Karine Silla : L'Heure des Livres (Émission du 17/09/2025)

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Anne Fulda reçoit Karine Silla pour son livre «Vingt ans» dans #HDLivres

Transcript

00:00Bienvenue à l'heure des livres, Karine Silla.

00:03Alors on vous connaît, on vous connaît comme comédienne, comme réalisatrice,

00:07vous écrivez aussi depuis quelque temps déjà, là vous publiez votre cinquième roman,

00:12un livre qui s'appelle 20 ans, qui est paru aux éditions de l'Observatoire,

00:17un livre qu'on ne lâche pas, qui est bien construit, bien écrit,

00:21qui évoque finalement à partir d'un fait divers dramatique,

00:26tout ce qui a lieu autour des hasards qui font qu'une vie peut basculer, ou pas d'ailleurs.

00:35Alors vous nous entraînez sur les traces de Jeanne, qui est une jeune étudiante,

00:39qui abandonne tout par amour, un schéma assez classique pour Tristan,

00:44sauf que là, elle est entraînée dans une spirale assez dramatique,

00:49elle se retrouve dans la rue, et puis il se retrouve pris dans un cambriolage,

00:56qui est un braquage, qui tourne mal, celui d'une star dans un hôtel de luxe,

01:02ça se termine mal, il y a des morts, trois morts,

01:06et Jeanne survit, et c'est elle qui se retrouve accusée d'un triple homicide.

01:12Alors en lisant ce livre, cette histoire, on se demande,

01:18on a l'impression qu'il y a des résonances avec la réalité,

01:20est-ce que vous êtes inspirée de faits divers réels,

01:24ou vous avez fait avec la vérité à votre façon ?

01:28En fait, comme c'est un roman, je voulais être vraiment très précise.

01:33Bien évidemment, je suis inspirée par un fait divers,

01:36mais qui m'a énormément impactée à l'époque,

01:40et il se trouve après que je suis allée dans les prisons

01:42pour travailler sur les programmes de réinsertion,

01:44et que j'ai rencontré beaucoup de femmes,

01:48et notamment une jeune femme qui m'a beaucoup impressionnée.

01:52Et en fait, ce qui m'intéressait dans ce roman,

01:56ce qui m'est venu, c'est d'abord pourquoi les filles tombent amoureuses des bad boys ?

02:00Pourquoi cette fille qui, sur le papier,

02:04ce n'est pas son milieu,

02:05ce n'est pas, en fait, ni elle n'a aucune appétence pour le crime,

02:09et tout d'un coup, par amour, elle va se retrouver confrontée au crime,

02:14et elle va rentrer comme ça,

02:17dans cette espèce d'avoir envie d'être là,

02:21de le sauver, de le protéger.

02:22Donc ça résonnait à quelque chose que j'avais vécu quand j'avais 20 ans.

02:27Oui, et vous dites que ça résonnait aussi avec des histoires de femmes

02:32que vous avez rencontrées en prison,

02:34dans le cadre de vos travaux,

02:39d'aide à la réinsertion, c'est ça, ce que vous faites.

02:42Vous avez l'impression que c'est un schéma qui, finalement, est assez classique,

02:46qui se reproduit presque au fil des ans,

02:49et ce que vous dites, c'est quelque chose d'inévitable,

02:53la femme, la jeune femme, quel que soit son âge,

02:56qui est attirée par le bad boy,

02:58et qui, finalement, trinque un peu pour lui.

03:00En fait, moi, ce que je trouve, j'aime bien,

03:04en fait, je suis assez pragmatique,

03:06et à un moment donné, c'est les chiffres.

03:08Donc là, quand on parle de prison, de crime,

03:10de grosses peines, comme 20 ans et tout ça,

03:13on parle de choses très graves,

03:15et en fait, je vois les chiffres de la population carcérale,

03:18et c'est seulement 3% de femmes qui sont incarcérées,

03:22et donc qui représentent la population carcérale,

03:24et dans ces 3% de femmes,

03:26la grande majorité de leurs crimes sont liés à un homme.

03:28Donc, ça interroge le rapport à l'amour,

03:32le rapport à ce besoin d'être aussi dans,

03:35parce que ça se mélange aussi dans un truc de maternité,

03:38parce que chez ce bad boy,

03:39on protège aussi sa tragédie enfantine,

03:41et dans cette tragédie enfantine,

03:43on se sent complètement responsable,

03:45et ça peut nous emmener faire des choses

03:47extrêmement dangereuses,

03:49et je trouve que les peines de complicité,

03:51surtout sur les femmes très jeunes,

03:53impliquées dans ce genre d'histoire,

03:55sont trop lourdes.

03:56Oui, justement, c'est ce que j'allais vous demander.

03:57Est-ce que vous avez l'impression

03:58qu'il y a une forme comme ça d'opprobre

04:01ou d'a priori négatif de la justice,

04:05voire même de l'opinion publique,

04:06face à des femmes qui se sont laissées entraîner ?

04:08Est-ce qu'on peut dire d'elles, pour certaines,

04:10parce que ça dépend évidemment des affaires,

04:12qu'elles ont été sous emprise, d'une certaine façon ?

04:15Ce n'est pas toujours le cas,

04:16parce que ça existe aussi, les femmes violentes.

04:17C'est sûr, c'est ce que j'en dis dans le...

04:19Oui, voilà.

04:20Après, moi, c'était ce chiffre, quand même,

04:23qui est très criant, de se dire

04:243% de la population carcérale sont des femmes,

04:27contre 97% sont des hommes.

04:30Je me dis que ce n'est quand même pas

04:30notre écologie, la violence.

04:32Donc, il y a quand même quelque chose, là,

04:34de très criant.

04:36Et donc, du coup, je...

04:38Voilà, je me suis beaucoup intéressée, en fait,

04:40à ce rapport-là,

04:42et puis aussi ce moment où la chance intervient.

04:45Ce moment où, pourquoi elle n'a pas de chance

04:47et moi, j'en ai ?

04:48Pourquoi elle prend 20 ans et moi, je suis dehors ?

04:51Pourquoi ?

04:52Et donc, du coup, c'est une question de chance,

04:53ce n'était même pas une question d'individu

04:55dans le cas de Jeanne.

04:56Oui.

04:57Alors, l'âge, ces 20 ans,

04:59cette jeunesse éclatante,

05:02l'âge de l'insouciance,

05:03de l'absolu, de la quête d'absolu,

05:05est-ce que ça joue ?

05:07C'est un facteur favorable

05:08dans le possible basculement,

05:11dans quelque chose d'irrémédiable ?

05:13Oui, parce que pour moi,

05:1420 ans, c'est, pour tout le monde,

05:16je crois que c'est un âge,

05:17c'est un âge à la fois fabuleux,

05:19à la fois effrayant.

05:21Je trouve que survivre à ces 20 ans,

05:23c'est l'ordre du miracle.

05:24Moi, j'adore les jeunes.

05:26J'ai des enfants entre 30 et 20 ans.

05:29J'adore aller dans les universités,

05:30dans les écoles.

05:31J'aime les rencontrer,

05:32j'aime leurs idées,

05:32j'aime la façon qu'ils ont envie

05:33de changer le monde.

05:35J'aime la façon dont ils...

05:36Donc, du coup, c'est quelque chose.

05:37Et à la fois, c'est...

05:39Voilà, ils marchent comme ça sur une crête,

05:40ils peuvent tomber de l'autre côté.

05:41C'est à l'époque où on conduit,

05:44on est bourré,

05:44on n'a pas notre ceinture,

05:45mais on est invincible.

05:47Et à la fois, on est...

05:48Donc, du coup, c'est un âge

05:50que je trouve totalement romanesque aussi.

05:52Et voilà.

05:54Alors, la narratrice,

05:56dans le livre,

05:58est à peine plus jeune

05:59que ce qu'on a appelé

06:01les abonds diaboliques

06:02dans la presse.

06:04Et elle va se projeter.

06:06Parce qu'elle aussi,

06:08elle a une histoire

06:09avec Romain,

06:10qui est un jeune homme

06:13qui est drogué,

06:14héroïne humaine.

06:16Bon, la question qu'on se pose,

06:17c'est parce que vous dites

06:17« je » plusieurs fois,

06:18la narratrice,

06:19c'est un peu vous.

06:19C'est vous qui avez pu éviter,

06:22jeune,

06:22de basculer

06:23dans quelque chose

06:24qui aurait été négatif.

06:25Oui, voilà.

06:26Après, moi, je suis quelqu'un...

06:27C'est vrai,

06:27je suis quelqu'un d'assez pudique.

06:28Donc, du coup,

06:29je n'avais pas du tout envisagé...

06:30Envisagé ?

06:31Non, je n'avais pas du tout

06:32envisagé, en fait,

06:33de parler de cette histoire,

06:35mais cette histoire

06:35de ses 20 ans a ressurgi.

06:36Elle a ressurgi.

06:37C'est une histoire

06:38qui m'a traumatisée

06:39dans le sens

06:40parce que je me rendais compte

06:41avec le recul

06:42de par à côté de quoi

06:44j'étais passée.

06:45J'ai fait des choses

06:46qui, par complicité,

06:47par acte de complicité

06:48ou de protection

06:49qui auraient pu être

06:51extrêmement graves

06:51en conséquence.

06:53Et puis, je suis là aujourd'hui

06:54et puis j'ai...

06:55Voilà.

06:55Et ma vie ne ressemble pas du tout

06:57à un chemin de violence

06:58et tout ça.

06:59Donc, du coup,

06:59je trouve qu'il faut...

07:01Voilà.

07:01Du coup, il y a...

07:02Je trouve que certaines

07:03de ces jeunes femmes

07:04que j'ai rencontrées en prison,

07:05de ces jeunes hommes aussi

07:06parce que vraiment,

07:07j'ai beaucoup travaillé

07:08chez les mineurs.

07:09Je trouve que la jeunesse,

07:10c'est un moment

07:10où on en est responsable

07:12même quand ils traversent

07:14la zone du crime.

07:15Et ce qui est compliqué en prison,

07:16c'est que c'est à la fois

07:17un endroit de sanction

07:17mais ça doit être

07:19un endroit de réinsertion.

07:20Bien sûr.

07:21Alors vous,

07:22qu'est-ce qui vous a fait

07:22finalement basculer

07:23du bon côté ?

07:24Ne pas tomber

07:25dans le côté obscur ?

07:26La chance.

07:27Je pense que...

07:28Je pense que c'est la chance

07:30mais je pense aussi

07:31que c'est toute l'interrogation

07:32et toute cette envie

07:33de rencontrer cette jeune femme.

07:35C'est que...

07:36Est-ce que je serais allée

07:37aussi loin ?

07:38Est-ce que je me serais retrouvée

07:39dans une situation

07:40avec quelqu'un

07:41qui a une arme

07:42et tout ça ?

07:43Non.

07:43Mais je me suis retrouvée

07:44dans une situation

07:45où j'aurais pu prendre 10 ans,

07:47j'aurais pu prendre 15 ans

07:48pour ne pas dénoncer,

07:50pour tout d'un coup

07:51être confrontée

07:52tout d'un coup

07:53à quelque chose

07:55dans lequel on n'a pas choisi

07:57et on se retrouve là.

07:58Et puis,

07:58l'état de sidération

07:59existe.

08:01Ce n'est pas seulement

08:02dans les crimes sexuels

08:04mais c'est aussi

08:04dans les crimes de violence.

08:06Moi, j'ai vu

08:07beaucoup de personnes

08:09qui étaient là-bas aussi

08:10parce qu'ils étaient

08:11en état de sidération

08:13et dans l'incapacité

08:14de réagir

08:14comme ils auraient dû

08:16ou comme la société

08:17attendait qu'ils réagissent.

08:18Alors, vous avez dédié

08:20ce livre à Valéria

08:21Prunit-Tedeschi

08:22parce que vous avez

08:23traversé des turbulences

08:26de la jeunesse ensemble.

08:27C'est ça ?

08:28Voilà, Valéria,

08:29c'est ma grande amie

08:31et il y a quelque chose

08:33de magique

08:34dans cette amitié

08:35qui est à la fois

08:36parce qu'elle a commencé

08:37dans un lieu de profondeur.

08:38C'est-à-dire qu'on a essayé

08:39ensemble

08:40de sauver un jeune homme

08:42et puis on a eu

08:42des naissances

08:43et des morts

08:44comme ça

08:44qui se sont succédées

08:45dans un temps très court

08:46et donc on était tout de suite

08:48à l'essentiel

08:48et c'est une femme

08:50que j'admire immensément

08:51et c'est merveilleux

08:54de pouvoir avoir traversé

08:55comme ça

08:55presque 40 ans d'existence

08:57et d'avoir une amitié

08:58encore

08:59avec mon amie Alma Abrami

09:03et je suis toujours

09:05très heureuse

09:06de la retrouver.

09:07Et alors,

09:08dernière question rapidement,

09:09est-ce que vous pensez

09:09que lire un tel livre

09:10pourrait empêcher

09:12des jeunes en puissance

09:13justement de tomber

09:15du mauvais côté

09:15ou en fait

09:17on n'écoute rien

09:17à cet âge-là ?

09:18Je pense qu'en même temps

09:20moi quand j'avais 20 ans

09:21et que je me suis retrouvée

09:22devant ce fait divers

09:23ça m'a stoppé net.

09:25Donc je pense que

09:26la lecture,

09:27la pensée,

09:28je pense que quelque chose

09:29en fait l'important

09:30c'est de se remettre

09:31à penser

09:32et donc du coup

09:33si on a une chance

09:34de attraper quelqu'un

09:36par la pensée

09:37c'est toujours

09:38ce qu'on aime

09:39c'est pour ça

09:40qu'on est écrivain

09:40je crois

09:40on écrit aussi

09:41pour un peu

09:43pour changer

09:44une toute petite partie

09:45infime du monde

09:46En tout cas

09:47c'est à lire

09:47qu'on est 20 ans

09:48ou plus

09:49ou moins d'ailleurs

09:49ça s'appelle donc

09:5120 ans

09:52et c'est paru

09:52aux éditions de l'Observatoire

09:53Merci beaucoup Karine Silla

09:54Merci

09:57Merci

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