Prune Missoffe et Adrien Berthel, militants à bord de la Global Summud Flotilla, font partie des activistes interceptés par la marine israélienne alors que leurs bateaux se trouvaient dans les eaux internationales en direction de Gaza, le 1er octobre 2025. Pour "le Nouvel Obs", ils racontent l'interception lourdement armée de leurs navires, les heures d'attentes qui ont suivi et leurs conditions de détention dégradantes, mais surtout, les multiples humiliations et violences que les membres de ce convoi humanitaire ont subies.
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00:00Greta Thunberg, ils l'ont pris, ils l'ont tiré par les cheveux, ils l'ont violenté.
00:03Garde surarmée, fusil pointé sur nous.
00:06Là, je suis habillé dans mes habits de prison.
00:08À nous hurler dessus qu'on est des terroristes, qu'on soutient des terroristes qui tuent tous les bébés juifs.
00:12Voici le QG du Hamas.
00:14Je suis dans une dystopie, c'est pas réel ce que je suis en train de vivre.
00:17Les Flottis, c'est une initiative citoyenne de plus de 50 pays
00:20qui ont décidé d'acheter ensemble des bateaux pour arriver à Gaza
00:24et livrer une aide humanitaire et médicale.
00:28Mais Israël impose un blocage.
00:30Et donc le but de cette flottis, c'est de briser ce blocage.
00:33L'interpellation, elle s'est passée en pleine nuit.
00:35On a détecté 20 bateaux au radar et on a lancé d'ici un moment.
00:38Plusieurs soldats israéliens nous ont abordés avec leur fusil d'assaut.
00:43Ils nous ont tout de suite interpellés, menottés, fouillés.
00:47Ça a duré à peu près 24 heures dans les bateaux confinés.
00:50Ce qui était vraiment fort, c'est à quel point dans les regards j'ai eu de la haine.
00:53Je me souviens d'un soldat, le premier, je pense qu'on a tous les deux été surpris de se voir.
00:58Parce qu'ils attendaient vraiment des terroristes et puis il a vu des civils.
01:01Et puis il m'a posé une question plus tard sur le bateau.
01:04Il m'a fait, Adrien, t'es payé combien pour faire ça ?
01:08Et je lui ai dit, mais écoute, je ne suis pas payé.
01:11Je ne sacrifie pas l'argent pour cette situation.
01:13C'est tout le contraire, je fais pour mon humanité, pour arrêter le génocide.
01:16Et en fait, je pense qu'il y a eu un petit bug à ce moment-là chez lui.
01:20Mais c'est le seul que j'ai vu ça.
01:21Parce que les autres, moi ce qui m'a effrayé, c'est qu'ils ont complètement perdu leur capacité de discernement.
01:27On a vu des influenceurs israéliens monter sur nos bateaux lors de l'interception.
01:30Ils se sont filmés avec leur téléphone en disant, voici le QG du Hamas.
01:34Et en mettant des armes des soldats israéliens derrière eux pour monter cette propagande,
01:40pour nous accuser de terroristes alors qu'on est simplement des humanitaires.
01:44Et on les a aussi vus mettre de la drogue dans nos sacs pour qu'ils puissent après nous accuser d'amener de la drogue et des armes.
01:51Nous, notre bateau, on a été un des premiers à être arrêtés arbitrairement par l'armée israélienne.
01:57Quand on arrive au port, là on sort.
01:59Moi, je me suis fait tout de suite prendre la tête par des soldats baissés vers le sol de manière assez brusque.
02:04On nous a demandé d'être à genoux, les bras contre le sol, donc toute cette partie-là, tête à quelques centimètres du sol et sur un béton brûlant.
02:13Il était 13 heures, il faisait hyper chaud.
02:16Dès que les personnes commençaient à bouger, on entendait les soldats qui criaient, don't move, don't move.
02:21On ne savait pas s'ils s'adressaient à nous.
02:23Moi, je pense que c'est le moment où j'ai eu vraiment peur.
02:25Donc là, on est fouillés, ils jettent nos kéfiers.
02:27Ils nous ont tous attachés, les mains dans le dos.
02:29On était à 500, assis comme ça, par terre, au port en Israël.
02:32Je pense que ça a duré à peu près 6 à 7 heures.
02:34Ils avaient vraiment Greta Attenberg dans la ligne de mire.
02:37Ils l'ont pris, ils l'ont tiré par les cheveux, ils l'ont violenté.
02:39Moi, ce qui m'a vraiment choqué, au-delà des violences, c'est le plaisir qu'ils prenaient à humilier.
02:45Et donc, ils lui ont écrit « sale p*** », ils l'ont posé devant un drapeau israélien et ils ont fait des vidéos de ça.
02:51Donc, il y a eu vraiment toute une mise en scène, encore une fois, c'est des pros de la propagande.
02:54Ils nous demandent à plusieurs reprises de signer un papier selon lequel on serait rentré illégalement sur le territoire israélien.
03:00Une fois qu'ils comprennent qu'on ne signe pas, « welcome to Israel », « welcome to prison ».
03:05Et là, ils commencent à être un peu plus brutaux, c'est-à-dire qu'ils prennent les chaussures, ils découpent vos chaussures, ils vous balancent les chaussures à la gueule.
03:13Moi, ils m'ont arraché mon élastique.
03:14Et là, on est jetés dans une sorte de fourgon pénitentiaire qui ressemble à une cage où il fait une chaleur étouffante.
03:21Et puis, au bout de, je ne sais pas, peut-être une heure, deux heures, ils mettent la clim à fond.
03:26Pour arriver ensuite dans les centres de détention en plein désert, cinq jours à peu près de détention.
03:31On arrive en prison la première nuit, on a été deux cellules à recevoir la visite de Ben Gévir.
03:373-4 heures du matin, des boucliers qui tapent contre la porte, donc on nous réveille de manière très brutale.
03:43On est sommés avec des gardes surarmés, fusils pointés sur nous, ils nous asseurent au fond de la cellule.
03:49Et ils entrent à 10 avec des caméras à nous hurler dessus qu'on est des terroristes, qu'on soutient des terroristes qui tuent tous les bébés juifs,
03:55que tous les palestiniens et palestiniennes sont des terroristes.
03:58Il y a des personnes qui avaient des besoins de médicaments importants et tout a été confisqué à l'arrivée.
04:02Là, je suis habillée dans mes habits de prison, donc on avait juste un t-shirt, un pantalon et une paire de sandales, comme ça.
04:09Donc on était tous en claquettes.
04:11Moi, j'étais dans une cellule où on était dix femmes, cinq lits.
04:14On dormait pour la plupart sur des très fins matelas au sol, par terre, dans la poussière.
04:18On avait des toilettes qui étaient immondes, pas accès aux douches.
04:22C'était extrêmement compliqué d'avoir accès à des médicaments et à des médecins.
04:25On devait tambouriner aux portes, hurler pendant des heures et des heures.
04:29Pareil, pour avoir accès à du papier toilette, à des protections hygiéniques.
04:32C'est une accumulation d'humiliation.
04:34On était en surpopulation, il y a des gens qui l'emmènent par terre.
04:37Ils arrivaient souvent dans le milieu de la nuit avec leurs flingues et des fois des chiens,
04:40pour nous changer de cellule, sans communiquer ce qu'ils allaient faire de nous.
04:43Ils nous prenaient comme ça, des fois, et juste ils nous traînaient dans une autre cellule.
04:46On avait du coup, les seuls effets personnels qu'on avait, c'était une couverture, une brosse à dents.
04:50On les avait oubliés.
04:52On se retrouvait à dormir par terre, ailleurs.
04:55Des insultes, de l'humiliation, certains coups.
04:59Ce que j'ai trouvé très violent aussi psychologiquement, c'est la succession d'ordres contradictoires.
05:03Vous avez des gardes qui vous claquent des doigts comme ça pour vous indiquer où il faut aller,
05:08qui vous hurlent une seconde, stop, go, here, not here.
05:12Et donc vous êtes trimbalés en permanence, comme des sous-humains.
05:14Sinon, on avait simplement une vue sur la cour, je pense qu'il était la cour de promenade,
05:21recouverte par des filets, et une vue sur un grand drapeau israélien,
05:27avec dessous une photo de Gaza bombardée, intitulée Nouvelle Gaza.
05:32Quand j'ai vu ce drapeau israélien avec la photo,
05:35je pense que c'est un des moments où je me suis dit que je suis dans une dystopie.
05:38Ce n'est pas réel ce que je suis en train de vivre.
05:40C'est-à-dire qu'on avait beau m'avoir raconté des choses, j'avais beau avoir lu des témoignages de prisonniers palestiniens,
05:48je crois qu'avant de le voir, et encore on a perçu un tout petit peu de ce qu'ils peuvent vivre, je ne réalisais pas.
05:57On a été tout le temps attachés, forts avec les ZIP, poussés, bousculés, menacés, humiliés.
06:03Et encore une fois, ce n'est rien comparé à ce que les Palestiniens peuvent vivre là-bas,
06:07quand on n'a eu juste même pas un avant-goût.
06:08Ce qui a été aussi central pour nous, c'était de savoir qu'il y avait des prisonniers et prisonnières palestiniens, palestiniennes
06:13qui n'étaient pas dans nos quartiers, qu'on ne voyait pas,
06:16mais qui vivaient des choses dans une ampleur, dans une longueur et dans une brutalité bien plus importante que la nôtre.
06:21Nous, on est montés sur des bateaux pour essayer d'ouvrir un corridor humanitaire pour éviter qu'un peuple disparaisse.
06:26Je veux dire, on arrive à 500 dans 50 bateaux avec 50 pays différents,
06:29avec le seul message d'arrêter les génocides, d'arrêter de tuer des enfants,
06:33et s'il vous plaît, donner de la nourriture à ceux qui meurent de faim.
06:36À peu près, ça c'est le message. On arrive de manière non-violente.
06:38Ils ne se remettent même pas en question de se dire « mais attends, peut-être qu'on fait une connerie là ».
06:42Ils se disent tout de suite « c'est tous des terroristes, ils sont tous là pour tuer les Juifs,
06:46il faut qu'on les arrête et il faut qu'on les punisse ».
06:49Une fois qu'on est passé par les prisons israéliennes et qu'on voit la manière dont ça se passe,
06:53on ne peut qu'être encore plus certain de l'utilité de telles actions.
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