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00:00Aujourd'hui dans Parlons-en, je vous propose une pause dans les semaines de très riches actualités que nous venons de vivre avec quelqu'un qui n'a pas peur de gros mots
00:09comme l'hospitalité, comme la vie commune ou comme des solutions. Un actuel, un intellectuel qui vit entre l'Afrique, l'Europe et les Etats-Unis,
00:18qui trouve refuge autant dans Nietzsche que dans Franz Fanon ou Bob Marley ou le zen japonais.
00:23Cet invité c'est vous, Felwinsar. Merci d'être là. Vous êtes le grand invité de Parlons-en. On a beaucoup de choses à se dire. Et c'est parti.
00:42Et bonjour Felwinsar. Bonjour Pauline. Et merci d'être sur ce plateau. Comment vous présentez Felwinsar ?
00:48Vous êtes sénégalais. Vous êtes aujourd'hui professeur aux Etats-Unis. Vous êtes tout à la fois philosophe, économiste, écrivain, professeur donc et musicien.
00:57Vous avez monté avec HLMM les ateliers de la pensée de Dakar. Vous avez coédité le Goncourt 2021, la plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mungersar.
01:07On dit que vous êtes l'une des figures de la pensée africaine contemporaine. Est-ce que vous êtes à l'aise avec cette présentation ?
01:14Non, je pense qu'elle est un peu littorambique. Je pense que je suis un être de la transmission. Je suis écrivain et un universitaire.
01:21Et toutes ces disciplines que j'entremêle et que je croise, elles partent du même geste. C'est-à-dire creuser dans son sillon, se nourrir des humanités, du monde,
01:31et tenter de transmettre ce que l'on croit avoir accompli. Et je pense que c'est ça qui me définit un peu plus.
01:35Deux de vos livres ont fait date, Afrotopia, publié en 2016 et Habité le monde en 2017.
01:43Et vous êtes l'invité cet automne du Centre Pompidou et du Festival d'automne autour d'un cycle de rencontres qui explore la question d'une vie commune.
01:51Prochain rendez-vous le 19 octobre avec Judith Butler. Il y en a beaucoup. Il y en aura un autre début novembre avec la réalisatrice Alice Diop.
01:59Quelle programmation disruptive que le choix de la former autour de la vie commune par les temps qui courent ?
02:07Oui, parce que je pense que c'est un défi auquel nous ne devons pas renoncer.
02:10En dépit du fracas, du chaos, de la violence et de toutes les déliaisons,
02:15continuer à construire, à réfléchir, à penser comment vivre ensemble, entre humains et même avec le non-humain.
02:21Comment établir des sociétés de paix ? Comment ouvrir des espaces d'hospitalité ?
02:26Et comment régler une vieille question qui est sortie de la communauté archaïque, qui se fonde sur le clan, la biologie, ce qui me ressemble.
02:33Et comment admettre, dans la communauté humaine, tous les individus en respectant leur dignité.
02:39Et comment est-ce qu'on répond à ce défi qui, en dépit sans péternelle, qui n'est jamais totalement gagné,
02:46mais qui, en dépit de l'ombre qui s'épaissit, ne pas y renoncer.
02:49Et c'est ça que je trouvais important, c'est-à-dire ne pas finalement accepter et consentir à l'impossibilité d'une vie commune et d'une mutualité.
02:59À propos de vie commune et de liens, notion sur laquelle vous travaillez beaucoup,
03:05et en cela vous avez puisé dans les ressources de la philosophie africaine,
03:10j'avais envie de vous poser cette question en apparence assez banale,
03:14mais qui fait écho au fracas du monde que j'évoquais à l'instant dans les titres,
03:18et qu'on traite en permanence sur cette antenne.
03:20Est-ce que vous, vous parvenez à aller bien dans le monde qui est le nôtre ?
03:25Non, je pense que c'est une lutte. Je pense qu'il y a une fatigue de l'âme des fois.
03:29L'âme n'est pas en mesure d'absorber toute la violence du monde qui est le nôtre.
03:34Et je pense que le travail est d'abord un travail individuel, justement,
03:37ne pas se laisser totalement démoraliser, décourager par l'actualité qui est la nôtre,
03:43et se dire que fondamentalement c'est une histoire de l'histoire des communautés humaines.
03:48Et là, le travail de la pensée, c'est justement de prendre du recul,
03:52de faire œuvre de lucidité, de tenter la lucidité qui est une œuvre extrêmement difficile,
03:56et de réinscrire les questions dans un contexte historique, sur la longue durée,
04:00de regarder comment les sociétés fonctionnent,
04:02de voir quelles sont les questions qui reviennent, qui sont sans péternelle,
04:05quelles sont les réponses qui ont été apportées,
04:07même si elles ne sont pas définitives,
04:08et quelles sont les ressources sur lesquelles on peut compter.
04:11Et à son échelle, justement, qu'on va faire œuvre,
04:14de maintenir la lueur, et de tenter de l'élargir.
04:18Et donc, cette œuvre de maintenir la lueur, de ne pas consentir,
04:21de ne pas totalement, comme ça vous est vaincu, sur des questions qui sont complexes,
04:25je pense que c'est notre travail, d'être des veilleurs,
04:26de tenter de veiller avec l'énergie de l'esprit et la puissance de la dignité humaine.
04:32On est dans un moment où on manque cruellement,
04:36pas nécessairement de repères, mais de phares, précisément.
04:40Oui, on en manque, parce qu'en fait,
04:42je pense qu'il y a une sorte d'avachissement des valeurs qui fondent notre humanité,
04:49des valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus,
04:51qui ne sont de l'apanage d'aucune culture, d'aucun lieu,
04:54qui sont juste des valeurs humaines,
04:56et qu'il y a une sorte de consentement dans le langage.
05:01Lorsqu'on observe le langage, on trouve que le langage est un espace qui est déjà détérioré,
05:04qui dégénère beaucoup.
05:07Et il dit beaucoup de nos aspirations,
05:09il dit beaucoup de là où nous mettons la barre de l'humanité.
05:13Et Frantz Fanon disait qu'il fallait travailler à amener l'humanité à un autre niveau,
05:16à un autre palier.
05:18Et cette œuvre de liberté et d'émancipation, elle n'est jamais finie.
05:20Elle est toujours à refaire, elle est toujours à reconstruire.
05:23Et je pense que c'est ce qui nous rend un peu là des fois,
05:25en voyant la répétition des conflits, la répétition du chaos.
05:29Mais si on s'intéresse aux humanités, on se rend compte que c'est une question ancienne.
05:34Les sociétés ont toujours été travaillées par des tensions destructrices.
05:37Et tous les grands textes mythiques, dès l'origine, posent la question de la déliaison.
05:42L'épopée de Gilgamesh, la Bible, le Coran,
05:46Cain et Abel, Rachel et Léa,
05:48c'est la même première question qu'elles posent.
05:50Dans les cosmogonies africaines, il y a toujours un couple primordial
05:53qui est tendu entre la paix et la disharmonie.
05:57Et tout le travail des communautés humaines,
05:59c'est de sortir de la tentation de la dislocation de la communauté humaine
06:01et d'établir une capacité de vie commune et de paix.
06:05Donc c'est une ancienne question que nous reprenons aujourd'hui
06:07dans des termes nouveaux, dans des contextes géopolitiques
06:10qui ne sont pas les mêmes.
06:12Mais c'est la question de justement, comment nous faisons communauté
06:15et comment nous vivons et pour quelle fin vivons-nous ?
06:18Et je pense qu'inlassablement, nous devons la remettre sur le chantier.
06:22C'est intéressant ce que vous dites sur la fatigue de l'âme
06:26qui fait écho à la fatigue des mots.
06:28C'est vrai que depuis quelques mois,
06:31et notamment autour du débat public sur la situation au Proche-Orient,
06:35on a senti une fatigue autour des mots,
06:38y compris pour raconter ce qu'il s'y passe,
06:41mais aussi dans chaque camp qui ne semblait pas entendre les mots de l'autre.
06:47Et ça fait écho pour préparer cette émission.
06:48On vous a demandé de choisir, vous qui émettant la poésie
06:51et qui en écrivez vous-même un poème.
06:53Et vous avez choisi quelque chose, vous allez nous expliquer pourquoi,
06:58hérité de la philosophie zen,
07:00qui dit que sans parler ni écrire, on peut naturellement se comprendre.
07:06Expliquez-nous.
07:07Je pense que la musique, c'est un espace où on peut se comprendre
07:09sans parler ni écrire.
07:10Mais je pense que quand même, le langage reste le lieu par excellence,
07:14le commun à travers lequel les communautés humaines produisent du sens.
07:17Et le premier problème, c'est que le sens vient d'un consensus
07:21autour de ce qu'il y a derrière les mots.
07:24Et la première grande difficulté et violence, c'est justement lorsque le sens est perdu.
07:29Lorsque juste ne veut pas dire juste.
07:31Lorsque la paix ne veut pas dire la paix.
07:32Lorsque l'humanité ne veut pas dire l'humanité.
07:33Lorsque la dignité ne veut pas dire dignité.
07:35Et lorsqu'à travers le langage, on veut représenter la réalité autrement qu'elle ne l'est.
07:40Et qu'on veuille imposer par des opérations de langage,
07:43un récit sur le réel qui n'est pas le réel.
07:45Donc c'est pour ça que l'espace du langage est important.
07:47Quand on veut violenter des gens, on les déshumanise.
07:51On dénombre d'abord leur humanité.
07:53Toutes les grandes violences contre les individus ont commencé par là.
07:56Par une opération du langage.
07:58Donc c'est pour ça que, sans être idéaliste, rêveur,
08:02et en étant aux prises avec la réalité,
08:04faire un travail qui restaure le langage est important
08:07dans la construction d'une vie commune ou d'une mutualité.
08:11D'abord, nommer exactement le réel.
08:12Tenter de dire les choses telles qu'elles sont
08:15et ne pas défaillir à cette tâche-là qui est une tâche délicate.
08:20Ce qu'on a mis dans le mot paix ces derniers jours
08:22autour du plan Trump pour le Proche-Orient
08:23illustre tout à fait ce que vous venez de dire.
08:26Oui, ça l'illustre.
08:27Et ce que je souhaite, c'est que réellement,
08:29qu'il y ait une construction politique de la paix,
08:31qu'après le traité, qu'il ne s'en aille pas,
08:34que tous les acteurs qui se sont mobilisés
08:36faites en sorte que cette paix soit juste,
08:38qu'elle soit durable,
08:39et qu'elle soit harmonieuse pour tout le monde.
08:42Et ça, c'est un travail.
08:42Donc, ce n'est pas juste un artefact,
08:45ni un concept vide.
08:46Il faut lui donner le sens profond qui est le sien.
08:48Vous voulez bien nous lire le poème que vous avez choisi pour cette émission
08:51et nous expliquer pourquoi vous avez choisi celui-là ?
08:52Oui, j'ai choisi un poème qui s'appelle le Moulindi.
08:56Moulindi est une région au nord du Rwanda,
08:59à la frontière de l'Ouganda.
09:01Et j'y évoque mon père,
09:03qui était un soldat de la paix,
09:04qui était un casque bleu de l'ONU,
09:06et qui a été témoin de plusieurs théâtres d'opérations,
09:10donc le Darfour.
09:11Il a vécu le génocide d'Étoutsy au Rwanda.
09:13Il a été au Liban.
09:15Et c'était un soldat qui a passé sa vie
09:16à tenter de construire la paix,
09:18à tenter de résoudre ou de réduire des conflits,
09:21l'actualité entre des communautés belligérantes.
09:23Et il a appris le métier des armes,
09:25mais il a dû apprendre les arts de la paix.
09:27Et c'est un métier autrement plus difficile que celui des armes.
09:30Et donc du coup, je l'évoque,
09:32et je rends hommage à sa grande sagesse
09:36et à sa grande foi en l'humanité.
09:38Et ça reste un phare lorsque justement,
09:40donc l'époque est sombre.
09:42Allez-y.
09:44J'entends les voix cochères de Kibouye
09:46dans l'écho d'un rêve finissant.
09:48Tragédie des jours sans retour,
09:50masque infini d'une sèche tendresse.
09:52Où êtes-vous, mes aïeux, le long des corridors ?
09:56J'ai cherché vos visages dans les processions de l'aube,
09:58rêvé d'une rivière claire aux songes épicés.
10:01J'entends les voix cochères de Kibouye
10:03dans l'écho d'un murmure à le temps.
10:05Gravissant les chemins de Moulindi
10:07à la recherche de ton ombre,
10:08où es-tu, père aimé,
10:10dans l'interstice des mondes ?
10:12Au cœur de ton souffle,
10:13j'ai aimé ta gloire silencieuse,
10:15Eucalyptus planté là,
10:16imperturbable au milieu des flots.
10:18J'ai trouvé la paix,
10:20incertaine des dix heures de bonne aventure.
10:22Sous l'allure qui vacille,
10:24sous l'ombre qui titube,
10:25sous l'écrin de ton regard velu,
10:27j'ai demandé aux arbres le secret de l'enracinement,
10:30à l'astre du jour,
10:31la conscience de l'autocombustion,
10:33au grain, celui de l'ensemencement,
10:35au lendemain, la livraison précoce de leurs secrets,
10:38aux peines, les rivages où elles s'éteignent,
10:40la tranchée qui m'abrite
10:42est faite de mots qui soignent.
10:43Qui êtes-vous, Fenwitsar ?
10:46Je le disais tout à l'heure,
10:47vous êtes d'abord sénégalais,
10:48vous avez évoqué la figure de votre père,
10:50qui est effectivement un phare de votre vie,
10:53dont vous parlez régulièrement.
10:54Vous êtes natif de Niodor,
10:56vous êtes un insulaire.
10:58Qu'est-ce que cette insularité a façonné ?
11:01Comment est-ce qu'elle a façonné celui que vous êtes aujourd'hui ?
11:04De plusieurs manières,
11:04je pense qu'il y a déjà une belle île,
11:06un grand don de la nature,
11:08de grandir dans un espace qui est beau,
11:10qui est vert, un espace entre les eaux et les plaines,
11:14et où la biophonie a bercé ma tendre enfance.
11:17Mais je l'ai déjà évoqué,
11:19le fait d'habiter une île
11:20m'a installé dans un désir d'ailleurs,
11:23a installé chez moi une nécessité de voyager,
11:26de quitter l'île,
11:27d'aller découvrir le monde qui est au-delà des flots.
11:29Et je pense que tous les insulaires
11:30sont des grands voyageurs.
11:32Il y a une aspiration à découvrir le reste du monde,
11:34parce que le monde ne peut pas se limiter à votre île.
11:37Tout en y revenant souvent ?
11:38Tout en y revenant souvent.
11:39Donc ça a été un point d'ancrage.
11:40D'abord, on voyage au Sénégal,
11:42dans plusieurs villes du Sénégal,
11:43du fait des affectations de mon père.
11:46Ensuite, on dort du Sénégal.
11:47C'est intéressant, vous dites que vous avez voyagé au Sénégal.
11:49Oui, oui, j'ai voyagé,
11:50parce qu'en fait, en quittant Niodior,
11:52Dakar est en voyage.
11:53En allant à Kaolak,
11:54en bas, c'est en voyage.
11:55Parce qu'on quitte une île,
11:57on traverse la mer,
11:58on revient sur la terre ferme,
11:59et on s'embarque vers ces autres destinations-là.
12:01Et je pense qu'il y a aussi un sentiment
12:04d'une communauté qui est très puissante,
12:08la nécessité de la solidarité des habitants de l'île.
12:12Il y a une forme d'autonomie objective
12:14qu'il faut être en mesure d'assurer,
12:16assurer un certain nombre de besoins,
12:18être autonome,
12:19parce qu'il faut vivre dans l'île,
12:21et puis établir des relations
12:23avec le monde extérieur de l'île.
12:25Donc je pense qu'il y a tout un tas de déterminations
12:27qui arrivent du fait d'être...
12:28La géographie, elle compte.
12:29L'histoire compte,
12:30mais la géographie, elle compte énormément
12:31dans ce que nous devenons.
12:33Et les données initiales,
12:35même à notre insu,
12:36elles nous déterminent quelque part.
12:40L'Afrique, dans sa diversité, en revanche,
12:42n'est pas une île,
12:43pour reprendre le titre d'une exposition
12:45qu'on a vue il y a quelques années
12:46du côté de Cotonou au Bénin.
12:48Votre travail protéiforme,
12:50on l'a évoqué, on va y revenir,
12:52de penseur est axé autour de l'idée
12:54que le continent africain doit être au monde.
12:57Est-ce que, parler au monde,
13:00est-ce que les verrous qui empêchaient,
13:02peut-être jusqu'ici, l'Afrique d'être,
13:04ainsi, au monde,
13:05sont en train de sauter ?
13:07Je pense qu'il y a une question
13:08de réalité et de représentation
13:10et de discours.
13:11Je veux dire, le continent africain
13:12est le plus vieux réceptacle
13:16de l'expérience de l'histoire humaine.
13:18Quand on dit que l'Afrique
13:18est le berceau de l'humanité,
13:19il n'y a pas de gloire à en tirer,
13:21si ce n'est que l'expérience humaine
13:22la plus longue,
13:24la connaissance de la vie,
13:26est sur le continent africain.
13:27Donc, ça veut dire que ces sociétés-là,
13:28elles ont des choses à dire au monde,
13:30puisqu'elles ont expérimenté des adreilles,
13:32des ubaks,
13:33elles ont expérimenté une pluralité
13:34de dimensions de l'existence,
13:36elles ont expérimenté un être comme collectif,
13:38une vie, elles ont fait face à des défis,
13:39elles les ont relevés,
13:40elles ont persisté dans leur être,
13:42elles ont appris de ce que ça signifie,
13:44être au monde.
13:46Et j'ai toujours trouvé problématique
13:48de résumer l'Afrique
13:49sous le vocable de quelques catastrophes,
13:52ça et là, des problèmes,
13:53des difficultés économiques, des politiques,
13:54et de réduire l'âme de l'Afrique,
13:57ce que l'Afrique a à dire au monde,
13:58à ses difficultés et ses déficiences,
14:00comme si on réduisait l'Europe ou l'Amérique
14:02à ses manques ou à ses vulnérabilités.
14:05Et ça, c'est une, je dirais,
14:07injustice comme sémantique,
14:09injustice dans l'ordre du discours.
14:10Et quand je dis ça,
14:11ce n'est pas une stratégie
14:12pour ne pas regarder là où il y a des difficultés.
14:14Je suis économiste,
14:15mon travail consiste à réfléchir,
14:17à répondre à des besoins fondamentaux.
14:19C'est ça mon travail,
14:19c'est ça que j'ai étudié à la base.
14:21Donc, ce n'est pas une fuite du réel,
14:22c'est juste de dire que le réel est complexe,
14:24il a plusieurs dimensions,
14:25et peut-être que le continent,
14:27il est temps qu'il réarticule son rapport au monde,
14:32qu'il sorte d'une place qu'on lui a signée,
14:36et qu'il prenne en compte, justement,
14:37ses potentialités, ses richesses,
14:39son regard particulier,
14:41tout en restant dans le monde,
14:42ce n'est pas une singularité,
14:44mais qu'il refuse les dictats discursifs
14:47qui lui sont imposés,
14:47qu'il refuse la place qu'il lui a signée,
14:50qu'il refuse les rôles qui lui sont confiés,
14:51et qu'il refuse aussi d'être l'objet
14:53d'un extractivisme économique,
14:56culturel, spirituel,
14:58depuis certains siècles,
15:00qui font qu'il donne plus que de raisons au monde,
15:04et le monde ne lui rend pas assez,
15:06ce qu'il devrait lui rendre.
15:07Donc, du coup,
15:08je pense qu'il y a un travail d'émancipation à faire,
15:10économique, culturel, symbolique, philosophique,
15:12qui est en cours.
15:13Je veux dire,
15:14les Africains n'attendent pas,
15:16les sociétés sont totalement dynamiques,
15:17organiques,
15:17il y a des défis,
15:18la gouvernance politique est un défi,
15:21la démocratie est un défi,
15:23je veux dire,
15:24le bien-être dans certains endroits et la paix
15:26restent des défis,
15:28mais les dynamiques des sociétés
15:30et le temps des sociétés
15:30fait que je refuse de les réduire
15:32à des défis que j'ai simmenté conjoncturels,
15:35et je tente toujours d'avoir un regard
15:38qui a une profondeur historique, d'une part,
15:40et un regard qui voit
15:40quelles sont les dynamiques à l'œuvre,
15:42un regard qui n'est pas statique,
15:43un regard qui voit ce qui se charge,
15:44ce qui bouillonne,
15:45son inventivité, sa créativité,
15:48etc., etc.,
15:48et ça permet d'avoir un tableau
15:49beaucoup plus complexe,
15:51et c'est ça mon travail,
15:52c'est d'essayer d'avoir un regard
15:53qui articule un tableau complexe du continent,
15:57et c'est pour ça que de l'économie,
15:58j'ai évolué vers les autres sciences humaines
16:00et sociales,
16:01parce que la réalité,
16:02elle est multidimensionnelle,
16:03elle est protéiforme,
16:03on peut l'éclairer par plusieurs angles,
16:05et si on veut vraiment avoir un regard
16:06de plus en plus lucide,
16:07et c'est mon obsession,
16:10travailler la lucidité du regard,
16:12il m'a semblé utile
16:13de regarder le continent africain
16:14à travers ses économies,
16:15à travers son histoire,
16:16à travers son anthropologie,
16:18à travers ses philosophies,
16:19à travers ses géographies,
16:21et tenter d'avoir un regard
16:22qui est beaucoup plus riche
16:23et beaucoup plus juste
16:24sur les choses.
16:25Le Sénégal n'est pas une île
16:27non plus,
16:28sauf là d'où vous venez,
16:30Félouine Sarr,
16:30mais il incarne,
16:31vous le saviez mieux que moi,
16:33dans cette région d'Afrique,
16:34un îlot de démocratie,
16:36l'élection présidentielle
16:38la dernière aurait pu faire
16:39basculer le pays
16:40dans l'inconnu,
16:41l'élection de Bassirudio Maïfaï
16:43a ouvert une nouvelle page,
16:45c'est une nouvelle génération,
16:46c'est un nouveau style,
16:48vous évoquiez en 2024
16:49votre soulagement,
16:51vous aviez fait part
16:51avec d'autres intellectuels
16:52sénégalais de votre grande
16:53inquiétude avant cette élection,
16:57à l'épreuve du temps,
16:58même si on est sur un temps court
16:59pour l'historien que vous êtes,
17:02quel regard portez-vous
17:03sur cet élan
17:04qui est arrivé au Sénégal ?
17:06Déjà, je suis très heureux
17:07que nous ayons réintégré
17:08ce que j'appellerais
17:08une trajectoire normale,
17:10normale entre guillemets,
17:11c'est-à-dire que nous avons vécu
17:12une crise et une épreuve
17:13et le pays a réussi
17:15à rattraper le chemin
17:16de notre histoire politique
17:18depuis les années 60,
17:20malgré ses soubresauts
17:21et ses difficultés.
17:22Je veux dire,
17:22on n'a pas connu de coup d'État,
17:23on n'a pas connu de rupture
17:24de l'ordre constitutionnel,
17:26on a réussi à opérer
17:28des changements de pouvoir
17:29par la voie des urnes
17:30dans une relative paix.
17:32Et ça, pour moi,
17:32c'est un capital fondamental,
17:33je veux dire,
17:34dans le contexte dans lequel on est.
17:36Est-ce qu'il distingue singulièrement
17:37le Sénégal de ses voisins ?
17:39J'essaie de ne pas tomber
17:39dans un récit sur l'exceptionnalisme
17:41sénégalais, tu vois,
17:42un peu narcissique
17:44et centré sur soi.
17:45Mais il correspond à une réalité.
17:46Oui, mais il y a une histoire singulière.
17:48Je pense que les pères
17:49de l'indépendance,
17:50je pense que Senghor,
17:52Abdel Diouf, Ablay,
17:54Hamouad,
17:55ont installé le pays
17:56dans une trajectoire.
17:59Je pense que la vitalité intellectuelle,
18:00culturelle et artistique du pays,
18:02le lieu que le pays ait,
18:03un lieu de débat,
18:04de délibération,
18:05d'art, de culture,
18:07de négociation.
18:09Je pense que les histoires aussi,
18:10l'histoire culturelle du pays,
18:11tout un tas d'éléments,
18:12ont concouru
18:13à ce qui est un rapport singulier,
18:14à la délibération,
18:16à l'être ensemble.
18:17Et que le pays a réussi
18:19à tisser une identité nationale,
18:22a réussi à tisser une culture
18:23du débat, du dialogue,
18:26et a réussi à tisser une culture
18:27de la confrontation
18:29dans l'espace discursif.
18:31discursif.
18:32Et je pense que les investissements
18:33en éducation,
18:34la place des artistes,
18:36dès le début,
18:37a peut-être influencé
18:38la trajectoire du pays.
18:40Et puis la transmission
18:40intergénérationnelle,
18:41chaque génération,
18:42Hamoukonser,
18:43qui a un héritage,
18:44il y a un leg,
18:45qu'il faut préserver,
18:46et qu'il ne faut pas faire
18:46moins bien que les anciens,
18:48etc.
18:48Et qu'il y a des acquis
18:49à préserver.
18:50Donc lorsque la démocratie
18:51a été en danger,
18:52le peuple,
18:53la société civile,
18:54les intellectuels,
18:55les artistes,
18:55se sont mobilisés
18:56pour, à leur niveau,
18:58contribuer à ce qu'on retrouve
19:00une trajectoire démocratique.
19:01Maintenant,
19:02nous avons les problèmes
19:02de ce que j'appellerais
19:04la vie politique normale,
19:05les défis économiques
19:06qu'il faut relever,
19:08les défis autour de la justice,
19:10les défis autour de notre place
19:13dans le monde,
19:13de notre rapport au monde,
19:14et la tâche,
19:14elle est ardue,
19:15elle n'est pas simple.
19:16Et il ne faut pas croire
19:17que parce qu'on est sorti
19:19de la crise,
19:19que ça a résolvé
19:20automatiquement
19:22tous les défis
19:22qui sont les nôtres.
19:24Vous parlez de justice
19:25il y a quelques semaines
19:26à l'occasion
19:26de l'Assemblée Générale
19:27des Nations Unies.
19:29Bassirou Diomayfaï
19:30a été interrogé
19:31sur l'antenne de France 24
19:32par Marc Perelman
19:33qui l'a interrogé
19:35sur l'éventualité,
19:36l'opportunité,
19:38au sens premier du terme,
19:40de poursuivre éventuellement
19:41l'ancien régime
19:41à propos de la dette cachée.
19:43On va écouter la réponse
19:44à la question
19:44de la dette cachée
19:45que vous connaissez mieux que moi.
19:46On va écouter la réponse
19:47de Bassirou Diomayfaï
19:48et on en reparle juste après.
19:49Il faut convenir
19:50que l'ordre public
19:51et la paix civile
19:52reposent sur une justice
19:54équitablement distribuée.
19:56Je fais toujours la différence
19:57entre se faire justice
19:59et rendre la justice.
20:01Rendre la justice
20:02suppose respecter
20:04la présomption
20:05d'innocence
20:06de tout individu,
20:07respecter ses droits
20:08à une défense libre
20:10et respecter
20:11et lui assurer
20:12un procès juste
20:13et équitable.
20:14Et c'est ce à quoi
20:15nous nous entonons
20:16au Sénégal.
20:17Quel que soit
20:17le citoyen
20:18qui est concerné,
20:19c'est les règles
20:21de procédure
20:22et le droit sénégalais
20:23qui va s'appliquer.
20:25Il ne saurait y avoir
20:26de présomption
20:26de culpabilité
20:27sur personne.
20:29Voilà la réaction
20:30du président sénégalais
20:31autour de ses soupçons
20:32de maquillage
20:32de compte public
20:33de l'ancien régime sénégalais.
20:34Sénégalais,
20:35la distinction
20:36entre vengeance
20:37et justice,
20:38elle est primordiale ?
20:39Elle est primordiale.
20:40Je pense que
20:41l'un des défis
20:42de nos sociétés africaines,
20:43c'est la redevabilité.
20:44C'est une exigence
20:45qui a été inscrite
20:46dans les aspirations
20:47du peuple sénégalais,
20:48mais je vais même
20:48au-delà du Sénégal.
20:49L'un des défis
20:50de nos gouvernants,
20:51c'est des régimes
20:52qui arrivent,
20:53qui ne font pas le travail,
20:54qui pillent les ressources
20:55plus publiques,
20:57qui sont corrompues,
20:59népotiques,
21:00et qui s'en vont
21:00et rien ne se passe.
21:01Donc, aucun signal
21:02envoyé au corps social
21:03que lorsqu'on est aux affaires,
21:04on doit rendre compte.
21:05Ce qui vaut pour le Sénégal
21:06vaut pour d'autres pays.
21:08Oui, vaut pour d'autres pays.
21:09Maintenant,
21:10l'exigence,
21:10c'est effectivement
21:11que la justice soit équitable,
21:12que les présomptions
21:13d'innocence soient respectées,
21:14que les procédures
21:15soient impeccables
21:15et qu'on ne puisse pas
21:16soupçonner la justice
21:17d'être dans un acte
21:19de vengeance.
21:20Alors,
21:21je pense que c'est normal,
21:22c'est tout à fait normal
21:23que ce régime
21:24fasse un travail
21:25de redevabilité
21:26et de transparence.
21:26C'est ce que
21:26les Sénégalais demandent.
21:28Maintenant,
21:29les inquiétudes
21:30que les uns et les autres ont,
21:32c'est dans le respect
21:33des procédures,
21:34dans le respect
21:34de l'équitabilité
21:35des promes.
21:36Et ça, je l'entends.
21:37Mais je pense
21:38que c'est une exigence
21:39qu'il faut mener
21:40à son terme
21:40et qu'il faut justement
21:42qu'on poursuive sérieusement
21:43parce que ça fait partie
21:43du progrès démocratique
21:44d'une société
21:45que ceux qui étaient aux affaires
21:46puissent rendre compte
21:47de la manière
21:48dont ils ont géré les affaires
21:48et c'est tout à fait normal.
21:51À propos de justice
21:52ou de juste retour des choses
21:54et de procédés impeccables,
21:56vous avez été,
21:58et je ne l'ai pas rappelé
21:58tout à l'heure,
21:59le co-auteur
22:00avec Bénédicte Savoie
22:02du rapport
22:02sur la restitution
22:03du patrimoine culturel africain
22:05demandé par le président Macron.
22:07Rapport qui préconisait
22:09sans détour
22:09le retour définitif
22:11et sans condition
22:11d'objet du patrimoine
22:12sur le continent africain
22:14spolié
22:15pendant la colonisation.
22:16Ce rapport a fait grand bruit.
22:20Le président Macron
22:21l'a accepté en l'état.
22:23Il a enclenché quelque chose.
22:25En revanche, là,
22:26dans les faits,
22:27dans la liste
22:28des objets
22:30qui doivent être rendus,
22:31on est encore loin du compte.
22:34Il y en a eu
22:34une petite trentaine
22:35vers le Bénin
22:36au début de l'année 2021.
22:38Mais il y a
22:39des milliers d'objets
22:40encore en suspens.
22:42Est-ce que vous êtes
22:43de ceux qui regardent le verre
22:44à moitié plein
22:44en disant, bon,
22:45quelque chose s'est enclenché
22:46ou là, vous trouvez
22:47que le temps est trop long
22:48et qu'il est urgent
22:49de procéder aux restitutions
22:51très concrètes ?
22:52Ce que j'aimerais rappeler,
22:53c'est que lorsqu'on avait
22:53écrit le rapport,
22:54on avait plusieurs temporalités.
22:55Court terme, moyen et long terme.
22:57Pour nous, le court terme,
22:58c'était cinq ans
22:58pour mettre en place
22:59un dispositif,
23:00un savoir-faire de la restitution.
23:01Il y avait plein de préalables.
23:03On y est là.
23:03Des préalables juridiques,
23:05il y avait des préalables
23:06épistémiques,
23:08etc.
23:08Et sincèrement,
23:10je ne m'attendais personnellement pas
23:11à ce que les 30
23:13trésors royaux du Bénin
23:14soient rendus tout de suite.
23:15Parce que j'anticipais
23:17que ça allait prendre du temps.
23:18Ne cesse que pour les questions
23:19légales et législatives.
23:21Donc, à ce moment-là,
23:22j'ai trouvé que l'histoire
23:23s'accélérait
23:23et qu'une fenêtre importante
23:25était ouverte.
23:26Bien évidemment,
23:27depuis, les choses
23:27ont largement ralenti
23:30et elles devraient reprendre.
23:32Mais ce que je note,
23:33c'est que ce rapport a ouvert
23:35la voie à un débat
23:36sur les musées globales.
23:39Des pays européens,
23:40l'Allemagne, la Belgique,
23:42ont emboîté le pas.
23:43Dans tous les musées
23:44qui déclencent des objets
23:45ethnographiques,
23:46la question de la légitimité
23:47de la présence des objets,
23:49de la provenance des objets,
23:50de l'histoire des objets
23:51et les poser à nouveaux frais.
23:53Il y a une sorte
23:54d'intranquillité
23:55quand on n'a pas fait
23:56le travail de justice
23:57patrimoniale.
23:59Donc, je trouve que le rapport
24:00a eu une sorte
24:02de puissance tectonique
24:03qu'il a créé un débat
24:05au-delà de la France,
24:07au-delà de l'Europe,
24:08dans le monde,
24:09et qu'il a repositionné
24:10et qu'il a re-questionné
24:11le rapport à ce qu'on appelle
24:13la justice épistémique
24:14et patrimoniale.
24:16Donc, du coup,
24:16le bilan que je fais,
24:17ce n'est pas juste
24:17de dire le nombre
24:18d'objets rendus.
24:19C'est de dire, oui,
24:20effectivement,
24:20il faut accélérer le processus.
24:22Et les États africains
24:22doivent aussi formuler
24:24des demandes importantes
24:25et faire comme le Bénin a fait.
24:27Le Bénin s'est engagé
24:28politiquement, culturellement,
24:30économiquement
24:31pour faire le travail.
24:32Certains États ont des objets,
24:33ont fait des demandes,
24:34d'autres ne le font pas
24:35et ne nous montrent pas
24:36un grand engagement aussi
24:37à réclamer les objets
24:38qui leur sont dus.
24:39Donc, la responsabilité,
24:40elle est partagée.
24:41Il y a aussi un contexte
24:42qui est peu favorable
24:43où, je dirais,
24:45la montée des extrêmes
24:46droits en Europe
24:47fait qu'on lit
24:49cette restitution
24:49sous le prisme
24:50de la repentance
24:51et etc.
24:52Donc, il y a aussi
24:53des contraintes
24:54structurelles politiques
24:55liées à l'état
24:56des opinions
24:57ou des assemblées
24:58nationales européennes.
24:59Donc, ce jeu-là,
25:00on est pris dans ce jeu.
25:02Mais j'essaie
25:03de ne pas juste lire
25:04exclusivement
25:05ce qui se passe
25:05et de ne pas le mesurer
25:08au nombre d'objets
25:09remorendus.
25:10J'essaie de le mesurer
25:11dans la dimension
25:12de tous les effets
25:13qu'il produit
25:13et pour moi,
25:14les effets de réflexion,
25:16de pensée,
25:16de discussion,
25:18de repenser les musées,
25:19de repenser
25:19comment les objets
25:20peuvent circuler
25:21sont engagés.
25:23On va quand même
25:24s'arrêter sur l'un
25:25de ces objets
25:25dont il est question
25:27ces derniers mois.
25:28Il s'agit d'un tambour
25:29parleur réclamé
25:30par la Côte d'Ivoire.
25:31On va en découvrir
25:31des images
25:32et on en repart juste après.
25:33C'est un travail minutieux
25:41fait de patience
25:41et d'observation.
25:43Donc t'as retrouvé
25:44quand même
25:44la place
25:46d'un des deux morceaux.
25:48C'est un morceau
25:48qui est conséquent
25:49quand même.
25:49Ça fait 15 cm
25:50sur 5 cm.
25:52C'est super
25:53d'avoir pu le trouver.
25:55Malgré sa taille
25:56et son poids,
25:57près de 4 mètres
25:58pour une demi-tonne,
26:00ce tambour
26:01est devenu
26:01très fragile
26:02suite aux attaques
26:03du temps.
26:04Il a plus d'un siècle
26:05et a subi
26:05les attaques
26:06d'insectes xylophages
26:07avant sa conservation
26:09en France.
26:10Donc l'idée
26:10c'est de consolider
26:11le bois
26:12dans sa structure
26:13de manière
26:13à ce qu'il retrouve
26:15une certaine densité,
26:16une certaine cohérence
26:16et une solidité
26:17qui va permettre
26:18de le manipuler
26:19et aussi
26:20de consolider
26:21en surface
26:22des zones
26:22qui sont fragiles.
26:25Ce tambour
26:26fut confisqué
26:26au peuple bidjan
26:28par l'armée française
26:29lors de la colonisation
26:30au début du XXe siècle.
26:31ramené en France
26:32vers 1930,
26:34il intègre successivement
26:35les collections
26:35du musée ethnographique
26:37du Trocadéro
26:37puis du musée de l'homme
26:38avant de rejoindre
26:39les collections africaines
26:40du Quai Branly
26:41en 2006.
26:42Le son de ce tambour
26:43à fente
26:44qui est taillé
26:44dans un tronc d'arbre
26:46d'arbre de bois dur
26:49permettait de communiquer
26:51via le langage tambouriné.
26:53Il est devenu
26:54le symbole
26:54de la résistance anticoloniale
26:56puisqu'il permettait
26:58de communiquer
26:59entre villages
27:00et de se cacher
27:01pendant la colonisation.
27:03La restauration
27:04de ce tambour de guerre
27:05terminé,
27:05il sera mis en caisse
27:07prêt à repartir
27:07en Côte d'Ivoire,
27:08son pays d'origine.
27:11Voilà,
27:11la loi pour permettre
27:13la restitution
27:14de cette pièce
27:15à la Côte d'Ivoire
27:16a été adoptée
27:17cet été
27:18en confisquant
27:19les objets
27:19et se faisant
27:20la mémoire.
27:21On confisse
27:22qu'une partie
27:22de l'imaginaire,
27:23dites-vous souvent,
27:24qu'est-ce que ça veut dire ?
27:25On confisse
27:26une partie
27:26de l'imaginaire
27:27en soustrait
27:28des briques
27:29du patrimoine
27:30et de l'histoire
27:31de la créativité
27:32des données spirituelles
27:33d'un peuple,
27:34surtout quand le peuple
27:34réclame
27:35qu'on lui restitue
27:36un objet
27:37qui lui permet
27:37de continuer
27:38son œuvre de créativité
27:39et d'exprimer
27:40son rapport au monde.
27:41Donc, imaginez juste
27:43qu'on prenne
27:43toutes les peintures
27:44religieuses
27:44des églises de France
27:45et qu'on les emmène
27:46à Dakar
27:46et qu'on vide
27:48les musées en France
27:48et toutes les traces
27:49de l'histoire
27:50de France
27:51ou de sa créativité
27:52ou de son rapport
27:53au monde
27:53ou de son génie artistique
27:55et de son génie spirituel
27:56vont aller germiner ailleurs
27:58et faire juste
28:01le contre-vu factuel.
28:02Parce que généralement,
28:03quand on est nés
28:03dans cette discussion-là,
28:05je veux dire,
28:05c'est simple
28:06de se rendre compte
28:07pourquoi c'est normal
28:08et important
28:09qu'il y ait une justice
28:10patrimoniale.
28:11Et des fois,
28:12on nous oppose
28:13l'argument de l'universalité
28:14qui ne tient pas.
28:15Les œuvres seraient universelles
28:16si elles sont à Paris,
28:17elles sont en Louvre
28:17et elles ne seraient pas universelles
28:18si elles sont à Dakar,
28:19habite Jean à Cotonou.
28:21Cette proclamation
28:21de l'universal
28:22à partir d'un lieu.
28:23Et puis,
28:24où on nous renvoie
28:26l'argument de l'autochtonie.
28:28Comme si l'idée
28:29que les œuvres soient
28:30chez elles
28:31empêche ces œuvres
28:32de circuler,
28:32elles empêchent le dialogue,
28:33elles empêchent
28:34le partage du patrimoine.
28:37Et c'est toujours
28:37un regard qui est
28:38européocentré
28:39et qui fait que
28:41la difficulté
28:42de se décentrer
28:43est vraiment importante.
28:45Et puis,
28:45il y a tout un tas
28:46d'impensées.
28:47Donc, du coup,
28:48ce tambour parleur,
28:49c'est un moment
28:49de l'histoire
28:50de la communauté
28:51ébriée
28:52en Côte d'Ivoire.
28:53Il a un sens,
28:54il a une signification.
28:54Et des fois,
28:55même les œuvres
28:55ont besoin
28:56qu'ils aient un regard
28:57juste sur elles.
28:58Il y a des communautés
28:59qui connaissent
28:59la signification profonde
29:00de ces œuvres-là
29:01et qui savent
29:02entretenir le rapport
29:03adéquat.
29:05Est-ce qu'on trouve
29:05ici dans des musées,
29:06les gens les regardent
29:07comme des objets exotiques,
29:08ils ne savent pas trop
29:08de quoi ?
29:09Elles n'ont pas
29:09l'importance
29:10qu'elles devraient avoir.
29:12Et puis,
29:13sous des arguments
29:14techniques,
29:16muséaux,
29:16de conservation
29:17et tout un tas
29:18de discours
29:18qui tentent
29:19à légitimer
29:19leur présence,
29:21on fait œuvre
29:22d'un justice
29:22patrimonial.
29:24Donc,
29:24ce tambour-là
29:25est très intéressant.
29:26Récemment aussi,
29:27un crâne a été rendu
29:28à Madagascar.
29:30C'était aussi important
29:31de le faire
29:31parce que justement,
29:32la communauté
29:33réclamait le retour.
29:35Et c'était intéressant
29:35aussi de voir
29:36le débat épistémique
29:37qui a eu lieu
29:38puisque l'ADN
29:39était dégradé.
29:39Donc,
29:40on n'arrivait pas
29:40à attester
29:41que c'était
29:42le bon crâne.
29:43La communauté
29:43a créé un rituel.
29:45Une dame
29:45est entrée en trance.
29:46Elle est en possession
29:47de l'esprit
29:48de ce roi-là.
29:49Elle a reconnu
29:50que c'était lui
29:50le roi.
29:51Et j'ai trouvé
29:51intéressant ici
29:52que la cosmologie
29:53de Madagascar
29:55ait cessé
29:56à me savoir
29:56et puis attesté
29:57scientifiquement
29:59que c'était
30:01le bon crâne.
30:03Il y a eu
30:04des débats aussi
30:04sur le bon calendrier.
30:06Qu'est-ce qu'on n'a pas
30:06dit sur l'incapacité
30:07des musées africains
30:08à conserver
30:09correctement
30:10selon une vision
30:12assez centrée
30:13à nouveau
30:13correctement
30:14ses œuvres ?
30:14Les Africains créent
30:15des objets,
30:15les gardent
30:15pendant des siècles,
30:16les conservent
30:17pendant des siècles.
30:17On vient leur
30:18spolier ces objets
30:19et on vient leur dire
30:20vous ne savez pas
30:20les conserver.
30:21D'ailleurs,
30:21on ne les a pas prêts
30:22dans des musées.
30:23Il y a plusieurs foyers
30:24patrimoniaux.
30:24Ils peuvent repartir
30:25dans des musées,
30:25bien sûr,
30:26mais ils peuvent repartir
30:26dans des centres spirituels,
30:29ils peuvent repartir
30:29dans des demeures,
30:30ils peuvent repartir
30:31dans plusieurs lieux
30:32pour activer le corps social
30:33à travers une pluralité
30:35d'intensité.
30:35Et dans les cosmologies,
30:37dans certaines cosmologies
30:38africaines,
30:39les objets sont
30:40comme des êtres humains.
30:41Naissent, grandissent,
30:42vieillissent,
30:43se cassent,
30:43on les répare
30:44et ils meurent
30:44et puis on les recrée.
30:46Donc les objets
30:46ne sont pas là
30:47pour défier le temps
30:47et rester dans l'éternité
30:48du regard.
30:50Ils sont là
30:50pour être dans un cycle
30:51de vie.
30:52Comme le film
30:53Les statues meurent aussi
30:55de Alain René
30:55et Chris Marker,
30:57les objets vivent
30:57et meurent.
30:58Donc ils sont dans
30:59une cosmologie justement
31:00de l'émergence.
31:01Donc ça veut dire
31:02que là aussi,
31:03réfléchir au rapport
31:05à l'objet.
31:05Ce n'est pas juste
31:06la question de la conservation.
31:08Cette question-là,
31:08elle relève
31:09d'une épistémologie.
31:10Elle relève
31:10d'une fonction
31:11qui est attribuée
31:12à l'objet.
31:12Et c'est là
31:13où le débat est intéressant.
31:14C'est que les Africains
31:15qui ont créé
31:15leurs objets,
31:16leur ont donné
31:17des sens et des significations
31:18qui ont été aplatis.
31:19On a recouvert
31:20d'autres significations,
31:22d'autres couches
31:22sémantiques.
31:24Et restituer,
31:25c'est réouvrir
31:26le sens des objets
31:27et récupérer
31:27une pluralité
31:28de sens
31:29qui ont été
31:29justement ensevelis
31:31sous l'œuvre d'art,
31:32etc.
31:33Ou sous la catégorie
31:34d'objets ethnographiques.
31:35La vie des statues,
31:36les réparer,
31:37ça fait écho
31:37au Kintsugi japonais.
31:39Absolument.
31:39C'est forcément
31:40de réparation
31:41des porcelaines,
31:42notamment grâce
31:43à de la poudre d'or.
31:46Décoloniser
31:47les imaginaires,
31:49ça vaut
31:49pour le patrimoine
31:51artistique.
31:54C'est aussi
31:54reprendre possession
31:56du récit.
31:56Vous disiez
31:57il y a quelques années
31:58à propos des Sénégalais
31:59qui quittent
32:00leur pays nombreux.
32:02Je parle des Sénégalais
32:02mais on pourrait parler
32:03de beaucoup de pays africains
32:05et vous disiez
32:06qu'il y a quelques années
32:07dans une interview
32:08que j'ai lu
32:09pour préparer cette émission
32:09qu'en ce sens,
32:11là-dessus,
32:12pour le coup,
32:13le Sénégal avait perdu
32:14la bataille
32:15des imaginaires
32:16parce que vous n'aviez pas
32:17réussi, je vous cite,
32:18à garder l'espoir
32:19en lieu sûr
32:20pour une certaine
32:20proportion de la jeunesse
32:21ni réussir
32:22à rendre nos espaces
32:23suffisamment désirables.
32:26C'était il y a
32:27quelques années.
32:28Est-ce que le nouvel élan
32:29démocratique au Sénégal
32:31change les choses ?
32:31Est-ce que là-dessus,
32:32quelque chose est en train
32:33de se renverser ?
32:34Il y a une corrélation
32:35qui a été notée claire
32:36entre les départs en pirogue
32:38et les luttes démocratiques
32:39et à un moment donné
32:40que les luttes démocratiques
32:42les départs en pirogue
32:42avaient diminué.
32:44Et c'était intéressant aussi,
32:46je pense que les sociologues
32:46ont noté qu'à des moments
32:47donnés où les gens
32:48se sont impatientés
32:49parce que les retombées économiques
32:51tardaient à venir,
32:53que les départs
32:54étaient réenclenchés.
32:56Donc je crois
32:56qu'il y a une vraie
32:58corrélation ici
32:59entre l'espoir
33:00dans la possibilité
33:01de mener une vie
33:02digne et épanouie
33:03dans ce lieu
33:04et les départs.
33:05Mais j'aimerais aussi
33:06qu'on ne limite pas
33:06les départs
33:07dans leur perspective économique.
33:09Souvent,
33:10c'est l'angle
33:10que l'on regarde.
33:11Vous dites que c'est un leurre ?
33:13Oui, je pense que c'est
33:15insuffisant comme lecture.
33:16Oui, c'est totalement
33:17contre-intuitif.
33:18Les individus prennent la route
33:21pour continuer à naître,
33:23pour accomplir leur destin,
33:25pour aller découvrir le monde,
33:26pour avoir un usage du monde,
33:27pour inscrire leur vie
33:28dans une aventure,
33:29pour sortir d'un cercle
33:30étriqué de relations
33:32et élargir la perspective
33:34qu'ils ont de leur existence,
33:35pour faire aventure de leur vie.
33:37C'est un élan fondamental.
33:39Ce n'est pas juste
33:39les ressources économiques,
33:40c'est se voir ailleurs,
33:42tenter une autre aventure,
33:43partir à la rencontre du monde,
33:44c'est grandir
33:45et sortir des liens
33:47de la communauté
33:48et s'inventer.
33:49Cette émotion-là,
33:50elle est absolument importante.
33:51Des gens ont des ressources économiques
33:53convenables,
33:55mais ils trouvent leur vie
33:55qui n'est pas assez riche.
33:57Ils veulent la réinventer
33:58dans d'autres lieux.
33:59Ils veulent se réinventer
34:01en tant qu'individu
34:02et ça, ça compte
34:03fondamentalement
34:04dans le désir
34:05du mouvement,
34:06du voyage
34:06et de l'ailleurs.
34:08Et des choses simples,
34:09la curiosité,
34:10voir le monde,
34:11faire l'expérience du monde,
34:12ne pas être confiné.
34:13Moi, je viens d'une île
34:14sur quelques kilomètres carrés,
34:16faire une expérience plurielle,
34:17riche,
34:17rencontrer autrui.
34:19Parce qu'on croit
34:19que c'est juste des gueux
34:20qui veulent déverser leur faim
34:22sur les rivages
34:24des terres riches.
34:25Non,
34:25c'est les gens
34:26qui ont envie
34:26de faire un usage du monde.
34:28Au Moyen-Âge,
34:29Bakary II,
34:30en période du Mali,
34:31riche,
34:33construit des caravels
34:34et va en Amérique
34:35avant Christophe Golan
34:36parce qu'il veut voir
34:36ce qu'il y a au-delà des mers.
34:37Il va aller
34:38à la rencontre du monde.
34:39Et cet élan-là,
34:40il ne faut pas oublier
34:41que c'est Homo sapiens sapiens
34:42qui passe par le détroit
34:43de Gibraltar
34:44et qui peuple le monde
34:45et qui explore la vaste étendue.
34:47Donc,
34:47toutes ces dimensions-là,
34:48il faut les articuler.
34:48Bien évidemment,
34:49il y a des contraintes économiques,
34:50mais il y a aussi
34:50des contraintes sociologiques.
34:52Il y a des manières,
34:53il y a des rapports
34:53à la réussite
34:54que les gens veulent
34:55établir là où ils sont.
34:57Il y a aussi
34:58le désir du monde,
34:59le désir d'un usage du monde.
35:00Il y a aussi
35:00le désir de continuer à naître,
35:02de grandir
35:02et de faire récit
35:03et aventure de sa vie.
35:04Je vois la couverture
35:05d'Afrotopia
35:06derrière vous.
35:07Pour autant,
35:08vous passez
35:09une grande partie
35:10de votre travail aussi
35:11pour montrer que
35:12l'Afrique a ses propres ressources,
35:14sa propre désirabilité
35:16d'une certaine façon.
35:17Oui,
35:18c'est ça l'idée.
35:18C'est vraiment
35:19d'éviter les écueils
35:20du discours misérabiliste
35:22et du discours
35:23de l'optimisme
35:24qui est forcé,
35:26etc.
35:26Et de
35:27juste
35:28tenter de regarder
35:30le réel
35:30dans sa complexité.
35:32Et
35:32cette complexité du réel,
35:33là,
35:33c'est justement
35:34d'une part
35:35de faire face
35:36au défi du continent,
35:37de tenter de les comprendre
35:38parce qu'ils sont spécifiques.
35:39Je veux dire,
35:39ce n'est pas juste...
35:41Il n'y a aucune fatalité.
35:42Je veux dire,
35:43s'il y a un conflit politique
35:44quelque part,
35:44il y a une genèse,
35:45il y a une histoire politique,
35:46une histoire économique,
35:47une histoire sociale
35:48entre les complexes
35:49qu'il faut regarder
35:50dans sa singularité
35:51et lui appliquer
35:52les outils d'agence.
35:53Sur la grille de lecture
35:53qu'on a imposée
35:54depuis des siècles.
35:56Oui,
35:56c'est une grille de lecture
35:57dichotomique,
35:58simpliste,
35:59fataliste,
36:00je veux dire,
36:01des fois déterministe à souhait.
36:03Et c'est pour ça
36:03que le travail des sciences humaines
36:04est hyper important
36:05parce que ça permet
36:05de renouveler les regards,
36:07renouveler les grilles
36:07d'interprétation
36:08et de montrer
36:09qu'elles sont enchevêtrées
36:10et que chaque problématique
36:11sur le continent
36:12a sa singularité.
36:13Si on veut comprendre
36:14le Soudan,
36:15il y a toute une histoire
36:15spécifique à cette région
36:17du monde
36:18qu'il faut comprendre.
36:18Il n'y a aucune fatalité.
36:20Et en même temps
36:20que cela,
36:22regardez tout le reste.
36:24Les histoires sociales,
36:25les histoires culturelles,
36:26les richesses,
36:26les potentialités du continent,
36:28la créativité,
36:29les forces économiques,
36:30les forces sociales
36:31et justement
36:32tenter de dresser
36:34un tableau
36:35juste parce que complexe.
36:37Vous avez fait
36:38votre propre baccaride
36:39Félouine Sarr.
36:40Vous êtes allé
36:40aux Etats-Unis,
36:41vous aussi.
36:42Vous êtes prof
36:43à l'université
36:44de Duc
36:45en Caroline du Nord
36:46aux Etats-Unis.
36:48Vous qui connaissez bien
36:48les Etats-Unis
36:49et qui avez,
36:50je le disais,
36:50vous avez étudié
36:51en France,
36:52vous y avez travaillé,
36:53enseigné.
36:53Vous avez aussi bien sûr
36:54prof à l'université
36:55Gaston Berger
36:56à Dakar.
36:58Quel regard vous portez
36:59sur les Etats-Unis
37:00de Donald Trump ?
37:02Non, je trouve
37:02que c'est un moment
37:03très difficile
37:03parce que tous les espaces
37:06ont leurs ombres
37:07et leur clarté.
37:08Il n'y a pas à idéaliser
37:09une société.
37:11La société américaine
37:13avait réussi
37:13à se rendre désirable
37:15à travers ses arts,
37:16mais à travers aussi
37:17ses universités,
37:18à travers la manière
37:20dont elle rayonnait
37:20culturellement dans le monde.
37:21Et le champ
37:22de réflexion.
37:24Et le champ
37:25de réflexion ouvert.
37:25L'horizon, oui.
37:26Une pluralité épistémologique
37:27et une grande liberté
37:28épistémologique.
37:28Il se referme ?
37:29Il se referme.
37:30D'ailleurs,
37:30c'est ce qui m'y a attiré.
37:31C'est-à-dire que
37:32j'ai fait 13 ans
37:33à Gaston Berger
37:33à Saint-Louis
37:34en enseignant l'économie
37:35et je désirais enseigner
37:36l'humanité au sens large.
37:38Et j'ai eu cette proposition
37:39de venir à Duc
37:39dans un département
37:40où je pouvais enseigner
37:41ce que je voulais
37:41en termes d'humanité.
37:42Et je pouvais élargir
37:43mes horizons épistémologiques
37:44et je pouvais aussi
37:45emmener l'Afrique là-bas
37:45et m'ouvrir à un corpus
37:48qui n'était pas le mien.
37:49Donc,
37:50cette grande liberté académique
37:51et cette grande liberté intellectuelle
37:53a été l'un des attraits.
37:54Pourquoi j'ai tenté l'aventure ?
37:55Pour aller enrichir
37:57mes données épistémologiques
37:58et existentielles.
37:59Et ça,
37:59c'est en train de se refermer.
38:01Et je ne comprends pas
38:01un régime
38:04ou un peuple
38:04ou une administration
38:06qui scie la branche
38:06sur laquelle elle est assise.
38:08Je veux dire,
38:09la puissance de ce pays,
38:10sa puissance économique,
38:11sa puissance,
38:11son rayonnement
38:12se fondent sur le savoir
38:14et la culture d'abord.
38:15Avant les industries,
38:18avant les produits manufacturés,
38:20avant un certain nombre d'éléments
38:21qui aujourd'hui occupent
38:22le cœur du discours.
38:24Et fondamentalement,
38:25les sociétés se fondent
38:27sur le savoir.
38:28Elles sont knowledge base.
38:30Et celles qui investissent
38:31dans le savoir
38:32s'en sortiront le mieux.
38:34Et tu ne peux pas faire ça.
38:36Et ça,
38:36c'est totalement contre-intuitif
38:39de scier systématiquement
38:41la branche sur laquelle
38:43on assise.
38:43Maintenant,
38:43je me dis,
38:45il faut regarder
38:45le grand arc historique
38:46des sociétés
38:47et que la plupart
38:48des universités,
38:49des bonnes
38:50et des grandes universités,
38:50elles existent
38:51avant la nation américaine,
38:54avant 1776,
38:56avant l'État américain.
38:56Donc,
38:57elles sont anciennes.
38:59Je pense qu'elles résisteront
39:00au bourrasque.
39:01Elles sont affectées,
39:02bien évidemment.
39:03Mais qu'elles traverseront
39:05ce temps-là.
39:06Et que peut-être,
39:07la question pour elles,
39:08c'est comment traverser
39:09cette tempête.
39:10Ce même Donald Trump
39:11qui a fait retirer
39:12cette photo
39:13de plusieurs édifices publics,
39:14on en a parlé beaucoup
39:15il y a quelques semaines,
39:16celle de cet esclave
39:17au dos flagellé
39:19pour, je cite,
39:19« rétablir la vérité
39:21et la raison
39:22dans l'histoire américaine ».
39:23Non,
39:24ce n'est pas le cas du tout.
39:24En fait,
39:25si on veut,
39:26c'est là où le travail
39:27des universitaires
39:28est important.
39:29Derrida disait
39:30faire profession de vérité.
39:31L'université est un lieu
39:32où on fabrique
39:33la vérité scientifique,
39:35la vérité des faits,
39:36la vérité sur le climat,
39:37la vérité sur le racisme,
39:38la vérité sur l'histoire coloniale,
39:40la vérité sur le genre,
39:41etc.
39:42Et un régime
39:43qui ne souhaite pas
39:43la vérité,
39:44qui souhaite produire
39:45un récit alternatif,
39:47des faits alternatifs,
39:48n'a pas intérêt
39:49à ce que les gens
39:49travaillent à rétablir
39:50les vérités
39:51sur une base objective.
39:53Donc du coup,
39:53ça,
39:54c'est un déni de réalité,
39:55c'est un déni d'histoire
39:56et c'est problématique.
39:58Mais c'est l'histoire
39:58d'un régime
39:59ou c'est l'histoire
39:59d'une société ?
40:01D'une partie ?
40:01C'est une question,
40:02c'est l'histoire
40:02d'un régime
40:03issu du choix
40:05d'une partie
40:05de la société
40:07au choix démocratique
40:08et d'ailleurs,
40:09ça me permet
40:09de dire
40:10que la démocratie
40:11reste un idéal
40:12à part faire
40:13parce qu'elle permet
40:14ce type de choix-là.
40:16Et je pense qu'il y a
40:16des critères qualitatifs
40:18qui doivent être intégrés
40:18dans le geste démocratique
40:20pour faire en sorte
40:21qu'on se fonde
40:21sur l'intelligence collective
40:23plutôt que sur
40:24les peurs collectives.
40:25Et je pense que la forme
40:26de gouvernementalité,
40:27elle n'est pas achevée.
40:28Il faut qu'on réimagine
40:29des formes du politique
40:30qui améliorent,
40:31qui limitent
40:32les limites
40:33du geste démocratique.
40:35Parce que si on s'arrête
40:37à juste l'idée
40:40que l'opinion
40:41de la majorité suffit,
40:42je pense qu'il y a
40:43quelque chose,
40:44là, il y a une vulnérabilité
40:45fondamentale.
40:46C'est une question complexe.
40:47Je veux dire,
40:47parce que...
40:48Et c'est une pente glissante.
40:50C'est une pente très glissante
40:50parce qu'on peut être
40:51autoritaire sous prétexte
40:52du bien du plus grand nombre
40:53et l'histoire l'a prouvé.
40:54Mais je pense qu'il y a
40:55un chantier pour les gens
40:56qui travaillent
40:57autour de la gouvernementalité,
40:59les chercheurs en sciences
41:00politiques,
41:01les historiens,
41:02pour réimaginer
41:03des formes du politique
41:05qui justement
41:05se fondent sur
41:07ce que nous avons éprouvé
41:08de meilleur
41:09dans l'histoire
41:10des communautés humaines.
41:11On arrive au terme
41:13de cet entretien.
41:14On a parlé philosophie,
41:15poésie,
41:16on a rapidement parlé économie,
41:18on n'a pas encore parlé de musique
41:19et pourtant,
41:20c'est un pan essentiel
41:21de votre vie.
41:22Ceux qui vous connaissent bien
41:24ne le savent peut-être pas
41:24parce que vous aviez
41:25un groupe de reggae
41:25quand vous étiez un peu plus jeune
41:27avec lequel vous avez fait
41:28beaucoup de tournées.
41:30Et là, vous allez publier
41:30un nouvel album
41:31et vous avez eu la gentillesse,
41:32je crois,
41:33de vous filmer
41:34autour de vos futures chansons.
41:37On va en écouter
41:38quelques notes.
41:38Sous-titrage Société Radio-Canada
42:08Pour faire écho
42:16à ce dont on parlait
42:17au tout début
42:18de cet entretien,
42:19qu'est-ce que peut la musique,
42:20qu'est-ce que peut l'art
42:21dans le moment
42:22qu'on est en train
42:24de vivre collectivement ?
42:25C'est un langage
42:25et une métaphore.
42:27La polyphonie réussie,
42:29quand elle réussit,
42:29c'est qu'elle a laissé
42:30la place à plusieurs voix,
42:32qu'elle leur a alloué
42:33leur juste place.
42:35Elle a reconnu
42:36la diversité des timbres,
42:37elle a ouvert le spectre
42:38et elle a permis
42:39un dialogue
42:40qui était tendu
42:40vers la beauté.
42:42Ça, c'est une métaphore
42:43du politique.
42:44Si le politique
42:45ou la politique
42:46s'inspire
42:46de la métaphore musicale,
42:49justement,
42:49elle a une autre manière
42:50d'articuler
42:51la pluralité,
42:52la diversité,
42:54etc., etc.,
42:54les spécificités,
42:55dans le but tendu
42:56vers la plus grande vitalité
42:57du corps social
42:58et vers son plus grand achèvement.
43:01Il y a énormément
43:02de leçons
43:02que la musique
43:03peut donner
43:04à l'espace politique
43:05et l'espace politique
43:06devrait être
43:07un lieu
43:08de transformation
43:09collective,
43:10de métamorphose collective.
43:12Le travail
43:12sur le silence,
43:13le travail
43:13sur le langage,
43:15le travail
43:15sur la pluralité,
43:17le travail
43:17sur la quête
43:18de l'harmonie,
43:18comment on accorde
43:19les différences.
43:21Et ça,
43:21ce sont des savoirs
43:22que la musique donne.
43:24Donc,
43:24la musique peut être
43:25un ordre,
43:27une source
43:27d'inspiration
43:28de comment la société
43:29est organisée.
43:30Et à titre personnel,
43:31c'est une ressource,
43:32un refuge
43:33comme peuvent l'être
43:33les livres ?
43:34C'est une grande ressource,
43:35c'est une grande école
43:36et une grande université.
43:37Donc,
43:37ces groupes de musique,
43:38le groupe d'Orlé,
43:39toute mon expérience musicale
43:41m'a appris énormément
43:42de choses.
43:43À travailler en groupe,
43:44à articuler plusieurs histoires,
43:46plusieurs sensibilités,
43:48etc.,
43:48à trouver une voie juste,
43:50à trouver la place juste,
43:51à trouver le tempo juste,
43:53à chercher
43:53ce qui résonne,
43:56à chercher
43:56ce qui fait harmonie.
43:58Et après,
43:59on peut tenter
44:00de transposer cela
44:00dans d'autres espaces.
44:02Vous êtes attendu
44:02Tsun Doku,
44:03vous aussi,
44:04ceux qui accumulent
44:04les livres.
44:05C'est un principe japonais,
44:06vous savez,
44:06ces piles qu'on accumule
44:07chez soi,
44:08mais qu'on ne lit jamais.
44:09Oui,
44:09mais en fait,
44:09je les accumule,
44:10je les lis,
44:11j'en rate quelques-unes,
44:13mais en fait,
44:13c'est plus des compagnons de route.
44:15C'est des gens
44:15avec lesquels je dialogue
44:16et qui m'offrent
44:18la possibilité
44:18de différents types de dialogues.
44:20Donc, du coup,
44:21ne sachant pas
44:22quel sera le désir
44:23de la conversation,
44:24lorsque je voyage,
44:25j'en emmène
44:25un certain nombre avec moi
44:26la possibilité du dialogue.
44:28Merci infiniment.
44:29Faites-moi d'être revenu
44:30ce matin sur le plateau
44:31de France 24.
44:32On peut vous entendre
44:32à partir du 19 octobre.
44:33Vous êtes l'invité
44:34du Centre Pompidou
44:35pour son festival d'automne.
44:36Premier rendez-vous
44:37avec Julie Butler.
44:38Je l'ai dit,
44:38tout le programme
44:39est sur le site internet
44:40du Centre Pompidou.
44:41Merci infiniment.
44:42On va se quitter en musique
44:43et on se retrouve
44:43dans un quart d'heure.
44:44Et c'est Faites-le Windsor,
44:45bien sûr,
44:46derrière le micro.
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