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"Je suis toujours une anomalie mais maintenant j'ai appris à vivre avec ça", assure l'écrivaine Faïza Guène
France Inter
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il y a 1 an
La romancière, scénariste et réalisatrice Faïza Guène est l'invitée du 7h50 pour son nouveau roman "Kiffe kiffe hier" aux éditions Fayard.
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Bonjour Faye Zagen, écrivaine, vous publiez aujourd'hui en cette rentrée littéraire
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votre nouveau roman « Kiff Kiff » hier chez Fayard, 20 ans après l'énorme succès
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de « Kiff Kiff » demain, deux décennies plus tard, donc c'est le retour de votre
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héroïne Doria, qu'on avait quittée adolescente, pleine d'humour et d'espoir dans sa cité
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de Livry-Gargan, et que l'on retrouve aujourd'hui à 35 ans, mère de famille, au chômage, sur
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le point de divorcer, mais heureusement toujours avec le même humour décapant, on va y revenir.
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Vous avez écrit plusieurs livres entre temps, mais elle vous avait manqué Doria ?
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Oui, et à vrai dire c'est sa légèreté qui m'avait manqué, c'est pour ça que
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j'ai décidé de convoquer à nouveau ce personnage, elle m'avait manqué.
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Pour retrouver ce ton, cette écriture aussi, de 2004.
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Oui, dans quelque chose de plus léger, et puis son humour en fait, la manière d'aborder
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les sujets qui sont abordés dans le roman, j'avais besoin d'elle pour les aborder
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comme ça.
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Oui, parce qu'en deux décennies il s'en est passé des choses dans sa cité, mais
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pas seulement, des choses sur lesquelles il fallait absolument que Doria revienne,
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fasse le bilan.
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Dans sa cité, surtout dans son pays, j'ai envie de dire.
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Oui, absolument, pour faire ce bilan, parce que 20 ans c'est quand même un cycle, et
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pour moi aussi en tant qu'autrice, donc je trouve que c'était une manière de revenir
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sur ces dernières années, ça m'a permis de le faire en fait, je pense que je n'aurais
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pas réussi sans cette dérision et cette distance.
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Oui, alors disons-le, il fallait faire le bilan de 20 ans, de montée de l'extrême
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droite, entre temps il y a eu les émeutes, il y a eu les attentats, la radicalisation
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des discours, tout cela, Doria avait quelque chose à dire, et vous à travers elle ?
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Oui, absolument, et puis aussi la montée du racisme, de l'islamophobie, ça continue,
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c'est encore plus violent qu'avant, et puis sur la question du féminisme par exemple,
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parce qu'on a beaucoup dit de Kif Kif Demain que c'était un livre sur la banlieue, et
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j'ai toujours trouvé ça assez injuste, donc c'est aussi une manière de réhabiliter
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ce personnage et de le présenter autrement aussi.
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Il y a des conversations que nous devons absolument avoir ensemble pour continuer, sinon ce sera
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Kif Kif hier, fini demain, le réveil a été brutal, France 98 appartient à un lointain
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passé, Zizou président projeté en faisceau lumineux sur l'arc de Triomphe, quelquefois
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je crois l'avoir rêvé, j'en suis au moins à la dixième vidéo de clients noirs
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qu'on empêche d'entrer dans un restaurant pour dîner.
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Elle a sacrément perdu de son innocence et de ses espoirs, Doria aussi ?
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Je pense que ça a toujours été un personnage lucide, c'est-à-dire même en 2004 quand
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je l'ai écrit à l'époque, j'avais 17 ans, je pense qu'elle avait déjà une forme
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de lucidité, et qu'elle l'a toujours, mais justement l'espoir c'est quelque chose
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qui demeure, malgré tout ce que vous venez de lire, un passage, tout ce que je dis et
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tout ce que je raconte dans le roman, si je l'ai convoqué, si j'ai eu envie d'écrire
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cette suite, c'est parce que c'est la seule qui pouvait me permettre de garder de l'espoir,
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c'est vraiment important pour moi.
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Et donc, de la légèreté, on le disait, dans la forme, on retrouve votre ton, votre
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écriture, cet humour noir aussi très incisif, cette plume très directe, on passe parfois
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du coq à l'âne, ça va très vite, les sujets traités sont lourds, mais toujours
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vous le disiez, vous y tenez avec cette légèreté.
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Oui, je crois même que c'est une forme de miracle qu'on continue à pouvoir parler
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de nous, collectivement, en tant que nation, et puis de chacun d'entre nous, c'est
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un miracle qu'on puisse continuer à avoir de l'espoir et en rire.
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C'est-à-dire que, pour son cas en tout cas, pour ce personnage, quand je parle de
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l'islamophobie, du racisme, ce qu'on vit en fait en France aujourd'hui, qu'on continue
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à pouvoir rire et à pouvoir, je dis souvent, nous sommes miraculeux.
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Alors, il y a un extrait assez drôle à propos de l'islamophobie et de la montée du racisme.
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Donc, elle parle de son compagnon, enfin de son ex-compagnon qui s'est converti à l'islam.
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Je tiens à préciser que je n'ai rien à voir avec la conversion de Steve, c'était
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l'année antérieure à notre rencontre, pas la peine de me ficher S, sa décision
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résulte d'une longue réflexion personnelle, elle est même née d'un fort et inexplicable
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désir d'être arabe, il y a vraiment des gens qui cherchent la mierda.
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Derrière la formule et derrière cet humour, il y a quand même cette amertume tout au
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long du livre chez Doria.
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En fait, il y a un constat juste honnête, enfin ce passage c'est évident que ça veut
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juste dire, pas facile d'être un arabe en France aujourd'hui, et personne ne peut
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me contredire je crois.
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Mais vraiment, j'avais envie d'aborder ces sujets-là avec cet humour, aussi pour
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dire, voilà, je le répète, mais on continue de rire de nous, tous ensemble, de soi et
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ça c'est...
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Et même des sujets très sensibles, même des sujets qui fâchent, il y a un passage
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très marquant où Doria raconte comment des islamistes radicaux ont remplacé ces
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20 dernières années les médiateurs, les grands frères dans les quartiers, vous dites
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la place étant restée vacante, d'autres groupes d'influence se sont organisés, pas
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de t-shirts cette fois, mais des camises blancs, des Air Max, des longues barbes, eux aussi
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étaient des grands frères qui allaient à leur tour parler aux jeunes, même méthode,
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différents discours, et puis ces mêmes jeunes, ces mêmes fils dont les cervelles étaient
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en plein lavage, ont commencé à remettre complètement en question l'éducation religieuse
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de leurs parents.
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Vous le racontez du point de vue des parents musulmans qui se sont vus remettre en cause
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leur pratique religieuse par les enfants, ça c'est un point de vue assez rare qu'on
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lit peu, qu'on voit peu.
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Parce qu'on ne donne pas la parole aux gens qui sont concernés par les problèmes qui
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sont abordés, et c'est constamment le cas pour plein de sujets différents, et là d'ailleurs
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ce passage, au milieu de tout ça, il y a aussi avant ces grands frères-là, c'est
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aussi pour raconter le cynisme des politiques locales, par exemple, qui se sont servies
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de ces gens, et puis qui les ont abandonnés, je parle surtout de l'abandon de ces populations,
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de leur stigmatisation permanente, et moi j'avais envie aussi de récupérer de la même
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manière le point de vue et la voix, et de le raconter par notre prisme.
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Il y a des choses qui n'ont pas changé quand même en 20 ans pour Doria, et notamment cette
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rancœur, je ne sais pas si le mot est peut-être un peu fort, à l'égard de l'école.
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En tout cas c'est un traumatisme qui n'est pas refermé, qu'elle avait en tant qu'élève,
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et que maintenant en tant que maman, elle projette sur son fils, elle arrive en retard
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à l'école.
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Je pense qu'on est nombreux à l'avoir ! Mais alors pour le coup, elle ne vous ressemble
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pas tellement, parce qu'on a souvent dit que c'était votre alter-ego fictionnel,
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que vous, vous étiez l'excellente élève, qui devez beaucoup à vos professeurs, c'est
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la grosse différence l'école !
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Moi j'ai adoré l'école, malgré les conditions dans lesquelles j'ai été élève, parce
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que c'était dans un quartier difficile, avec pas beaucoup de moyens, etc, mais vraiment
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j'ai rencontré des professeurs extraordinaires, et je les aime de tout mon cœur.
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Donc on n'a pas du tout, et d'ailleurs c'est pas du tout mon alter-ego, on l'a dit beaucoup,
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mais absolument pas.
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C'est un peu facile de dire ça ! Il y a un autre fil rouge dans le roman, vous l'avez
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un peu dit, le sort des femmes, sa mère, sa tante, à Doria, abandonnée par leur mari,
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Doria elle-même, qui n'est pas heureuse avec son Steve, et sa belle famille jurassienne,
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ça donne des scènes de choc culturel très drôles ! En matière de féminisme, est-ce
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que les espoirs de Doria, et donc peut-être aussi les vôtres, se sont évaporés en 20
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ans ?
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Non, pas du tout.
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Seulement, je crois qu'elle a pris conscience de ce dans quoi elle était embarquée en
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tant que femme.
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Alors qu'il y a 20 ans, on vivait des choses qu'on n'avait même pas, je veux dire, conscientisées.
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Donc la différence aujourd'hui, c'est que d'ailleurs elle explore des choses qu'elle
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a expérimentées il y a 20 ans, et que je raconte dans le premier roman, par un prisme
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justement antisexiste, qui rend les choses un peu plus délicates.
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Avec le recul, 20 ans plus tard, comment vous avez vécu et comment vous analysez aujourd'hui
07:25
le succès du premier bouquin en 2004 ? Je le rappelle, 400 000 exemplaires vendus, traduit
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en 26 langues, alors que je crois au début il avait été imprimé à 1 500 exemplaires.
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Il y a de quoi changer une vie, vous aviez 19 ans, je crois.
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Comment vous l'analysez avec 20 ans de recul ?
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Je crois qu'il y avait quelque chose peut-être de fédérateur.
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C'est toujours difficile d'analyser son propre succès, mais à la fois, je pense
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qu'il y a beaucoup de gens qui ont lu et aimé le roman pour de mauvaises raisons.
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Ah oui ?
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Oui, je pense.
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Mais moi ça me va, c'est pas grave, c'est comme ça.
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C'est-à-dire quelles mauvaises raisons ?
08:00
On a fait de moi la représentante de beaucoup trop de monde.
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La fille de Cité qui écrit des livres ?
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Oui, et puis en fait, ça racontait aussi comment la France de l'époque avait des
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difficultés à regarder une fille arabe qui écrit.
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J'espère que ça a changé aujourd'hui.
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Maintenant, je ne suis plus une jeune fille, je suis une dame, j'ai 39 ans.
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C'était une anomalie aux yeux de certains ?
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Absolument, c'est un mot qui me va bien.
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Je suis toujours une anomalie, mais maintenant j'ai appris à vivre avec ça.
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Je suis plutôt fière d'être une anomalie.
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Et cette étiquette, vous en avez souffert après, pour vos livres suivants ?
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Oui, ça a été difficile parce que je n'ai pas l'impression que mon rapport à l'écriture,
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que mon amour de ça, ça n'a pas changé pour moi.
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Ça, c'est toujours la même chose.
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C'est la perception de moi et de ce que j'incarne, de ce que je représente, qui
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était compliquée à gérer pour une fille de 19 ans.
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Moi, j'avais simplement envie d'écrire des histoires.
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Et puis, j'ai dû expliquer ce que c'était la viancité, ce que c'était être un arabe,
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être un musulman.
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Et enfin, c'était beaucoup de responsabilité, mais ça racontait surtout, si je peux me
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permettre, et ce n'est pas vous personnellement que je mets en cause, mais votre
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perception de ce que je suis, ce que je représente.
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Donc, ça, ça met du temps à intégrer ça, à comprendre.
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Il y a la passion de l'écriture, de romans, mais aussi de scénarios.
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Ça, je crois que dans votre jeunesse, c'était même avant l'écriture de romans.
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Vous avez co-écrit la série, la mini-série Oussekine, sorti en 2022 sur la mort de Malik
09:23
Oussekine. Il y en aura d'autres ?
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Il y a d'autres projets de scénarios ?
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Oui, il y en a d'autres.
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Vous voulez nous en dire un peu plus ?
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Pas encore, non.
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Je garde le mystère pour la prochaine fois.
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Bon, pour l'instant, il y a ce roman, Kif Kif, hier, qui est en librairie.
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Aujourd'hui, c'est chez Fayard.
09:37
Merci beaucoup, Fayza Ghani.
09:38
Merci infiniment de m'avoir reçu.
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