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  • 06/12/2023
Après le meurtre d'un touriste allemand par un homme fiché S déjà condamné, Gérald Darmanin estime que ses services n'ont commis aucune erreur et accuse le suivi psychiatrique. Marie Dosé, avocate au barreau de Paris et Alain Bauer, professeur de criminologie, sont les débatteurs du jour. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mercredi-06-decembre-2023-4272642

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00:00 Ce matin, autour des failles du suivi psychiatrique de l'assaillant qui a commis l'attentat
00:04 terroriste de samedi dernier à Paris, dans le quartier de la Tour Eiffel.
00:09 Attentat qui a coûté la vie à une personne et en a blessé deux autres.
00:13 Un chiffre nous a interpellé avec Léa, 20% des quelques 5 000 personnes suivies pour
00:19 radicalisation en France souffrent, souffriraient de troubles psychiatriques.
00:24 Que penser de ce chiffre ? Quelle doit être, quelle peut être la réaction de l'État ?
00:29 On va en parler ce matin avec Marie Dosé, avocate au Barreau de Paris et avec Alain
00:35 Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, auteur pour
00:41 ne citer qu'un livre, le dernier en date, de l'Encyclopédie du crime au cinéma, publié
00:47 chez Grunt.
00:48 Bonjour à tous les deux, merci d'être là.
00:50 D'abord, cette déclaration de Gérald Darmanin, il y a eu un ratage dans le suivi psychiatrique
00:55 du suspect de l'attentat de samedi dernier.
00:58 Il faut désormais une injonction administrative de soins et même pouvoir la prolonger.
01:02 Voilà ce qu'a dit le ministre.
01:03 C'est vrai que l'assaillant souffrait de troubles psychologiques, que son suivi avait
01:07 été levé au printemps dernier.
01:09 Mais est-ce que l'explication du ratage psychologique est suffisante à vos yeux ?
01:14 Alain Bauer.
01:15 Alors d'abord, il y a un problème, c'est qu'il est passé à l'acte alors même qu'il
01:21 avait été interpellé, condamné, suivi, re-suivi, qu'il avait respecté toute une
01:29 série de dispositions qui concernaient à la fois son suivi judiciaire et son suivi
01:34 médical et qu'un médecin avait décidé qu'il n'était plus utile de continuer le
01:40 traitement.
01:41 Que trois ans avant, ce qui n'a en fait pas grand-chose à voir avec l'élément, mais
01:46 ça a été donné par le ministère comme argument, il n'avait pas été autorisé
01:51 à une perquisition chez lui par les services de renseignement et que malgré tout il est
01:56 passé à l'acte alors même que sa mère avait donné une alerte.
01:59 Et donc je crois que le problème n'est pas le ratage dans le suivi, mais pourquoi
02:04 n'y a-t-il pas eu une réaction appropriée à l'alerte donnée par la mère, dans la
02:09 mesure où elle-même n'a pas voulu procéder à une hospitalisation sous contrainte, elle
02:14 n'a pas voulu aller jusqu'au bout.
02:15 Et je crois que le ratage, si ratage il y a, n'est pas un ratage, c'est un défaut
02:19 de coordination et de cohérence dans un système qui fonctionne en tuyau d'orgue, où quand
02:24 on est dans le système renseignement, on est suivi en fichet sous FSPRT, le fichier
02:29 spécifique radicalisation terrorisme, quand on est condamné on est suivi d'un point
02:34 de vue judiciaire, après la condamnation on peut avoir un certain nombre d'injonctions
02:40 de suivi, de contraintes, de contrôles et un suivi médical.
02:43 Puis quand tout ça est terminé, c'est terminé, vous n'êtes plus condamné à
02:46 rien, il n'y a pas de raison de vous suivre particulièrement, vous ne donnez pas d'indication
02:50 à, il est donc naturel qu'il ne se passe rien.
02:52 Mais quand vous avez une alerte, il n'y a pas de dispositif qui permet, en cas d'alerte,
02:58 de se dire « ah quand même, ça n'est pas un individu ordinaire, ça n'est pas
03:02 juste quelqu'un qui a une petite crise, est-ce qu'il ne faudrait pas à ce moment-là
03:05 faire ce qui existe au Royaume-Uni, en Angleterre, au Canada, aux Etats-Unis ? » Trouver un
03:11 dispositif où tout le monde puisse se parler pour que le médical, le judiciaire, le familial,
03:17 le renseignement et l'antiterrorisme puissent dire « là, il y a peut-être un sujet de
03:21 dangerosité particulière ».
03:22 Marie Dozet, le suivi psychologique, l'explication de Gérald Darmanin est-elle, peut-être nécessaire,
03:27 mais est-elle suffisante ?
03:28 Non, et puis elle me gêne en fait, parce qu'elle sous-entend que la cause directe
03:32 du passage à l'acte serait l'absence de prise en charge psychiatrique.
03:36 J'écoutais Hugo Michon il y a quelques lundis à votre micro.
03:39 Ça n'est pas comme ça que ça se passe.
03:42 Il y a à la fois un parcours, il y a un engagement et il y a des troubles.
03:46 Mais c'est multifactoriel, le passage à l'acte est nécessairement multifactoriel.
03:51 Donc c'est étrange, vous voyez, dernier passage à l'acte, on a expliqué que c'était
03:56 lié à un problème d'immigration, aujourd'hui c'est lié à un problème de psychiatrie.
03:59 Moi, ce que je sais là, aujourd'hui, c'est qu'il existe moult dispositifs.
04:04 Entre l'injonction de soins, la mesure judiciaire de prévention de la récidive pour les terroristes,
04:08 la loi de juillet 2021, le suivi socio-judiciaire, la surveillance judiciaire, la rétention
04:13 de sûreté, l'hospitalisation d'office, l'hospitalisation d'urgence.
04:17 La panoplie de mesures existe.
04:19 Ce qu'il faut juste comprendre, c'est que cette personne, elle a été suivie sur
04:25 une durée presque égale à la peine d'emprisonnement qu'elle a purgée.
04:29 A un moment donné, le risque zéro n'existe pas.
04:32 Il n'existe pas.
04:33 Donc bien sûr qu'on peut se dire, la mère avait alerté, elle aurait peut-être dû
04:38 solliciter une hospitalisation d'office, mais c'est compliqué.
04:41 En attendant, on ne va pas pouvoir surveiller jusqu'à la fin de leur vie ces personnes
04:46 qui sortent des détentions, alors même que les dispositifs là ont été jusqu'au bout.
04:50 C'est important ce que vous dites, parce que c'est la question qui va se poser dans
04:52 les prochaines années.
04:53 Puisqu'on sait déjà que chaque année, je crois qu'il y a trois ans, il y en a 78
04:58 qui sont sortis.
04:59 Une centaine par an.
05:00 Une centaine par an.
05:01 L'année dernière, 350.
05:02 Oui, c'est ça.
05:03 Ça va cumulativement.
05:04 Donc il y a aujourd'hui 500 personnes qui sont sorties ces trois dernières années,
05:08 globalement.
05:09 Le taux de récidive est très bas.
05:10 Il n'est pas inexistant, mais il est extrêmement bas.
05:13 Puisqu'au cours des dernières années, je crois qu'on en a, en comptant le père Amel
05:18 dans une considération où ce n'était pas un condamné, c'est un réitérant plus
05:21 qu'un récidive, on en a un ou deux.
05:23 Ce qui est difficile à expliquer, c'est que c'est incompréhensible et inaudible
05:27 pour les familles des victimes.
05:28 Au-delà de la réaction politicienne, où tout le monde grimpe dans les tours assez
05:32 rapidement ici et là, il y a quand même un sujet.
05:34 Et ce sujet, il est à partir du moment où vous n'êtes pas en train de surveiller
05:38 tout le monde, mais vous avez une alarme de quelqu'un qui est très proche.
05:40 L'absence de réponse à cette alarme-là, même si la mère ne veut pas aller, pour
05:45 des raisons qu'on comprend d'ailleurs, mettre son enfant à l'asile psychiatrique,
05:49 ce n'est quand même pas plus simple.
05:51 Surtout vu l'état de la psychiatrie en France, qui est quand même le parent le casier.
05:54 Déjà, dans le service public, tout ne va pas très bien.
05:57 Mais la psychiatrie, c'est vraiment un désastre.
05:59 Mais il y a là un enjeu où il n'y a pas de réponse compréhensive ni claire, alors
06:04 même que c'est quelqu'un de la famille qui donne l'alarme.
06:07 L'absence de réponse à cette alarme pose un problème de création d'un nouveau
06:12 dispositif.
06:13 Je suis d'accord avec Marie-Dosé, il y en a une fouletitude.
06:16 Mais ils fonctionnent assez indépendamment les uns des autres.
06:19 Il faut une meilleure coordination sur le lexique.
06:20 Dès qu'on a sorti de la partie purement pénitentiaire et contrôle judiciaire, et
06:25 qu'on entre dans une logique purement médicale, et qu'on dit « bon, tout va bien »,
06:29 dès que vous avez une alerte, en fait, la réponse à l'alerte n'est pas aujourd'hui
06:33 proportionnée à la nature de l'alerte.
06:35 Ça ne veut pas dire que ça aurait empêché quelque chose.
06:37 Le risque zéro n'existe effectivement pas.
06:38 Mais la réduction du risque est une possibilité qui existe.
06:42 Et il y a là un enjeu qu'il faut savoir considérer.
06:44 On l'a vu d'ailleurs dans des tas de dossiers précédents.
06:47 Chaque fois, on a amélioré le dispositif.
06:49 Quand vous vous droguez pour commettre un acte et que vous essayez ensuite… après
06:53 que vous êtes irresponsable, il y a un débat.
06:54 Ça se traduit par une modification de la loi.
06:56 On en pense ce qu'on en veut.
06:57 Mais il y avait une question et les experts…
06:59 - Là, il y a un angle mort.
07:00 - Il y a un angle là qui est « vous arrêtez de vous soigner avec la corde de votre médecin
07:04 ». Quelqu'un proche vous dit « attention, il va mal », pourquoi il n'y a pas une
07:08 réponse adaptée à la question qui est une réponse médicale ?
07:11 - Sur ce chiffre de 20% de… - 20 à 30.
07:15 - Oui, 20 à 30 des quelques 5 000 personnes suivies pour radicalisation qui souffrent
07:19 de troubles psychiatriques, ce chiffre, Marie-Josée, vous étonne ? Vous fait sursauter ?
07:24 - C'est compliqué, « troubles psychiatriques ». D'accord ? C'est-à-dire que ces personnes
07:28 ne sont responsables pénalement.
07:30 Ils étaient responsables pénalement.
07:32 Son discernement n'était pas aboli et visiblement, il n'était même pas altéré.
07:36 J'en sais rien, je n'ai pas la copie de ce dossier, mais force est de constater que
07:40 la grande majeure partie, si ce n'est la quasi-totalité de ceux qui sont condamnés,
07:44 de celles et ceux qui sont condamnés pour des infractions à caractère terroriste,
07:48 sont responsables pénalement et qu'il n'y a pas de difficultés sur leur discernement.
07:51 Ensuite, il y a des troubles psychologiques, des troubles de la personnalité, des troubles
07:55 psychiatriques qui existent.
07:56 L'important, c'est comment les prendre en charge, notamment en détention.
08:01 Souvent, en détention, le suivi psychologique, il aide à supporter la violence de la détention.
08:06 Et c'est tout.
08:07 Il n'aide pas à aller mieux, à comprendre, à essayer de construire quelque chose, à
08:13 essayer de passer à autre chose, à essayer vraiment de travailler sur…
08:17 - D'être désidéologisé, c'est ça que vous dites en fait.
08:20 - Alors, il y a des programmes qui existent et on en discutait.
08:22 Le programme PERS, c'est une réussite.
08:24 Moi, je le constate…
08:25 - C'est quoi le programme PERS ?
08:26 - Le programme PERS, c'est toute une équipe qui va investir pendant des mois le quotidien,
08:33 la vie quotidienne, la psychologie, le rapport à la religion de quelqu'un qui a été
08:38 condamné pour des faits à caractère terroriste.
08:39 Mais dans sa sortie, ça marche.
08:41 - Et ça marche ?
08:42 - Ça fonctionne.
08:43 - Parce que c'est vrai que c'est la question que posait l'attentat de samedi.
08:45 C'est-à-dire, est-ce qu'il y a des vrais repentis ?
08:47 Est-ce que quand vous avez été endoctriné dans cette idéologie extrêmement prégnante,
08:53 est-ce que vous arrivez en sortie ?
08:54 - Partout dans le monde, quand il y a un programme…
08:56 Alors, je n'utilise pas le mot radicalisation ou déradication parce que ça ne veut rien
08:59 dire.
09:00 - Vous l'appelez comment alors ?
09:01 - Djihadisation ou dédiédiation, engagement ou désengagement, sortie de la violence,
09:05 on a toute une série d'outils.
09:06 On en parle d'ailleurs souvent avec Hugo Michon.
09:10 La question qui est posée, c'est est-ce qu'on peut comprendre d'ailleurs les motivations,
09:14 car on est dans le sur-mesure et pas dans le prêt-à-porter.
09:17 La diversité des explications, dont certaines reposent sur des sujets qui n'ont rien à
09:22 voir avec la politique ou la religion, mais par exemple la misère sexuelle, sujet prégnant
09:26 et massif dans les revenants d'Afghanistan par exemple.
09:29 - La misère sexuelle, expliquez !
09:30 - La capacité à…
09:32 - Non mais ça je sais ce que c'est, mais expliquez pourquoi c'est…
09:35 - Eh bien parce que ça crée une frustration et que dans la frustration, le passage à
09:38 l'acte militant, parti au djihad, c'est devenir un homme, avoir un harem à disposition,
09:42 une maison et éventuellement un petit chat à mettre sur Facebook, eh bien ça, ça change
09:46 l'idée qu'ils se font.
09:47 C'est leur télé-réalité personnelle et c'est pour eux, enfin, devenir quelqu'un.
09:52 Et donc quelqu'un, ça passe aussi par, vous voyez, il y a des filles à disposition.
09:57 Ce sujet est sous-estimé, mais il est très prégnant.
10:00 Donc quand on commence à regarder les conditions et les modalités diverses du passage à l'acte,
10:04 l'engagement purement politique ou purement terroriste ou purement religieux, la gestion
10:10 d'une autre frustration qui n'a rien à voir avec ce qui précède, mais qui enveloppe,
10:14 c'est le débat entre Keppel et Roy, djihadisation de…
10:18 - L'atmosphère.
10:19 - Non, alors, il y a l'atmosphère, c'est la djihadisation au sens de la salivisation
10:23 générale vue par Keppel et Roy dit que c'est un problème personnel et ils s'enveloppent
10:26 dans cette djihadisation pour expliquer leur passage à l'acte, mais ils seraient passés
10:29 à l'acte en rouge, en vert, en jaune, en bleu ou en n'importe quoi.
10:33 C'est ces éléments-là qu'il faut prendre en considération.
10:35 Et s'ils sont pris en considération, ça donne plutôt des résultats.
10:38 Et le programme Perse, par exemple, donne plutôt des résultats.
10:40 Mais comme tout programme, il peut y avoir, hélas, des trous dans la raquette.
10:45 Le vrai problème, c'est quand le trou dans la raquette aurait pu être prévenu parce
10:48 que quelqu'un a dit « alerte ».
10:49 - Le programme Perse, il existe depuis 2018.
10:52 En octobre 2022, il y a 255 personnes qui sont passées par le programme Perse et il
10:56 n'y a eu aucun cadre récidive sur ces 255 personnes.
10:59 - Il y a rarement de bonnes nouvelles et ça fait plaisir.
11:03 - Oui, mais la difficulté, elle est là.
11:04 C'est aussi une responsabilité politique à chaque fois que de faire considérer et
11:12 d'indiquer à la population que le dispositif actuel n'est pas suffisant.
11:16 Il y a eu un passage à l'acte, donc on va pouvoir anticiper le prochain passage à l'acte
11:21 en créant une nouvelle réforme, en faisant adopter de nouvelles mesures.
11:25 Ce n'est pas tout à fait comme ça que ça fonctionne.
11:27 Et il serait bien tout de même qu'on réfléchisse à ce qui existe et qu'on donne des moyens
11:32 à ce qui existe.
11:33 Il y a une tribune très intéressante d'Arthur Denouveau qui a été publiée dans Le Monde
11:36 hier.
11:37 Arthur Denouveau qui est quand même le président de l'association de victimes de terrorisme
11:40 Life for Paris, qui explique qu'il serait temps de cesser avec le réflexe de l'émotion,
11:46 le réflexe émotionnel et de travailler plus en amont et plus profondément sur les dispositifs
11:52 qui existent.
11:53 Parce que ça fonctionne et encore une fois, si on a comme seul focus le risque zéro,
11:58 c'est irresponsable.
11:59 - C'était passionnant.
12:00 - Merci Marie Dosey.
12:02 Avocate au barreau de Paris, Alain Boer, professeur de criminologie au CNAM.
12:07 L'encyclopédie du crime au cinéma, publiée chez Grunt.

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