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  • 05/09/2023
L’été 2023 a été celui de tous les records : incendies, fortes chaleurs… tous ces évènements dont dus au réchauffement climatique pourtant la parole des scientifiques est remis en cause. François Gemenne revient sur ce climatoscepticisme rencontré par les scientifiques et les difficultés de mise en oeuvre des mesures de lutte contre ce réchauffement. 

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Transcription
00:00 François Gemmene, merci beaucoup d'être avec nous.
00:02 Merci à vous, bonjour.
00:03 Merci. 2023 aura été l'été de tous les records.
00:05 Il y a eu des incendies un peu partout dans le monde, de la chaleur partout.
00:09 Vous l'aviez prédit avant l'été, tous les événements sont dus au réchauffement climatique.
00:15 Pourtant, votre parole et la parole des scientifiques est remise en cause.
00:18 Comment vous vous sentez, vous ?
00:20 Moi, plutôt bien.
00:21 C'est-à-dire que le problème, évidemment, quand vous travaillez sur le changement climatique,
00:25 c'est que vous espérez tous les jours vous tromper.
00:27 Mais mécaniquement, plus nous envoyons des gaz à effet de serre dans l'atmosphère,
00:30 plus nous allons battre régulièrement des records de chaleur.
00:33 Alors, les climatologues se disent un peu dépassés, un peu…
00:36 Ils ont le blues, fatigués que personne n'entende leur parole.
00:40 Je crois que la difficulté, ce n'est pas tellement que la parole ne soit pas entendue.
00:45 Vous me recevez sur votre antenne, je rencontre régulièrement des dirigeants,
00:48 publics comme privés.
00:50 Le problème, c'est que nous avons du mal à déclencher l'action qui serait nécessaire
00:56 pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris.
00:58 Et parfois, on a l'impression que…
00:59 On s'imagine que parce que les gens seraient sensibilisés,
01:02 verraient autour d'eux les conséquences du changement climatique,
01:05 ils passeraient automatiquement à l'action.
01:07 Ce n'est pas le cas, malheureusement.
01:08 Alors, pourquoi vous avez du mal ?
01:10 Parce que l'action climatique ne fait pas consensus dans la société.
01:15 Et je pense que nous avons été très naïfs, parfois, d'imaginer que lorsque les gens
01:19 verraient les conséquences du changement climatique,
01:21 il y aurait naturellement un mouvement qui naîtrait,
01:24 que c'est quelque chose qui nous rassemblerait.
01:27 C'est quelque chose qui divise profondément la société.
01:29 Et je crois que nous avons peut-être été un peu naïfs en pensant que l'écologie,
01:33 que le climat n'était ni de gauche ni de droite,
01:34 et qu'il y allait avoir un consensus naturel.
01:37 Ce n'est pas le cas, à l'évidence.
01:38 Quand le député RN du Loiret, au même âge, déclare il y a quelques jours
01:41 sur France Inter que les rapports du GIEC ont tendance à exagérer,
01:44 est-ce qu'il a tort ?
01:45 C'est le contraire.
01:46 En réalité, les rapports du GIEC sont extraordinairement prudents
01:50 et conservateurs pour la bonne et simple raison que les rapports du GIEC
01:53 représentent le plus petit commun dénominateur dans la communauté scientifique.
01:58 Et donc, nous travaillons, nous sommes à peu près 2000 en tout à travailler
02:02 sur ces rapports, à faire la synthèse de la littérature,
02:05 et nous indiquons uniquement les informations
02:09 qui font l'objet d'un consensus robuste parmi les scientifiques.
02:12 Ça veut dire que toutes les informations un peu extrêmes, les scénarios extrêmes,
02:15 ne sont pas mentionnées en tant que telles dans les rapports.
02:18 Si un scénario dit 10, l'autre 20 et le troisième 30,
02:22 nous allons écrire c'est au moins 10.
02:24 Oui, donc vous presque vous minimisez en fait.
02:26 D'une certaine manière oui, et on peut reprocher,
02:28 et c'est des reproches que je peux entendre,
02:30 que les rapports du GIEC soient exagérément prudents et conservateurs
02:34 par rapport à la réalité, ce qui explique parfois que la réalité va plus vite
02:37 que ce qui avait été prévu dans les rapports.
02:39 37% des Français sont dubitatifs sur les questions du climat,
02:43 ça fait une personne sur trois, c'est plus qu'il y a un an.
02:45 Comment vous expliquez ça, la montée du climatoscepticisme ?
02:49 Je pense que beaucoup de gens réalisent désormais
02:51 les conséquences du changement climatique.
02:53 7 Français sur 10 disent le ressentir dans leur quotidien.
02:56 Et donc, comme tout le monde parle aujourd'hui du changement climatique,
03:02 tout le monde se rend compte de ses effets.
03:04 On se rend compte aussi que ça va impliquer des décisions,
03:07 des changements politiques et économiques.
03:09 Et pour beaucoup de gens, la meilleure manière
03:11 de refuser ces changements, de les nier ou de s'y opposer,
03:15 ça va être de mettre en cause la science sur laquelle reposent ces changements.
03:18 Vous ne pensez pas qu'il y a surtout un ras-le-bol de la population ?
03:21 On en a marre d'entendre parler du climat, c'est pessimiste.
03:24 Je pense que nous devons sérieusement nous interroger aussi
03:27 sur la communication que nous mettons en œuvre sur ce sujet.
03:31 Je pense que beaucoup de gens en ont marre d'être culpabilisés,
03:35 moralisés dans leurs comportements.
03:37 A fortiori, lorsque ça vient d'influenceurs sur Internet
03:40 qui n'ont pas de véritable métier, j'ai envie de dire, je comprends.
03:44 Celui ou celle qui se lève tous les matins,
03:47 qui habite loin de son lieu de travail,
03:49 qui doit prendre sa voiture, qui doit travailler,
03:51 et puis d'un coup, qui voit de la part de quelqu'un qui gagne sa vie
03:54 en postant des messages d'indignation sur Internet,
03:57 un peu un comportement culpabilisateur.
03:59 Je pense aussi que nous avons tendance, nous scientifiques,
04:02 à vouloir peut-être trop souvent sonner l'alerte
04:06 et ne pas suffisamment offrir des pistes de solutions.
04:09 Et ça, je crois qu'aujourd'hui,
04:11 tout le monde se rend compte que la maison est en feu.
04:14 Et si vous avez sans cesse dans les couloirs
04:16 quelqu'un qui hurle et qui gesticule en criant "au feu, au feu",
04:19 au bout d'un temps, cette personne va vous énerver
04:21 parce que vous voudriez qu'elle vous montre
04:22 comment éteindre l'incendie et où se trouve l'extincteur.
04:24 Alors, on a appris que Gabriel Attal et Élisabeth Borne
04:27 avaient pris l'avion pour aller à Rennes.
04:28 Rennes, c'est 1h30 de train. Qu'est-ce que ça vous inspire ?
04:31 J'imagine que c'est justifié par des motifs de sécurité.
04:35 Je n'ai pas à me prononcer évidemment sur ces questions que je ne maîtrise pas.
04:39 Mais le symbole qui est donné est évidemment absolument désastreux.
04:43 Parce que vous parlez de communication, justement.
04:45 Là, on est dans la communication qui ne marche pas.
04:47 Bien sûr. Comment voulez-vous expliquer aux gens
04:49 la nécessité de se mettre en marge, d'avoir un grand mouvement de société
04:53 pour réduire nos émissions, si ceux qui sont au pouvoir
04:57 donnent l'exemple d'un des comportements les plus émetteurs de gaz à effet de serre qui soit ?
05:01 Est-ce que vous voyez une différence, justement, de l'État,
05:04 la considération des questions climatiques ?
05:06 Est-ce que vous voyez que ça avance ?
05:07 Indéniablement, c'est une parole qui est de plus en plus audible au niveau de l'État.
05:14 Il n'y a quasiment plus aucune communication politique
05:17 qui ne mentionne pas les rapports du GIEC.
05:19 Mais il n'y a pas de solution.
05:20 Mais le problème, c'est qu'il n'y a pas vraiment de solution.
05:21 C'est que l'action, pour le moment, reste encore insuffisante.
05:24 On en est encore au stade des grands discours, des promesses d'action,
05:27 mais qui souvent remplacent l'action elle-même.
05:29 Alors qu'est-ce qu'il faut faire ?
05:30 Concrètement, qu'est-ce qu'il faut faire concrètement ?
05:32 Il y a différents niveaux d'action.
05:34 Il est certain que le téléspectateur, la téléspectatrice qui nous regarde,
05:37 n'a pas les mêmes moyens d'action qu'une grande entreprise ou qu'un gouvernement.
05:41 Je pense qu'un levier essentiel, notamment pour celles et ceux qui nous regardent,
05:46 c'est l'épargne des Français.
05:48 Il y a encore aujourd'hui des investissements considérables
05:52 qui sont réalisés dans les énergies fossiles dans le monde.
05:55 Ce sont les chiffres du Fonds monétaire international.
05:58 C'est 7 000 milliards de dollars de financement public et privé
06:02 qui vont chaque année aux énergies fossiles.
06:04 Une bonne partie est réalisée avec l'épargne des gens.
06:07 Je pense que s'interroger sur ceux que finance son épargne,
06:10 c'est peut-être le premier geste écolo que doivent avoir celles et ceux qui nous regardent.
06:15 Et ça ne coûte pas cher d'au moins regarder et savoir à quoi ça sert.
06:18 Et alors rapidement, vous, qu'est-ce que vous devez faire, vous, les scientifiques, les climatologues ?
06:22 Je pense qu'aujourd'hui, nous devons construire une communication
06:25 qui soit une sorte de contre-rapport du GIEC.
06:28 On voit aujourd'hui le monde vers lequel nous ne voudrions pas aller.
06:32 C'est-à-dire ce à quoi nous voulons échapper.
06:34 Mais le problème, c'est que l'action contre le changement climatique
06:36 nous apparaît généralement comme une contrainte,
06:38 comme un effort à réaliser, un sacrifice à consentir.
06:41 Je crois que l'enjeu, c'est de transformer ce qui est perçu comme une contrainte en un projet.
06:45 Et pour ça, il va falloir dessiner les contours du monde vers lequel on voudrait aller.
06:48 Merci beaucoup François Gemmene d'avoir été avec nous.
06:51 Je rappelle que vous êtes spécialiste de la gouvernance du climat des migrations,
06:53 membre du GIEC. Merci encore.