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  • il y a 4 jours
OTAGE D'UN TERR0RISTE ELLE SURVIT !!

Catégorie

🥇
Sport
Transcription
00:00C'est là que ça a chauffé en fait pour moi.
00:02Le terroriste m'a mis dans l'encadrement de la porte, il s'est glissé derrière moi,
00:05il a posé son arme sur mon crâne et un des clients dans cette file lui a fait une remarque.
00:10Le terroriste a dit « Tiens toi t'es le prochain » et il l'a abattu devant les autres.
00:16Tout de suite il me dit « J'ai fait une petite action, j'ai pas tué beaucoup de gens mais ça suffit,
00:21maintenant il me reste à mourir en martyr en essayant de péter du flic. »
00:30à Trèves à côté de Carcassonne.
00:31Elle a été héroïquement sauvée par le gendarme Arnaud Beltrame, voici son histoire.
00:36Est-ce que tu peux nous raconter du coup le début de cette journée du fameux 23 mars 2018 ?
00:40J'ai fait le petit détour en partant au travail pour déposer ma fille chez sa nounou
00:44et j'ai pris mon poste, on a fait l'ouverture du magasin
00:47et c'était une matinée où il y avait beaucoup de départs et de retours de camions de location.
00:52Donc je faisais beaucoup d'allers et retours avec l'extérieur sur le parking pour contrôler les camions
00:57et j'attendais ma pause, il était 10h30, je regardais ma montre en me demandant combien de temps ma collègue pourrait me relever.
01:03Est-ce que c'est à ce moment-là que le terroriste est rentré dans le super-U ?
01:06En fait, le terroriste est entré dans le magasin mais personne ne l'a remarqué.
01:11Comme quelqu'un qui allait faire ses courses ?
01:12Comme quelqu'un qui allait faire ses courses, il a quand même pris une trajectoire un peu particulière
01:16mais ça n'a choqué personne, il est passé devant les caisses, il est entré dans le magasin par la dernière caisse.
01:21Il a rapidement jeté un œil dans les rayons du fond et il est revenu vers la dernière caisse, la caisse la plus éloignée de moi.
01:27Et sur le coup, personne ne se doutait de quoi que ce soit ?
01:29C'était un client un peu bizarre mais sans plus ?
01:31Sans plus.
01:32Et en fait, il a commis son premier meurtre à ce moment-là, à la dernière caisse.
01:37Et c'était très étrange mais personne n'a remarqué non plus en fait.
01:41Qu'il avait commis un meurtre ?
01:42Oui, parce que son pistolet, on a tous cru entendre un claquement de palettes qui tombe au sol.
01:49D'accord.
01:50Clac, ok.
01:51Ma collègue la caissière qui a assisté au meurtre, en l'occurrence c'était le meurtre de Christian, notre collègue le boucher.
01:57D'accord, c'est la première victime.
01:58Il a été abattu à la caisse alors qu'il discutait avec notre collègue la caissière.
02:02Ma collègue n'a pas crié, elle était dans la stupeur, elle a appelé Christian, elle s'est levée pour le voir.
02:09Christian, lui, s'est allongé derrière la caisse, donc en fait personne n'a vu le corps non plus.
02:13Et elle n'a pas crié.
02:14Et le terroriste, voyant qu'il ne faisait pas son effet, s'est mis, lui, à crier à la Ouagbar.
02:19Et cette première victime est décédée sur le coup ?
02:21Oui, en fait, Christian était un homme sportif, ça se voyait.
02:26Il n'y avait pas de vigile le matin au Super U à cette époque-là.
02:29Et c'était probablement une des personnes qui aurait pu potentiellement arrêter ou perturber l'action du terroriste.
02:36C'est peut-être, je n'en sais rien, mais c'est peut-être pour ça qu'il a été abattu en premier.
02:41Et puis, le terroriste s'est avancé à remonter le fil des caisses.
02:47Il y avait assez peu de monde, il n'y avait que trois caisses d'ouvertes.
02:50Donc c'était le matin, il était à peu près 10h, 10h30, c'est ça ?
02:52Voilà, c'est ça.
02:53Et les clients qui étaient à la caisse du milieu ont essayé de ne pas lui donner trop d'importance.
02:58Il criait, il avait crié à la Ouagbar.
03:00Et un des clients dans cette file lui a fait une remarque.
03:03Après qu'il ait crié à la Ouagbar ?
03:04Oui, le terroriste a dit « Tiens, toi, t'es le prochain », et il l'a battu devant les autres.
03:11Là, pour moi, qui était à l'accueil à ce moment-là, c'était un deuxième claquement de palette.
03:16Et j'ai levé le nez de mon travail, parce que c'était bizarre.
03:20Deux, ouais, encore un, on comprends, mais deux.
03:22Et il y a eu un peu de brouhaha en même temps.
03:24Et quand j'ai regardé, j'ai juste vu un bras, une arme et quelqu'un tirer en l'air.
03:29Et je me suis baissée derrière la caisse d'accueil, derrière le comptoir d'accueil.
03:32Des gens criaient à ce moment-là ?
03:34Ça a crié un peu, mais ce n'est pas…
03:36Pas comme on peut l'imaginer, cette situation-là.
03:38Non, pas comme on peut l'imaginer, du tout.
03:39Il faut s'imaginer un petit brouhaha de supermarché de taille moyenne,
03:43et la musique et les publicités qui passent à la radio…
03:46Qui ne s'arrêtent pas.
03:46Voilà, qui ne s'arrêtent pas.
03:47Le terroriste, il a continué à roder sur le devant des caisses.
03:51Je sais qu'il a croisé un client, c'est très bizarre.
03:53Il a demandé du feu, visiblement pour allumer une mèche, en fait, d'une petite grenade artisanale.
04:00Et il est très rapidement… En fait, il s'est dirigé vers l'accueil.
04:04Le tout a pris que peut-être deux, trois minutes, grand maximum.
04:07Il a réussi à allumer sa grenade ?
04:09En fait, il l'a lancée sur la première caisse la plus proche de l'accueil, en direction du caissier qui était là.
04:16Et elle n'a pas explosé.
04:17Ok.
04:18Le caissier a pu s'enfuir un petit peu après.
04:20Moi, en fait, je n'ai rien vu de tout ça.
04:22J'avais juste vu un homme tiré en l'air.
04:24J'étais cachée derrière la banque d'accueil et je réfléchissais par où je pouvais m'enfuir.
04:28Bien sûr.
04:28Tu étais coincée, en fait, un peu dans la borne…
04:30En fait, j'étais coincée.
04:31Il aurait fallu que je saute par-dessus la banque d'accueil, d'un côté,
04:35ou que je parte en courant dans les rayons.
04:37Mais il n'y avait pas d'issue idéale, en fait.
04:39Je n'ai pas eu le temps de me décider, que j'entendais ces pas et savoir revenir dans ma direction.
04:46J'ai pu entrer dans les bureaux qu'il y a à l'arrière de l'accueil,
04:49qui sont des bureaux sans issue de secours, sans fenêtre.
04:51Ok.
04:52Et qui étaient vides.
04:53C'est des bureaux de stockage.
04:55Et à ce moment-là, les clients t'entendent ?
04:56S'ils partent en courant, s'ils fuient le magasin ?
04:59Non, je n'entends rien du tout.
05:00Et j'ai à peine le temps de me cacher à l'entrée du bureau, derrière la porte,
05:04que déjà il entrait dans le bureau.
05:06Ok.
05:07Ça se fait très rapidement, en fait.
05:08Ça se fait très vite.
05:08Oui.
05:09En fait, il avait dû me voir me cacher.
05:10Parce qu'il est entré dans la pièce, il ne s'est même pas retourné vers moi.
05:14Et a dit, allez, c'est bon, j'ai mon otage.
05:16Sors de là, je ne te ferai pas de mal.
05:18Viens, on appelle les flics.
05:19Ok.
05:19Donc, il voulait un otage.
05:20Il voulait un otage.
05:21Ok.
05:21Et là, j'ai commencé à appliquer des techniques de gestion du stress
05:25et de communication que j'avais appris dans mon parcours.
05:28Waouh !
05:28Qui a pensé à ce moment-là ?
05:29Oui.
05:30Même quand vous faites des études et que vous avez passé pas mal d'entretiens ou de jury,
05:34vous savez que vous devez gérer votre respiration, gérer votre stress, votre posture.
05:38Le regard que vous donnez à l'autre pour ne pas aiguiser les ressentiments, la colère ou quoi que ce soit.
05:46Donc, j'ai pris une grande respiration.
05:47Je me suis dit, merde, ça tombe sur moi.
05:49C'est pas grave.
05:50Je suis rentrée dans une forme de déni en me disant, bon, ok, il a l'air jeune.
05:54Ok, il a une arme.
05:55Je ne l'ai pas vu tirer, sauf en l'air.
05:57Si ça se trouve, je ne sais pas ce qu'il veut.
05:59Si ça se trouve, ce sont des balles à blanc.
06:00Il n'est pas complètement sérieux.
06:02Ok, tu relativises d'un coup.
06:03Je suis entrée dans une forme de déni pour pouvoir maîtriser mon stress.
06:07Calmer la pression.
06:07Voilà, je fais une petite marche arrière.
06:11Mon papa était médecin généraliste dans un petit village et médecin urgentiste.
06:15Et il m'avait transmis un espèce de se calme quand tout va mal ou quand tout le monde se met à stresser.
06:23Garder son calme, garder son sang-froid.
06:26Et même plus tard, c'est mon père à l'âge de 25 ans à peu près qui m'a enseigné des techniques de communication en situation de crise.
06:34Parce que c'était un sujet qui le passionnait à ce moment-là.
06:38Et j'avais déjà utilisé ces techniques dans mon métier.
06:41Il a tout été dit, c'est sorti naturellement.
06:43Voilà, j'ai montré une posture calme.
06:46À l'écoute.
06:47À l'écoute, oui.
06:48Donc je suis sortie derrière ma porte.
06:50Tu lui as fait face.
06:51Je lui ai fait face.
06:52Je l'ai regardé un petit peu et j'ai fait ce qu'il me demandait.
06:54Qu'est-ce qu'il voulait du coup à ce moment-là ?
06:55Alors en fait, ce qu'il voulait, c'était qu'on appelle les secours.
06:58Les secours.
06:59Les flics ou les secours ?
07:00Eh bien, on appelle les flics.
07:01Donc j'ai fait le 17.
07:02Tu as pris ton téléphone.
07:03J'ai pris le temps de choisir le bon téléphone sans fil qui me permettait de passer un coup de fil à l'extérieur.
07:08Et j'ai composé le 17.
07:10Je sais comment on doit se présenter quand on appelle les secours.
07:13Ok, tu avais l'habitude.
07:14Donc nom, prénom, profession, où on se trouve et la situation.
07:18Et j'ai entendu au bout du fil la gendarme ou la régulatrice, je ne sais pas, qui claquait des doigts pour prévenir ses collègues.
07:24Waouh !
07:25Elle sentait que ça...
07:26Allô, je m'appelle Julie, je suis caissière à Superu et je suis avec un monsieur armé qui me tient en joue.
07:35Je ne sais plus exactement comment j'ai dit, qui me tient en joue ou en otage.
07:38Elle a répété mes mots et là, je l'ai entendu claquer des doigts.
07:41Elle prévenait son entourage, le centre d'appel.
07:44Dans le sens où il fallait prendre cet appel-là au sérieux.
07:47Oui, et si on connaît l'ensemble de l'histoire, plus tard, j'apprendrai en fait qu'ils avaient déjà reçu beaucoup d'appels.
07:54Il y a beaucoup de clients qui avaient déjà appelés.
07:56Bien sûr, qui avaient réussi à s'enfuir entre temps.
07:58Ou des collègues de travail qui avaient pris des clients en charge et qui prévenaient les secours.
08:03Ça commençait à se savoir en fait.
08:04Voilà, dans l'admilleur qui a précédé, des coups de feu en ville aussi.
08:08Par se le même personne, même théoriste ?
08:09Et en fait, à ce moment-là, les forces de l'ordre ne le savaient pas, mais oui, c'était le même.
08:13Il n'y en avait qu'un, mais il n'en était pas sûr.
08:15J'ai répondu ensuite aux questions de la gendarme ou de la régulatrice que j'avais au téléphone.
08:20Je regardais le terroriste en même temps, pour savoir si je pouvais répondre à ces questions-là.
08:24Oui, pour qu'il acquiesce ou pas.
08:25Voilà.
08:26Elle me demande de quoi il est armé.
08:27Donc, je crois que je lui ai posé à lui directement la question.
08:30Je peux dire ce que vous avez.
08:31Et en fait, lui, ça ne le dérangeait pas du tout.
08:34Et comment, lui, il était stressé ? Il était posé ?
08:36Non, il était stressé, déterminé.
08:39Peut-être qu'il était un petit peu drogué, je ne sais pas.
08:41OK.
08:42Il t'a semblé speed ?
08:43Un petit peu speed, oui.
08:45Très vite, en fait, il m'a coupé la parole pour se faire entendre à travers le téléphone,
08:49en commençant à donner ses motivations.
08:52Ses revendications.
08:53Ses revendications, c'est ça.
08:54Donner ses revendications.
08:55Donc, que je comprenne bien, c'est lui qui a pris le téléphone ensuite ?
08:57Il parlait très fort juste à côté du téléphone.
09:00Je suis un soldat de l'Esta islamique.
09:02Vous allez tous payer pour mes frères morts en Syrie, ce genre de choses.
09:05Tu continues de rester calme.
09:06Je restais dans le déni.
09:08Tant qu'il n'y a pas de problème, il n'y a pas de problème.
09:10OK.
09:10On garde son calme, on écoute, on réfléchit à la position qu'on a,
09:14on réfléchit à sa respiration et à sa manière de communiquer.
09:17Je m'étais assise sur le fauteuil de bureau pour passer ce coup de fil.
09:21Et la dame au téléphone, après ses questions, me dit
09:25OK, surtout, vous ne raccrochez pas.
09:26Et ça, je comprenais très bien pourquoi elle me disait ça.
09:28C'est que, en fait, ça me permettait d'avoir dans la main un micro relié à l'extérieur.
09:33OK.
09:34Ça me sécurisait.
09:35C'est un contact et aussi une preuve pour eux, peut-être.
09:38Voilà.
09:38Cet audio a été enregistré, cet audio.
09:40Tu as pu le réécouter ?
09:41Alors, je ne pensais jamais pouvoir le réentendre
09:44parce que ça fait partie des pièces à conviction
09:45et que je n'y ai pas accès comme ça, même en tant que victime.
09:48J'ai eu beaucoup de chance au procès.
09:50Nos avocats ont convaincu le président de la cour
09:53de nous faire entendre cet audio-là et un autre.
09:56Et ça a été très, très important.
09:57On a pu réentendre tout cet audio qui dure 50 minutes.
10:01Wow.
10:01Les 50 minutes de ma prise d'otage.
10:04Et ensuite, l'audio final, en fait, qui est assez terrible.
10:06On en reparlera plus tard, certainement.
10:08D'accord.
10:08La dernière négociation.
10:10Tout est prouvé.
10:11Jusqu'à l'intervention du GIGN.
10:12Oui.
10:12OK.
10:13À ce moment-là, tu es la seule otage.
10:15Il n'y a plus personne dans le magasin.
10:16En fait, il y avait beaucoup de personnes qui n'avaient pas osé bouger
10:19de là où elles s'étaient couchées.
10:21Après le coup de fil, le terroriste s'est mis dans le bureau,
10:24mais à l'entrée du bureau, devant la porte ouverte, en fait.
10:27Et je me suis mise face à lui.
10:29Lui, il était dans la pièce et il pouvait voir une partie du magasin.
10:32OK.
10:32Et par moment, il se mettait dans l'encadrement de la porte
10:36pour mieux voir ce qui se passait dans le magasin.
10:38Et à un moment donné, il a entendu un petit brouhaha
10:40et il a dit aux gens, allez, sortez de là, cassez-vous avant que je change d'avis.
10:44Donc, il a permis aux gens de sortir, en fait.
10:46Et là, j'ai vu des personnes qui partaient soit en courant, soit en marchant.
10:50On avait des collègues, par contre, qui étaient prostrés sous leur caisse
10:53et qui ont mis, elles, beaucoup de temps à être évacuées.
10:56Bien sûr.
10:56OK.
10:57Il y avait d'autres clients, je les suis plus tard également,
10:59qui avaient réussi à sortir du magasin par l'arrière.
11:02D'autres qui avaient abouti dans des chambres froides, en fait.
11:07Pour se cacher, pour essayer de fuir.
11:09Ensuite, les secours sont arrivés de suite après l'appel ?
11:11Alors, les premiers gyrophares sont arrivés assez rapidement.
11:15C'était la police...
11:18Municipale ?
11:18Municipale, oui.
11:19Dans la demi-heure qui a suivi, oui.
11:21D'accord.
11:21Il y a eu une petite demi-heure de battement quand même.
11:23Oui.
11:24On l'entend d'ailleurs dans l'audio qu'on a pu réécouter.
11:26Il y a une très, très, très longue période
11:29où il ne me parle plus, il ne se passe plus grand-chose.
11:32Et en fait, on l'entend juste lui prier.
11:34D'accord.
11:35Il faisait ses prières, les sourates.
11:37Il se remotivait, en fait.
11:39Il restait concentré.
11:40Moi, il ne me tenait pas en joue.
11:42Il ne me menaçait pas.
11:43J'étais calme, puyée contre la table, contre le mur.
11:47Un moment d'attente.
11:47C'était un moment d'attente d'arriver des forces de l'ordre.
11:50En fait, dans ce moment d'attente-là,
11:51il y a eu une période où on a dialogué, en fait.
11:54Il a eu besoin de justifier de son acte.
11:57Et c'est lui, en fait, qui m'a raconté
12:00qu'il avait tué, excusez-moi, deux pédés sur un parking,
12:04tirés sur des flics, en fait, des CRS en ville
12:07et tué des clients dans le magasin.
12:09C'était le même jour, ça ?
12:10C'est exactement la question que je lui ai posée.
12:12Je lui ai demandé ce matin.
12:13Il m'a dit oui.
12:14Et là, moi, j'ai cessé d'être dans le déni
12:17parce qu'il venait de me dire qu'il venait de commettre des meurtres.
12:21Donc, je me suis dit ok, son pistolet, ce n'est pas des bala blancs.
12:24Il ne plaisante pas.
12:25Il est déterminé.
12:27Tout de suite, il me dit j'ai fait une petite action.
12:30Je n'ai pas tué beaucoup de gens, mais ça suffit.
12:32Maintenant, il me reste à mourir en martyr en essayant de péter du flic.
12:36Ok, concrète.
12:37C'est les mots qu'il a utilisés.
12:38C'est le mot que l'employé...
12:39Donc là, il voulait que les policiers viennent pour les tuer.
12:43Ils voulaient une confrontation et ça l'amusait de voir des képis qui couraient.
12:48Il prenait plaisir à voir que ça s'activait, qu'il avait de l'importance.
12:52Qu'il avait de l'importance.
12:53Est-ce que les forces de l'ordre sont intervenues de suite ?
12:55Je les suis plus tard, mais je peux du coup vous le raconter plus précisément.
12:59Ils sont entrés par le côté du magasin, par les bureaux et les vestiaires du personnel.
13:03Et dans les bureaux, ils ont accès à un immense mur de vidéos
13:06avec toutes les caméras de vidéosurveillance.
13:09D'accord.
13:10Donc, en fait, ils se sont préparés dans ce bureau-là.
13:11Ces bureaux sont à l'étage.
13:13Ils sont descendus et ils sont entrés dans le magasin
13:16à côté de la dernière caisse la plus éloignée de nous, finalement.
13:19D'accord.
13:19Là, on les a vus entrer.
13:21En fait, ce sont les gendarmes équipés.
13:23En fait, c'était le PSIG.
13:24Ils se sont positionnés et ils ont avancé en ligne dans notre direction.
13:28Ils avaient leur bouclier, le fameux bouclier.
13:29Le bouclier, casque avec la visière très épaisse.
13:33Et bien armés en nous tenant en joue.
13:36Et à cet instant-là, en fait, le PSIG s'est positionné, est entré dans le magasin.
13:40C'est là que ça a chauffé, en fait, pour moi.
13:42Le terroriste m'a mis dans l'encadrement de la porte.
13:44Il s'est glissé derrière moi.
13:45Il a posé son arme sur mon crâne, son couteau au niveau de mes côtes.
13:50Et il s'est mis à trembler.
13:51Waouh !
13:51Donc, il a eu peur.
13:52Pour lui, c'était son final.
13:53Je m'imagine que ça faisait longtemps qu'il préparait ça.
13:55Oui, ça faisait longtemps qu'il préparait ça.
13:56Est-ce que tu as eu peur pour ta vie à ce moment-là ?
13:58Oui.
13:58Tu te voyais mourir ?
13:59Alors, d'une part, j'avais peur de son arme à lui.
14:02Et je lui ai dit une fois ou deux, attention, tu trembles.
14:05Ne me tue pas sans faire exprès.
14:07Tu lui as dit ça ?
14:08Oui, parce qu'à un moment, je sentais que je n'existais plus.
14:11Il ne pensait plus à moi.
14:12Je n'étais plus qu'un bouclier pour lui.
14:13Le PSIG nous tenait en joue.
14:15J'avais vraiment très peur que la balle parte toute seule.
14:17Et dans des moments de silence, j'ai glissé ça.
14:19Et ça me permettait aussi de réexister, en fait.
14:22Bien sûr.
14:23Tu n'oublies pas, tout simplement, comme on disait.
14:24Oui, oui.
14:25Dans la discussion que j'avais eue avec lui dans le bureau,
14:28pendant cette discussion,
14:29il avait juste, à un instant, évoqué sa mère et ses soeurs.
14:34Et il y avait, dans sa manière de dire les choses,
14:36on sentait qu'il avait encore du respect pour les femmes,
14:39les enfants, les petites gens.
14:40Je m'étais accrochée à ça en me disant
14:42si je continue à lui montrer du respect,
14:45je ne perds pas le peu de respect qu'il a pour moi.
14:48Est-ce que tu as essayé de créer un lien relationnel
14:51pour qu'ensuite, peut-être, il prenne par pitié,
14:53il te relâche ?
14:54Est-ce que tu y as pensé à ce moment-là ?
14:56Ma mémoire ne me donnait pas accès à ces souvenirs-là,
14:58mais c'est quand on a réécouté l'audio au tribunal
15:00que j'ai entendu ma voix.
15:02Je me suis adressée à lui comme si j'avais été sa grande sœur.
15:05Juste pour lui dire, pour le rassurer à certains moments,
15:08parce qu'il y avait un monsieur qui avait passé la porte
15:12et qui regardait dans le magasin.
15:13Le terroriste a cru que c'était le directeur.
15:16En fait, c'était un médecin qui venait voir
15:18s'il pouvait encore faire quelque chose
15:20pour les corps qui étaient au sol.
15:21Et je ne sais absolument pas pourquoi.
15:23Il y a même eu un moment où je lui ai dit
15:24« Attention, on te fait pas mal ».
15:25Je ne sais plus pourquoi, je ne sais pas.
15:27On a entendu ça dans l'audio et c'est tellement en décalage
15:30par rapport à la gravité de ma situation.
15:33Mais oui, en fait, ma position, c'était une position de...
15:35De grande sœur.
15:36De grande sœur, oui.
15:37C'est impressionnant ce que le corps est capable de dire,
15:40d'exprimer dans des moments comme ça.
15:42Donc là, tu es prise en otage avec le pistolet sur la tempe
15:45par le terroriste.
15:46En face, il y a le psyg qui arrive armé,
15:49qui vous met en joue.
15:50Qu'est-ce qui se passe ?
15:51Le psyg entame un dialogue,
15:54mais qui est tout de suite très, très tendu.
15:56Il y a un négociateur ?
15:57Alors, en fait, c'est le chef du psyg qui parle.
16:00Et le terroriste s'est mis à être très, très menaçant.
16:04En fait, on l'a entendu dans l'audio.
16:05Moi, je ne me souvenais pas du tout.
16:06Mais dix fois, il a menacé de me tuer à ce moment-là.
16:09En disant, si vous continuez d'avancer, je la tue.
16:12Et le psyg essayait d'instaurer un dialogue.
16:15Mais ça a duré quelques minutes comme ça.
16:17Et en fait, moi, je ne bougeais plus.
16:19J'étais tétanisée.
16:20Et je calculais par où les balles allaient me traverser, en fait.
16:23Donc, tu étais résignée un petit peu ?
16:25J'étais tétanisée, oui.
16:27Dans mes cauchemars, quand je me refais cette scène,
16:28je me dis, mais pourquoi je ne me suis pas écroulée ?
16:31Pourquoi je suis restée debout sur mes jambes ?
16:32Pourquoi je ne me suis pas écroulée dans ce sens-là ?
16:34Il n'aurait pas pu me tirer dessus.
16:35Il n'aurait pas pu me mettre...
16:36Tu ne peux pas savoir.
16:37Ça fait partie des séquelles de la scène.
16:42Donc, il y a un dialogue qui se crée, mais compliqué.
16:44Très compliqué, très, très, très tendu.
16:46Et je pensais vraiment que les balles allaient partir à ce moment-là.
16:49Je ne voyais pas ce qu'il pouvait y avoir comme autre issue.
16:51Rien ne semblait pouvoir se passer d'autre que l'échange de tir.
16:55Tu t'es dit, j'allais être sacrifiée pour la sécurité.
16:58Je n'ai pas eu le temps de penser à ça.
16:58Je m'étais interdite de penser trop, d'anticiper trop.
17:03Même dans le bureau, dans la demi-heure d'avance.
17:05L'instant où j'ai pensé à ma fille,
17:08j'ai vite empêché ces idées-là de me travailler.
17:14Donc, j'étais juste tétanisée.
17:16Et oui, mon cerveau a chanté, je pense.
17:20Ou en tout cas, aujourd'hui, je n'ai plus accès à ces souvenirs-là exactement.
17:24T'as encore des blancs ?
17:26Ça, je ne peux pas m'en souvenir de manière détaillée, précise.
17:30Je reviens un petit peu en arrière.
17:32Est-ce que tu l'as demandé, par exemple,
17:33si tu avais le droit d'envoyer un texto à un proche ou d'appeler un proche ?
17:37Ou alors, c'était impossible dans la situation dans laquelle ce qui était...
17:40Alors, c'est drôle parce qu'il n'a pas cherché à savoir si j'avais un téléphone perso ou quoi que ce soit.
17:47Il y a même... De temps en temps, je le sortais pour voir l'heure.
17:50Ou de temps en temps, je le sortais parce qu'il sonnait.
17:51Et je n'ai pas osé ni décrocher sans le...
17:55Prendre l'initiative, prendre l'initiative.
17:56Je ne voulais pas le fâcher non plus.
17:57Non, non, exactement.
17:58Donc là où tu es au milieu, il y a un discours un petit peu qui monte en tension.
18:02Oui.
18:02Et ensuite, la prochaine...
18:04Des espèces de secondes interminables jusqu'au moment où on entend une voix détachée du Psyg qui dit
18:11« Vos gueules, les gars, reculez, je prends ! »
18:14Ok.
18:14Qui était cet homme ?
18:15Et c'était Arnaud Beltrame.
18:18D'accord.
18:19Le Psyg conteste un peu l'ordre en lui disant quelque chose comme
18:22« Mes chefs, vous n'êtes pas équipés. »
18:24Et là, il réitère son ordre.
18:26« Vos gueules, les gars, reculez, je prends ! »
18:27Et en fait, là, il se lève et il avance dans notre direction.
18:31Tout seul, là.
18:32En entamant la négociation et le dialogue.
18:34Le terroriste, qui était vraiment...
18:37Tendu.
18:37Extrêmement tendu à ce moment-là, l'a beaucoup provoqué verbalement.
18:41Il lui a dit « Viens si tu veux mourir ! »
18:43Et en fait, Arnaud Beltrame a transformé ça en
18:46« Écoute, la petite dame, elle n'a rien fait.
18:48Prends-moi à sa place.
18:49Je représente l'État.
18:50On va discuter. »
18:51D'accord.
18:52Il se mettait en position d'avoir plus de valeur, entre guillemets, que toi,
18:55dans le sens où il représente l'État.
18:57Et donc, pour le terroriste, c'est plus intéressant.
18:59Voilà.
19:00Parce que le terroriste, sa revendication, c'est
19:04« En tant que terroriste, je fais payer la France pour ses actes armés à l'étranger,
19:09pour mes frères morts en Syrie. »
19:12Et en fait, Arnaud Beltrame, j'ai tout de suite senti son professionnalisme, en fait.
19:18Sa manière d'avancer, de parler de manière non agressive, de vouvoyer le terroriste.
19:24Sa manière d'occuper le dialogue presque en permanence.
19:27Et de reformuler tout le temps la même proposition, mais de manière différente.
19:31« La petite dame, elle n'a rien fait.
19:32Laisse-la partir.
19:33Prends-moi à sa place. »
19:35C'était très, très fin.
19:36C'était…
19:37Intelligent.
19:37C'était intelligent, oui.
19:39Et puis, il s'est avancé de plus en plus.
19:42Il a dû, en fait, se désarmer.
19:43Il était armé ou pas ?
19:44Oui.
19:44Il avait son arme de service.
19:46Donc, il a dû enlever son ceinturon, le poser avant d'arriver à notre niveau.
19:51Il l'a posé de l'autre côté de la banque d'accueil.
19:52C'est le terroriste qui lui a demandé de se désarmer ou c'est lui ?
19:55Non, non, c'est lui dans la négociation.
19:57C'est Arnaud Beltrame en disant « Regarde, je me désarme.
19:59Tu vois, je ne fais pas le cow-boy.
20:01Tu vois, je m'approche. »
20:02Tout ça n'était pas du tout prévu ni anticipé.
20:05Donc, le terroriste, en fait, au final, a récupéré l'arme d'Arnaud Beltrame.
20:08D'accord.
20:09Le terroriste a demandé à Arnaud de lui faire passer l'arme en la glissant au sol.
20:12D'accord.
20:13Là, comment réagissent le psy à ce moment-là ?
20:15Il regarde ?
20:16Je ne saurais pas le dire.
20:19Oui, je regarde au sol.
20:20Je ne priais pas encore à l'époque.
20:22Mais enfin…
20:23Tu étais croyante ou pas ?
20:24Pas du tout, du tout, du tout.
20:25Et tu t'es mis à prier ?
20:26Bien plus tard, oui, dans les années qui ont suivi.
20:29D'accord.
20:29Mais sur l'instant, tu priais ou pas ?
20:31J'étais dans le zéro mouvement.
20:33J'écoute, je reste attentive à mes mouvements, ma position.
20:38Mais j'étais, je pense, quand même en état de choc.
20:39Et à quel moment s'est fait l'échange, du coup ?
20:42Alors, Arnaud Beltrame a fait le tour de la banque d'accueil pour pouvoir passer derrière la banque d'accueil.
20:47Il s'est positionné à l'entrée du bureau.
20:49Le terroriste, lui, m'avait fait reculer au centre de la pièce, vers l'arrière de la pièce.
20:54Arnaud Beltrame est carrément entré dans la pièce tout en continuant sa tchatche.
20:58En disant, notamment, par exemple, qu'il avait une famille, lui aussi, il avait une femme et des enfants.
21:04Et qu'il n'allait pas faire le cow-boy, il n'était pas là pour jouer au cow-boy.
21:07En tant que représentant de l'État, ils allaient discuter.
21:09Et il y a eu un blanc.
21:10Le terroriste n'avait pas dit non.
21:12J'ai senti que c'était le moment où je pouvais partir, le moment de l'échange.
21:15Tu t'es décollée un petit peu ?
21:17J'ai posé la question, en fait, pour valider et pour prévenir aussi.
21:21Pas faire de gestes sans prévenir.
21:22J'ai dit, OK, alors, OK, j'y vais, alors.
21:25Et j'ai avancé doucement vers la sortie.
21:27Je suis passée devant Arnaud Beltrame.
21:29Je n'ai pas osé me décaler pour poser le téléphone sur la table qui était dans le bureau.
21:34Je n'ai pas osé.
21:35J'ai eu trop peur.
21:36Je suis sortie de la pièce et j'ai posé le téléphone qui était toujours en lien avec le 17.
21:40Je l'ai posé sur la banque d'accueil.
21:41D'accord.
21:42Et je suis partie en direction du magasin où, en fait, j'ai été récupérée par une gendarme qui m'a fait sortir.
21:49Et donc là, après, tu as été hospitalisée, tu as été...
21:52J'ai été mise avec tout le personnel et les clients qui avaient été sortis du magasin dans un garage qui est à côté du magasin.
21:58D'accord.
21:59Quelques-uns d'entre nous ont été très rapidement auditionnés.
22:02On m'a demandé ce que j'avais vu, quelle arme il avait.
22:06Il nous a fallu attendre assez longtemps quand même pour être déplacés, puis emmenés en cellule de crise.
22:11La cellule de crise qui s'était montée à la mairie, en fait.
22:14Qu'est-ce que ça veut dire, cellule de crise ?
22:15En fait, il y a des associations, je ne suis pas une pro, je ne suis pas une experte de la question, mais des psys d'urgence, des...
22:23Je ne sais pas si c'est la Croix-Rouge et quelques autres organismes qui sont toujours en veille sur tout le territoire et qui peuvent arriver assez vite sur un lieu...
22:32Pour rassurer les victimes.
22:33Voilà.
22:34Comment on rassure une victime d'une prise d'otage par un terroriste ?
22:37Qu'est-ce que tu voulais qu'on te dise à ce moment-là ?
22:39En fait, il faut savoir qu'il n'y a pas de prise en charge adaptée, ni à ce moment-là, ni ce jour-là, et ce n'est pas super bien.
22:49Enfin, moi, ce dont j'ai bénéficié, finalement, avec le recul, c'est très loin d'être suffisant.
22:53En fait, pendant plusieurs heures, en plus, on n'a accès à personne, on est entre nous et on doit passer des auditions.
23:01En l'occurrence, sur cette affaire-là, c'était la police judiciaire qui était en charge de l'événement et c'est la police judiciaire qui m'a auditionnée longuement à la mairie.
23:12Tu as pu appeler un proche de suite pour dire que tu allais bien ?
23:15Oui. Une fois que j'ai été sortie du magasin et mis avec les autres au point de regroupement, là, j'ai pu...
23:20C'est un coup de fil.
23:21Oui.
23:21Qu'est-ce que tu as dit dans le message ou l'appel que tu as passé ?
23:24Alors, en fait...
23:25En quelques mots, qu'est-ce que tu peux dire ?
23:26C'est drôle parce que je n'ai pas eu le temps d'appeler.
23:28J'ai eu le temps de saisir mon téléphone, de m'asseoir complètement hébété, de regarder autour de moi, de voir mes collègues qui pleuraient, d'apprendre qu'un des meurtres, il s'agissait de Christian, qui était un super...
23:41C'était un super gars, un mec en or, que tout le monde aimait.
23:45Et j'ai eu le temps de regarder mon téléphone et en fait, c'est très drôle, c'est mon grand frère qui m'a appelé, mais de Québec.
23:50Waouh !
23:51Il s'est réveillé à 6h du matin avec la radio et quand il a entendu attentat au super-huttreb, il m'a appelé.
23:56Et ça avait vu que tu travaillais là-bas ?
23:58Et oui, et j'ai pu en fait tout de suite dire, ben ça va, j'ai sorti, j'ai été prise en étage, je suis sortie, ça va.
24:04Waouh !
24:04Appelle nos parents et rassure-les.
24:08Ça devait être puissant là, même pour lui, pour toi.
24:11C'était très beau, c'était très puissant.
24:13Waouh !
24:13Du coup, là, tu étais en cellule de crise, tu as dû tout raconter ton histoire en détail, j'imagine ?
24:19Répondre aux questions précises de la police, oui.
24:22Et on est assez perturbés dans ces moments-là.
24:24Il y a des choses auxquelles on ne pense pas, des détails qu'on a d'un coup zappés qui reviendront plus tard.
24:29Peut-être qu'ils t'ont interrogé aussi rapidement pour ne pas que tu oublies trop peut-être.
24:32Oui, oui, oui, il y a plein de bonnes raisons d'interroger très vite.
24:36C'était retransmis à la télé en plus, à ce moment-là ? Parce que c'était en direct ?
24:40Moi, ça, je ne le savais pas à ce moment-là.
24:41D'accord.
24:42Mais c'est vrai que, enfin, je ne sais pas à quel moment les caméras sont arrivées sur place.
24:46Ça a dû être très rapide, oui.
24:48D'accord, ok, c'était retransmis en direct.
24:50Ta sortie a été filmée aussi ?
24:52En tout cas, dans la journée, non, notre sortie n'a pas été filmée.
24:54Ça faisait à peine une heure que le terroriste était entré dans le magasin.
24:58Il n'y avait pas encore de caméras à ce moment-là.
25:00Pour en revenir du coup au supermarché, du coup,
25:02Beltrame était le nouvel otage.
25:03Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?
25:05Alors ça, je l'ai su bien plus tard.
25:06Quand tu dis bien plus tard, c'est des jours après, des mois après ?
25:09J'ai mis des années à avoir des informations sur ce qu'il...
25:13Et puis même personne ne peut vous dire exactement
25:15comment ça s'est passé entre le terroriste et Arnaud.
25:18Il y a de la confidentialité ?
25:19Déjà, il n'y avait pas de micro.
25:21Le négociateur du GIGN a pu les joindre à deux reprises, je crois.
25:25Et c'est tout ce qu'on a comme info.
25:27Il n'y a pas du tout de caméra dans cette pièce.
25:29Alors que le magasin est truffé de caméra,
25:31les pièces réservées au personnel, il n'y a pas de caméra.
25:34D'accord.
25:34Il y avait le téléphone, non ?
25:35Qui était sur le 17 encore ?
25:37Eh bien, non.
25:38Le problème, c'est que ce téléphone,
25:39je l'avais posé sur la banque d'accueil.
25:41D'accord.
25:42Donc, le terroriste a fait fermer la porte du bureau
25:45à partir du moment où il s'est retrouvé seul avec Arnaud.
25:47D'accord.
25:47Donc là, ils étaient dans un huis clos.
25:51Ok.
25:51On ne sait quasiment rien de ce qui s'est passé à l'intérieur.
25:54De ce qu'il s'est dit.
25:55J'imagine qu'il a essayé de négocier peut-être.
25:57Alors, Arnaud était vraiment une personne exceptionnelle,
26:01très réfléchi, très pro.
26:03Ce n'était pas un simple...
26:05C'était plus qu'un gendarme.
26:07Il avait été soldat.
26:07Il avait déjà mené des négociations très hardes.
26:11Il avait participé à des opérations...
26:13Très compliquées.
26:14Oui, et c'était aussi quelqu'un de très croyant.
26:17Les personnes qui connaissent bien Arnaud
26:18ont dit, mais forcément,
26:20il a dû essayer de retourner un peu le terroriste,
26:23de le...
26:24De le faire souffler, de le calmer.
26:25De le raisonner.
26:26Il y a eu même une rumeur,
26:27mais c'est impossible à vérifier.
26:29À un moment donné,
26:30on les aurait entendus,
26:31le terroriste disant une sourate
26:33et Arnaud Beltrame disant
26:35un je vous salue Marie.
26:36Waouh.
26:36C'est une rumeur, je ne sais pas si...
26:38Et en fait, leur huis clos a duré plusieurs heures
26:40jusqu'à un moment donné, dans l'après-midi,
26:43le négociateur du GIGN a réussi à les joindre
26:46sur le téléphone portable d'Arnaud.
26:48C'est Arnaud qui a décroché.
26:49Il a dit un message un peu énigmatique
26:52que l'on peut comprendre avec du recul
26:55comme étant un message caché de...
26:57En fait, il a dit au téléphone...
26:59Oui, je suis Arnaud, c'est moi l'otage.
27:01Bon, vous savez qui je suis ?
27:02Vous savez d'où je viens ?
27:03Bon, ben tout va bien.
27:04Je répète, tout va bien.
27:06D'accord.
27:06Là-dessus, la conversation s'est faite
27:08entre le négociateur du GIGN et le terroriste.
27:12Et c'était une conversation un peu...
27:14Ça ne menait pas...
27:15Ça n'avançait pas.
27:16Ça n'avançait pas.
27:17Et c'est là qu'on entend en fait un brouhaha
27:19qui est en fait...
27:20Ce sont en fait des bruits de lutte.
27:22D'accord.
27:23Il y a des coups de feu qui sont tirés.
27:24Il y a des cris.
27:26Il y a des journalistes qui ont relaté
27:27ce qu'on a entendu au procès à Paris
27:29dans cet audio-là.
27:30En fait, on entend Arnaud qui crie assaut.
27:33Assaut.
27:34Ok.
27:34À ce moment-là.
27:35Et la suite de l'audio...
27:37Je ne sais pas si je peux en parler.
27:39La vérité, c'est que pendant plusieurs minutes,
27:41on entend l'agonie d'Arnaud.
27:43Au téléphone...
27:44On entend des râles.
27:45Et le négociateur qui essaye de rétablir un contact
27:49alors qu'on ne lui parle plus,
27:51qu'on n'entend plus aucune voix,
27:52ni celle du terroriste, ni celle d'Arnaud.
27:53On entend de temps en temps un râle.
27:55On entend une chaise qui est frottée au sol.
27:57Et le négociateur qui essaye de remettre...
28:00qui est visiblement haut-parleur sur le téléphone
28:03et qui dit
28:03Arnaud, tu m'entends ?
28:05Si tu m'entends, fais un bruit.
28:06Redouane, tu m'entends ?
28:08Parle-moi, il faut continuer à parler.
28:09On demande du terroriste.
28:10Est-ce que tu penses que du coup,
28:12Arnaud a essayé de désarmer le terroriste ?
28:14Alors, il y a quelque chose de magnifique
28:16qu'on a...
28:18Je ne sais pas si d'autres gens le savaient avant.
28:20Mais enfin, la plupart des personnes
28:21l'ont su au procès.
28:23La médecine légale montre que le terroriste
28:25a été abattu au final par le GIGN.
28:28Mais il y a une balle troublante
28:30qui est passée par la clavicule,
28:32par le haut de l'épaule,
28:33qui a percé le poumon.
28:34Mais la chose troublante,
28:36c'est que le poumon du terroriste
28:37s'est rempli d'un litre de sang.
28:39Et ce que le médecin légiste explique,
28:41c'est qu'il faut un cœur qui bat,
28:43donc quelqu'un en vie,
28:44pour remplir les poumons d'un litre de sang.
28:46Ce qui veut dire que ça ne peut que être
28:48une balle qui a été tirée
28:50plusieurs minutes avant les balles du GIGN
28:52qui ont tué le terroriste.
28:53D'accord.
28:53Donc on suppose que c'est une des balles d'Arnaud.
28:55Donc logiquement, c'est une balle que Arnaud a posée.
28:58D'accord.
28:58Et la chose merveilleuse que ça raconte,
29:01c'est que Arnaud a tout bien fait
29:03du début à la fin.
29:04Il a même protégé ses gars jusqu'au bout.
29:06Et il a neutralisé le terroriste lui-même.
29:09Alors je sais que ce n'était pas dans les procédures,
29:12que ce n'était pas...
29:13Je sais qu'un soldat doit respecter les ordres.
29:15En l'occurrence, là, pour moi,
29:16le soldat, il était intervenu
29:18à un moment crucial pour sauver une vie civile.
29:21Et il s'y est très bien pris jusqu'à la fin.
29:23Wow.
29:25Wow.
29:25Est-ce que tu as été en contact avec la famille d'Arnaud ?
29:28Dans le mois qui a suivi l'attentat,
29:30j'ai reçu une très, très belle lettre de son épouse.
29:32Une lettre très sensible.
29:34Vous savez comment on n'en fait plus ?
29:36Sur un vrai papier, dans une vraie enveloppe,
29:38avec une belle écriture.
29:40Et une lettre très déculpabilisante.
29:43Parce que oui, tu culpabilisais peut-être un petit peu toi aussi.
29:46Et surtout, je me disais,
29:48mais elle fait partie des personnes qui doivent me haïr.
29:52Et non.
29:53Elle me disait elle-même
29:54que son mari n'avait fait que son travail,
29:57que je ne devais pas culpabiliser.
30:00L'épouse d'Arnaud est une croyante également.
30:02Et elle m'avait laissé de très belles phrases dans cette lettre.
30:04Sur le sens que tout ça pouvait avoir.
30:06Et sur le fait que ma vie avait du prix.
30:09Et j'ai eu un mal fou à répondre au courrier.
30:13Tu as mis un an, c'est ça ?
30:14J'ai mis un an à lui répondre.
30:16Et on a pu se rencontrer par la suite.
30:19Et ça a été un moment d'une extrême...
30:23Plein d'émotions et plein de délicatesse.
30:26L'épouse d'Arnaud est extrêmement sensible.
30:29Fine, douce, très intelligente.
30:31Elle choisit très finement ses mots.
30:33C'était une rencontre toute en délicatesse.
30:35Où elle avait des choses à me dire sur Arnaud.
30:38Sur sa personnalité, sur ses choix.
30:40Et moi, j'avais des choses à lui dire.
30:42Et je ne voulais surtout pas lui faire de mal.
30:44Lui dire des choses trop hardes.
30:45Je voulais lui dire comment moi j'avais vécu la scène.
30:48Comment Arnaud avait pris ma place.
30:50A quel point je l'avais trouvé professionnel.
30:54Dès les premières secondes.
30:55Dans la manière de s'y prouver.
30:57A quel moment tu as appris que Arnaud avait perdu la vie ?
30:59Le lendemain matin en allumant la télé.
31:01Ah, tu l'as appris en allumant la télé ?
31:03Oui, oui.
31:04Comment tu as ressenti ?
31:05C'était un effondrement.
31:06Parce qu'on avait perdu un homme d'une très grande valeur.
31:09Ça donnait un poids à ce qui venait de se passer, à mon histoire.
31:13Ça donnait un poids, une charge très, très, très, très, très lourde.
31:16Et j'ai eu envie de tout rejeter, de rejeter cette histoire.
31:20De dire, je ne porte pas ça.
31:22Très vite, j'ai eu très peur des médias.
31:24Et ça n'a pas tardé.
31:26Très vite, ils ont été dans notre village et à notre porte.
31:28Je fais un gros effort, en fait, pour Arnaud, pour faire savoir, mettre en valeur, voilà, mettre en valeur son courage.
31:37Mais à cette époque-là, j'étais terrorisée.
31:40Je voulais surtout, enfin, je voulais qu'on me laisse tranquille et je ne voulais pas jouer le rôle de...
31:45De la star.
31:46Ah, puis de cette caissière sauvée par un super gendarme.
31:51Peut-être pour ça aussi qu'aujourd'hui, tu souhaites témoigner à visage couvert pour vraiment mettre la gloire sur lui et pas sur toi.
31:56Et moi, en fait, je continue à avoir peur.
31:58D'une part, je dois protéger ma fille de remarques, de choses qui pourraient lui...
32:03De qui, qui, quelle qu'elle soit.
32:03Voilà, voilà.
32:04La plupart des gens sont bienveillants ou en tout cas pas malveillants.
32:07Mais il y a aussi beaucoup, beaucoup de gens qui sont maladroits.
32:10D'autres personnes qui sont un peu bêtes et quelques personnes toxiques, quelques rarissimes personnes dangereuses.
32:16Je n'ai pas envie d'attirer.
32:18Il n'y a pas besoin.
32:19Bien sûr.
32:20Deux, trois jours après, j'ai pu aller...
32:23C'était le mardi matin.
32:24Attentat le vendredi, annonce de la mort le samedi matin.
32:27Et le mardi matin, je peux aller voir le corps d'Arnaud avant qu'il le transporte à Paris pour la cérémonie des Invalides.
32:34Quand j'ai appris la mort d'Arnaud, en fait, c'est mon papa qui m'a soufflé l'idée parce qu'il a accompagné des gens dans la mort.
32:42Il connaît les protocoles.
32:43Il savait que ça pouvait te faire du bien.
32:44Et surtout, sur le plan psychologique, il savait que ça pouvait être très important.
32:47Et combien il avait raison.
32:49Donc, en fait, j'ai demandé à la gendarmerie de faire passer le mot, de faire passer ma question.
32:54Est-ce que je pouvais aller voir le corps d'Arnaud ?
32:56Et on me l'a accordé.
32:58Et j'ai pu aller voir Arnaud au funérarium.
33:02C'était un moment très important de revoir son visage, de le remercier et de lui faire une forme de promesse.
33:11De savoir que j'essaierais de me rendre digne du geste qu'il a eu.
33:15Et ça t'a aidé ? Ça t'a aidé pour la suite ?
33:17C'est une phase de deuil très importante, oui.
33:20Les phases de deuil, il ne faut pas les louper.
33:23Elles ne se présentent jamais.
33:24L'acceptation, la colère.
33:26Le fait de dire au revoir aux défunts, c'est une étape très importante.
33:32Si on en a la possibilité, c'est quelque chose qu'il ne faut pas manquer.
33:35Même si ça demande beaucoup de courage pour faire le premier pas, il ne faut pas le louper.
33:39Ensuite, il y a eu la cérémonie aux Invalides.
33:41Est-ce que tu as pu y assister, toi ?
33:43J'y ai assisté en me cachant des journalistes, donc ce n'est pas un très très bon moment pour moi.
33:48D'accord, ok.
33:49Il cherchait encore à avoir ton témoignage ?
33:51C'était le début, oui.
33:53Il cherchait à avoir mon témoignage et j'avais une journaliste très peu de colle qui me cherchait partout.
33:57C'est très rigolo, je me suis retrouvée parmi les gendarmes des Carcassonne.
34:00C'était très étrange.
34:01Je n'étais pas prête à assumer tout ça à ce moment-là.
34:03Si la scène se reproduisait, je leur poserais plein de questions, je me conseillerais plein de choses.
34:08J'étais un peu tétanisée encore à cette période.
34:11Est-ce qu'aujourd'hui, il s'est passé plusieurs années, est-ce que tu as regardé des séquelles de tout ça ?
34:16C'est comme une cicatrice au cerveau qui me provoque des problèmes de concentration, des problèmes de mémoire et des peurs un peu irrationnelles.
34:25Des flashs, des idées.
34:27Là, je pourrais me faire abattre.
34:29Là, je ne sais pas.
34:30Quand tu rentres dans un lieu, tu penses de suite à ça ?
34:33Oui, il y a des moments bénis, des instants bénis où je n'y pense pas.
34:40Mais sinon, j'ai toujours un réflexe de s'il se passe quelque chose, je vais me cacher où ?
34:44Je me jette où ?
34:45Une sortie de secours ?
34:46Oui.
34:48Derrière quoi je peux me cacher ?
34:50Comment je saisis ma fille ?
34:52Enfin, toujours des solutions à la recherche de solutions.
34:55Au cas où il se passerait encore un drame ?
34:57Oui.
34:58D'accord.
34:59Les médecins appellent ça l'hypervigilance.
35:01Julie, est-ce que tu peux nous raconter ta vie avant cette journée du 23 mars 2018 ?
35:05J'avais la joie, le bonheur de m'occuper de ma fille qui était née en 2015.
35:10J'avais pris une année sans travailler pour pouvoir la voir grandir et profiter d'elle et lui donner un maximum.
35:16Quand elle a eu un an, il fallait que je retravaille et je ne voulais pas retravailler dans des jobs d'ingénieur comme j'avais fait jusqu'à présent.
35:23Donc j'ai cherché un boulot de secrétaire ou d'assistante.
35:26Et quand on a beaucoup de diplômes, en fait, c'est très difficile de trouver un poste de ce type-là.
35:32J'avais fini par déposer des CV au magasin où je faisais mes courses.
35:35D'accord.
35:36Le fameux Super U, c'est ça ?
35:37Le fameux Super U.
35:38Ok.
35:38Et j'ai été prise à l'accueil.
35:40Je faisais de la caisse et de l'accueil.
35:41Et l'accueil est beaucoup plus complet et complexe que la caisse.
35:44Ça fait caisse centrale, ça fait les réclamations, les remboursements complexes et surtout la location de véhicules utilitaires.
35:50Ok, ok, très bien.
35:51Donc ce sont des journées avec des coûts de speed et un peu plus de responsabilité.
35:58Au final, ce n'était pas forcément moins stressant ?
36:00Pas du tout, non.
36:02Pas du tout.
36:02Tu as travaillé pendant combien de temps, du coup ?
36:04Je m'étais donné deux ans avant de repartir sur des jobs qui me correspondent à mes diplômes.
36:09Donc ça faisait un an et demi que j'y étais.
36:11Je commençais déjà à chercher un job d'ingénieur comme ce que je faisais avant.
36:14Tu as été suivie psychologiquement ?
36:16Oui. Oui, j'ai été suivie par des bons et moins bons psys.
36:21Et ce que je peux dire aujourd'hui avec six ans de recul, c'est qu'il y a encore des parts de mon traumatisme qui ne sont pas du tout traitées.
36:30Et j'aurais besoin de psys vraiment chevronnés pour traiter certains aspects du traumatisme.
36:36J'ai eu quelques bons psys, j'ai été suivie longtemps, mais le psychologue qui m'a suivie le plus longtemps avait ses propres limites
36:44et ne m'a pas permis de traiter les scènes les plus violentes finalement.
36:48Je me rends compte avec le recul, avec la fin du procès, que c'est toujours là.
36:51Et c'est très étrange.
36:53Les interviews me font réaliser plein de choses.
36:56Et le livre aussi, la rédaction du livre il y a à peine quelques mois, m'ont fait progresser beaucoup dans la reconnaissance de mes séquelles.
37:03Et j'aurais vraiment besoin de quelqu'un de très spécialisé.
37:06Quel type de profil tu cherches ?
37:08Peut-être un psychologue qui a travaillé avec des militaires.
37:11Sans prétention, je veux dire, je ne veux pas me comparer.
37:16Tu as été victime d'un acte terroriste qui peut s'apparenter peut-être à des crimes de guerre aussi.
37:21Oui, le fait d'avoir été braqué comme ça.
37:25Il faut quelqu'un qui puisse encaisser une grande violence parce que ce n'est pas quelque chose de courant.
37:30Si jamais il y a un psychologue chevronné qui peut t'aider, comment il peut te contacter ?
37:34Peut-être par mon avocat, Henri de Beauregard, à Paris.
37:37Il saura me transmettre les messages.
37:40Combien de victimes il y a eu en tout ?
37:42En fait, le terroriste a commencé sa journée en déposant ses soeurs à l'école,
37:46en allant à pied sur un parking un peu retiré, se procurer une voiture.
37:51Là, il a abattu deux personnes, dont une qui a survécu, Renato.
37:55Il lui a tiré dans la tête aussi, mais Renato a survécu.
37:58Il se bat aujourd'hui pour vivre le plus normalement possible avec la balle dans la tête.
38:02Il a récupéré la voiture, il est allé en ville dans Carcassonne.
38:06En quittant Carcassonne, il a vu une compagnie de CRS,
38:09quelques gars qui faisaient leur footing, qui rentraient, qui allaient rentrer à leur caserne.
38:13Il leur a tiré dessus dans le dos et blessé un, l'un d'eux.
38:16Et puis, il a continué sa route jusqu'au supermarché.
38:19Au magasin, il a tué Christian, M. Sosna et Arnaud.
38:23Ça fait quatre morts, avec Renato et le CRS, deux blessés par balle.
38:29Pourquoi as-tu envie d'écrire un livre ?
38:31L'envie, je l'ai eue dans les années qui ont suivi l'attentat,
38:34pour poser mon propre témoignage, en quelque sorte le graver dans le marbre,
38:38pour donner ma version sur l'action d'Arnaud.
38:41C'était mon hommage à Arnaud et je ne pouvais pas ne pas laisser un hommage.
38:48Donner ma version, dire ce que j'avais vu, le professionnalisme que j'avais vu chez Arnaud.
38:53Je ne pouvais pas faire autrement.
38:55Par contre, je n'arrivais pas à l'écrire, du tout.
38:57Je n'arrivais pas à m'y mettre.
38:59Il a vraiment fallu une conjonction d'événements et de personnes et de rencontres
39:05pour que ce livre voit le jour.
39:07Et en fait, il avait eu le jour juste fin 2023,
39:10où d'un coup, tout a été réuni.
39:12L'éditeur, Marc Hainaut, journaliste à Paris, pour m'aider à l'écrire.
39:17Mon avocat qui a ficelé tout ça.
39:19Mon mari qui s'est occupé de tout pendant que je co-écrivais avec Marc Hainaut.
39:25Et il a été écrit très, très rapidement.
39:27Et ça a été un immense soulagement, un énorme travail,
39:30mais un immense soulagement derrière.
39:32Et je voulais jeter mon témoignage.
39:34Je savais qu'après, derrière, il y avait un mois de procès à vivre à Paris.
39:39J'essayais comme ça, c'est une phase où j'essaye de me dégager un maximum du poids de cette histoire.
39:47J'avais des choses importantes.
39:48Un cri de douleur a passé aussi sur la prise en charge des victimes de terrorisme.
39:52En tout cas, ce que nous, comment on a été pris en charge, et moi, ce que j'ai vécu.
39:56On n'est pas encore au point en France sur la prise en charge des victimes.
39:59Peut-être que d'autres personnes s'en sont sorties beaucoup mieux.
40:01J'ai beaucoup galéré et j'avais un coup de gueule à passer là-dessus.
40:05Et à raconter aussi comment ma vie s'était cassé la figure après l'attentat,
40:09et comment je suis remontée.
40:10Ça, ça valait le coup d'être racontée.
40:12C'est quelque chose de positif, de beau, qu'il valait le coup d'être racontée, d'être transmise.
40:18Est-ce que tu as pu discuter avec d'autres victimes d'attentat ?
40:21Avec mes collègues de travail, on a ressenti énormément de soulagement
40:24à se revoir après l'attentat, à croiser les informations,
40:27à se dire les unes les autres ce qu'on avait vécu.
40:29Mais après, avec le temps, on a tous évolué de manière très différente.
40:33On se rend compte que par moments, entre victimes, si on reste trop en contact,
40:37on finit par se blesser sans le vouloir.
40:39Parce que toi, tu n'as pas avancé sur tel aspect, ça me fait du mal,
40:44ça me montre que moi, je n'ai pas avancé là-dessus, ça ne me fait pas du bien,
40:48ou je ne suis pas prête à voir ça.
40:49Et il y a une période, en tout cas, qu'on a traversée,
40:53où on s'est rendu compte qu'on ne se faisait pas toujours que du bien.
40:56D'accord.
40:57Avec les autres victimes de cet événement-là.
41:00Oui.
41:01Et curieusement, je n'ai pas eu l'énergie d'aller rencontrer d'autres victimes.
41:08Déjà, ça m'est arrivé d'avoir l'impulsion en voyant une interview,
41:12enfin des interviews des victimes qui prennent la parole,
41:14il n'y en a pas eu tant que ça.
41:15J'aurais pu entrer en contact avec des associations d'aide aux victimes.
41:18Mais je ne sais pas, je n'ai pas eu l'énergie pour ça.
41:21D'accord.
41:21Comment tu vas aujourd'hui ?
41:23Aujourd'hui, j'ai réappris à vivre.
41:25À la suite de l'attentat, j'ai traversé une longue période dans le désert,
41:29avec beaucoup de pertes, beaucoup de fracas,
41:32beaucoup de choses qui se sont cassées la figure autour de moi,
41:34beaucoup de douleurs, beaucoup d'incompréhension, de jugement et de difficultés à avancer.
41:39Et même trois ans après l'attentat, j'étais vraiment au fond du trou.
41:42Je commençais à être vraiment perdue, seule avec ma fille,
41:45pouvant plus compter que sur ma maman qui se fatiguait,
41:47pour m'aider de temps en temps.
41:49En fait, je me suis relevée en trouvant la foi, en acceptant la foi.
41:52D'accord.
41:53En rencontrant d'abord un prêtre, un chanoine,
41:56en faisant la connaissance d'une communauté catholique.
41:59Quand j'ai rencontré ce prêtre et cette communauté de paroissiens,
42:03moi qui étais une athée farouche jusqu'en 2018, 2019, 2020,
42:08j'ai commencé à me poser des questions sur la spiritualité, sur l'existence de Dieu.
42:16Et plein de personnes m'ont déposé des petits cailloux blancs sur ma route
42:21qui m'ont mené me poser de plus en plus de questions.
42:24Et il y a eu un moment, par exemple, où j'ai appris que Arnaud Beltrame avait la foi aussi,
42:29une foi profonde à laquelle il était revenu à 30 ans passés.
42:34Et voilà, ça aussi, c'est un caillou de plus pour vous dire, mais...
42:38C'est peut-être la solution pour t'aider, toi.
42:40Si, ça...
42:41Toutes ces personnes-là ne sont peut-être pas dans l'erreur, comme je croyais.
42:44Ça vaut le coup d'aller voir.
42:45Et puis, ah oui, ça, ça me parle.
42:47Ah ben ça, maintenant, je comprends.
42:48Alors, c'est quoi prier ?
42:49Ah oui, d'accord.
42:50Ah puis là, je vais trop mal, j'en peux plus.
42:52Enfin, je n'ai plus de force.
42:54Et je vais prier.
42:55Et je dépose une prière, je dépose mon sac à dos, je dépose mes rames.
42:58Je dis dans ma prière que je ne peux plus ramer,
43:01que moi qui ai toujours cru, la réussite est toujours forcément grâce à ton effort personnel.
43:06Et plus tu rames fort et plus tu vas réussir.
43:08Et en fait, là, non, j'admets qu'il y a une part qu'on ne maîtrise pas.
43:13Oui, et on peut accepter l'idée qu'on ne maîtrise pas tout,
43:18que notre trajectoire de vie, même si on va en décider certains virages,
43:22de les prendre, de ne pas les prendre, de les prendre serrés ou pas serrés,
43:25d'accepter l'idée qu'il y a des choses qui vont nous arriver,
43:27qu'on ne peut pas maîtriser, on ne peut rien.
43:29C'est comme ça, il faut les vivre, c'est sur notre trajectoire de toute façon.
43:33Il y a quelque chose de plus grand, de au-dessus de nous qui nous...
43:36Qui a un choix de vie pour nous.
43:39J'ai mon libre-arbitre, je peux faire des erreurs dans tout ça
43:42ou choisir la manière dont je mène ma vie,
43:44mais il y a des choses qu'on ne maîtrise pas.
43:46Et ça, ça m'a fait un bien fou de confier à Dieu, en fait, mon chemin.
43:50Je vais prendre ce qui vient, je vais arrêter de me battre dans tous les sens,
43:52d'essayer d'avoir maîtrise sur tout.
43:54Et du jour où j'ai fait ça, le ciel s'est ouvert et la lumière est apparue
43:58et ma vie s'embellit et je recoue les plaies et je réapprends à vivre.
44:04J'ai rencontré mon mari, j'ai réappris à vivre, j'ai compris beaucoup de mes séquelles
44:08et aujourd'hui, je vis avec les séquelles, mais je construis l'avenir.
44:13Voilà, je construis un avenir paisible, posé, sécurisant pour moi et dans la foi.
44:18Toutes mes félicitations et plein de bonheur pour la suite.
44:20Merci Thibault, merci beaucoup.
44:22Bravo !
44:23Merci !
44:23Bravo !
44:24Quel témoignage !
44:25On en a eu, mais celui-là était puissant.

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