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  • il y a 2 jours
Transcription
00:00Je suis seulement en train de découvrir une étendue immense de crimes
00:05qui ont duré des dizaines d'années.
00:07Et de l'autre côté, il y a mes avocats et avocates qui sont dans un temps de la procédure judiciaire
00:13et qui disent « mais si vous ne parlez pas maintenant, demain ce sera trop tard ».
00:16Et il y a un mot que vous n'arrivez pas à dire.
00:19Vous n'arrivez pas à prononcer le mot « viol » pour vous.
00:22Je me souviens, du fond de la cantine, depuis la table de direction,
00:26Olivier me regarde, me fait venir.
00:30Et me serre contre lui.
00:37Vingt ans plus tard, je porte plainte contre Olivier de Citivaud.
00:41Je raconte les attouchements chez lui et au cathé.
00:45Les couloirs où il me coinçait à la colo.
00:49Il est mis en examen.
00:51Puis en prison.
00:53Je pose une question cruciale qui est celle de l'amnésie traumatique.
00:57Et que beaucoup de victimes osent peu parler de manière publique.
01:05Et moi, j'ai la chance, d'une certaine manière, un peu étrange,
01:08que l'accusé ait fait des aveux entiers, circonstanciés, détaillés,
01:14qu'il a été condamné, qu'il ne fait pas appel.
01:16C'était une problématique que moi, j'ai traversée de manière vraiment à plate couture.
01:23Mais donc, j'avais peur.
01:25Parce que déjà qu'on nous remet en question dans nos témoignages, tout le temps, les victimes.
01:30Alors en plus, quand il y a cette problématique-là, c'est la honte totale.
01:34C'est-à-dire que les oreilles se ferment partout.
01:36Et donc moi, c'est une problématique qui me brûlait, vraiment.
01:39Les mains, en me disant, je ne peux pas parler d'amnésie traumatique
01:42parce qu'on va me renvoyer, j'exagère, j'invente, ou des choses comme ça.
01:48Et donc forcément, il y a ce changement, moi que je dirais même ontologique,
01:52existentiel, qui s'est passé pendant le procès.
01:54C'est-à-dire qu'effectivement, ce dont mon corps se souvenait était vrai.
01:58Et ça a été corroboré de manière très détaillée par l'accusé.
02:03Et j'ai dit quelque chose pendant le procès.
02:05J'ai dit cette phrase, peut-être un peu kitsch, mais j'ai dit,
02:08ce qui est horrible, c'est que c'est comme si toutes nos vies étaient dans un tiroir
02:12et la seule personne qui a la clé, c'est lui.
02:17Et là, pour la première fois dans le procès, il a dit, je suis prêt à ouvrir le tiroir.
02:21À ce moment-là de ma vie, mais toute mon enfance, toute mon adolescence sont genre un nuage.
02:28Tout est flou, les visages ressortent à peine, mon corps encore moins.
02:34Et tout mon travail pendant ces six années d'enquête, ça a été de reconnecter avec ce qui s'est passé.
02:41Juste me voir, en fait, juste m'appréhender, a été mais crucial.
02:46J'ai trié peut-être vraiment des dizaines de milliers de photos,
02:51parce qu'elles étaient toutes en bazar dans un grenier.
02:53Je cherchais des choses concrètes.
02:54C'était vraiment, est-ce qu'il m'a fait ma première communion ? Est-ce qu'il m'a emmené à tel week-end ?
02:58Est-ce que non, non, non, non ?
02:59Et en même temps, j'avais besoin de, tout simplement, de comprendre qui était ce Jérôme.
03:04Olivier a été vicaire de Saint-Paterne, donc ce n'était pas choquant que tu ailles le voir pour préparer une messe pour je ne sais pas quoi.
03:11Mais là, je te demande quelque chose juste de factuel, pas juste.
03:14Est-ce que tu te souviens de moi allant chez lui ? Combien de fois ?
03:18Je ne te demande pas de te justifier, je te demande juste de savoir,
03:20est-ce que tu te souviens si ça arrivait plusieurs fois, une fois, à quel âge ?
03:25Parce que si, imaginons, si c'est pendant que j'étais enfant de cœur, ça veut dire que j'étais petit, papa.
03:29Enfant de cœur, j'ai arrêté les enfants de cœur vers...
03:31Oui.
03:32Voilà.
03:32C'est-à-dire que moi, je suis encore à un moment où je me rends compte des choses,
03:44où j'ai besoin de mettre des dates très précises sur à la fois les événements,
03:50les aveux éventuels, les retours sur aveux éventuels.
03:53Et donc, je suis seulement en train de découvrir une étendue immense, en fait, de crimes
04:00qui ont duré des dizaines d'années.
04:03Et de l'autre côté, il y a mes avocats et avocates qui sont dans un temps de la procédure judiciaire
04:08et qui disent, mais si vous ne parlez pas maintenant, et bien demain, ce sera trop tard.
04:12Donc là, c'est bien, M. Clément Ville, c'est bien de faire ses recherches,
04:16mais il y a un moment, c'est oui ou c'est non.
04:18Et il y a un mot que vous n'arrivez pas à dire.
04:20Vous n'arrivez pas à prononcer le mot viol pour vous.
04:23Et effectivement, c'est comme si j'avais peur de mon nom,
04:28c'est comme si j'avais peur de ce mot-là.
04:29C'est comme si moi-même, j'étais dans le déni de ce qui m'était arrivé.
04:33Et en fait, ce que j'ai découvert pendant ces six ans de procédure que j'ai filmé,
04:36c'est qu'en fait, les avocats et les avocates ont un rôle essentiel.
04:39Ce rôle, c'est de mettre des limites, de dire en fait, il y a une procédure.
04:43Cette procédure, elle a un certain rythme et elle utilise certains mots.
04:47Ce mot-là, si vous ne le dites pas aujourd'hui, demain, il sera trop tard.
04:50Une affaire judiciaire, c'est complexe, c'est précis.
04:53Et si en plus, je rajoute, là, je suis en train de voir si je vais faire requalifier les faits, tu vois.
04:59Et tu vois dans quel état tu es, déjà ?
05:01Parce que tu risques d'augmenter la gravité de ton cas sans le savoir,
05:06juste gratuitement, pour faire davantage de voix à tes paroles.
05:09Ce risque-là, même pour toi, que tu ne sois pas complètement sincère.
05:14De quoi ? Que je ne sois pas sincère ?
05:15Mais non, mais là, en l'occurrence...
05:17Je ne sais pas, je te pose la question.
05:19Non, mais maman, comment tu peux penser ça ?
05:21Pardon ?
05:24Comment tu peux penser ça ?
05:26Non, non, je ne sais pas.
05:29Elle t'en aille le rêve ou quoi ?
05:30Elle a dit que j'étais en train de bidonner ?
05:32Ce que j'essaie de raconter dans le film, c'est que le passé peut soigner le présent.
05:39C'est-à-dire qu'à partir du moment où on est clair sur ce qui s'est passé,
05:43on est capable de mettre des mots, on est capable de le dire, là, on peut avancer.
05:47La conquétination du passé et du présent par le biais du montage, ça raconte ça, en fait.
05:54Ça raconte que moi, j'ai été capable de me réconcilier avec ce petit Jérôme
05:58qui s'est fait quand même éclater la gueule pendant 8 ans de sa vie.
06:02J'ai été capable de me réconcilier aussi avec les relations qu'il pouvait avoir avec ses parents,
06:07avec ses frères et soeurs qu'on voit dans ses VHS.
06:09Et ce film, il opère ce pendule de regarder en face ce passé, de le sentir.
06:14On entend des voix, on voit ce petit gamin et de voir comment ça peut avoir des échos dans le présent.
06:20Et d'une certaine manière, il y a un changement un peu générationnel.
06:22J'ai l'impression que les générations du dessus ont plutôt tendance à dire
06:26non, mais c'est bon, c'est le passé, arrête de ressasser le passé.
06:30Le passé est passé, il faut le dépasser.
06:32Là où l'argument, il ne tient pas, c'est que nous, le passé, il nous revient.
06:35Et on n'y peut rien.
06:37Et quoi qu'il arrive, il va nous éclater la gueule jour après jour.
06:42Les images nous reviennent, les odeurs nous reviennent, les sensations nous reviennent,
06:45les fragilités, les peurs, les angoisses.
06:49Donc ce n'est pas comme si on pouvait avancer comme ça, comme si de rien n'était.
06:53Les autres, ils peuvent avancer comme si de rien n'était, mais nous, non.
06:56Je trouve que l'acte de montage qui est d'insérer ces morceaux de passé dans le présent du film,
07:05il raconte ça.
07:07Il raconte, bah ouais, en fait, il faut regarder.
07:09Et c'est seulement si on regarde qu'on va pouvoir avancer.
07:15Malheureusement, les personnes autour de nous, ça les arrange bien, en fait, qu'on n'en parle pas.
07:20Parce que c'est sortir du confort, en fait, c'est sortir de la léthargie.
07:27On dit libérer la parole, mais je pense, moi j'ai envie de répondre, bah, surtout écouter.
07:33Parce qu'en fait, les victimes, elles parlent depuis toujours.
07:36Elles parlent depuis toujours, elles parlaient déjà dans les années 60, en fait.
07:38C'est juste qu'on leur disait ferme ta gueule.
07:43Écoute.
07:44Alors, peut-être dans des termes...
07:49J'ai souvenir, mais de rien.
07:52On a ou alors, on n'a pas voulu entendre.
07:55C'est possible aussi.
07:57On a sûrement été en dessous de tout à ce moment-là.
07:59Moi, j'ai complètement fautive à cet égard.
08:01Mais ça n'a pas été une volonté de cacher, si tu veux.
08:07Bon, merci, maman.
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