Passer au playerPasser au contenu principalPasser au pied de page
  • avant-hier
Didier Migaud, ancien ministre de la Justice, était l'invité de franceinfo le 4 juin 2025.

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00France Info Soir, l'invité, Agathe Lambrecht.
00:05Bonsoir Didier Migaud.
00:06Bonsoir.
00:07Vous avez été premier président de la Cour des Comptes et garde des Sceaux dans le gouvernement Barnier.
00:11C'est cette casquette que je voudrais activer en premier.
00:15Quel regard vous portez sur le débat actuel après les émeutes de ce week-end ?
00:20C'est la réponse pénale qui est mise en cause par le gouvernement.
00:22On va rentrer dans le détail, mais d'abord, est-ce qu'on assiste à une surenchère,
00:26une volonté de surfer sur l'émotion, ou c'est vrai, le code pénal n'est plus adapté à la violence d'aujourd'hui,
00:32comme le dit Gérald Darmanin ?
00:35Il y a peut-être un peu des deux.
00:37Il y a manifestement une démarche existentielle qui privilégie une stratégie de communication
00:42par rapport à des réponses de fond.
00:46Et je trouve toujours dommage de s'exprimer trop vite.
00:51Il cherche à exister, Gérald Darmanin ?
00:52Les bilans tirés à froid sont souvent meilleurs que les premières réactions à chaud,
00:59qui peuvent vous conduire à faire des propositions qui ne sont pas suffisamment étudiées
01:02dans toutes leurs composantes.
01:05Qu'il puisse y avoir quelques sujets, oui.
01:07Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que nous avons un événement
01:09avec des problèmes, ensuite de violence, de débordement.
01:15Ce n'est pas la première fois que la France est confrontée à cela.
01:18Et souvent, ensuite, on fait une loi ou on prend des mesures.
01:21Ça aussi, c'est assez classique.
01:22Alors, si on doit prendre une loi à chaque fois que, malheureusement, il y a un problème dans notre pays,
01:28là aussi, ça n'est pas la bonne façon de légiférer.
01:32Il y a un sujet, mais qui doit être vu dans sa globalité.
01:37Moi, je crois beaucoup au triptyque prévention.
01:41Il y a tout un travail qui doit être fait sur le terrain,
01:43et y compris dans le cadre de la politique de la ville,
01:46dans le cadre d'une police de proximité,
01:49dans le cadre d'une police judiciaire qui puisse être aussi très présente,
01:52d'un partenariat renforcé entre la police et la justice.
01:55Je suis de ceux qui considèrent que c'est quand même d'une rare stupidité
01:58d'opposer police et justice,
02:01comme le font parfois un certain nombre de responsables politiques.
02:04Il faut un partenariat renforcé.
02:07Et dans ce type d'événement, j'espère que ça a été le cas,
02:10il faut des réunions préalables entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice,
02:15que tout le monde soit mobilisé.
02:16Vous savez, l'État de droit, les problèmes de sécurité sont l'affaire de tous.
02:20Et principalement, effectivement, de la police et de la justice.
02:23Et puis il y a la sanction.
02:24Et ce sujet de la réponse pénale, donc pour vous, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt.
02:27Vous avez parlé de la prévention,
02:28mais effectivement, il y a aussi la sanction.
02:31Est-ce qu'elle n'a pas été... Est-ce qu'elle a été haut niveau ?
02:34Parce que Gérald Darmanin, après les premières comparutions immédiates,
02:36où les jeunes sont ressortis libres, il a dit que ce n'est pas suffisant.
02:39Quand vous regardez les décisions qui sont intervenues hier,
02:42bon, vous avez de la prison ferme.
02:45Elles sont plus dures que celles de lundi ?
02:47Oui, mais peut-être parce que les situations sont différentes ?
02:49Vous savez, ce que regarde le juge,
02:52c'est dans le cadre de la personnalisation, de l'individualisation de la sanction.
02:56Il regarde le dossier.
02:58Et le garde des Sceaux, tout garde des Sceaux qu'il est,
03:00il ne connaît pas la situation de toutes celles et ceux
03:03qui sont renvoyés devant un tribunal.
03:07Donc il faut éviter, je pense, de commenter.
03:09Moi aussi, j'ai trouvé ces débordements...
03:10Il a commenté la décision de justice, il n'en aurait pas dû.
03:12Je trouve ces débordements tout à fait inadmissibles, inacceptables,
03:17et la réponse pénale doit être ferme.
03:20Je suis contre le laxisme en la matière.
03:23Mais parler de laxisme, de la justice en permanence,
03:28de la part de responsables politiques,
03:30ça conforte aussi le sentiment que peuvent avoir les gens
03:32et qui ne correspond pas à la réalité d'aujourd'hui.
03:35Oui, mais Didier Migaud, les Français pensent que la justice est laxiste.
03:38Et quand on voit que des jeunes...
03:40Attendez, Didier Migaud, quand des jeunes vont avec du mortier d'artifice,
03:43place de la Concorde, et qu'ils tirent en direction de CRS,
03:46dans le cadre d'un événement aussi grave, aussi dangereux,
03:49et qu'ils ressortent libres, qu'on ne leur prononce que du sursis,
03:53vous comprenez que les Français s'interrogent.
03:55Pourquoi uniquement du sursis ?
03:57Je pense qu'il faut une réponse pénale forte.
04:02Mais la justice n'est pas laxiste, contrairement à ce que l'on dit.
04:05Il n'y a jamais eu autant de détenus dans les prisons.
04:08Les peines de prison qui sont prononcées
04:11sont beaucoup plus importantes qu'elles ne pouvaient l'être hier.
04:14En revanche, la justice est lente.
04:17Les décisions de justice ne sont pas toujours exécutées.
04:20Lorsque, par exemple, une personne est condamnée à des travaux d'intérêt général,
04:23parfois il se passe un an, deux ans, avant que la peine soit exécutée.
04:27Ça, c'est inadmissible.
04:29Et est-ce que le sursis, ce n'est pas une façon, aussi,
04:31un pis-aller face à la surpopulation carcérale ?
04:34Est-ce que vous reconnaissez que parfois les juges ont d'autres choix ?
04:37Je suis pour des peines courtes que l'on puisse faire.
04:41Mais ça pose le problème, effectivement.
04:44de la prison.
04:46Il faut des prisons, des établissements différenciés,
04:48selon le type de délinquants.
04:50Je l'avais proposé, d'ailleurs, je l'avais mis en avant
04:52quand j'étais garde des Sceaux.
04:54Parce qu'aujourd'hui, vous êtes confrontés à une surpopulation carcérale.
04:58Si vous envoyez des jeunes, comme ça, pendant deux mois ou trois mois,
05:01dans une maison d'arrêt qui est totalement surpeuplée,
05:04il va en sortir encore conforté dans la délinquance.
05:07Encore plus dangereux que quand il y est rentré.
05:09Peut-être que lorsqu'il y est rentré.
05:11Donc, il faut réfléchir à tout cela.
05:13Il ne faut pas oublier que lorsque vous entrez en prison,
05:16à un moment donné, vous en sortez.
05:17Donc, il y a aussi la question de l'insertion.
05:20Et c'est aussi la question des moyens.
05:23Enfin, le budget de la justice est indigent dans notre pays.
05:27Et il a encore été un petit peu raboté.
05:29Alors, il a été fortement augmenté.
05:31Il faut poursuivre l'effort.
05:33Et je ne trouve pas sérieux qu'on puisse raboter les ministères régaliens.
05:40Je suis tout à fait conscient de la situation des finances publiques,
05:43qui est celle de la France, qui est celle de notre pays.
05:45J'ai été premier président de la Cour des comptes pendant suffisamment longtemps.
05:48Mais vous avez des tas de pays qui arrivent à maîtriser leurs finances publiques
05:51tout en assurant des priorités.
05:53Pourquoi n'arrivons-nous pas à le faire ?
05:55Et qu'on puisse raboter, comme ça a été fait en début d'année,
05:59le budget de la justice, par exemple de 130 millions d'euros,
06:02qu'on puisse raboter le budget du ministère de l'Intérieur,
06:04je trouve qu'il y a une contradiction très forte
06:06entre des paroles qui se veulent très fortes,
06:10dans une surangière sécuritaire,
06:12et qu'on ne soit pas capable de préserver son budget.
06:14Vous voulez dire que Gérald Darmanin aurait mieux fait de préserver son budget
06:17au lieu de faire des propositions intempestives ?
06:18Ça pourrait être un motif sérieux de démission.
06:21Le garde des Sceaux pourrait démissionner pour cette raison ?
06:23Je n'en sais rien, mais je pense que...
06:25Selon vous, en tout cas, c'est un motif important.
06:27Il faut savoir ce que l'on veut.
06:28Est-ce que la justice doit avoir les moyens d'un pays comme la France ?
06:32D'un État qui, justement, veut assurer la sécurité de ses concitoyens
06:36et pouvoir sanctionner quand c'est nécessaire ?
06:39Et d'un mot, Didier Migaud,
06:41sur les peines minimums que veut mettre en place Gérald Darmanin,
06:44ça va un peu dans le sens que vous disiez,
06:46des courtes peines automatiques, 3 mois par exemple.
06:48Oui, il faut sûrement revoir.
06:49Est-ce qu'on peut le faire ?
06:50Là-dessus, parce que, contrairement parfois à ce qui se dit,
06:55on peut être de gauche et ne pas être laxiste.
06:57J'estime que la sécurité doit être une priorité
07:00et c'est une responsabilité des pouvoirs publics.
07:03Donc on doit tout faire pour que cette sécurité
07:05soit effectivement préservée.
07:07Didier Migaud, une question sur le narcotraficant.
07:11Sur les peines planchées.
07:15Vous savez, à chaque fois qu'il y a des problèmes,
07:17on prend un certain nombre de lois de disposition.
07:21Il y a eu la loi anti-casseurs.
07:23Vous avez eu les peines planchées.
07:25Quand vous faites le bilan de ces lois,
07:28vous vous rendez compte,
07:30et c'est un diagnostic partagé,
07:32qu'en fait, ça a assez peu répondu
07:34à l'objectif que s'étaient fixés les auteurs
07:37de ces dispositions.
07:38Donc voilà, j'invite à réfléchir,
07:41à travailler avec l'ensemble des acteurs.
07:43J'avais lancé trois groupes de travail
07:45au niveau de la justice,
07:47avec des magistrats,
07:48avec des personnels pénitentiaires,
07:50avec des avocats,
07:51qui ont rendu un certain nombre de propositions
07:53aux gardes des Sceaux actuels.
07:56Travaillons là-dessus.
07:58Les magistrats sont les premiers conscients
08:00des difficultés qu'il peut y avoir.
08:01On voit que vous êtes encore passionné par le sujet,
08:03mais il faut qu'on avance.
08:03Oui, parce que je trouve que
08:05je suis très préoccupé par l'image
08:10que peuvent avoir nos concitoyens de la justice.
08:13Et on vous entend,
08:14le narcotrafiquant Mohamed Amra,
08:16dont l'évasion l'année dernière
08:17avait provoqué la mort de deux agents pénitentiaires,
08:19doit être extrait la semaine prochaine
08:21de sa prison ultra-sécurisée
08:23à Condé-sur-Sarthe,
08:24pour être interrogé à Paris
08:25par des juges d'instruction.
08:27On a l'impression que d'histoires
08:28pourraient se répéter.
08:30Donc, Bruno Retailleau a dit
08:32qu'il préférait que le juge se déplace
08:34plutôt que de faire sortir Mohamed Amra
08:36de sa prison
08:37et prendre des risques majeurs.
08:39Est-ce que vous êtes d'accord
08:40avec Bruno Retailleau ?
08:42Le juge est souverain dans sa décision,
08:44mais je trouve qu'il doit prendre en compte,
08:47je dirais,
08:49il doit proportionner aussi sa décision
08:51au regard du coût
08:52que ça peut représenter
08:53pour la collectivité,
08:55parce que vraisemblablement,
08:56ça va bien se passer,
08:57mais combien de forces
08:58vont être mobilisées ?
09:00Ça coûte aussi très cher.
09:01Combien l'opération va coûter
09:02à la fois sur le parcours
09:04et puis au niveau du palais de justice.
09:07Donc, il faut aussi proportionner la décision.
09:11En plus, il y a un contexte particulier.
09:12Moi, Mme Amra,
09:13il y a eu deux morts,
09:17des blessés.
09:18Oui, donc les agents pénicentiaires
09:19vivent très mal cette décision du juge.
09:21Il y a tout un contexte.
09:22Et ça, je trouve bien
09:25quand la justice prend aussi en compte le contexte.
09:28Donc, vous êtes d'accord avec Bruno Retailleau
09:30et pas avec Gérald Darmanin
09:31qui lui dit qu'il est certain
09:33qu'il ne se passera rien
09:34et donc il assume cette décision du juge
09:36d'avoir fait le transfert.
09:37Évitons de parler trop vite, vous savez.
09:39J'espère qu'il ne se passera rien,
09:40bien évidemment.
09:40C'est ce qu'il a dit, en tout cas.
09:42Bien évidemment.
09:43Sur le budget, François Bayrou
09:45assure qu'il ne se dérobera pas.
09:47Vous qui avez été premier président
09:49de la Cour des comptes pendant 10 ans,
09:52qu'est-ce que vous en pensez ?
09:5340 milliards d'économies à trouver.
09:55Est-ce que c'est impossible ?
09:57Je pense que notre pays a un vrai sujet
09:59par rapport à la dépense
10:02et principalement, d'ailleurs,
10:03nos responsables politiques
10:04qui s'intéressent,
10:07et je le regrette,
10:08je l'ai beaucoup regretté
10:09quand j'étais moi-même parlementaire
10:11et premier président de la Cour des comptes,
10:14davantage à l'affichage
10:16qu'à l'efficacité et l'efficience
10:19de la dépense.
10:20Et nous avons un gros sujet
10:22d'efficacité et d'efficience
10:24de la dépense dans notre pays.
10:24On dépense trop, mais on dépense mal.
10:26On dépense pas toujours très bien
10:27avec efficacité et avec efficience.
10:31Nous sommes le premier en termes de dépense
10:33parmi les pays qui nous sont comparables.
10:36En revanche, nous sommes rarement
10:38parmi les premiers quand il s'agit
10:39de mesurer l'efficacité et l'efficience
10:41de la dépense.
10:42Donc il y a un vrai sujet.
10:43Et quand on parle de dépense
10:45finance publique, tout de suite,
10:47on parle impôts et taxes.
10:50Alors que la France est le pays
10:51le plus taxé de l'OCDE ?
10:53Oui, déjà.
10:54On peut encore se permettre
10:55d'augmenter les impôts ou les taxes ?
10:57Il faut pouvoir redresser
10:57nos comptes publics.
10:58Alors faisons attention,
11:00il ne faut pas non plus
11:01que le traitement tue le malade.
11:03Ça, c'est évident.
11:04Donc il faut pouvoir montrer,
11:06mais surtout un effort constant.
11:07Ce qui peut rassurer nos partenaires,
11:09c'est un effort constant, durable.
11:12En matière de finance publique,
11:13nous avons rarement respecté
11:15nos engagements.
11:16Et quand vous entendez les pistes
11:18qui circulent au gouvernement,
11:19par exemple le retour de la TVA,
11:21social, est-ce que ça va
11:24dans le bon sens ?
11:25C'est une augmentation de la TVA.
11:26Une augmentation de la consommation
11:28pour diminuer les charges sur le travail.
11:29Immédiatement, immédiatement.
11:30Non, mais qu'il puisse y avoir
11:31des sujets qu'on mette sur la table,
11:33qu'on puisse travailler d'ailleurs
11:35en concertation avec les partenaires sociaux,
11:38et je crois les partenaires sociaux
11:39très responsables aussi,
11:40vis-à-vis de ces sujets.
11:42Oui, je suis ouvert là-dessus,
11:44mais on a un vrai sujet,
11:46quand même, de maîtrise
11:49de notre endettement,
11:50et surtout d'assurer l'efficacité,
11:52l'efficience de notre dépense publique,
11:53ce qui n'est vraiment pas le cas.
11:55Rapidement, si vous étiez
11:56à la tête de la Cour des comptes,
11:57c'est ça que vous préconiseriez aujourd'hui ?
11:58Mais c'est ce que fait mon successeur,
12:00Pierre Moscovici.
12:00Vous diriez ça ?
12:01Il n'arrête pas de le dire.
12:03Et je pense, par exemple,
12:04que sur les comptes de la sécurité sociale,
12:06les comptes sociaux,
12:07je suis favorable
12:08pour l'instauration
12:10d'une règle d'équilibre
12:11sur un cycle donné.
12:12Bien sûr,
12:12ce n'est pas sur une année donnée,
12:14mais sur trois ans, par exemple.
12:16Ce sont des dépenses courantes.
12:18Et il est anormal
12:19de les financer par emprunt.
12:21Et les déséquilibres
12:23au niveau de la sécurité sociale
12:24sont préoccupants.
12:27Merci beaucoup, Didier Migaud.
12:29Il faut qu'on arrête là.
12:31On s'est un premier président
12:32de la Cour des comptes.
12:33Merci d'avoir répondu
12:33aux questions de France Info.
12:34Et merci, Agathe Lambret.
12:35On se retrouve à 20h
12:36pour les informer.
12:37de la Cour des comptes.

Recommandations