FEMMES & TUEURS EN SÉRIE - Valérie Bénaïm est l'invitée de Amandine Bégot
Qui sont ces femmes qui tombent amoureuses de tueurs en série ? Qu'est-ce qui les anime ? La journaliste Valérie Bénaïm publie son enquête "Il n'est pas celui que vous croyez" aux éditions Fayard.
Regardez L'invité de RTL du 16 février 2024 avec Amandine Bégot.
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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h43, très bonne journée à vous tous qui écoutez RTL.
00:10 Connaissez-vous Libristo Philibe ? Ce sont ces femmes qui tombent amoureuses de tueurs en série.
00:14 Amandine, vous recevez donc ce matin notre consoeur journaliste Valérie Benaim.
00:17 Valérie Benaim, je suis vraiment ravie de vous recevoir parce que c'est un sujet qui me passionne, qui m'a toujours interpellée et qui, je le sais,
00:22 interpelle et intrigue de très nombreux auditeurs. On l'a encore récemment vu quand on a appris que Nordal Lelandais allait devenir
00:29 papa. Vous publiez donc "Il n'est pas celui que vous croyez". C'est une formidable enquête sur ces femmes
00:34 amoureuses de tueurs en série. Vous avez rencontré plusieurs d'entre elles, de très nombreux spécialistes aussi, des experts notamment, on va y revenir.
00:39 Mais d'abord, pourquoi cette enquête ? Pourquoi ce sujet ? Je suis suspecte immédiatement.
00:44 Non, écoutez,
00:46 lorsqu'il y a eu le procès du meurtre du caporal Noyer,
00:50 dans le dossier, la presse a fait état de l'irruption d'une femme.
00:55 Et cette femme, pourquoi on en parlait ? Parce qu'elle était tombée amoureuse de Nordal Lelandais et parce qu'elle avait
01:00 enfreint la loi. Elle avait passé des téléphones, elle avait passé de la drogue, elle avait passé de l'alcool pour Nordal Lelandais.
01:06 Elle a été condamnée, elle a pris six mois avec sursis.
01:08 Et ce petit élément qui était à côté de la grande affaire
01:12 m'a interpellée et je me suis dit qu'il fallait que je fouille un petit peu. Et cette femme, c'est Elisabeth, vous l'avez
01:17 interrogée longuement. J'ai envie de dire, a priori, c'est une femme normale.
01:21 Non mais parce qu'on se dit tous "qui sont ces dingues, ces folles".
01:24 Elisabeth, elle est normale. Oui, Elisabeth, c'est une jeune femme qui est totalement asserrée, qui a un métier, qui travaille dans le médico-social,
01:31 qui est issue d'une famille catholique pratiquante, que rien ne prédestine à glisser comme elle a glissé.
01:38 Et puis, elle va voir la reconstitution du meurtre du caporal Noyer au JT de 13 heures.
01:45 Elle va entendre la foule, en tout cas les journalistes,
01:49 raconter que la foule hurle à mort, à mort, à mort, en parlant de Nord-Allemandais. Et elle, sa première
01:54 réaction, c'est de se dire que cet homme doit être seul. Et donc, le soir même,
01:58 elle lui envoie une petite lettre en disant "je m'appelle Elisabeth,
02:01 si vous avez besoin de parler à quelqu'un, je suis là". Une première lettre, donc, et puis elle va lui rendre visite.
02:06 Elle va tomber amoureuse de lui, avoir des relations sexuelles avec lui
02:10 au parloir.
02:13 Elle pensait qu'il avait changé ?
02:15 Je crois. Et en même temps, Elisabeth
02:18 me dit
02:20 "j'ai mis ces infos à distance, je ne voulais pas qu'il m'en parle".
02:23 Comme si elle voulait ne pas connaître le Nord-Allemand des meurtriers.
02:27 Et pourtant, elle savait, pardon, qu'il avait tué Maëlis, qu'il avait tué le
02:31 caporal Arthur Noyer. Il n'a pas encore été jugé à ce moment-là, mais il a reconnu les faits. Oui, il a reconnu les faits, mais pour elle,
02:38 alors, elle me dit "il ne faut pas croire tout ce qu'on raconte".
02:43 C'est une première chose. Et puis, par ailleurs, elle rencontre un homme qui lui parle
02:47 d'autre chose, qui lui parle d'une rixe qui a mal tourné avec le caporal Noyer, qui n'évoque pas la ferme à Elis,
02:53 et elle ne suscite pas
02:55 l'évocation de la ferme à Elis. Elle la met un peu sous le tapis.
02:57 Et elle se dit "de toute façon, je ne veux pas en parler avec lui, ce n'est pas l'homme que je connais, moi, l'homme que
03:02 je connais, c'est Nono, Nono mon amoureux, qui n'est pas Nord-Allemand le tueur".
03:06 "Il n'est pas celui que vous croyez", elle vous le dit, c'est le titre de votre livre, et c'est une phrase que vont vous dire
03:12 exactement cette phrase, toutes les femmes que vous avez rencontrées.
03:15 Oui, oui, oui, parce qu'elles sont toutes traversées par l'idée d'un amour et d'un désir tellement fort,
03:21 tellement puissant, qu'il va transformer l'autre. Et que l'autre, en l'occurrence, c'est celui qu'elles ont en face de...
03:27 et que nous, on ne connaît pas. On ne connaît pas celui-ci. On connaît celui que la presse a relaté,
03:32 on connaît le meurtrier, mais on ne connaît pas l'homme,
03:35 l'autre face, la face cachée, dont elles, elles vont révéler la pépite. Elles vont transformer le plomb en or, en fait.
03:41 Elles en sont persuadées. Parce que dans le cas d'Elisabeth,
03:44 ça ne se termine pas très bien. Si elle a accepté d'ailleurs de vous parler, Valérie Benayim,
03:48 c'est pour mettre en garde justement d'autres femmes.
03:50 Oui, oui, oui, et j'ai mis beaucoup de temps, parce qu'Elisabeth, elle est meurtrie aujourd'hui, elle suit une psychothérapie,
03:55 elle s'est retournée sur son chemin et elle se dit "qu'est-ce que j'ai fait, comment j'ai pu glisser".
03:59 Elle dit "c'est un crime de l'avoir aimé".
04:02 Oui, c'est un crime de l'avoir aimé, et par ailleurs, elle porte une culpabilité énorme par rapport aux parents des victimes,
04:07 dont elle a imaginé un instant, même
04:10 entre en contact avec eux pour s'excuser.
04:12 Je lui demande s'excuser de quoi, elle me dit de l'avoir aimé, de lui avoir permis d'être
04:16 heureux alors qu'eux ne l'étaient plus depuis les meurtres.
04:19 Elle le vit bien sûr très mal encore aujourd'hui.
04:23 C'est extrêmement douloureux.
04:26 Son histoire, on le disait, vous le racontez dans le livre, c'est très mal terminé.
04:30 Très mal terminé, parce que Norda Lelandais a eu accès à un UVF, unité de vie familiale.
04:34 Ça peut d'ailleurs poser des questions. Est-ce que ce type de prisonniers doit avoir accès à ces unités ?
04:41 Et en l'occurrence,
04:43 elle a passé de la drogue, elle a passé de l'alcool, il en prendra, et elle va découvrir justement celui que la presse
04:49 avait déjà montré, c'est-à-dire l'autre face de Norda Lelandais, un homme violent.
04:54 "Il y aura des abus sexuels", en tout cas c'est ce qu'elle me dit.
04:57 Et ça va dessiller ses yeux, elle va tout à coup se rendre compte que peut-être
05:03 elle s'est trompée, et ça sera extrêmement douloureux pour elle. Et d'ailleurs elle me dit "je m'en veux plus à moi qu'à lui",
05:09 parce qu'on m'avait prévenue. On l'avait prévenue et cette histoire elle a duré trois ans.
05:13 Sommes-nous toutes des Elisabeth en puissance ? Vous écrivez cette question dans le livre à plusieurs reprises.
05:21 Je vois ces messieurs à côté qui sourient. Est-ce que vous avez aujourd'hui la réponse Valérie ?
05:25 En tout cas oui, il me semble que
05:29 nous sommes toutes, et je dis toutes parce que c'est essentiellement féminin,
05:33 les hommes n'écrivent pas aux femmes en prison. Non c'est extrêmement rare parce que c'est
05:37 castrateur pour eux d'écrire à une femme qui a du sang sur les mains, alors que chez la femme il n'y a pas de souci parce
05:42 qu'il y a l'envie de rédemption, il y a
05:44 cette idée qu'on a à la fois une infirmière, une avocate etc. Et on est toutes traversées par cela. Et c'est ce que
05:51 le professeur Zaguri ou le professeur Lamotte que j'interview dans le livre
05:55 appelle la combinatoire et le singulier. La combinatoire qu'est-ce que c'est ? C'est ce que nous avons tous.
06:00 Le syndrome de la main tendue, la rédemption, la charité chrétienne etc.
06:03 Et le singulier c'est notre vie, c'est notre grille de lecture, c'est ce qu'on a vécu et ce qui fait qu'on ira
06:08 passer à l'acte ou pas, et qu'on ira écrire et qu'on s'arrêtera peut-être, ou qu'on ira écrire et rencontrer
06:14 et parfois même tomber amoureuse.
06:16 Vous évoquez Daniel Zaguri qui est l'un des plus grands experts psychiatres.
06:19 En France il a passé au crible tous les criminels, Guy Georges, Patrice Allègre ou encore Michel Fourniret.
06:24 Et ce qui est très frappant c'est que tous ces hommes, tous ces grands criminels reçoivent des tonnes de courriers
06:30 Zaguri vous dit même "nous les types bien, les types sympas, il faut ramer pour intéresser une seule femme"
06:35 tandis que quand on massacre, quand on tue, quand on découpe en morceaux,
06:39 on en a des flopés qui frappent à la porte. Bien sûr c'est un peu provocateur
06:42 mais les femmes sont attirées par les mauvais garçons, c'est ce qu'il dit.
06:46 Il y a de toute façon et évidemment quelque chose de l'ordre du bad boy.
06:50 Alors là on est au delà du bad boy.
06:52 Oui, ce que j'allais vous dire, il y a une différence entre le bad boy et celui qui tue.
06:55 Évidemment, évidemment.
06:56 Mais encore une fois c'est quelque chose de très féminin de se dire que le désir est tellement fort
07:01 qu'à la fois on sera sous la protection d'un homme qui est un homme viril,
07:06 en tout cas dans l'acceptation grand public du terme,
07:09 et en même temps qu'on pourra à la fois le transformer.
07:14 C'est, je vais caricaturer, mais c'est dans les films, vous voyez, le gros dur qui tremble devant maman
07:21 ou qui a le tatouage "I love maman forever". Voilà, c'est un peu ça.
07:24 Et c'est aussi nourri par la culture populaire, par la culture pop dans les films.
07:29 Valérie Benayim, j'imagine, vous l'évoquez un tout petit peu,
07:33 vous avez pensé aux familles de victimes en écrivant ce livre ?
07:38 Bien sûr.
07:39 Ça ne peut que les choquer.
07:40 On a entendu le papa notamment de Maïdis qui ne comprenait pas sur RTL
07:44 qu'il puisse à son tour devenir père.
07:47 Bien sûr. Evidemment, il n'y a pas une journée de cette enquête où je n'ai pas pensé à eux.
07:52 Et très sincèrement, je crois que toutes ces femmes aussi y pensent,
07:58 même si pour certaines d'entre elles, elles le mettent à distance en se disant "ce n'est pas moi".
08:03 Je ne suis pas celle qui a le sang sur les mains, au contraire,
08:06 je participe à la rédemption de celui qui a du sang sur les mains.
08:09 Mais malgré tout, je vous le disais, Elisabeth, par exemple,
08:12 n'a de cesse que de ressasser sa culpabilité en se disant qu'elle est au moins aussi coupable que lui,
08:18 ce qui est assez fou parce qu'elle n'a tué personne.
08:20 Mais elle a cette culpabilité qu'elle traîne comme un boulet
08:25 et je peux évidemment entendre la souffrance des parents des victimes.
08:30 Mais ce qui est sûr, c'est que ces femmes ne sont pas folles.
08:32 Enfin, ce ne sont pas des dingues, a priori.
08:34 A priori, non.
08:36 Merci beaucoup Valérie Benhamy.
08:37 Mais une fois encore, vraiment, je conseille ce livre parce que ça interroge.
08:42 Ça bouleverse les émotions.
08:43 Exactement.
08:44 Ça remue pas mal de choses.
08:45 Ce qu'est l'homme, avec un grand H et la femme aussi,
08:49 ça s'appelle, je le rappelle, "Il n'est pas celui que vous croyez",
08:52 "Ces femmes amoureuses de tueurs" en série et c'est publié chez Fayard.
08:55 Merci beaucoup.
08:56 [SILENCE]