Le 8 octobre 2023, le Hezbollah libanais ouvre un front contre Israël. Pendant plusieurs mois, le conflit de moyenne intensité reste confiné sur la zone frontalière entre le Liban et l’État hébreu. Avant de franchir un nouveau palier en septembre 2024 et de s’étendre jusqu’à Beyrouth, où se trouve la rédaction de “L’Orient-Le Jour”. “Courrier international” a rencontré Stéphanie Khouri, journaliste du quotidien francophone.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Mais il y a eu aussi des frappes au cœur de Beyrouth,
00:02on a des journalistes qui vivaient à quelques rues de frappes qu'il y avait.
00:06On avait peur nous-mêmes pour notre sécurité, pour nos familles.
00:10On a sérieusement étudié la possibilité de transférer nos locaux.
00:14Je m'appelle Stéphanie Rouly, je suis journaliste à Lorient-le-Jour depuis 2020.
00:20Lorient-le-Jour, c'est le plus grand quotidien francophone au Liban,
00:23un des plus anciens de la presse écrite au Moyen-Orient,
00:26puisqu'on a fêté en 2024 nos 100 ans.
00:30On traite de tous les sujets qui ont trait au Liban, on traite de la région également.
00:35C'est un média aujourd'hui qui est écrit en deux langues, en anglais et en français.
00:39Le fait qu'on écrive en français, quelque part,
00:41ça nous permet de dire et d'écrire des choses qui sont beaucoup plus difficiles à faire en arabe.
00:47Ça ne veut pas dire qu'historiquement, on n'a pas souffert d'une censure officielle.
00:52Maintenant, on a été capable aussi de maintenir cette liberté de ton, cette indépendance,
00:58aussi parce qu'on a une indépendance financière qui est assez rare au Moyen-Orient
01:03et surtout au Liban, où les médias sont beaucoup reliés à des grandes familles politiques
01:10et très rapidement perdent en liberté de ton.
01:13La francophonie est en recul au Liban.
01:16On s'adresse naturellement à une partie des Libanais.
01:21Évidemment, le fait d'écrire sur un terrain arabe, en français,
01:26nous positionne naturellement à traduire pour un public occidental
01:31la réalité des pays de la région.
01:34Et on est naturellement dans une position de trait d'union, de pont entre l'Orient et l'Occident.
01:41C'est un peu cliché de le dire, mais je pense vraiment, surtout depuis le 7 octobre,
01:45que c'est une réalité et que nos journalistes sur le plan individuel ont vraiment conscience
01:49que leur travail sert aussi de pont entre deux visions du monde
01:54qui sont de plus en plus antagonistes, sans nuances et tranchées.
01:58Le 8 octobre 2023, soit le lendemain des attaques sans précédent du Hamas en Israël,
02:04le Hezbollah libanais lance des tirs de roquettes sur l'État hébreu
02:07en soutien au mouvement palestinien.
02:09Cette organisation politico-militaire est à cette époque dirigée par Hassan Nasrallah.
02:13Pendant plusieurs mois, les échanges de tirs se multiplient
02:16dans le sud du Liban et au nord d'Israël,
02:18mais le conflit franchit un nouveau palier en septembre 2024
02:21lorsque l'armée israélienne amplifie sa campagne militaire contre le Hezbollah.
02:25En deux mois, ses frappes aériennes intensives
02:27et l'offensive terrestre dans le sud du pays feront plus de 500 morts
02:31et déplaceront des centaines de milliers de personnes.
02:33Stéphanie Coury revient sur cette période.
02:35Quand il y a eu l'escalade, on était extrêmement prudent par rapport à nos journalistes,
02:39d'autant qu'il y a eu des journalistes libanais qui ont été blessés
02:43et d'autres qui sont morts.
02:44Donc on avait vraiment une conscience très aiguë du danger.
02:47À partir de septembre, c'est devenu extrêmement compliqué
02:50d'envoyer les journalistes sur le terrain.
02:53Et puis, outre le fait que le terrain parfois est devenu en bas de chez nous,
02:55c'est-à-dire que là, on parle du terrain, on parle du sud, du Liban sud.
02:59Mais il y a eu aussi des frappes au cœur de Beyrouth.
03:01On a des journalistes qui vivaient à quelques rues,
03:04de frappes qu'il y avait.
03:05On vivait au quotidien avec la vue, les fumées qui montaient sur Beyrouth
03:11parce qu'on est un peu en hauteur de nos bureaux.
03:13Je me souviens en particulier de la nuit, de la frappe de Nasrallah,
03:17où on a dû faire des détours pour rentrer chez nous.
03:21On était en permanence au courant des frappes qui allaient avoir lieu
03:24via le compte Twitter du porte-parole de l'armée israélienne.
03:27Et on essayait de circuler une fois qu'il y avait eu l'alerte
03:32et qu'il y avait eu la bombe, en attendant la prochaine alerte.
03:36On avait peur nous-mêmes pour notre sécurité, pour nos familles.
03:39On ne savait pas si demain, après-demain, dans une semaine,
03:43on allait être contraints de quitter le pays.
03:45On a sérieusement étudié la possibilité de transférer nos locaux,
03:49que ce soit dans des régions plus au nord, qui sont plus à l'écart,
03:53où à un moment donné, même, on a considéré l'option d'aller à Chypre.
03:56Quand il y a une situation de ce degré de gravité qui arrive dans son pays,
04:00on a encore plus le sens de notre travail et de continuer.
04:05On travaillait à sur-régime, tout le monde s'est mis à tout faire.
04:08On travaillait la nuit, on avait des shifts de nuit.
04:10Ça venait de nos tripes.
04:12Il y avait vraiment un sens.
04:13On avait une mission, au-delà du journalisme, c'était pour le Liban,
04:16de raconter ce qui se passait, de porter la voix des Libanais à l'extérieur,
04:22surtout dans les médias occidentaux, où on sentait un énorme décalage.
04:24Pour beaucoup d'entre nous, c'est beaucoup après la guerre,
04:27que beaucoup d'émotions sont remontées,
04:30que tout ce qu'on avait mis de côté face à l'urgence de la situation
04:32est revenu au premier plan.
04:34On a tous conscience que la situation au Liban est précaire.
04:37Maintenant, il faut dire que depuis le cessez-le-feu,
04:40qui a eu lieu en fin novembre, entre le Hezbollah et l'Israël,
04:43la formation du gouvernement de Nawaf Salam a apporté une forme de soulagement.
04:49Il y a eu une forme d'espoir qu'on n'avait pas connue au Liban depuis longtemps.
04:54Maintenant, on sait que c'est fragile.
04:56D'abord parce que le cessez-le-feu n'a pas vraiment été un cessez-le-feu.
04:59Les frappes israéliennes sont redescendues d'intensité,
05:02mais elles ont continué.
05:03Il y a eu des centaines de morts après le cessez-le-feu au Liban.
05:07Et ensuite, parce que le gouvernement de Nawaf Salam
05:09l'a jusqu'aux législatives qui sont prévues pour mai 2026.
05:13Donc les législatives vont rebattre les cartes sur le plan politique.
05:17Et là, c'est le grand inconnu.