Romane Bohringer est aujourd’hui notre invitée. Elle est, depuis le 11 octobre et jusqu’au 12 novembre, sur la scène du théâtre de l’Atelier pour « Le Bel indifférent » de Jean Cocteau.
00:00 Nous sommes ce matin en compagnie de la comédienne et metteuse en scène, metteure en scène, je sais pas comment on dit,
00:05 Romane Bourringer, bonjour, bienvenue.
00:07 Bonjour, merci.
00:07 Merci beaucoup d'être avec nous.
00:09 Alors, double actu.
00:10 Magnifique, c'est le coup pour moi.
00:12 Ce soir, au Théâtre de l'Atelier, alors à 19h, une pièce que vous mettez en scène, 15 rounds, on va en parler,
00:17 et à 21h, une pièce de Jean Cocteau dans laquelle vous jouez.
00:19 Tout à fait.
00:20 Grosse journée, là.
00:20 C'est une soirée au Théâtre de l'Atelier, un des plus beaux théâtres de Paris, j'y suis deux fois, enfin quelque part deux fois, c'est l'inédit.
00:27 Alors, on va commencer avec Romane Bourringer, metteuse en scène, et c'est votre père, Richard Bourringer, que vous diriez dans une pièce adaptée de son livre,
00:34 15 rounds, c'est quoi cette pièce, elle raconte quoi ?
00:36 Alors, c'est pas une pièce, c'est un livre qu'il a écrit, qui s'appelle 15 rounds, qui est le récit de sa vie.
00:40 Ah oui, pardon, j'ai dit adapté de la pièce, dans un sens, adapté du livre qu'il a écrit, 15 rounds.
00:44 C'est son livre très autobiographique qui retrace sa vie, j'en ai fait une adaptation, un condensé, c'est un enfant, son adolescence,
00:53 son métier d'acteur, son métier de voyageur, la drogue, la survie, l'homme qu'il est aujourd'hui à 82 ans.
01:04 Alors moi, c'est une mise en lumière plus qu'une mise en scène, sa voix est encore là, son émotion, son parcours incroyable,
01:13 et je me suis dit, il faut que les gens le voient encore sur scène, on ne peut pas se passer de lui.
01:18 Il va bien, il est en forme, Richard Bourringer ?
01:19 Oui, il a 82 ans, il est en forme, son esprit, son œil est toujours plein de cette folle lumière,
01:26 mais il est plus fragile, plus fatigué, il travaille moins, et moins travaille, moins travaille.
01:31 Donc moi, j'ai eu cet envie, je me suis dit, mais il est là, il est là, et il faut faire ça maintenant.
01:36 Et ce soir, vous stressez pour vous, vous stressez pour lui ?
01:38 Quand les parents voient les auditions des enfants, on pétoche un peu, mais quand ça s'inverse ?
01:43 Je ne stresse pas trop parce qu'il est absolument magnifique, et j'ai fait autour de lui une petite mise en accompagnement,
01:51 je dirais que je l'ai installé confortablement sur la scène de l'atelier.
01:54 J'imaginais bien que je n'ai pas dirigé mon père, je ne l'ai pas dit comme ça.
01:57 Alors, est-ce qu'il vous a écouté ?
02:00 Non, je lui ai fait un espace pour qu'il soit bien autour, j'ai amené quelques images de lui qu'on connaît peu,
02:06 des chansons que certains ignorent, qu'il a chantées beaucoup.
02:12 Donc j'ai habillé un peu sa présence, mais il est au centre.
02:15 Vous avez aimé faire ça avec lui ?
02:17 Oui, j'ai plus qu'aimé, c'est une émotion immense, c'est au-delà du théâtre, c'est un truc de vie,
02:25 de marquer, de faire un objet commun à nous, encore une fois,
02:30 et le partager avec les gens qui n'ont de cesse de me réclamer Richard.
02:34 C'est marrant parce que vous en parlez, on a l'impression de le voir, on a envie d'être dans la salle.
02:38 Est-ce qu'il sait que les Français l'aiment, Richard Branger ? Est-ce qu'il en a conscience de ça ?
02:42 Oui, je crois. Ils lui ont tellement témoigné tout le temps, à moi encore maintenant,
02:46 toute la journée dans la rue, tout le monde me dit "comment va votre papa ?"
02:49 ou "qu'est-ce qu'il fait, on ne le voit pas" et moi je voulais répondre à ça.
02:52 Oui, je crois qu'il a été toute sa vie porté par l'extrême sentiment de fraternité qu'ont les gens avec lui.
03:00 Écoutez ce qu'en disait Claude Nougaro quand il parlait de lui.
03:03 J'aime Richard Branger parce que c'est un homme qui met dans ses mots une énorme quantité d'âme.
03:11 Et je crois qu'aujourd'hui, plus que jamais, l'artiste doit être un prêcheur de vie,
03:19 une sorte de soldat de la beauté, et que Branger possède cette vie, cette âme et cette beauté qui peuvent nous faire du bien.
03:29 Vous n'aviez jamais vu ça ?
03:30 Je n'avais jamais vu ces images.
03:32 Qu'est-ce que ça vous fait de voir ça ?
03:33 Ça me fait drôle d'abord, je crois que Nougaro était le témoin du mariage de mes parents.
03:38 Ce sont des hommes extraordinaires qui ont disparu, beaucoup.
03:42 Mon père est l'un des seuls qui reste, enfin ils sont peu nombreux.
03:47 Ce sont des gens d'une lumière extraordinaire, c'est toute une époque magique, des gens magiques, des mots.
03:57 Nougaro, c'est extraordinaire, c'est dingue de voir ça, je n'avais jamais vu.
04:00 Il vous a transmis beaucoup de choses, votre père, il parait qu'il vous a aussi transmis la borangite.
04:04 C'est quand on s'énerve ?
04:06 Oui, c'est ça.
04:08 C'est quoi alors ?
04:09 C'est quand on s'énerve dans une soirée.
04:12 J'ai un caractère hyper docile, je suis beaucoup moins éruptif que mon père,
04:20 mais il m'est arrivé à très peu de moments de faire ce qu'on appelle une borangite,
04:26 une parole qui est comme un volcan qui se fait un peu trop fort.
04:32 Je le dirai pour moi, parce que ça m'arrive aussi.
04:34 Vous jouez après lui, vous serez sur la scène du théâtre de l'atelier,
04:38 avec "Le bel indifférent", c'est une pièce de Jean Cocteau écrite pour Edith Piaf,
04:41 l'éternelle amoureuse désespérée.
04:44 C'est un texte absolument bouleversant de Jean Cocteau,
04:48 qui raconte la nuit cauchemardesque d'une femme qui se sent désaimée,
04:53 qui est rongée par le manque d'amour et par le mal d'amour,
04:56 et qui va supplier son amant de lui répondre.
04:59 Il ne lui répond pas.
05:01 Ce qui est extraordinaire dans ce spectacle qui est mis en scène par Christophe Perzon,
05:05 et ce qui est pour moi un cadeau sans précédent,
05:08 c'est que Christophe a voulu inventer une comédie musicale rock autour de ce texte,
05:14 qui est déjà très beau.
05:16 Je suis avec cinq musiciens sur scène,
05:18 avec Tristan Saint-Gonc, un jeune danseur qui interprète les silences du "Bel indifférent".
05:23 C'est un espèce d'objet complètement dingue,
05:26 qui réunit à la fois le théâtre, le chant, la danse...
05:30 Moi j'ai 50 ans, j'ai l'impression d'avoir 15 ans et de tout devoir réapprendre.
05:34 - Sauf qu'Edith Piaf, c'est un personnage qui est facilement caricaturable, en quelque sorte.
05:39 Comment on fait pour jouer Piaf sans tomber dans la caricature de Piaf ?
05:42 - Mais comment ça caricaturable ?
05:44 - On sait tellement à quoi elle ressemble, on connaît tellement ses manies...
05:47 - Comment vous avez fait pour éviter cette écueil ?
05:49 - Moi j'ai pas du tout pensé à ça.
05:51 Quand je rentre sur scène, je pense à elle,
05:53 je pense à ses chansons que j'ai tant écoutées quand j'étais adolescente.
05:57 Et je pense à son humanité.
06:01 Mais j'ai pas du tout pensé "tiens, je joue un rôle qui est écrit pour Edith Piaf".
06:05 - Oui, mais c'est vrai que c'est très contemporain, c'est pas une Edith Piaf d'avant.
06:08 - Moi je suis dans le texte, et le texte est extraordinaire.
06:10 C'est incroyable qu'un homme comme Jean Cocteau ait écrit un texte d'une telle sensibilité
06:16 sur l'amour tragique qui ronge cette femme, dont elle va essayer de s'extraire.
06:23 Et le texte est écrit comme un souffle, comme une supplique,
06:27 comme un complaint d'une femme qui se sent envieillir, qui se sent en partir,
06:32 et qui croit que cet amour va la sauver, alors qu'il n'y a qu'elle-même qui peut la sauver.