Il faut reconnaître qu'aujourd'hui, la situation sécuritaire du pays s'est véritablement aggravée, détériorée.
01:39Nous avons 1,4 millions de nos frères et soeurs haïtiens qui sont des déplacés internes à cause de la violence des gangs.
01:49Cependant, certains demeurent sceptiques à la lumière de nos récentes expériences avec la mission d'appui à la sécurité.
01:59C'est un échec, on peut le dire aujourd'hui.
02:01C'est un échec, évidemment c'est un échec, parce que la situation sécuritaire ne s'est pas améliorée avec cette mission.
02:11Donc, aujourd'hui, je pense qu'il revient aux haïtiens, aux haïtiennes, de se mettre ensemble, de comprendre la gravité de la situation, de se mettre ensemble pour définir, trouver une solution à la situation.
02:25Mais on a du mal à comprendre, on parle de 5 500 hommes.
02:28On sait que la force de sécurité des Kenyans, comme on l'a appelé, n'avait jamais réussi à obtenir son financement et les objectifs de personnel.
02:38Là, d'où vont-ils venir ces 5 500 personnes qui arrivent dans une situation sécuritaire dégradée ?
02:4416 000 tués depuis janvier 2022, des gangs qui contrôlent Port-au-Prince, les voies d'accès, pourquoi est-ce que ça marcherait mieux ?
02:52En outre, vous avez les frais de personnel, on nous dit, vont dépendre des contributions volontaires de certains pays.
03:09Donc, là encore, ça soulève de doute quant à la solidité de la mise en œuvre, de l'effectivité, de l'efficacité de cette mission.
03:24On espère, on doit espérer, mais quand même, il y a des doutes quant à l'efficacité.
03:36Oui, parce qu'on sait que les Américains poussent beaucoup, ils disent, il faut aller taper les gangs et tout ça, mais ils ne vont pas envoyer de troupes, les Américains.
03:42Ce n'est pas la doctrine de Donald Trump d'aller faire la guerre à l'étranger avec les Américains.
03:45Voilà, on ne sait pas et c'est pourquoi certains demeurent très sceptiques quant à véritablement l'opérationnalisation et l'efficacité de cette mission.
04:00Est-ce qu'il faut négocier avec les gangs pour amener la paix ?
04:03Parce que certains disent, plutôt que de les combattre et de perdre ce combat depuis des années,
04:09est-ce qu'il ne faut pas négocier avec eux, même si certains ont du sang sur les mains ?
04:13Qu'est-ce que vous en pensez ?
04:14Non, on ne doit pas négocier avec les gangs.
04:15Et pourquoi pas ?
04:16Parce qu'ils n'ont pas d'idéologie.
04:19Mais ils ont le pouvoir.
04:20Ils ne défendent aucune cause réelle.
04:24C'est-à-dire qu'ils sont des criminels.
04:25Mais c'est eux qui dirigent Haïti, non ?
04:27C'est eux qui dirigent Haïti aujourd'hui ?
04:29Malheureusement, malheureusement, la transition politique n'a pas pu restaurer, garantir la stabilité dans le pays.
04:41Ce sont les groupes armés qui dictent leurs lois dans le pays.
04:47Donc pourquoi ne pas discuter avec eux au nom du réalisme ?
04:50Parce qu'en principe, ils ne vont pas tenir en parole.
04:53Ils ne vont pas tenir en parole.
04:56Ce sont des criminels qui s'aiment la terreur dans leur quartier.
05:00Ils n'ont pas d'idéologie.
05:01Ils n'ont aucune cause.
05:03Donc c'est pourquoi on ne doit pas discuter avec les gangs.
05:07C'est la position tout au moins de notre parti politique, de notre formation politique.
05:10Alors vous avez parlé de la transition.
05:12Alors en théorie, la période de transition doit se terminer le 7 février 2026.
05:17Donc d'ici quelques mois.
05:18C'est l'expiration du mandat qui a été donné au Conseil présidentiel de transition, le CPT comme on l'appelle.
05:26C'était suite à un accord.
05:28C'est un organe collectif.
05:30Est-ce qu'on va en effet avoir la fin de cette période de transition qui prévoit normalement des élections d'ici le 7 février 2026 ?
05:40On n'a pas l'impression qu'on va vers cela.
05:42Écoutez, la transition politique, le Conseil présidentiel de transition a été mis en place pour restaurer, ramener la stabilité, garantir la sécurité dans le pays.
05:57Et organiser des élections.
05:59Organiser des élections.
06:00La sécurité préalable aux élections.
06:03Mais le Conseil présidentiel de transition n'a pas pu organiser, si vous voulez, garantir la sécurité des vies et des biens.
06:14Le pays compte désormais 1,4 million de personnes qui sont des déplacés intérêts à cause de la violence des gangs.
06:21Donc c'est un échec.
06:22Et sur le plan politique, l'échec, c'est le constat, est sans appel, le constat d'échec est sans appel.
06:31Aucun référendum constitutionnel n'a été organisé.
06:36Qui était prévu d'ailleurs.
06:37Et il n'est pas possible d'organiser des élections avant le 7 février 2026.
06:44Donc on est face à un constat d'échec.
06:49Maintenant il y a deux options tout au moins.
06:50Oui voilà, qu'est-ce qui se passe après alors ?
06:52L'une des options c'est de prolonger le mandat de ce Conseil.
06:58Mais c'est une option risquée parce que le peuple ne va nullement l'accepter.
07:07Mais la deuxième option, il revient aux acteurs politiques, aux forces politiques et sociales de se mettre ensemble,
07:14de définir une formule de transition de rupture, n'est-ce pas ?
07:21Qui peut ramener, nous ramener, si vous voulez, qui peut garantir la sécurité et enfin organiser des élections crédibles.
07:32C'est ce que vous préconisez ? C'est-à-dire quoi ? Un nouveau président de transition plutôt qu'un conseil collégial ?
07:38Écoutez, la formule de 9 a été pervertie par des ambitions personnelles.
07:45Aujourd'hui, il nous faut un exécutif bicéphale avec un président, issu de consensus entre les forces politiques et sociales du pays
07:54et également un Premier ministre issu de consensus politique et social.
07:57C'est possible ?
07:58Oui, c'est possible parce que je pense que nous sommes arrivés à un moment où les acteurs doivent comprendre qu'il faut se mettre ensemble.
08:06Il faut regarder l'avenir.
08:09Et vous êtes volontaire pour une de ces positions ?
08:11Non, pas du tout, mais mon parti s'active réellement pour participer aux négociations, aux discussions politiques,
08:21pour sortir de cette impasse et finir avec cette transition, véritablement une transition qui ne porte pas fouille.
08:30Parce qu'en principe, le 7 février 2026 devait marquer la fin de la transition politique en Haïti.
08:35Ça ne sera pas le cas.
08:36Dernier sujet que je veux aborder, le 13 octobre, une cour d'appel en Haïti a annulé l'inculpation de 51 personnes
08:42dans le meurtre de l'ancien président Jovenel Moïse.
08:45Parmi ces personnes inculpées, il y avait la veuve Martine Moïse.
08:50Et vous-même, vous étiez alors Premier ministre, un juge.
08:53Vous avez en effet inculpé en 2024 d'avoir participé à ce meurtre.
09:00Quelle est votre réaction à la décision de la cour d'appel ?
09:03Écoutez, je sais que la défaite du doigt est toujours provisoire.
09:08Dans le cas qui me concerne, je le crois profondément.
09:12J'ai été inculpé par une redonnance politique dont le seul objectif était tout simplement
09:19de me réduire en silence, de me neutraliser comme adversaire politique.
09:26Vous savez que j'étais le principal opposant au pouvoir d'alors, dirigé par M. Ariel Henry.
09:31Donc il fallait me réduire en silence.
09:33Donc ils ont tout organisé pour incriminer moi-même personnellement
09:39et les proches du président Jovenel Moïse.
09:42Mais l'annulation de cette redonnance aujourd'hui n'est pas seulement une victoire personnelle.
09:47C'est une victoire pour la justice haïsienne.
09:50C'est une victoire pour le peuple haïsien.
09:52Une victoire pour ceux et celles qui croient encore en l'idéal du président Jovenel Moïse.
09:58Parce que, écoutez, l'assassinat du président Jovenel Moïse, c'est une tragédie en trois actes.
10:04D'abord, les forces économiques et politiques ont organisé une vaste campagne savamment orchestrée pour salir son image.
10:15Donc c'était un assassinat de caractère.
10:17Pourquoi ? Parce que l'administration du président Jovenel Moïse a osé questionner,
10:24et remettre en question certains contrats léonais de certaines grandes entreprises
10:31qui coûtaient à l'État haïsien des dizaines de millions de dollars par mois pour des services non rendus.
10:38Donc c'était d'abord un combat contre la capture de l'État,
10:41contre les pratiques de monopole et d'oligopole, si cher à certains oligarchs haïsiens.
10:45Deuxième acte, c'est l'assassinat physique le 7 juillet 2021.
10:53Troisième acte, c'est l'assassinat de sa mémoire.
10:55Donc en essayant de réduire en silence les proches du président, en les inculpant,
11:01ils essayent d'effacer la mémoire du président Jovenel Moïse, d'étouffer ce qu'il représentait.
11:07– Très rapidement, Ariel Henry, qui était le Premier ministre après vous,
11:12on sait aujourd'hui qu'il a échangé avec l'un des principaux succès,
11:15Joseph-Félix Badiot, suspect du meurtre.
11:18Est-ce que, d'après vous, les enquêteurs devraient se tourner vers lui ?
11:21– Bien sûr, mais malheureusement, il n'a pas été inculpé.
11:25Mais malheureusement, le juge d'instruction n'a pas enquêté, investigué les transactions,
11:35si vous voulez, au niveau du système bancaire.
11:39Et moi, j'ai demandé, quand j'étais devant la cour d'appel,
11:43j'ai demandé au juge de suivre les transactions conduisant, malheureusement,
11:50à l'assassinat tragique du président Jovenel Moïse.
11:53– Claude Joseph, merci beaucoup d'avoir répondu aux questions de France 24
11:57et merci à vous d'avoir regardé cette édition dans Tête à Tête sur nos antennes.
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