00:00Suite à une intervention pour traiter un anévrisme cérébral,
00:03je me réveille en réanimation sans savoir qui je suis.
00:06On m'a informée de mon prénom, de mon nom, de ma date de naissance.
00:09Pour autant, tous ces éléments-là ne m'évoquent absolument rien.
00:12Là, l'angoisse commence.
00:13La personne médicale est assez surpris, assez hackée,
00:17me fait passer une IRM cérébrale de contrôle,
00:19ainsi qu'un scanner, pour voir s'il n'y a pas des lésions post-opératoires.
00:23Ces premiers examens ne révèlent rien.
00:25L'information n'a pas été transmise vers mes proches.
00:27Donc on m'informe que mon ami, mon mari va venir me voir.
00:30Sauf que je ne sais absolument pas c'est qui, à quoi il ressemble, qui est-il.
00:33Je le précise, on me dit ne vous inquiétez pas, quand vous le verrez, ça va vous revenir.
00:37Il arrive et c'est bonjour monsieur.
00:39Et là, pour lui, c'est la douche froide, car le personnel ne l'avait pas prévenu dans mon amnésie.
00:42Pourtant, c'est l'être passager.
00:44Et il ne comprend pas ce qui arrive.
00:45Il pense que je lui fais une mauvaise blague.
00:47Il se rend compte très vite à mon regard et à mon état d'angoisse et de stress que ce n'est pas une blague,
00:51que je ne sais pas qui il est.
00:52Le chirurgien arrive, explique un petit peu ce qui s'est passé, qu'il n'a pas su être prévenu à temps.
01:00Donc il est désolé de la façon brutale dont mon ami apprend les choses.
01:04Mais que logiquement, c'est très rare, des cas comme le mien en termes de séquelles,
01:07mais que ça devrait passer d'ici 24 à 48 heures.
01:11De rester confiant et que de voir des proches va me faire du bien.
01:15Donc comment ce lendemain, le défilé des proches autour de moi ?
01:18J'ai un fils que je ne reconnais absolument pas, qui ne m'évoque absolument rien.
01:21Quelques amis viennent me voir, et pareil, toujours le vide, le néant.
01:25Et l'angoisse qui monte, la prise de conscience que j'ai oubliée purement et simplement toute ma vie.
01:30Je ne me rappelle que de moi depuis la salle de réveil.
01:33Et là, c'est très difficile parce qu'on se rend compte que tout ce qui fait ce que l'on est n'existe plus.
01:38En tout cas, être oublié.
01:40Je vois dans le regard de mes proches l'inquiétude, la peur, l'angoisse, voire la souffrance.
01:44Et cette souffrance-là, en même temps, m'est étrangère, puisque ces gens-là me sont étrangers.
01:48Donc, passé le premier état de sidération, je passe cinq jours à pleurer sur ce que je n'ai plus.
01:54Les médecins me laissent dans mon désert-roi, pensant que de toute façon, ce sera transitoire et passager,
01:59et qu'il n'y a pas grand-chose à faire à part attendre être patient.
02:02Sauf qu'attendre être patient quand on ne sait pas qui on est, quand on ne sait pas pourquoi on est là et qui sont ses proches, c'est très compliqué.
02:08Au-delà d'avoir perdu mes souvenirs personnels, je ne sais plus non plus le monde qui m'entoure,
02:15les événements qui se sont passés, le Covid, typiquement, est quelque chose que je ne connais pas.
02:19Rien ne m'est familier.
02:20On m'évoque des événements historiques, d'actualité, et rien n'est familier pour moi.
02:26Donc, c'est très dur.
02:26Je passe les premiers jours à lire, à essayer de comprendre, on m'explique comment fonctionne mon téléphone,
02:31et puis on se rend compte que pour accéder à beaucoup de choses, il faut un code.
02:34Ce code-là, je ne les connais pas.
02:35Je ne sais même pas ce que c'est qu'un code.
02:36Et là, devant moi, s'ouvre l'abîme de choses, et j'entrevois ce qu'il va me falloir,
02:41si ma mémoire ne revient pas rapidement, réapprendre à faire, réapprendre à vivre en société.
02:46Mais pour le moment, je me concentre sur moi, et je me dis, ça va aller, ne t'inquiète pas.
02:50Que quand je vais rentrer dans mon domicile, que quand je reverrai un peu les choses qui me sont familières,
02:55les souvenirs reviendront.
02:57Et je m'accroche à ça.
02:58Pour le moment, les gens défilent dans ma chambre, et je n'ai pas forcément envie de les voir,
03:02parce que je vis dans les yeux une souffrance qui ne m'est pas familière.
03:05On me dit de me rappeler de choses dont je ne me rappelle pas,
03:08et ça crée une frustration terrible et une angoisse terrible de se rendre compte
03:12qu'on déçoit les gens qui sont censés vous être des proches, mais qui pour moi ne sont rien.
03:16Les jours passent, je rentre chez moi, au bout de quelques jours, repasse à l'hôpital,
03:20où je n'ai eu aucun suivi, aucun psychologue n'est venu me voir, aucun médecin n'est venu me voir.
03:26On m'est fait seul dans cette chambre d'hôpital blanche,
03:28où pour moi, je vois le jour pour la première fois.
03:30Je rentre chez moi, et mon appartement ne me dit rien du tout.
03:33En plus, il se trouve que je vais déménager, j'ai anticipé que j'ai fait pas mal de cartons,
03:37c'est un appartement qui est assez impersonnel.
03:39Une première déception.
03:40Ma sœur m'accompagne, la personne qui dit être ma sœur,
03:43et me dit « bon ben voilà, c'est telle chose, c'est telle chose, c'est à toi,
03:46je vous ma garde-robe, j'ai devoir mes vêtements, et rien ne me dit, rien ne me plaît non plus. »
03:50Et là, c'est une double angoisse, parce que j'espérais beaucoup de ce gros tour
03:53à la vie dite réelle,
03:56pour effectivement commencer à avancer dans cette réparation mémorielle.
04:01Et pour autant, il n'y a rien.
04:02On me montre que c'est une machine à laver, je ne sais pas ce qu'est une machine à laver.
04:05On me dit « ça, c'est un micro-ondes, ok, bon, ce sera un micro-ondes,
04:08autre chose, ce serait pareil pour moi. »
04:10Et là, je sens l'angoisse, et là, il y a une vraie tristesse qui s'abat sur moi,
04:13et une forme de désespoir, où je me dis « mais qu'est-ce que je vais faire si ça ne revient pas ? »
04:17Et puis, bon, les jours passent, je vais rester sous surveillance,
04:20donc je reste chez mon amie quelques jours,
04:22et pareil, c'est un étranger qui veut avoir des gestes d'affection à mon égard,
04:25mais qui, pour moi, ne me parle pas, qui est cette personne,
04:28que me veut-elle, en fait ?
04:29Donc c'est sûr qu'il faut tout réapprendre.
04:31Je rencontre au quotidien plein de nouveaux défis,
04:34sur la compréhension des choses, sur les aliments, par exemple.
04:37Je n'ai plus la mémoire du coup,
04:39donc je ne sais plus ce que j'ai goûté, ce que j'aime, ce que je n'aime pas.
04:41Je ne connais pas ce qu'est un fruit, un légume.
04:43En dehors des choses qu'on m'a donné à manger à l'hôpital
04:45et qu'on a énuméré pour moi, le reste, la nourriture, ne me dit absolument rien.
04:50Donc je dois faire face aussi à ces défis-là, je ne sais pas ce que je veux manger.
04:52On me dit « Ah, regarde, ça, tu aimais beaucoup ça avant ».
04:54Eh bien, avant, c'était avant, parce que maintenant, je ne les aime plus.
04:57Quasiment la moitié chose que j'appréciais à manger, je ne les aime plus.
05:00Donc ça aussi, c'est difficile, parce qu'on sent dans le regard des autres
05:03qui veulent retrouver celles que vous étiez, il y a seulement une semaine, deux semaines,
05:07et que vous, vous ne sentez plus ce que vous êtes.
05:09Les amis défilent, la famille défilent, on me raconte qui je suis.
05:13On me dit « Voilà, quelle personne j'étais ».
05:14Mais je ne sais pas qui je suis.
05:16Je ne suis que ce que les gens veulent dire de moi dans leur regard.
05:18Et ça, c'est très difficile.
05:20Je commence à m'inquiéter, à me dire « Mais qu'est-ce que ça va devenir
05:23si je ne retrouve pas la mémoire ? »
05:24Je ne sais pas ce que je faisais comme travail.
05:26J'ai la compréhension des choses.
05:28Je n'ai pas perdu la mémoire sémantique.
05:30Donc je sais lire, parler, écrire.
05:33Mais les concepts me sont étrangers.
05:35Donc je lis sur Internet les définitions des mots que je ne comprends pas,
05:39des choses que je ne comprends pas,
05:40qui m'évoquent plus ou moins quelque chose.
05:42Mais je me sens complètement hors du bocal,
05:45hors de ma famille, hors de mes amis.
05:47On me décrit une personne que je ne sais pas si je suis cette personne.
05:51C'est subjectif.
05:52Je vis dans le regard des autres et dans le regard de mes proches.
05:54Et à partir de là,
05:55s'ensuit deux semaines de grand abattement
05:57où je perds tout espoir,
05:58où je vois que les jours passent
06:00et rien ne me vient.
06:01Je vais dans les endroits où j'habitais avant.
06:03J'essaie de retrouver des souvenirs,
06:06de voir des choses, des photos, des images.
06:09Rien ne m'évoque rien.
06:10Je me dis, mais qu'est-ce que je vais devenir ?
06:11Pour mon fils, qui est fils unique,
06:13c'est très dur car il ne retrouve pas sa mère.
06:15Moi, je le vois, je le trouve très gentil.
06:17Le lien maternel, pour le moment, ne m'est pas familier.
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