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  • il y a 2 mois
L'alpiniste Benjamin Védrines vient d'accrocher un nouvel exploit à son palmarès : il est le premier à avoir grimpé en Himalaya il y a une dizaine de jours, le Janu Est, une montagne de 7.468 mètres, jamais gravie jusqu'ici.

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Transcription
00:00Et l'invité du grand entretien ce matin est un alpiniste, enfant de la montagne, monté sur ses skis avant trois ans.
00:05Il a fait en solo et en cachette sa première ascension à 17 ans dans le massif des écrins et depuis on ne l'arrête plus.
00:11Il vient d'accrocher un nouvel exploit à son palmarès.
00:15Il est le premier à avoir grimpé en Himalaya il y a une dizaine de jours.
00:19Le Janu Est, une montagne de 7468 mètres, jamais gravie jusqu'ici.
00:25Bonjour Benjamin Védrine.
00:27Bonjour, merci de me recevoir.
00:28Et bravo.
00:28Eh bien c'est gentil.
00:30Merci d'être avec nous, bienvenue sur le plancher des vaches si j'ose dire.
00:34Vous pouvez lui poser vos questions chers auditeurs, intervenir au 01 45 24 7000 ou sur l'application Radio France.
00:41Vous venez donc Benjamin Védrine de monter avec votre compagnon de cordée Nicolas Jean cette montagne magnifique, mythique, le Janu Est en Himalaya.
00:49Deux ans de préparation, deux jours d'aventure, extrêmement quand même, sans oxygène, sans assistante.
00:55Vous venez de revenir en France.
00:57Comment vous le vivez ce retour ?
01:00Oui, ça a été une aventure très intense.
01:02Janu Est, on en rêvait depuis si longtemps.
01:04Et le retour forcément, il est dur.
01:07Il est dur comme toujours quand on vit des choses très intenses et extraordinaires, comme ça a pu être le cas au Népal pendant ces deux mois.
01:14Donc oui, il faut redescendre de ce nuage et j'avoue que ce n'est pas évident.
01:18Retrouver le quotidien.
01:19Oui, retrouver le quotidien parce que là-bas, on avait quand même une vie très particulière où on était isolé de tout.
01:24Il faut s'imaginer sur un grand alpage à 4700 mètres au pied des géants de l'Himalaya, vraiment au cœur de ce massif qui m'a fait rêver toute mon enfance.
01:34Et donc forcément, on a eu une routine qui s'est installée.
01:36On était coupés de notre quotidien pendant tout ce temps-là et on vivait uniquement pour cette quête du Janu Est.
01:43Donc il y avait vraiment quelque chose de très vibratoire.
01:45Oui, le Janu Est, ce n'est que entre guillemets 7468 mètres.
01:50Vous avez déjà fait pire ou mieux, c'est selon les points de vue.
01:53Pourquoi c'était si difficile ?
01:55Il y a eu 13 cordées avant vous qui ont essayé de grimper, qui se sont cassées les dents.
02:01Oui, c'est un sommet qui est vraiment difficile.
02:02C'est comme une grande forteresse avec dans tous ses versants des difficultés à surmonter.
02:09Et particulièrement sur notre versant à nous, le versant nord, qui est une grande face de plus de 2300 mètres.
02:14Donc c'est immense, c'est comme si on mettait deux fois la face nord des Grandes Jorasses l'une après l'autre.
02:19Et c'est assez impressionnant quand on est au pied.
02:22Et en fait, les cordées précédentes, elles se sont toutes heurtées à ces difficultés.
02:25Elles n'ont pas réussi à les surmonter.
02:28Il y a eu aussi du mauvais temps.
02:29En fait, on est toujours dépendant de la météo, on est toujours dépendant des conditions de la montagne.
02:35Et donc c'est la montagne qui dicte aussi ces difficultés.
02:38Il peut y avoir des expéditions où on peut ne même pas sortir de notre tente tellement les éléments se déchaînent.
02:44C'est un peu comme traverser un océan avec ses propres moyens.
02:48Et parfois, ça ne marche pas.
02:50Donc il y a eu beaucoup, beaucoup de bâtons dans les roues.
02:54Et c'est ce qui fait que nous, on n'a pas aussi réussi une première fois.
02:58Vous aviez raté un premier essai.
03:00On a fait demi-tour, déjà à 6700 mètres.
03:03Et c'est un style particulier, celui avec lequel on grimpe.
03:07C'est le style alpin, on grimpe rapide et léger.
03:10On en porte tout avec nous.
03:11On n'a pas de corde fixe et à l'avance, on n'a pas d'assistance extérieure.
03:15Et on n'utilise pas d'oxygène.
03:19Et donc tout ça, en fait, ça rend l'ascension encore plus complexe qu'elle ne l'est déjà.
03:23Mais qu'est-ce qui a fait la différence pour vous par rapport aux 13 précédents ?
03:27Alors, je vais commencer par dire qu'il y a une question un petit peu de chance.
03:31Parce que comme je le disais, il y a aussi les météos, les conditions dans la face, etc.
03:36Mais aussi, à la fin, effectivement, il y a une préparation qui est minutieuse, qu'on a mis en place.
03:42On s'est servi aussi de tout ce qu'on a pu apprendre de notre tentative précédente
03:47pour améliorer notre façon d'aller dans le mur, notre manière de bouger
03:52et aussi préparer notre corps à l'avance.
03:56Et ça, en fait, on s'est entraîné vraiment très rigoureusement avec mes coachs,
04:01donc Léo Viret et Fabien Dupuis.
04:03Et voilà, on a essayé de mettre en place une stratégie qui nous a permis
04:06de pouvoir nous donner les moyens les plus importants
04:11pour pouvoir surmonter tout ça.
04:13Vous racontez votre émotion en arrivant en haut de ce Jeanne-Est.
04:18Vous avez fondu en larmes ?
04:20Moi, je n'ai pas l'habitude de fondre en larmes, mais c'est vrai que là-haut…
04:24On vous voit toujours souriant sur les photos, il faut le dire.
04:26Oui, souvent, je suis assez galvanisé, je suis très positif,
04:31et puis voilà, je souris au sommet.
04:34Là, pour le coup, c'est vrai qu'il y a une montée d'émotions,
04:37comme j'ai pu la voir d'ailleurs au cas d'eux il y a un an où vraiment,
04:40ce n'est pas contrôlé et ça extériorise en fait toute cette pression
04:46qu'on a pu se mettre, toute cette volonté d'arriver au sommet
04:49et ce long chemin vraiment laborieux qui a démarré très longtemps à l'avance.
04:55Et quand on dit même deux ans de préparation, au fond,
04:58on se prépare à ça depuis qu'on commence l'alpinisme.
05:01Moi, quand j'étais jeune, je rêvais de ça.
05:03C'était vraiment un truc qui me faisait vibrer et un graal que je visais.
05:08Et donc forcément, quand on arrive au sommet,
05:10moi, j'ai eu cette émotion de me regarder en arrière quand j'étais jeune
05:16et de me dire « ben voilà, j'ai parcouru pas mal de chemins depuis ».
05:20De joie, donc ?
05:21Eh ben oui, c'était de joie, évidemment.
05:22Non, si, c'est de joie et puis plus de joie effectivement qu'au cas d'eux
05:26où il y avait un mélange aussi de questions existentielles, etc.
05:31Là, c'était vraiment de joie, mais ouais, j'en ai encore un peu des frissons.
05:35C'est très particulier.
05:38Le cadeau, c'est ce sommet dont vous parlez dans un livre qui vient de paraître.
05:42Un très beau livre de photos dont on va parler un peu plus tard.
05:45Évidemment, il y a aussi des difficultés.
05:48Il y a eu aussi ce premier essai raté pour le Jeannuest.
05:50Les risques, les températures, moins 20 degrés, le mal des montagnes.
05:54On peut se demander quand même ce qui vous pousse à vous infliger ça.
05:57Et vous donnez quelques clés dans un autre livre, le livre « Solitude » qui vient de paraître également.
06:03Vous racontez vos difficultés avec votre image, vos troubles alimentaires, votre hypersensibilité.
06:07Vous écrivez « Je me suis enfui, je suis parti en voyage en montagne, je me suis sauvé ».
06:11Donc, c'est une fuite ?
06:13La montagne, c'est un refuge pour moi.
06:16Ça a toujours été un lieu dans lequel j'ai trouvé une forme de protection.
06:21aussi beaucoup de réponses à mes questions existentielles.
06:25Et je m'en pose encore beaucoup.
06:27Mais elle me construit, elle me façonne et elle m'aide à avancer tous les jours.
06:31Et c'est une vraie passion qui me tient debout.
06:33Quand j'ai un moment de moins bien, tout de suite, je me réfugie, entre guillemets, dans mes projets futurs.
06:38Et puis, ça m'excite, ça me donne la force d'avancer.
06:42Et c'est vraiment...
06:42Vous dites le mot « obsession » à un moment.
06:44Il y a une forme d'obsession, évidemment.
06:45Je suis vraiment conscient également que ma passion pour la montagne, elle dévore aussi parfois d'autres aspects de ma vie.
06:57Et c'est vrai que j'essaie de faire attention à ça, de trouver l'équilibre entre le vivre dans notre société, sur le plancher des vaches, comme vous avez dit.
07:07Et puis, en même temps, rêver, rêver haut et tenter de réaliser ces rêves qui demandent beaucoup de temps.
07:14Est-ce qu'il y a une forme d'addiction comme il peut y avoir la bigorexie, l'addiction au sport ?
07:20C'est évident parce qu'on est quand même shooté à l'adrénaline, à l'endorphine.
07:26Mais pour moi, c'est une belle addiction.
07:28C'est quelque chose...
07:29J'aurais pu me réfugier dans une autre addiction qui aurait pu être, d'après moi, beaucoup plus malsaine.
07:34Là, ça me fait réaliser des choses.
07:35Et en fait, en réalisant ces choses-là qui sont demandeuses de valeurs qui sont quand même fortes...
07:44Des disciplines ?
07:45Ouais, c'est ça. Il y a beaucoup de rigueur, de discipline.
07:48Il y a de la résilience parce qu'on a essayé une première fois sur le Jeannouette, par exemple, et ça n'a pas marché.
07:52Donc, il a fallu reconstruire tout un schéma de réalisation pour tenter d'y arriver.
07:57Donc, ouais, ça demande de gamberger.
08:00Moi, j'ai arrêté mes études assez tôt. J'ai fait le bac et puis ensuite, je n'ai pas réussi à trouver ma voie dans les études secondaires.
08:08La montagne m'a complètement happée.
08:11Vous dites même... En fait, j'étais un mauvais élève parce que je passais mon temps à regarder la montagne par la fenêtre.
08:15Ben, j'avais... Ouais, je rendais des feuilles blanches, clairement, au lycée de Dix.
08:18Et je regardais toujours cette montagne qui me fascinait et j'avais envie d'extérieur, j'avais envie d'avancer, j'avais envie de créer ma propre histoire.
08:28Et justement, en plus, dans la symbolique de Jeannouette, je trouve que c'est en plein dedans, on est en plein cœur de ça parce qu'on va vers quelque chose qui n'existait pas autrefois.
08:36Et on trace notre ligne, on met notre signature sur une montagne qui était autrefois vierge.
08:41Et en fait, c'est ça, moi, la base de toutes mes motivations.
08:44C'est avoir une feuille blanche, un schéma et puis peindre dessus comme un artiste.
08:49Et je me vois vraiment comme un artiste.
08:51Donc, on va dire qu'un chanteur, il a une addiction en écrivant des chansons.
08:56Un peintre en dessinant des peintures.
08:58Et bien, moi, c'est en gravissant des montagnes.
09:00Alors, il y a Thierry qui aimerait une précision sur votre ascension du Jeannouest.
09:04Ensuite, Benjamin avait-il prévu de redescendre en parapente comme pour le K2 ?
09:08Parce que sur le K2, vous êtes monté un peu plus lentement à pied.
09:11Vous êtes redescendu rapidement en parapente.
09:13Là, ce n'était pas le cas sur le Jeannouest.
09:15C'est vrai que le parapente, c'est une pratique qui est révolutionnaire aujourd'hui dans le monde de la montagne parce qu'on fait des voiles très légères.
09:21Et sur les projets comme le K2, par exemple, et sur ce Jeannouest, on a travaillé avec Jean-Baptiste Chandelier pour faire des voiles encore plus légères et performantes.
09:31On a fait, pour tout vous dire, et c'est la première fois qu'on le dit, un autre sommet Vier, juste avant le Jeannouest, presque trois semaines avant, qui s'appelle l'Anidesh Tchouli.
09:41Et de ce sommet-là, qui est à 6800 mètres, qui nous a servi d'acclimatation pour préparer le Jeannouest, on est descendu en parapente.
09:48Et ça, c'est une forme de combo, comme on dit en montagne, qui est incroyablement folle.
09:56Vous avez l'air extatique, vraiment. Il faut voir votre visage.
09:59On saute du sommet et puis en 20 minutes, on est au camp de base alors que ça nous a demandé tant d'efforts pour monter et que ça nous aurait demandé tant de temps pour descendre.
10:06Et du Jeannouest, on est sur un autre style d'ascension.
10:09Ça nous prend trois jours. Et donc, en fait, on est au gramme près.
10:13Notre sac ne peut pas contenir autant de volume que ce qu'on aimerait.
10:16Donc, on ne peut pas se permettre de prendre les voiles de parapente.
10:18D'autant plus que les prévisions météo, en fait, c'est extrêmement dur de les anticiper trois jours à l'avance.
10:23Donc, on a de grandes chances d'arriver au sommet et que le vent soit trop fort.
10:27Donc, on ne les a pas pris et ça nous a demandé un jour et demi pour redescendre.
10:31Une cinquantaine de rappels, une désescalade qui était très exigeante.
10:34Ça a été presque même le plus intense moment de tout le trip.
10:39Parce que quand on arrive au pied de la montagne, on est à 200 mètres du bas d'arriver en sécurité au pied.
10:47Et en fait, à ce moment-là, tous les problèmes se cumulent.
10:50On n'arrive pas à trouver des relais pour mettre notre corde parce que la neige est trop pulvérulente, parce qu'on n'a pas de glace, etc.
10:57Et donc, il y a à la fois, notre fatigue est exacerbée et en même temps, on est en plein milieu d'un labyrinthe.
11:08Et ça, c'est extrêmement dur. Mentalement, de tenir le coup dans ces moments-là, c'est vraiment dur.
11:12Et il faut voir la photo que vous avez mise dans ce livre K2, où on vous voit tout équipé avec votre casque, vos bouteilles, votre sac.
11:20Tout ça, il faut que vous puissiez le porter puisque vous n'avez pas d'assistance.
11:24C'est une école de la sobriété aussi.
11:26Complètement. En fait, dans un sac à dos, on essaye de faire le plus léger possible sans rien oublier.
11:37Et c'est paradoxal parce que du coup, quand on dit rien oublier, on a envie de tout prendre pour être confortable, pour être en sécurité, pour avoir des doublons de matériel, etc.
11:46Là, du coup, il faut faire des compromis. Et ça, c'est vrai que dans la vie, on s'y retrouve souvent, faire des compromis.
11:52Nous, on a à peu près 20 kilos de matériel pour le second qui porte le sac, ce qui est très, très lourd.
11:57Le premier a environ 6 à 8 kilos. Et on grimpe des longueurs qui sont verticales.
12:02Donc forcément, la pesanteur, elle joue contre nous.
12:04Et c'est là que du coup, on est content d'avoir enlevé chaque gramme.
12:07Mais on a l'impression qu'il est toujours trop lourd, le sac.
12:09Je voulais vous parler d'une autre photo qui est très, très marquante, je trouve, dans ce livre.
12:14Voilà, on voit votre main et puis on voit un corps qui est dans la neige.
12:17C'est à 8400 mètres, pardon, sur le K2.
12:22En fait, vous croisez le corps d'un Islandais, d'un alpiniste, John Snorri, mort pendant l'hiver 2021,
12:28qui est toujours là, qui est toujours posé sur la montagne.
12:32Et puis pour vous, c'est une forme de repère, en fait, un point de repère.
12:35Ce rapport à la mort, il est quand même impressionnant.
12:39C'est comme si elle vous était familière, en quelque sorte.
12:44Oui, ça, c'était un corps, effectivement, qui était un repère spatial assez important pour moi.
12:49Parce qu'en 2022, j'avais eu un blackout complet.
12:52J'étais vraiment tombé dans une forme d'inconscience.
12:54Sur le K2.
12:55Sur le K2.
12:56Et je me souvenais, en fait, d'avoir vu ce corps-là, d'avoir dépassé ce corps-là.
12:59Et donc, ça me permettait de savoir à peu près jusqu'où j'étais monté.
13:03Parce que, en fait, j'ai eu un trouble de la mémoire.
13:05Et je ne me souviens plus du tout de ce blackout.
13:07Et en 2024, du coup, je le retrouve.
13:09Donc, pour moi, c'est une forme de...
13:10Je boucle la boucle.
13:11Et enfin, je réponds à cette question de où j'étais allé, jusqu'où j'étais parvenu.
13:15Mais ça veut dire que la mort, elle est là.
13:17Et vous le dites d'ailleurs dans votre livre Solitude.
13:19Vous dites, je ne cesserai jamais d'aller en montagne.
13:21Peut-être jusqu'à ce qu'elle me prenne éternellement.
13:24Ça ne vous fait pas peur ?
13:26En fait, on a l'habitude dans notre société de vivre dans un monde de plus en plus aseptisé.
13:31Et c'est vrai que l'alpinisme, ça va un petit peu à l'encontre de tout ça.
13:35On est presque antisocial d'une certaine manière.
13:39Moi, j'ai toujours éprouvé beaucoup de fascination, effectivement,
13:43pour cette énergie qu'on peut avoir, même que j'ai moi.
13:46J'essaie d'extérioriser ma pensée, puis de voir à quel point je suis capable d'aller loin
13:50et de m'affranchir de cette peur-là, d'une certaine manière.
13:55Alors, je ne m'en affranchis pas totalement.
13:56J'ai peur de mourir, effectivement.
13:58J'ai envie de revenir vivant.
13:59On fait en sorte...
14:00Vous êtes quand même prudent.
14:01On est extrêmement prudent.
14:03On a reporté plusieurs fois notre ascension.
14:05On a une grille d'évaluation des risques qui est quand même assez planifiée à l'avance,
14:09assez structurée.
14:10De plus en plus mature, je suis.
14:14De plus en plus, j'essaie de prendre mes précautions,
14:16parce que je vois mes amis disparaître, parce que je me vois grandir.
14:19Je vois aussi la coupe de mon égo un petit peu se remplir.
14:25Et donc, du coup, je sens que...
14:27Végitimement.
14:28Oui, du moins, en tout cas, ça me permet de comprendre à la fois la valeur de mes ascensions
14:32de plus en plus, parce que je me rends compte que c'est rare dans une vie de faire ça.
14:37Et à la fois que peut-être un jour, j'arrêterai.
14:38Et donc, j'ai envie d'arriver à ce stade-là vivant, parce que je ne pourrais pas le faire
14:42autrement.
14:43Et j'ai à cœur de faire bien les choses.
14:45Mais par contre, c'est vrai que d'une part, je suis très habitué à ça.
14:49J'ai beaucoup d'amis qui sont décédés.
14:51Et notamment sur cette phase du Jeanne-Uest, il y a eu ce pauvre Mike Gardner qui nous a
14:56quittés l'année dernière.
14:57Donc, on est tous les jours face à ça.
15:01Et c'est quelque chose qui ne m'empêche pas, effectivement, d'avancer.
15:04J'ai peur, mais je n'ai pas peur de vivre de ma passion qui inclut ce risque-là.
15:11Vous avez un rapport très, très intime à La Montagne.
15:14C'est ce que raconte aussi votre livre Solitude.
15:17Et c'est presque paradoxal, parce qu'en même temps, vous êtes très présent sur les réseaux
15:20sociaux, en photo.
15:21Vous avez un film qui va sortir bientôt.
15:23Vous étiez accompagné sur le Jeanne-Uest par un caméraman.
15:27C'est paradoxal, non ?
15:30C'est complètement paradoxal.
15:32Mais je crois que c'est commun à beaucoup d'artistes.
15:34Pour avoir vu quelques films ici ou là, de grands chanteurs notamment, il y a presque
15:40une plus grande facilité, et c'est le cas pour moi, par exemple, de venir sur ce plateau,
15:45de parler devant une audience de 5000 personnes ou de 3500 au Grand Rex à Paris, plutôt que
15:52de rentrer dans un bar, dans une salle intime où je connais pas mal de gens, parce que
15:58oui, je vais peut-être avoir plus peur de leur regard.
16:03Et c'était le cas au lycée, pareil.
16:05J'avais peur de rentrer dans cette cour d'école où tout le monde était là, où je
16:10me sentais pas forcément à ma place.
16:12Mais parce qu'aussi, quand je suis en représentation, j'ai un costume, entre guillemets, c'est plus
16:19facile aussi.
16:20Et un sourire.
16:21Ouais, un sourire aussi, mais parce que personne ne me demande en retour autre que raconter
16:26ce que j'ai fait, etc.
16:27Et je sais comment le faire.
16:28Et c'est quelque chose à travers duquel je me suis construit professionnellement et
16:32qui me plaît beaucoup.
16:34J'adore en fait partager, j'adore.
16:36C'est une version de moi, mais c'est pas la seule.
16:40Gilles est au Standard de France Inter.
16:42Gilles, bonjour.
16:43Oui, bonjour.
16:44Vous avez une question pour Benjamin Védrine ?
16:47Déjà, chapeau l'artiste, pour un alpiniste amateur que je suis, c'est exceptionnel.
16:55Merci.
16:56Moi, Benjamin Védrine a un petit peu déjà répondu.
17:00Ça concernait un petit peu la philosophie de l'alpinisme et puis l'alpinisme et ses travers
17:06d'aujourd'hui.
17:08Comment il le vit véritablement ? La course un peu à l'exploit sur le Mont Blanc, à
17:14qui il fera l'ascension le plus vite ? Et puis j'ai une autre question, un autre
17:20commentaire, c'est est-ce qu'il peut un petit peu nous parler de son camarade de Cordée ?
17:25Parce que s'il est allé là-haut, il n'était pas tout seul.
17:29Donc, je crois que c'est important aussi.
17:31Merci pour votre appel, Gilles.
17:33Benjamin Védrine ?
17:34Je suis quelqu'un de très versatile.
17:37J'aime la polyvalence, autant que la montagne est variée.
17:41Donc, je trouve qu'on peut trouver son bonheur dans bien des domaines, aussi bien en essayant
17:46de gravir le Mont Blanc le plus vite possible en aller-retour depuis Chamonix, qu'en essayant
17:50de gravir le K2 par une voie normale avec des cordes fixes le plus rapidement possible,
17:54qu'en explorant des contrées de notre planète qui ne l'ont pas encore été.
18:00Moi, j'ai cette ouverture d'esprit où je suis élitiste dans ma pratique, mais par
18:07contre, j'ai aussi une ouverture sur la manière dont vont pratiquer la montagne les
18:12autres personnes.
18:14Et si on veut parler du style himalayen sur les 8000, entre autres, moi, c'est quelque
18:17chose qui ne me dérange pas en soi, qu'il y ait des gens qui veulent gravir des 8000 dans
18:22des conditions de sécurité plus importantes et puis avec une facilité plus accessible,
18:28comme sur l'Everest, par exemple.
18:29C'est quelque chose qui ne me dérange pas parce que j'ai tout un terrain de jeu à ma
18:34disposition.
18:34Alors justement, il y a une question de Paul sur l'application France Inter et qui est
18:38un peu dans cet ordre d'idées.
18:40Alors qu'il a permis la large publicité des ascensions en Himalaya, quel regard vous
18:44portez sur Inox Tag et son film Kaizen ?
18:46Qui a effectivement popularisé cette envie pour les gens de monter des sommets alors
18:50qu'ils n'y sont pas forcément préparés.
18:52D'abord, je trouve que sa préparation, elle était…
18:54La sienne, oui.
18:55Oui, sa préparation, en fait, j'ai aimé sa préparation parce que justement, on y a
18:59trouvé quelque chose d'abouti.
19:00On y a trouvé quelque chose qui tranchait souvent avec ce qu'on voit dans le milieu,
19:04à savoir des gens qui arrivent au camp de base de l'Everest et qui n'ont jamais
19:07mis de crampons.
19:08Ça arrive, au même titre que ça peut arriver sur le Mont-Blanc notamment.
19:12Et donc lui, il a fait un chemin tout différent, accompagné par mon copain Mathis Dumas qui
19:18est guidote montagne et grand alpiniste.
19:20Donc il a su l'accompagner pour lui donner toutes les clés.
19:25Donc moi, je trouve qu'il y a déjà cette persévérance, cette détermination et puis
19:27cette préparation que je trouve vraiment exemplaire.
19:31Et ensuite, le fait de partir de là où il était pour arriver au sommet de l'Everest
19:37par une voie qui n'est certes pas la même que la nôtre, mais en tout cas, proportionnellement
19:41à ce qu'il était capable de faire, c'était déjà quand même quelque chose de difficile.
19:44Il l'a bien montré, je pense, dans son documentaire.
19:47Non, moi, tant que les gens éprouvent du plaisir à grimper les montagnes, je ne vais
19:53pas du tout les juger.
19:55Tant qu'ils respectent la montagne aussi et qu'ils respectent les autres usagers de la
19:58montagne, je pense qu'on peut vivre tous ensemble, sans se tirer des balles, parce
20:03que ça serait vraiment contre-productif.
20:05Et justement, à propos de respect de la montagne, depuis les années 2000, des milliers
20:08de glaciers ont disparu avec le réchauffement climatique.
20:11On voit dans votre livre aussi les déchets que peuvent laisser derrière eux certains
20:15alpinistes, y compris leur tente ou des choses comme ça.
20:18En l'occurrence, là, c'est le réchauffement.
20:2080% du volume des glaciers de l'Himalaya pourrait disparaître d'ici la fin du siècle.
20:25Vous êtes aux premières loges, vous, pour le voir.
20:27Ben oui, nous, par exemple, au camp de base à 4700 mètres, on est sur un plateau
20:32herbeux et juste à côté de nous, en fait, il y a une immense moraine qui correspond
20:36en fait à ce qu'a laissé le glacier comme trace.
20:39Et du coup, il a fondu énormément, presque de 150 mètres.
20:42Et donc, on a une sorte de fossé et on voit, c'est flagrant comme on peut le voir
20:47dans les Alpes, mais presque encore plus parce que l'échelle est tellement immense.
20:51Je veux dire, les glaciers sont longs et du coup, on voit cette moraine qui se prolonge
20:54sur des kilomètres et des kilomètres. Et puis oui, on a effectivement, typiquement
20:59pour notre voie, on a un départ qui est à 5200 mètres.
21:03Et en fait, maintenant, avec le réchauffement climatique, on a de plus en plus de pluie,
21:07notamment pendant la mousson qui se produit entre juillet et août, qui du coup amène
21:13de la pluie jusqu'à 6000 mètres. Et ça nous pose problème parce que du coup, on a besoin
21:18de plaquage de neige, de glace, etc. Et il fait trop chaud. Et donc, quand on est arrivé
21:22au pied de la montagne, on a vu les conditions et on s'est dit mais là, on ne passera pas.
21:27Ce n'est pas possible. Et c'était révélateur de ce qu'on vit maintenant. Et peut-être que
21:32dans 20 ans, cette voie, elle ne sera même plus possible. On n'arrivera pas à la grimper
21:36parce que le bas ne sera pas formé.
21:38Alors, je le disais, vous enchaînez les performances jusqu'où vous savez comment ne pas aller trop
21:44loin. Parce que vous confiez dans votre beau livre de photos K2, parfois, le poids de la
21:50montagne m'écrase.
21:52Oui, parfois, la passion, en fait, elle perd le dessus et on se retrouve tout petit face
21:59à nos projets ambitieux. Et c'est ce qui m'est arrivé notamment dans ma tente, au pied
22:04du K2. C'est ce qui arrive parfois quand j'étais aussi au camp de base du Jeanne-Uest
22:09où tout d'un coup, en fait, on a presque envie de fuir nos projets parce que c'est
22:14trop, trop, c'est trop tout court avec un grand T. Et on est tout timide, on est tout
22:21timide face à un projet qui demande beaucoup de courage. Et c'est vrai que parfois, c'est
22:27dur d'assumer ses propres projets. Je pense que ça arrive à certains qui vont faire
22:31les Jeux Olympiques ou qui se mettent aussi peut-être des gens qui vont faire, je ne
22:35sais pas, l'ultra travail du Mont-Plan, etc. Où tout à coup, ils se rendent compte
22:39ce dans quoi ils vont se lancer. Et nous, c'est encore plus fort parce que l'enjeu,
22:43ce n'est pas celui de s'arrêter, d'abandonner, de perdre. C'est celui, clairement, de perdre
22:49la vie potentiellement. Si on n'est pas assez concentré, là, dans cette phase-là,
22:52il y a plein de moments où si on a une inattention, on peut glisser.
22:57Mais malgré tout, vous en avez beaucoup des projets. Vous avez cette actualité très
23:01riche. Ces deux livres dont je donne le nom, K2 et Solitude, qui sont parus aux éditions
23:05Guérin. Un film, je le disais, qui sort en novembre. Et puis alors, peut-être un nouveau
23:09projet d'ascension bientôt. Vous avez donné des indices un peu à gauche à droite.
23:15Alpinisme, exotisme. Vous, en un mot, vous pouvez nous en donner un autre ?
23:19Oui, on est des gens, les alpinistes, qui aimont parfois garder les projets un peu secrets.
23:23Jusqu'à maintenant, c'est vrai que j'aimais partager beaucoup, et je le fais toujours,
23:27mais il y a certains projets de vie qui sont importants et sur lesquels je pense qu'il
23:31faut garder une certaine part de confidentialité, d'intimité. Mais ça ne sera tardé. J'ai
23:39quelques mois encore à Cerchevalier, à mon camp de base. Je vais me reposer, me préparer,
23:45et puis après je repars. En tout cas, oui, la flamme est toujours là.
23:47On a hâte de savoir. Merci beaucoup, Benjamin Védrine, d'être venu nous voir ce matin.
23:52Merci à vous.
23:52Merci aux auditeurs qui étaient nombreux aussi à vouloir vous poser des questions.
23:56Et à bientôt, j'espère.
23:57Merci de parler d'alpinisme, en tout cas.
23:58À bientôt.
23:59Au revoir.
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