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00:00Bonjour et bienvenue dans « Aux avant-postes », l'émission qui cherche un sens au chaos du monde.
00:16L'Union européenne, une forteresse économique assiégée.
00:20A l'Ouest, l'UE est attaquée par des tarifs douaniers en hausse.
00:24A l'Est, elle est convoitée par une Chine affamée.
00:27Et à l'intérieur, comment ça se passe ?
00:29Ces membres sont-ils solidaires ? Se serrent-ils les coudes pour répondre à cette guerre économique ?
00:36Eh bien, des réponses avec mes deux invités.
00:38Marie Carpata est chercheuse au comité d'études des relations franco-allemandes à l'IFRI, l'Institut français des relations internationales.
00:47Et Nicolas Raveil est avocat au barreau de Bruxelles, spécialiste des stratégies européennes.
00:54Bonjour à tous les deux.
00:55On va commencer, souvenez-vous, par ces images de fin juillet 2025, où on voyait le président Trump avec la présidente de la Commission,
01:04Van der Leyen, signer un accord historique, 15% de droits de douane pour les exportations aux États-Unis des produits européens,
01:12750 milliards d'euros d'investissement dans l'énergie des européens, et 600 milliards d'investissement des européens aux États-Unis.
01:23Qu'est-ce que vous pensez de cet accord, tous les deux, Marie ?
01:26Alors, ça aurait pu être pire, puisque Donald Trump est menacé de droits de douane de 30%.
01:32Alors, il y a un certain soulagement dans certains secteurs et dans certains pays de l'Union européenne.
01:36Maintenant, il y a une grande question autour de la faisabilité.
01:39Donc, les 750 milliards que vous avez évoqués, en fait, ce n'est pas l'Union européenne qui peut s'engager, ce sont des entreprises.
01:45Et puis, surtout, ce que ça révèle aussi, c'est que les États-Unis ont des leviers et qui mêlent d'autres sujets à l'économie,
01:51comme par exemple la sécurité et la défense, c'est-à-dire que l'Union européenne est dépendante des États-Unis sur le plan de la sécurité et la défense,
01:59qui plus est dans un contexte de guerre en Ukraine, où l'Union européenne soutient l'Ukraine.
02:05Et donc, effectivement, il y a un certain nombre de leviers de ce type-là, de plus en plus une dépendance de l'énergie américaine aussi, du point de vue européen.
02:13Donc, au début, on était dépendant de la Russie, maintenant de plus en plus des États-Unis.
02:16Donc, Donald Trump joue sur ses leviers et il pourra en jouer à l'avenir encore.
02:22Donc, est-ce que les 15 %, c'est véritablement la fin aussi de l'histoire ?
02:26Alors, un bon deal ou pas, Nicolas Raveil ?
02:28Alors, dans l'Union européenne, on est tous d'accord pour dire que ce n'est pas un bon accord, mais comme c'était évoqué, c'est un moindre mal.
02:35Et pourquoi l'Union européenne cède ?
02:37Elle cède parce qu'elle est plus forte que les États-Unis en matière de géoéconomie et d'exportation.
02:42Il y a à peu près 200 milliards d'excédents commerciaux dans les échanges de biens avec les États-Unis en faveur de l'Union européenne.
02:50Et c'est ce qui fait que…
02:52Notre force et notre faiblesse, en fait.
02:54Et voilà.
02:54Et c'est ce que les Américains ont très bien observé.
02:56Ils veulent opérer une correction économique.
02:59Le problème, c'est que ça ne recouvre pas la même réalité pour tous les Européens.
03:04C'est 200 milliards.
03:05Il y en a à peu près 50% qui sont allemands.
03:08Il y a 40 milliards italiens.
03:09Et il y a 50 milliards irlandais.
03:11Et les 50 milliards irlandais, ce n'est pas l'Irlande.
03:13Ce sont des entreprises américaines qui sont établies en Irlande.
03:17Pour avoir des mots simples, est-ce que vous considérez que c'est une attaque contre la souveraineté économique européenne ?
03:24Il n'y a pas de volonté d'avoir une souveraineté économique européenne.
03:30Parce que l'Union européenne, c'est une puissance commerciale qui a des excédents commerciaux.
03:34Et si elle se protège surtout, les autres vont aussi se protéger.
03:37Et plus ils se protègent, moins on leur vendra.
03:39Donc l'Union européenne n'aime pas les stratégies défensives.
03:42Elle aime les stratégies offensives.
03:44Ce qui ne signifie pas que tous ces États sont alignés sur cette logique-là.
03:48Mais c'est la logique qui est dominante.
03:51On en est où, Marie Carpata, sur ses droits de douane ?
03:54Il devait y avoir des secteurs épargnés.
03:57C'est vrai, concrètement ou pas ?
03:59Oui, donc il devait y avoir les minéraux critiques notamment, les semi-conducteurs, aussi les génériques dans l'industrie pharmaceutique notamment.
04:09Donc effectivement, je ne sais pas, peut-être que vous pourrez en dire plus sur ce qui s'applique en la matière.
04:15Mais c'est encore le flou le plus total.
04:17Pour moi, c'est encore le flou sur ces sujets-là, effectivement.
04:23Mais de la même manière, sur l'acier et l'aluminium, les taux de 50% sont maintenus.
04:30Donc c'est plus élevé.
04:31Donc il y a véritablement aussi des secteurs qui s'en sortent mieux que d'autres.
04:34Et d'un point de vue allemand, puisque je travaille sur l'Allemagne, l'industrie automobile est plutôt soulagée.
04:42Même si, évidemment, ça les pénalise aussi.
04:47Et ils ont même été à la Maison Blanche, les constructeurs d'automobiles allemands, pour dire à la Maison Blanche,
04:52mais nous, on crée des emplois, en fait, aux États-Unis.
04:54On est déjà très présents.
04:56Quand vous prenez Volkswagen, ils sont présents à Chattanooga, par exemple.
04:59Et donc, ils créent énormément d'emplois.
05:01Je crois que quand on regarde les emplois, j'avais regardé dans le Handelsplatz, un journal économique allemand,
05:06qui expliquait que 900 000 emplois étaient créés par des entreprises allemandes sur place aux États-Unis,
05:12contre 1 400 emplois créés en Allemagne par des entreprises américaines en Allemagne.
05:18Est-ce qu'on peut considérer, c'est le mot d'un universitaire économiste allemand,
05:24il dit que c'est du protectionnisme coercitif de la part des États-Unis ?
05:29– Oui, et les Allemands le savent parfaitement.
05:32Mais comme les intérêts entre les Allemands et les Américains sont extrêmement imbriqués,
05:36parce qu'il y a aussi beaucoup d'investissements américains sur le sol allemand,
05:40contre nous d'ailleurs, contre les Français, c'est l'enjeu qui était évoqué avant en matière de défense.
05:45Vous avez énormément de coopération entre les entreprises allemandes et les entreprises américaines.
05:49S'il n'y a pas de souveraineté européenne en matière de défense,
05:51c'est parce que les industriels américains de la défense,
05:54ils protègent les intérêts civils allemands aux États-Unis de représailles.
05:59Et c'est ce qui fait que, depuis des années, je crois que Jacques Chirac qualifiait déjà
06:03son homologue, Schröder, chancelier allemand, de vendeur de bagnoles.
06:08Bon, cette réalité-là, on ne la découvre pas en France,
06:12et c'est à nous de nous adapter pour défendre nos intérêts.
06:14Alors, protectionnistes du côté américain, mais il y a aussi des critiques de protectionnisme de l'UE,
06:20de la part des Chinois.
06:22On va écouter justement Guo Jia-kun, qui est porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
06:28Et vous allez écouter, il a aussi des mots assez durs envers le protectionnisme européen.
06:34L'Union européenne s'est toujours vantée d'être le marché le plus ouvert au monde,
06:39mais en réalité, elle s'est progressivement orientée vers le protectionnisme,
06:42protectionnisme recourant fréquemment à des outils économiques et commerciaux unilatéraux,
06:46agissant au nom d'une concurrence loyale, tout en pratiquant une concurrence déloyale.
06:51Alors, double discours de la part des Européens, c'était une déclaration qui avait été faite le 20 juin 2025.
06:58Je pense que ce qu'il faut voir, c'est que l'Union européenne est aussi dans un étau
07:01entre la Chine et les États-Unis d'autre part.
07:03C'est-à-dire qu'il y a vraiment cette rivalité entre Pékin et Washington pour la suprématie technologique.
07:10Et de fait, les États-Unis aussi emploient une pression par rapport aux États-Unis,
07:15par rapport à l'Union européenne, par exemple dans le secteur des semi-conducteurs,
07:20pour ne pas exporter un certain nombre de semi-conducteurs avancés à la Chine.
07:25Donc, il y a un accord qui a été trouvé sous Joe Biden entre les Pays-Bas, le Japon et les États-Unis.
07:32Voilà, ASML, une reprise de lithographie qui fabrique des semi-conducteurs très avancés,
07:38qui est restreinte dans sa capacité d'exporter vers la Chine.
07:43Donc, de ce point de vue-là, effectivement, on fait face à ces restrictions-là.
07:47Maintenant, la Chine a mis en place des contrôles aux exportations sur le germanium, le gallium, le graphite.
07:53Maintenant, également sur les terres rares, dont l'Union européenne a besoin,
07:57dans le cadre de sa transition verte, dans le cadre de sa transition numérique également.
08:02Donc, elle emploie cela, ce levier, comme une force de coercition, comme une arme.
08:09Et c'est ce qu'a dit Wazola von der Leyen, la présidente de la Commission européenne,
08:12à ses interlocuteurs chinois cet été.
08:14Nicolas Ravaille, l'Union européenne protectionniste vis-à-vis de la Chine,
08:20mais pas protectionniste vis-à-vis des États-Unis ?
08:22– L'Union européenne, elle a des outils pour se protéger.
08:25– Elle ne les a pas utilisées.
08:26– Souvent, on pense qu'elle est démunie, mais elle a des outils.
08:28– En théorie.
08:29– Elle a des outils, et en droit, quand même, mais non activés.
08:33Et c'est pour ça que, d'ailleurs, ça reste théorique.
08:35Le règlement anti-coercition, c'est un outil qui a été pensé contre la Chine
08:39et qui aurait pu servir contre les États-Unis, qui n'est pas activé.
08:43On a un règlement contre les Chinois qui vont doper leur économie,
08:47qui font plein d'aides pour leurs entreprises.
08:49Et puis ces aides-là, ensuite, ça leur donne un avantage concurrentiel
08:52contre nos entreprises sur le marché européen.
08:55Nous nous en sommes servis qu'une fois, en Bulgarie,
08:58dans un marché de vente de locomotives pour exclure un concurrent chinois.
09:01Donc on ne se protège pas.
09:03Et c'est d'ailleurs ce qui agace les Américains.
09:04Parce que les Américains accusent les Européens de jouer avec les Chinois contre eux.
09:09Il faut dire que quand vous regardez les données de l'Office européen des statistiques,
09:14l'excédent commercial allemand aux États-Unis, il est de 50 milliards en 2020.
09:18Puis quatre ans plus tard, il est de 92 milliards.
09:21Comment on fait pour augmenter de 40 milliards quand on ne change pas ces tissus industriels,
09:25quand on n'a pas plus de population, quand on n'a pas plus de superficie ?
09:28On achète aux autres pour revendre.
09:30Et c'est en partie une des stratégies que fait l'Allemagne, mais elle n'est pas la seule.
09:34Elle achète à la Chine et elle revend aux États-Unis.
09:36Et à les États-Unis et ailleurs dans le monde.
09:39Et c'est ce qui agace profondément les Américains.
09:44Donc justement, on va voir si les Allemands et d'autres, comme notamment les Pays-Bas,
09:50jouent un peu seuls par rapport à la solidarité des 26 autres États membres.
09:56On va écouter à ce propos Jens Mayer, qui est PDG du port de Hambourg.
10:01Et vous allez voir, il est plutôt assez content d'avoir de très, très bonnes relations
10:05avec les autres ports chinois et notamment ou également de pouvoir faire des affaires
10:10pour les nouvelles routes de la soie.
10:12On l'écoute.
10:13Comme vous le savez, Hambourg entretient des liens étroits avec la Chine.
10:17Nous avons de nombreux accords avec les ports de Tianjin, Shenzhen, Shanghai,
10:21ainsi qu'avec Qingdao et d'autres.
10:23Il y a donc une relation très proche et nous soutenons également l'initiative
10:27des nouvelles routes de la soie sur le corridor ferroviaire.
10:31Les nouvelles routes de la soie ne sont pas seulement un transport physique de marchandises,
10:36c'est aussi un échange culturel, un échange de technologies, de l'information
10:39et de systèmes de connexion.
10:41Et nous avons déjà eu plusieurs réunions avec nos amis en Asie,
10:44en particulier en Chine, et nous continuerons en ce sens.
10:50Voilà, c'était une déclaration du 1er octobre 2025.
10:54Alors est-ce que l'Allemagne joue frangin ?
10:56Elle fait rentrer des produits chinois pour les revendre à l'extérieur ?
11:01C'est un pays qui a bâti sa diplomatie après la Deuxième Guerre mondiale sur l'économie
11:07et sur son soft power économique.
11:09Et donc c'est la première puissance économique de l'Union européenne.
11:12En l'occurrence, ce port de Hambourg a causé beaucoup de débats
11:18parce que sous le gouvernement précédent, sous Olaf Scholz, en Allemagne,
11:22il y a une prise de participation de l'armateur chinois Costco de 24,9%
11:26sur le terminal de Tolaot, sur le port de Hambourg.
11:30Et ça avait suscité énormément de critiques avec six ministères,
11:33tous partis confondus dans la coalition, donc SPD, Verts, mais également libéraux,
11:38qui ont alerté sur cela, sur la participation chinoise,
11:42mais également la Commission européenne.
11:44Parce qu'il s'agit d'une infrastructure critique
11:46qui suppose donc une protection particulière.
11:49Donc il y avait des craintes d'espionnage, notamment d'espionnage industriel,
11:53protection des données personnelles, etc.
11:56Et sachant que...
11:57Mais ça s'est fait quand même.
11:58Et ça s'est fait parce que le chancelier Scholz, finalement, s'est imposé.
12:01Scholz qui, par ailleurs, auparavant, avait été maire de Hambourg.
12:05Donc il y a aussi une petite histoire.
12:06Ça s'explique cela.
12:07Voilà. Mais en tout cas, il faut savoir que l'Union européenne
12:10s'est dotée en 2019 d'un document stratégique
12:12qui considère la Chine à la fois comme partenaire,
12:15mais également comme concurrent et comme rival systémique.
12:19Et donc, il y a cette prise de conscience que de plus en plus,
12:21on se dirige vers une concurrence et une rivalité systémique.
12:24Mais quand on regarde les actes, ça ne correspond pas tellement.
12:28Ça ne correspond pas.
12:30Nicolas Ravaille, je voudrais également qu'on regarde aussi un tableau.
12:34Là, vous citiez l'organisme des statistiques européens, Eurostat.
12:38Vous allez voir ce tableau sur les importations de la Chine en Europe.
12:44Et qu'est-ce qu'on voit ?
12:45Eh bien, on voit que les Pays-Bas sont à près de 109 000,
12:51110 milliards d'exportations de produits chinois en Europe.
12:57Là aussi, les Pays-Bas jouent frangeux ou pas ?
13:01C'est la porte d'entrée, quoi.
13:03Oui, c'est historique.
13:05Ils font ça depuis très longtemps.
13:08Et le droit européen a facilité ça,
13:10puisque un bien qui est importé depuis la Chine vers l'Union européenne,
13:15après le paiement des droits de douane,
13:17quand il y en a, avec la Chine, il y en a,
13:19il est considéré comme un bien produit dans l'Union européenne.
13:23Et ça, c'est la première cause,
13:25ou une des premières causes de la désindustrialisation de la France.
13:29C'est pour ça que les Allemands et le port d'Ambourg, c'est vraiment…
13:30Donc, c'est à cause de nos voisins ?
13:31C'est à cause de nos voisins.
13:33C'est ce qu'ils importent.
13:34Ils ont des snipers qui vont étudier les coûts de production de nos entreprises,
13:38nos technologies, nos marges.
13:39Et puis, ils vont s'entendre avec des Chinois
13:41pour produire l'équivalent,
13:43évidemment, en respectant les normes européennes.
13:45Et puis, ça va venir inonder nos marchés,
13:47en ce compris les marchés publics,
13:49dans les États membres de l'Union européenne.
13:52Cette stratégie-là, elle est déployée depuis très longtemps.
13:55Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle
13:56le port d'Ambourg s'est adapté et dire
13:59« Oui, moi, je veux faire pareil ».
14:00Et vous avez même des parlementaires européens polonais
14:03qui se sont plaints d'avoir des consortiums germano-chinois
14:06qui rachetaient les ports en Pologne pour faire pareil.
14:09Parce qu'il y a beaucoup d'usines allemandes en Pologne
14:11et qu'il y a un intérêt stratégique pour faire ça.
14:14– Donc, les produits chinois rentrent par Hambourg,
14:17mais aussi par les ports des Pays-Bas,
14:20Rotterdam notamment.
14:22Et ça, vous considérez que c'est de la concurrence déloyale
14:25pour la France et les autres pays ?
14:26– L'Office européen des statistiques appelle ça
14:30l'effet Rotterdam.
14:31Donc, c'est connu, c'est l'église.
14:33C'est totalement assumé.
14:36Ça produit comme effet d'abord qu'une partie des droits de douane
14:39va être conservée par le premier État importateur.
14:42Donc, ça finance en partie les services publics.
14:44– C'est 25% sur les droits de douane.
14:45– C'est 25% et c'est plus rentable que ce que ça coûte réellement.
14:49– Donc, le Pays-Bas touche 25% des droits de douane
14:52des produits qui rentrent en Europe.
14:53– C'était fait pour couvrir le coût de collecte,
14:55mais aujourd'hui, c'est quand même plus rentable.
14:57Et au-delà de ça, ça permet aux entreprises néerlandaises,
15:00qui sont associées à des entreprises chinoises,
15:03ou la même chose pour les Allemands,
15:04d'avoir des marges dans les ventes qui sont faites ailleurs
15:08dans l'Union européenne.
15:09Ce qui est tout le problème de la France,
15:11c'est qu'à la fois, soit il faut changer les règles européennes
15:13pour se protéger de ça,
15:14et ça, c'est un rapport de force intra-européen,
15:17soit alors, il faut faire pareil.
15:19Sinon, on sort du jeu.
15:21– Marie Carpatin, on en parle de ça, entre Européens,
15:24de cette inégalité, de cette distorsion de concurrence
15:27entre l'Allemagne et les Pays-Bas
15:29qui vont rentrer des flots et des flots de produits chinois ?
15:33– Alors, je pense qu'on est conscients des hétérogénéités,
15:37des situations entre les différents pays.
15:39Je pense qu'un exemple, c'est notamment la mise en place
15:42de droits de douane contre l'importation
15:43de véhicules électriques chinois par l'Union européenne,
15:46qui peut aller jusqu'à 35% en fonction de la coopération
15:50des constructeurs chinois en question.
15:52Et là-dessus, l'Allemagne a été mise en minorité,
15:55puisqu'elle était contre avec la Slovénie, la Hongrie, la Slovaquie.
15:59La France a poussé pour avec l'Italie, avec la Pologne.
16:02Il y a 10 pays qui se sont abstenus au sein de l'Union européenne.
16:06Donc il y a vraiment une hétérogénéité des situations économiques
16:09et donc des intérêts.
16:11Et donc ça, ça rend les choses extrêmement compliquées.
16:13– Autre tableau que je voudrais vous montrer
16:15et que je voudrais que vous puissiez commenter,
16:17c'est les exportations des pays membres vers la Chine.
16:22Et là, on retrouve encore évidemment l'Allemagne
16:25et les Pays-Bas qui sont plutôt bien placés,
16:27mais l'Allemagne est près de 90 milliards.
16:31Là encore, l'Allemagne profite plutôt des bonnes relations
16:34avec la Chine, Nicolas Ravaille.
16:36– C'est un peu l'accord historique qui prévalait en Europe.
16:40Les Pays-Bas importent pour revendre aux autres Européens
16:42et les Allemands exportent.
16:44Ce sont deux modèles économiques qui sont opposés,
16:46mais ça va créer une convergence d'intérêts
16:48et une majorité dans l'Union européenne
16:50pour ne pas se protéger.
16:53C'est toute la doctrine de l'Union européenne.
16:55– Donc deux pays sur 27 font la politique économique de l'Europe ?
17:00– Avec des alliés, avec des alliés.
17:02Et quand l'Allemagne refuse de voter les droits de douane
17:06contre la Chine, elle le fait parce qu'elle sait déjà
17:10qu'il y a une majorité contre
17:12et qu'elle ne veut pas se fâcher avec les Chinois.
17:14Donc elle laisse les Français le soin d'être le mauvais rôle
17:18et de supporter les représailles des Chinois ensuite
17:21qui tomberont sur le cognac, sur le fromage.
17:24On a l'habitude de tout ça.
17:26C'est la raison pour laquelle, par exemple,
17:28le chancelier allemand, mais quel qu'il soit,
17:30c'était vrai du prédécesseur Scholz,
17:32il ne voulait pas aller avec Emmanuel Macron en Chine.
17:35Nous, Français, on demande toujours des démarches conjointes
17:38et c'est systématiquement refusé par nos partenaires allemands.
17:43Ce n'est pas pour ou contre la France,
17:45c'est juste qu'il joue extrêmement gros,
17:47comme ça a été très bien dit et très bien rappelé.
17:50Donc l'Allemagne, qui historiquement était une puissance
17:53très tournée vers l'exportation,
17:55elle ne veut pas aujourd'hui laisser le business
17:57de l'importation et de la revente aux autres Européens
17:59aux seuls néerlandais.
18:01Et c'est la raison pour laquelle
18:02elle a déployé cette stratégie avec la Chine
18:06et qu'elle dispose aussi d'alliés,
18:08parce que l'Allemagne, elle a beaucoup, beaucoup investi
18:10en Europe de l'Est par ce qu'on appelle l'os politique.
18:12Elle a beaucoup d'usines dans ces pays-là
18:14et donc ces pays-là, ils sont liés ensuite
18:16par leurs intérêts économiques avec l'Allemagne.
18:19C'est ce qui crée des majorités.
18:20Il y a des solutions, rapidement, Marie Carpata,
18:23à cette situation ?
18:24Des solutions ?
18:25Il y a en fait une stratégie économique,
18:29de la sécurité économique, par exemple,
18:30au sein de l'Union Européenne.
18:32Donc c'est vraiment essayer de miser
18:33sur l'Union Européenne
18:34comme base industrielle de production.
18:37C'est également se protéger
18:38via des instruments comme ça a été évoqué,
18:40l'instrument anti-coercision, par exemple.
18:43Et puis ensuite, il y a aussi créer de nouveaux partenariats.
18:47Donc il n'y a pas que les États-Unis ou la Chine,
18:48il y a aussi d'autres partenariats.
18:49Merci beaucoup.
18:51C'est l'heure de notre rubrique Dans le radar.
18:57Un ouvrage, une étude, une enquête
18:59qui nous a interpellés cette semaine.
19:01Aujourd'hui, un livre, celui du philosophe
19:04Dany Robert Dufour, intitulé
19:07Sadique époque, un ouvrage publié au Cherche Midi.
19:10Bonjour Dany Robert Dufour.
19:13Je voudrais qu'on commence cet entretien
19:16par ces quelques images
19:18où on voit Donald Trump
19:20qui les a postées lui-même.
19:21Il a fabriqué ces images.
19:22On le voit dans un avion de chasse
19:25et il est au-dessus d'une foule
19:27et il va bombarder cette foule
19:30avec des tonnes et des tonnes d'excréments.
19:33Il a publié ça il y a très récemment
19:35et évidemment, il a la parure du roi
19:39et ces manifestants justement
19:41manifestés contre le côté royal de Trump.
19:45Est-ce que pour vous, là, on est dans le sadisme ?
19:49On est complètement dans le sadisme.
19:51La pulsion sadique consiste à vouloir
19:54jouir de l'autre en lui prenant
19:57tout ou partie de son être et de son avoir.
19:58C'est ce qui est intéressant aussi
20:00dans votre domaine sur le plan économique
20:02ou tout ou partie de son être.
20:05Et ici, jouir est à entendre
20:06au deux sens du terme, au sens de la satisfaction libidinale
20:10procurée par cette prise
20:11et au sens de l'usage juridique d'un bien.
20:14Le sadique est donc celui qui se sert de l'autre.
20:16Il y a dans la pulsion sadique
20:17une volonté de prise à l'autre
20:19et d'emprise sur l'autre.
20:21Alors là, ce qui se manifeste,
20:23c'est ce qu'on appelle en psychanalyse
20:25le champ sadique anal.
20:27Et donc là, Trump montre de façon extraordinaire
20:30que nous sommes dans ce champ sadique anal
20:34puisque c'est ce qu'il pratique, au fait.
20:37Tout le temps, dans ses deals,
20:39c'est donner le minimum pour obtenir le maximum.
20:43Par exemple, il donne la paix.
20:44Il donne, entre guillemets, la paix
20:46aux Israéliens et aux Palestiniens
20:47en prenant la terre, la bande de Gaza,
20:50pour la rentabilité au maximum
20:52en en faisant une rivière à Dubaï
20:54ou un de ses micro-États libertariens
20:57qui bannit la démocratie
20:59et avec elle, ses lois régulatrices,
21:01redistributrices, protectrices
21:03des individus du travail et de l'environnement,
21:05tout ça étant accusé de freiner le développement
21:07sans limite du marché.
21:09Donc, Trump s'affirme comme celui qui,
21:12c'est pour ça qu'il y a une dimension sadique là-dedans,
21:14comme celui qui a le droit de tout faire
21:18et de tout dire.
21:20Ça rappelle complètement un texte fameux de Sade
21:23qui s'appelle, de 1795,
21:26qui s'appelle « Français, encore un effort
21:28pour être républicain »
21:29où il récuse toute forme de limite
21:31à propos de ce qu'il a le droit de dire et de faire.
21:33C'est ce qu'il revendique.
21:34Voilà, je crois que nous sommes complètement
21:36dans une dimension sadique.
21:38Sadique même, qui vient de se révéler comme anal.
21:41Dali-Robert Dufour,
21:42quelle différence entre...
21:44Parce que vous faites dans ce livre une généalogie.
21:46Quelle différence vous faites
21:48entre le sadisme de Sade, 18e siècle,
21:51et le sadisme aujourd'hui ?
21:53Ah ben écoutez, je pense que Sade a introduit
21:58quelque chose qu'on ne voulait pas voir,
22:01qui existe depuis la nuit des temps.
22:03Cette pulsion ou cette passion sadique
22:05qui existe peut-être même dans la nature humaine.
22:08Et donc il l'a introduit au 18e siècle
22:10et elle s'est développée, développée, développée
22:12à travers toute une série de formes
22:15qui ont pu prendre des formes économiques et politiques.
22:18Par exemple, des grands philosophes
22:21comme Adorno et Horkheimer
22:23pensaient qu'on pouvait lire le capitalisme
22:27comme dans une dimension sadique également.
22:30Parce qu'il s'agit là aussi de prendre quelque chose à l'autre.
22:32Prendre quelque chose à l'autre
22:33qui est donc la plus-value
22:35qui sert à constituer le capital.
22:37Il y a eu d'autres formes
22:40qui se sont développées au cours du 20e siècle.
22:42Par exemple, dans le nazisme.
22:43Là, ce n'était pas un nazisme rampant
22:47sauf comme dans le capitalisme,
22:48mais c'était une forme extraordinairement virulente
22:52puisqu'on pouvait tout se permettre
22:53à l'égard de l'autre, à l'encontre de l'autre,
22:56y compris détruire une partie de l'humanité.
22:59Donc oui, je crois qu'il y a des liens
23:03entre toutes ces formes.
23:04C'est ce que j'essaye de montrer dans mon livre.
23:07– Dany Robert Dufour, il y a un lien,
23:09vous venez quasiment de le faire avec le nazisme.
23:12On se rappelle ces images d'Elon Musk
23:14faisant le salut nazi.
23:17Et là, vous y consacrez quelques lignes
23:19justement dans votre livre.
23:21Pourquoi ?
23:23– Écoutez, je crois qu'il y a
23:26dans ce qui est en train de se mettre en place
23:28aux États-Unis, une dimension,
23:32j'ai appelé ça le quatrième Reich national capitaliste.
23:36Quatrième Reich nationaliste
23:37parce qu'il y a, en plus de l'idée d'un Lebensraum,
23:43c'est-à-dire d'un espace vital
23:44qui vise clairement l'annexion territoriale
23:47du Groenland, du Canada, du Panama, etc.,
23:50en plus d'un masculinisme martial
23:52comme celui qu'on a écouté de Pete Exek,
23:55le ministre maintenant de la Défense
23:57et de la guerre de Donald Trump.
23:59Il y a aussi un extractivisme forcené,
24:02dévastateur pour la planète et les habitants.
24:04Il y a dans ce quatrième Reich aussi
24:06la fabrique, la volonté de fabrique
24:10d'un Ubermensch, c'est-à-dire d'un augmenté
24:13par la génétique et par l'IA,
24:17ce qui créerait ipso facto
24:19les autres hommes que nous sommes
24:20comme des Untermenschen,
24:22c'est-à-dire des sous-hommes.
24:24Et je crois que ça s'entend bien tout cela
24:25dans le slogan « America first »
24:28qui fait clairement écho à celui
24:29de l'époque hitlérienne,
24:31« Deutschland's Uber Alice ».
24:32Donc ce n'est pas du tout étonnant
24:33dans ces conditions-là
24:34d'avoir vu le salut nazi de Musk
24:37le jour même de l'investiture de Trump.
24:40– Merci beaucoup Dany Robert Dufour
24:43pour ces explications.
24:45Je renvoie donc à votre ouvrage
24:47« Sadique époque » au Cherche-Midi.
24:50Voilà, aux avant-postes, c'est terminé.
24:52Merci à tous les deux d'y avoir participé.
24:55Vous pourrez retrouver cette émission
24:57sur france24.com,
24:59sur nos réseaux sociaux
25:00et sur nos podcasts.
25:02Au revoir.
25:02– Sous-titrage ST' 501
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