Catherine Le Scolan a quitté son cabinet de médecin généraliste pour partir à Gaza en mission humanitaire. Affectée à l'hôpital Nasser, elle a soigné des blessés dans un décor apocalyptique.
00:00Toutes les nuits, j'étais réveillée par les bombardements et j'ai vu des bébés, des linceuls de 50 centimètres, des bébés morts.
00:08C'était tous les jours comme ça. C'est l'apocalypse. C'est tout gris, tout noir.
00:14Les premiers kilomètres, donc on traverse Rafa, il n'y a pas de vie, il n'y a pas un seul être humain.
00:18Et en entrant dans Ragnounis, on en voit un, deux, trois et puis on se rend compte qu'il y a plein de monde, il y a plein d'enfants.
00:24Et dans le noir, comme si c'était normal de vivre à partir de 5 heures du soir dans le noir, il y a des tas de choses qu'ils vivent comme si c'était normal alors que c'est inadmissible.
00:39Déjà, je voulais aller soigner depuis longtemps, pas que dans ce pays-là. J'avais envie d'aller soigner en Ukraine, mais je n'ai pas une formation de médecin humanitaire.
00:48Donc j'ai essayé par tous les moyens de partir. Et puis voilà, j'ai fait une mission de deux semaines au Gaza, il y a six mois.
00:58Enfin, ça ne se passe jamais de la même manière pour chaque ONG ou pour chaque mission, mais celle que j'ai vécue, en fait, on est resté pendant une heure au checkpoint avant d'entrer dans la bande de Gaza.
01:09Il y avait les grands murs que vous connaissez là, tout autour de nous.
01:12Et on a vu les voitures des blindés des Nations Unies entrer dans Gaza. J'ai vu des Français entrer dans la bande de Gaza avec des casques et des gilets pare-balles.
01:23Et nous, en fait, notre ONG, on avait plus l'air d'une équipe de touristes. Ils nous ont fait descendre avec nos valises à roulettes.
01:29On n'était pas ni casqués, ni protégés, ni rien. Ils nous ont fait passer à pied.
01:33Et on est entrés à pied dans la bande de Gaza, entre les barbelés, entre les murs et avec nos valises dans la poussière.
01:41Et de l'autre côté, il y avait un bus qui nous a pris en charge.
01:45Les médecins, on était... Déjà, mes collègues étaient muets pendant tout le trajet parce qu'ils étaient arabes et ils se sont fait humiliés à tous les checkpoints et pas moi.
01:54Moi, j'ai été témoin de discrimination entre les médecins arabes et pas arabes.
01:58S'il y a un déplacement sans autorisation, et dans le secteur des urgences, il y avait trois secteurs.
02:06Il y avait le secteur qui équivalait à un dispensaire.
02:09Et donc, moi, j'ai travaillé là, j'ai fait des consultations tous les jours.
02:12Je voyais une trentaine de personnes tous les jours de médecine générale parce que les gens, ils meurent des bombes,
02:18mais ils meurent aussi de malnutrition, ils meurent d'infections, des infections pulmonaires, des diabètes décompensés, des hypertensions pas soignées.
02:26Pendant deux semaines, il n'y a pas eu d'arrivée massive de blessés, mais quand même, toutes les nuits, j'étais réveillée par les bombardements.
02:36Et on voyait un afflux de morts arriver à la morgue de l'hôpital Nasser.
02:41C'était le quotidien.
02:42Ce que j'avais la première fois, la première mission, j'avais deux valises comme ça, remplies de médicaments.
02:49De morphine, de tramadol, d'anti-diabétiques, d'anti-hypertenseurs.
02:57Et en fait, tout a été confisqué parce qu'Israël ne nous laisse pas passer avec des médicaments.
03:02Tout est interdit.
03:03Actuellement, en tant que médecin, on peut passer, d'après le président de ma première ONG,
03:10on peut passer avec une boîte de paracétamol.
03:12Comment voulez-vous qu'on soigne les gens avec ça ?
03:16Mes collègues, à la première mission, se sont faits confisquer un stéthoscope.
03:21Je ne vois pas ce qu'on peut faire comme arme, fabriquer comme arme un stéthoscope.
03:27Pour manger des boîtes, des boîtes de sardines, des boîtes de thon, des boîtes...
03:39Même ça, je ne sais pas si on pourra passer des vitamines pour les gamins.
03:46Même du fer pour les femmes enceintes, on n'a pas le droit.
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