Avec Matthieu Grimpret, ancien professeur d’histoire-géographie en collège et lycée, formateur de professeurs des écoles et auteur de "Bullshit bienveillance : enquête sur la psychologie positive à l’école" (Editions Magnus)
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00:00Le Grand Matin Sud Radio, 7h-9h, Benjamin Glaze.
00:04Sud Radio, il est à 8h15. Cette question dans c'est à la une.
00:07Y a-t-il trop de pression sur les élèves à l'école ?
00:09À 4 jours de la rentrée des classes, la ministre de l'éducation nationale, Elisabeth Borne,
00:13indique vouloir réformer le contrôle continu au baccalauréat.
00:16Pour quelles raisons ? Eh bien, pour diminuer, dit-elle, la pression sur les élèves et l'anxiété.
00:21Certaines notes du contrôle continu ne compteront plus pour l'examen et pour Parcoursup.
00:27Bonjour Mathieu Grimpré.
00:28Bonjour.
00:28Et merci d'être avec nous ce matin sur Sud Radio.
00:31Vous êtes ancien professeur d'histoire géo en collège.
00:33Toujours professeur.
00:34Toujours, je rectifie, professeur des écoles.
00:39Et puis vous publiez donc aujourd'hui, je le montre, un livre intitulé
00:41Bullshit Bienveillance, enquête sur la psychologie positive à l'école.
00:45C'est aux éditions Magdu.
00:47J'aimerais qu'on revienne tout d'abord sur les mots employés par Elisabeth Borne.
00:50Elle parle de la pression, de l'anxiété qui pèserait sur les élèves.
00:54Qu'est-ce que ça vous inspire, vous, le professeur ?
00:57Alors c'est évident qu'il y a de la pression et de l'anxiété à l'école.
01:02Certainement d'ailleurs à quasiment tous les âges.
01:04Peut-être pas chez les petits, il ne faut pas exagérer.
01:06Mais bon, il y a aussi de la pression et de l'anxiété dans la vie, donc ce n'est pas une nouveauté.
01:11Pourquoi y a-t-il de la pression et de l'anxiété en fin de compte ?
01:14Plutôt pourquoi y a-t-il de l'anxiété chez les élèves ?
01:17Il y a de l'anxiété d'avoir de mauvais résultats, finalement.
01:19C'est aussi bête que ça.
01:21Pourquoi a-t-on de mauvais résultats ?
01:23Il y a deux raisons.
01:23La première, c'est qu'on ne travaille pas assez.
01:27Et la deuxième, on ne comprend pas ce que l'enseignant dispense comme savoir.
01:34À ces deux problèmes, il y a des solutions.
01:37Évidemment, quand on ne travaille pas assez, il faut chercher les raisons pour lesquelles on ne travaille pas assez.
01:42Est-ce que parce qu'on est distrait ? Est-ce que parce qu'on n'a pas de bonne méthode de travail ?
01:47Et puis, quand on ne comprend pas, c'est la même chose.
01:49Pourquoi ne comprend-on pas ?
01:51Est-ce qu'il y a besoin d'aller parler à son prof ?
01:52Est-ce qu'il y a besoin de se faire aider d'une manière ou d'une autre ?
01:57Est-ce que, et là, c'est une autre question,
01:59est-ce qu'on est vraiment à sa place ?
02:01À tel niveau, du lycée, du collège, dans telle spécialité, dans telle option ?
02:06Est-ce qu'on n'a pas forcé le passage, par exemple, en spécialité mathématique ?
02:10C'est l'arlésienne du débat scolaire.
02:14Donc, si vous voulez, qu'on assigne à l'école la mission d'assurer le bien-être psychologique des élèves,
02:25alors qu'elle a ses propres outils pour faire diminuer la pression et l'anxiété,
02:31qui sont des outils de type pédagogique, qui relèvent de l'instruction,
02:34c'est-à-dire la mission première de l'école, je trouve ça dangereux.
02:37Je trouve que c'est une dérive dangereuse.
02:38Vous dites que les professeurs se sont transformés en psy.
02:41Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? C'est ce que vous dites, là.
02:44C'est ce que je dis, c'est aussi, bien sûr, ce que je...
02:46Ou en tout cas, on demande aux professeurs de se transformer en psy.
02:48C'est ce que je développe comme thèse, entre guillemets, ou comme opinion dans mon livre.
02:54Alors, pour plusieurs raisons.
02:55D'abord, parce que c'est devenu une consigne officielle, dans les textes officiels,
03:01et ça a d'ailleurs été rappelé par la ministre hier.
03:05Le fait d'assurer le bien-être des élèves est devenu l'une des missions prioritaires de l'école.
03:10C'est devenu la priorité aujourd'hui ?
03:13Absolument.
03:13Plus que les apprentissages fondamentaux ?
03:15C'est ça le problème.
03:16Alors, il y a évidemment, comme dirait François Bayrou, il y a le cap et les mesures.
03:22Oui.
03:22Donc, dans les mesures naturellement que...
03:26Et d'ailleurs, il y a des mesures intéressantes qui ont été proposées hier par Elisabeth Borne.
03:30Mais le cap général est celui-ci.
03:32C'est ce que j'explique dans le livre, de manière très documentée.
03:34Le cap général, pour des raisons qui seraient peut-être trop longs de développer ici,
03:39est celui de transformer l'école en un outil pour assurer le bien-être des élèves.
03:46Or, évidemment que le bien-être est indispensable.
03:48Et on le voit, toutes les études aujourd'hui montrent que la santé mentale des jeunes est particulièrement inquiétante.
03:55Bien sûr.
03:561,6 million de jeunes sont considérés comme étant...
04:01Alors, les mots, là aussi, doivent être analysés, définis, mais entre guillemets en détresse psychologique.
04:07Donc, évidemment que c'est un sujet.
04:09Seulement, assigner cette mission-là à l'école, c'est d'abord l'assigner à la chaire à canon de l'école, c'est-à-dire les profs.
04:17Qui n'ont pas été forcément formés pour faire de la psychologie.
04:20Qui n'ont pas été formés, qui ne le veulent pas forcément, dont ce n'est pas la vocation.
04:23Alors, certains s'en débrouillent, bon, pour tout un tas de raisons, une disponibilité personnelle.
04:29Mais ce n'est pas ce pourquoi ils sont entrés dans la carrière.
04:33Donc, il y a là quelque chose d'hypocrite, il y a là quelque chose de brutal aussi, pour les enseignants.
04:37Et puis moi, je pose la question, c'est un témoignage que j'ai reçu d'un prof pendant mon enquête.
04:42Quand les profs jouent au psy, qui joue au prof ?
04:45Ce n'est pas les psys.
04:47C'est-à-dire que tout le temps, l'énergie, les ressources consacrées par les profs à faire le travail du psy,
04:52ne sont pas dévolues au travail de prof, qui est de transmettre le savoir et d'instruire les enfants.
04:57Est-ce que ça permet tout de même d'augmenter ou pas le bien-être à l'école ?
05:00Je n'en suis même pas sûr.
05:02Ma thèse, qui peut être contestée, mais j'y crois fermement, elle repose sur 20 ans d'ancienneté.
05:09Ma thèse, c'est que le bien-être de l'élève à l'école repose d'abord sur la discipline, c'est-à-dire la sécurité.
05:17Un élève, la portion, si vous voulez, la part du bien-être que l'école est capable d'assurer pour l'élève, c'est sa sécurité.
05:25Et de ce point de vue, il y a aujourd'hui des problématiques qui relèvent de la sécurité, sécurité physique, sécurité mentale, le harcèlement, etc.
05:34Mais ce sont des problèmes que l'école ne peut régler que du point de vue disciplinaire, que du point de vue, entre guillemets, sécuritaire.
05:42Si elle prétend les régler...
05:43Si elle prétend les régler sur le terrain psychologique, ou médical, ou médico-psychologique, on n'y arrivera pas.
05:52C'est aussi pour ça que je recommande, bien sûr, avec toutes les problématiques budgétaires que je n'ignore pas,
05:58mais que je recommande dans ce livre qu'on s'empare de la question de la psychologie, de la psychiatrie et de la médecine à l'école.
06:05Mais ça n'est pas...
06:07Moi, je me souviens, quand j'étais élève en troisième, j'ai eu un check-up médical avant d'entrer au lycée.
06:11Je crois que ça ne se fait plus.
06:13Mais ce ne sont pas les profs.
06:15Ce ne sont pas mes profs qui m'ont checké.
06:16Ce sont des médecins.
06:17Ce ne sont pas les profs à qui on devrait confier le bien-être psychologique des enfants.
06:23Ce sont des psychologues, des psychiatres, des neuropsychiatres, des pédopsychiatres, etc.
06:28Juste d'un mot pour conclure, le temps passe vite.
06:30Mais comment vous expliquez ce basculement de la priorité ?
06:32Ce sont les savoirs fondamentaux à la priorité, c'est le bien-être.
06:37Moi, je pense que...
06:38Et c'est ce que j'explique.
06:39J'essaye de retracer la généalogie de ce phénomène dans le livre.
06:42Je pense qu'au point de départ, il y a ce qu'on appelle le pédagogisme
06:45qui vise à mettre l'élève au centre du système.
06:49Alors, qu'est-ce que ça veut dire mettre l'élève au centre du système ?
06:51C'est qu'en fait, on dégage ce qui était auparavant au centre du système, à savoir le savoir.
06:55Et on y met l'élève à la place.
06:57Le problème, c'est qu'en y mettant l'élève, on y met toute la subjectivité de l'élève.
07:00Et puis, on entretient une espèce de rapport de force entre l'élève et le maître.
07:05Et ce rapport de force, cette espèce de lutte,
07:08les pédagogistes ont fait en sorte qu'elle soit remportée, cette lutte par l'élève.
07:15Or, finalement, cette lutte, c'est une lutte à somme nulle.
07:20Tout le monde y est perdant.
07:20Et le prof et l'élève.
07:21Et sur ce vide, la psychologie positive, le travail des émotions, des sentiments, des pulsions,
07:28qui n'a rien à voir avec l'instruction, a pris la place.
07:32Ça fait réfléchir en tout cas.
07:34Je rappelle le titre de votre livre, Mathieu Grimpré.
07:37Bullshit, bienveillance, enquête sur la psychologie positive à l'école.
07:41Ça sort aujourd'hui en librairie, aux éditions Magnus.
07:43Merci d'avoir été avec nous ce matin sur Sud Radio.
07:46Et très bonne journée à vous, 8h21 sur Sud Radio.
07:50Tout de suite, c'est l'heure, ma chère Laurie.
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