- 01/09/2023
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Art et designTranscription
00:00 *Musique*
00:18 Le politiquement correct, ils l'ont envoyé valser il y a plus de 30 ans, au moment où leur duo artistique s'est formé.
00:26 Son nom, A.O.O pour Art Orienté Objet, un nom qui leur colle à la peau, aujourd'hui encore, tout comme leur engagement pour la diversité et pour l'écologie.
00:37 - Bonjour Marion Laval-Janté et bonjour Benoît Mangin. - Bonjour.
00:42 - Bienvenue dans les Midis de Culture.
00:44 - On va vous exposer presque au sens propre jusqu'au 23 septembre prochain à Paris dans la nouvelle galerie des Filles du Calvaire dans le 3ème arrondissement.
00:52 Une exposition qui s'appelle "Je suis contre" est l'occasion de découvrir des œuvres récentes et même certaines qui sont inédites.
01:00 On va les parcourir ensemble, en partie pour mieux comprendre votre art et qui vous êtes.
01:04 Mais d'abord, peut-être sur la démarche de cette exposition "Je suis contre", Marion Laval-Janté, est-ce qu'il faut lire cette exposition comme un nouveau manifeste ?
01:15 - Oui, d'une certaine manière, mais en fait ce qui est surtout important pour nous, c'est que, il y a 30 ans, on était déjà contre.
01:23 Mais à l'époque, on avait l'impression d'être très seule.
01:26 Et c'était très compliqué d'être justement contre des questions liées à la pollution, à la fin de la diversité, etc.
01:35 Et ce qui nous réjouit d'une certaine manière, et c'est pour ça qu'on a exulté en utilisant ce terme "Je suis contre",
01:42 c'est qu'aujourd'hui, plein de gens sont contre aussi et on rencontre enfin un public qu'on aurait bien aimé connaître depuis 30 ans pour que les choses soient différentes.
01:55 - Mais comment on peut être encore contre si tout le monde est contre ? Comment on se distingue ?
02:00 Benoît Mangean, allez-y, lancez-vous !
02:03 - Le titre est à la fois polémique et volontairement humoristique, surtout quand on descend un peu dans le détail au fur et à mesure de l'exposition.
02:12 Et il peut y avoir un côté un petit peu surréaliste, voire absurde, parce que quand on dit sur le même niveau qu'on est contre les sardines en boîte et qu'on est contre la fin du monde,
02:24 et certains qu'être contre la fin du monde, c'est un point de vue même pas moral, puisque c'est quelque chose qui risque de monter devant nous d'une manière inexorable.
02:35 Et donc voilà, l'idée, c'est que les gens finalement, quand ils voient l'exposition, sont à la fois à l'œuvre, son titre, parce qu'on a toujours apporté une grande importance au titre qu'on choisissait.
02:49 Ils sont souvent très signifiants, on est contre le sans-titre justement, qui a prévalu dans l'art contemporain pendant des décennies et des décennies.
02:58 Donc nous, au contraire, on assume les titres.
03:00 Et là, on a donné finalement une sorte de surtitre à chaque fois pour indiquer une lecture ou provoquer une réaction.
03:09 Mais les gens sont libres finalement.
03:11 - Alors contre quoi vous êtes ?
03:13 Quand on est dans cette galerie des Filles du Calvaire, on trébuche presque sur une œuvre inédite.
03:18 C'est une pierre ronde sur laquelle est gravé circulairement un texte.
03:22 Et quand on disait que ça fait 30 ans que vous êtes contre, on retrouve sur cette pierre ce manifeste que vous avez écrit en 1993, tous les deux.
03:32 Manifeste du Slow Art.
03:34 Qu'est-ce qu'il dit ?
03:37 - Déjà en 93, ça faisait 3-4 ans qu'on avait le manifeste du Slow Food.
03:42 Et il nous semblait assez logique de faire le Slow Art à l'époque.
03:45 Il dit globalement qu'il est temps de créer, non pas pour un marché sur-consommateur et sur-spéculatif,
03:57 mais plutôt pour retrouver du sens, réintroduire l'artisanat, des valeurs qui, à nos yeux, étaient des valeurs écologiquement correctes.
04:08 - Et bien un petit peu désuètes pour l'époque.
04:10 Parce que l'artisanat, c'était au moment de la grande industrie, la consommation à outrance, fin des années 80, début des années 90.
04:17 - Oui, mais en même temps, on était aussi les enfants de 68, finalement.
04:22 Et on avait aussi tout un mouvement d'art écolo américain des années 70, 69, 70, etc.
04:29 Dont on était finalement les enfants, qui n'avait pas eu un succès énorme en France, mais qui était internationalement reconnu.
04:36 Donc on se sentait portés par nos pères, finalement, mais bien avant.
04:43 Et oui, on était clairement en décalage avec les Golden Boy, mais bon, ça n'étonnera personne.
04:51 On était punks à l'époque, donc on était nécessairement en décalage.
04:55 Et je pense qu'il y avait toute une génération qui était en décalage.
04:57 - Vous étiez des précurseurs, Benoît Mangin. À l'époque, vous étiez punks. Aujourd'hui, vous êtes quoi, alors ?
05:03 - Comme le disait Marion, on a eu l'impression, quand même, pendant quelques décennies, de se battre un peu tout seul.
05:07 On voyait un mouvement d'art. - Même dans l'art ?
05:09 - Surtout dans l'art. - Surtout dans l'art.
05:11 Pas seulement d'un point de vue politique ou médiatique, où l'écologie était moins sur le devant de la scène ?
05:16 - On assistait à des sortes de flux et de reflux.
05:18 C'est-à-dire que, mettons, sur 2-3 ans, les gens semblaient commencer à s'intéresser à l'écologie.
05:23 Et puis après, il y avait un problème plus urgent, donc plus "humain",
05:27 puisque les gens ont toujours opposé, finalement, la biodiversité à l'anthropisme, à l'anthropocentrisme.
05:33 Et du coup, ça repartait complètement dans l'autre sens.
05:36 L'écologie, il ne fallait même plus en parler en art, en fait. Il y avait des diktats comme ça.
05:41 - C'était considéré comme politique. C'est ça qui était dérangeant.
05:44 Et finalement, l'art politique avait fait son temps.
05:46 C'est aussi ça qui fait qu'on était décalés.
05:49 Et quand on dit "je suis contre", c'est parce qu'effectivement,
05:52 on n'a jamais eu peur, finalement, d'avoir une option narrative et politique.
05:57 - Comment vous expliquez, d'ailleurs, que l'art n'a plus été politique à un moment donné ?
06:00 Comment ça se fait que ce soit passé de mode ?
06:02 OK, il y a des modes, il y a des courants, il y a des époques.
06:05 Mais pourquoi l'art a été dépolitisé ?
06:09 - Il a été rejoint, je pense, par un phénomène qui était la tendance.
06:13 C'est-à-dire que l'art a été un peu confondu avec la question de la mode,
06:19 et notamment du langage de l'époque.
06:20 Et le langage de l'époque ne se voulait, soi-disant, pas politique,
06:24 parce qu'il y avait toutes sortes de raisons de produire de l'art
06:29 qui étaient plaire à des collectionneurs, être introduit dans des musées, etc.
06:33 - Je pense que d'une manière globale, c'est assez lié aussi à la révolution,
06:38 à ce qu'on a appelé la révolution de l'art moderne.
06:40 C'est-à-dire qu'à partir du moment où on a abandonné la figure, la représentation,
06:44 ça devenait quelque chose de très honteux,
06:46 que l'art représente autre chose que sa propre forme, finalement.
06:50 Et vous avez d'ailleurs beaucoup de critiques d'art
06:53 qui se sont vigoureusement opposées à un art signifiant,
06:58 à la façon de parler d'un art de manière narrative ou politique.
07:03 Il fallait absolument n'analyser que la sensation, que la forme,
07:07 et surtout pas le discours, la politique.
07:10 Et il y a même encore aujourd'hui un grand déni et des attaques
07:14 assez répétées contre l'art conceptuel, qu'il soit historique ou actuel.
07:19 - Alors évidemment, depuis que vous avez mis en place ce manifeste,
07:23 très concrètement, ça veut dire que vous travaillez avec des objets qui existent déjà,
07:27 des objets recyclés.
07:28 Alors évidemment, ça paraît aujourd'hui totalement évident.
07:30 On se dit "mais comment on n'y a pas pensé plus tôt ?"
07:32 Mais vous, vous y aviez pensé il y a 30 ans.
07:36 Et par exemple, avec des objets aussi organiques, des pierres, on l'a dit,
07:40 et aussi des os, il y a la place de l'animal, très important dans votre travail.
07:47 - Miaou !
07:51 - Miaou !
07:51 - Bien sûr, on a fait plein de choses avec les animaux,
07:53 à tel point qu'on peut même se demander si, contrairement à la problématique du propre de l'homme,
07:58 qui cherche absolument à trouver ce qui nous différencie de l'animal,
08:02 et qui voit l'hominisation, c'est-à-dire la façon dont nous sommes devenus humains,
08:06 contre l'animal, en fait, s'il ne faudrait pas repenser l'humanisation dans une autre perspective,
08:13 c'est-à-dire non pas contre l'animal, mais tout contre l'animal, c'est-à-dire avec l'animal.
08:17 Et on peut se demander, dans quelle mesure,
08:20 est-ce que l'animal n'est pas une partie constituante de notre identité ?
08:24 - Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou ! Miaou !
08:38 - Le philosophe Dominique Nestel, pour "La voix", pas pour les miaou, des chats,
08:42 c'est sur France Inter en 2006, évidemment. - Mais ça fait danser nos invités !
08:46 - Les animaux, vous les appelez, Marion Laval-Jantet, "les autres". Qu'est-ce que ça veut dire ?
08:53 - Dans les autres, je rentre énormément de choses. Les animaux, les arbres, tout ce qui est vivant.
08:58 On pourrait même mettre les esprits pendant qu'on y est.
09:00 - On pourrait mettre nous, alors, aussi, les humains.
09:02 - Oui, mais on fait partie des humains, donc c'est difficile de les appeler les autres,
09:08 sauf si on repart dans une qualification anthropologique où on va dire les autres, c'est ce qui n'est pas sa propre famille.
09:15 Oui, tout type de minorité humaine, aussi, nous intéresse.
09:19 C'est vrai qu'on a travaillé avec la question des enfants, les prisons, etc.
09:23 Ou les cultures, évidemment, qui étaient des cultures forestières qui disparaissaient,
09:28 donc les pygmées et un certain nombre de gens vivant d'une manière différente de l'Occident.
09:36 Oui, en fait, les autres, c'est ce qui est intéressant, parce que soit, finalement, on en fait le tour assez rapidement.
09:42 - Ah oui, vous trouvez ? - Personnellement, oui.
09:45 - Vous, Marion Laval-Janté, vous n'avez pas fait le tour rapidement.
09:48 Nicolas disait que vous aviez expérimenté sur du vivant. Le vivant, c'est aussi vous.
09:53 - Tout à fait, oui. On s'utilise aussi, effectivement, comme modèle d'étude,
09:59 aussi bien sur le plan psychologique, mythologique, biologique.
10:06 Parce que, on va dire, éthiquement, personne ne va nous reprocher de nous exploiter nous-mêmes.
10:11 Chaque fois qu'on travaille sur les autres avec eux, c'est toujours plus délicat.
10:16 - Parce que c'est plus difficile, par exemple, Benoît Mangin, quand vous allez voir les vétérinaires
10:20 et que vous leur demandez "Est-ce que je peux récupérer ce crâne du chien ?"
10:24 - Du sang de panda ? - Ou du sang de panda pour faire une œuvre.
10:28 - Du sang de panda, ça a été très difficile, effectivement. - Mais vous l'avez eu ? Non, vous ne l'avez pas eu ?
10:32 - Du sang de panda, pas possible. Du sang de cheval, mais peut-être qu'on y reviendra tout à l'heure.
10:36 Mais sur, par exemple, ces sculptures qu'on voit dans l'exposition,
10:39 alors il y a cette grande sculpture presque mythologique d'un... comment dire ?
10:46 - Une hydre. - Une hydre, c'est ça, avec cinq têtes de chien, enfin crâne de chien que vous avez utilisées.
10:52 Mais effectivement, là, éthiquement, on se demande comment vous faites pour faire accepter votre démarche.
10:58 - Déjà sur le processus, puisque vous en parliez, en fait, c'est pas si difficile que ça de convaincre finalement des vétérinaires
11:07 de vous donner des choses qui, pour eux, sont un peu du rebut.
11:10 La démarche qu'on a de recyclage, elle consiste justement à trouver des choses ou à aller les chercher.
11:17 Et a priori, on n'a pas éprouvé de difficultés particulières.
11:22 C'est plutôt moins difficile que de décider, par exemple, de travailler avec certains scientifiques dans des laboratoires
11:28 et d'intervenir finalement dans leur protocole parce qu'ils manquent de temps, ils manquent d'argent, etc.
11:32 - Mais concrètement, est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous est venue l'idée d'appeler un vétérinaire
11:40 pour, par exemple, avoir accès à des rebuts, comme vous disiez, Benoît Mangin,
11:45 un matin, vous vous lancez, allez Marion appelle, j'ai trouvé un véto...
11:51 - Non, c'est toi, non, c'est moi...
11:53 - Ça part pas de l'objet, ça part de l'idée, c'est-à-dire qu'on éprouve le besoin de concevoir une hydre
12:00 et à partir de là, la question c'est avec quoi, comment on va s'y prendre ?
12:05 - Disons qu'effectivement, un peintre au sens classique ou un sculpteur au sens classique
12:10 a plus de facilité dans la mesure où il possède ses matériaux d'une certaine façon,
12:16 il possède ses outils et ses matériaux, il travaille dessus.
12:19 Là, effectivement, dans le genre de démarche qu'on fait, il y a des matériaux qu'on conceptualise,
12:24 qu'on imagine et il faut aller les trouver.
12:27 Mais je dirais que ça fait tellement partie pour nous, à la fois de notre démarche
12:32 et même plus généralement de la démarche de l'art conceptuel contemporain.
12:36 Moi, par exemple, c'est une pure anecdote, mais un des premiers travaux que j'ai fait après mes études,
12:41 c'était de trouver pour d'autres artistes, par exemple, un manège forain,
12:46 parce que l'artiste en avait besoin pour une installation, etc.
12:49 Donc on a toujours baigné là-dedans, finalement.
12:52 - Mais ce qui se passe, c'est qu'en fait, on a un amour du vivant qu'on retrouve chez des gens
12:58 qui sont éventuellement des vétérinaires ou des propriétaires de zoos ou autres,
13:02 qui, quand ils se retrouvent avec un animal rare, par exemple, décédé dans le zoo,
13:07 n'ont pas le courage de le brûler.
13:09 Donc souvent, ces animaux sont simplement dépecés, de telle sorte qu'ils conservent soit leur zoo, soit leur peau.
13:15 Bien souvent, ils contactent des taxidermistes ou autres.
13:19 Et l'idée est effectivement que, d'une certaine manière, ce serait dommage d'offrir ce corps rare au feu.
13:27 Donc nous, on récupère ce qu'ils ont conservé avec amour.
13:32 - Quand on recycle, on a l'horreur du gâchis, par définition.
13:35 C'est ce qui nous avait conduit, par exemple, à faire un manteau d'animaux écrasés.
13:39 Quand on les récupérait, à chaque fois qu'on en croisait au bord de la route,
13:42 on les récupérait, on les mettait dans un congélateur.
13:45 Alors nous, on n'en avait pas, donc c'était celui de ta mère, à l'époque.
13:48 Et le moment où le congélateur a explosé, on continuait à en faire quelque chose.
13:51 - Donc à côté des glaces... - Non, mais elle ne savait pas.
13:53 Mais le jour où, effectivement, elle a vu... - Elle a ouvert le frigo.
13:57 - Elle était un peu en colère et il a fallu qu'on agisse rapidement.
13:59 - Mais justement, ça c'est encore votre attachement aux vivants, puisqu'on parle d'animaux morts.
14:03 En confectionner ensuite un manteau, c'est quoi l'idée ?
14:07 Leur redonner une vie ? Avoir un pouvoir un peu magique, démurgique sur eux ?
14:14 - C'est une chose double.
14:16 D'abord, il y a le refus du gâchis. Il y a aussi la dénonciation du gâchis.
14:21 - Alors, exposer ça, le montrer...
14:23 - L'intérieur du manteau était notamment doublé avec une soie sur laquelle les animaux accidentés étaient sérigraphiés.
14:32 Donc l'intérieur montrait l'horreur.
14:34 - À chaque fois qu'on récupérait un animal, on faisait une photo et c'est le patchwork de photos qui faisait la doublure.
14:41 - On avait à l'intérieur l'horreur du gâchis, à l'extérieur, d'une certaine manière, sa transcendance.
14:47 - En même temps, son côté un peu inquiétant, parce qu'on gardait les queues, les pattes et compagnie.
14:51 C'est un manteau qui était assez spectaculaire et qui dénonçait une situation liée au trafic autoroutier.
14:57 Et en même temps, qui reproduisait un classique qui était le manteau de chaman.
15:02 Un manteau sur lequel les chamans étaient convaincus que, couverts de tous ces animaux, on allait avoir leur pouvoir.
15:09 - On les endosse, au sens littéral du terme.
15:12 - Et qu'est-ce qu'ils sont devenus ces manteaux ? Vous en avez gardé certains ?
15:16 Vous continuez à les exposer ? Justement, sur le côté périssable de l'œuvre telle qu'elle, est-ce que vous recyclez vos œuvres ?
15:24 - Vous le portez de temps en temps ?
15:26 - Oui, ça m'arrive de le porter. Le manteau est toujours là, il est toujours en bon état.
15:30 En fait, les manteaux de fourrure peuvent durer très très longtemps.
15:33 On a beaucoup travaillé aussi à partir de la conservation des objets muséographiques.
15:38 Et on s'est rendu compte que des manteaux de fourrure, il y en avait dans tous les musées d'anthropologie.
15:43 Donc pourquoi pas en faire un ? Ça ne nous inquiétait pas l'idée de sa conservation.
15:47 Ça a certaines exigences, mais c'est faisable.
15:51 - On voyage beaucoup dans cette exposition. On a aussi l'impression parfois d'être dans un musée d'histoire naturelle.
15:55 Il y a quelque chose de naturaliste aussi dans votre démarche.
15:59 Je pense à ces sculptures qui sont présentées dans des meubles en verre, avec ce bord en bois qu'on peut voir au musée d'histoire naturelle.
16:07 Ce sont des sculptures que vous reproduisez, des squelettes que vous reproduisez, avec notamment cette girafe.
16:14 Comme je suis vue, j'étais une girafe. Vous pouvez nous le décrire et nous dire ce que ça veut dire Marion Laval-Jantel ?
16:21 - Ce sont des petits squelettes qui sont fabriquées non plus avec des os d'animaux maintenant,
16:26 mais effectivement sculptées dans du bois de serre et du bois de reine.
16:30 - Avec un travail de la matière qui trompe en fait. On a vraiment l'impression que ce sont des os.
16:36 - Il y a même des gens qui nous ont demandé comment ils ont réussi à réduire le shell.
16:42 - C'est un peu un downsizing. - On imagine la girafe taille 50 centimètres de haut.
16:49 - En fait, je suis née dans une famille où il y avait beaucoup d'anatomistes.
16:55 Les premiers dessins que j'ai dû faire, ça devait être des squelettes. Il n'y a pas beaucoup de surprises.
17:00 Dans les faits, c'est très humoristique parce que ce sont des visions que nous avons eues dans des rituels initiatiques.
17:10 Dans des rituels, on parle du Gabon, qu'on a subi au Gabon avec les pygmées.
17:17 Dans ces visions, je me suis vue centaure, Benoît s'est vue girafe.
17:23 On a là des hybrides qu'on ne pourrait pas réaliser autrement qu'en sculpture.
17:28 L'un a un torse de femme sur des jambes de cheval et l'autre a un torse de girafe sur des jambes d'homme.
17:37 - Vous vous êtes vue girafe, Benoît ? Et vous vous êtes vue Marion Laval-Chanté ?
17:41 - On incarne successivement beaucoup d'animaux différents.
17:46 Au début, je me suis davantage vue gorille qu'autre chose.
17:53 - On pourrait presque plus parler d'une sensation qu'une vision.
17:57 Je me suis demandé pourquoi je voyais les choses d'aussi haut et pourquoi j'ondulais comme ça,
18:03 ou le paysage semblait onduler de cette façon.
18:06 - Avant l'initiation, j'étais dans une chambre, je me sentais dans une pièce.
18:14 Elle était toute fermée, pas de fenêtre, juste une porte.
18:17 Et ce n'était pas n'importe qui qui avait accès à cette chambre-là.
18:20 C'est la dame qui nous initie, celle qui nous donne le bois.
18:23 Maintenant, le grand jour, on nous emmène dans une rivière, une petite rivière.
18:28 Là-bas, on va faire un bain avec une poule.
18:30 C'est elle qui touffe le chemin pour manger le bois.
18:33 Et la cérémonie commence aux alentours de 15 heures.
18:37 On mange, on mange.
18:38 Après avoir mangé, on se couche sur des ballons, on pose la tête dessus, on dort.
18:44 - Qu'est-ce que ça fait quand on mange le bois ?
18:46 - Ça, ça saoule.
18:47 C'est-à-dire que tu sens comment ça va dans les veines,
18:50 comment ça prend position de tout ton corps, de tout ton être.
18:52 Après, tu te retrouves comme paralysée.
18:54 Tu n'es plus maîtresse de ton corps.
18:56 Tu vois, ça te fait des effets.
18:57 Là, tu te sens, tu ne sais pas où tu vas aller, tu ne sais pas.
18:59 Tu paniques, tu penses même à la mort.
19:01 Tu as peur.
19:02 Je pensais à mes parents, je pensais à ma mère, j'avais peur.
19:04 C'est comme ça que ça s'est passé.
19:05 Je me suis endormie, j'ai perdu connaissance.
19:07 Je voyageais.
19:09 - Le voyage onirique de Liboga dans tout un monde en 2006 sur France Culture,
19:20 c'est le récit de cette cérémonie bouitie,
19:23 à laquelle vous avez participé tous les deux.
19:25 C'est d'abord vous, Marion Laval-Jantet, qui avez expérimenté ça.
19:28 Et ensuite, vous avez dit à Benoît, il faut que tu fasses comme moi.
19:31 - Allez, il faut plonger.
19:33 - Il faut y aller.
19:34 - C'est compliqué si seulement l'un des deux a vécu cette expérience.
19:39 Parce que c'est une expérience qui est tellement forte
19:42 qu'on ne peut pas y croire si on ne la voit pas soi-même.
19:45 - On parlait de l'autre tout à l'heure et de l'altérité.
19:50 Et c'est vrai que c'est quelque chose qui imprègne tellement toute notre démarche,
19:54 tout notre travail.
19:55 Mais effectivement, on est un autre aussi pour soi-même.
20:00 Et la base de notre travail, c'est effectivement de choisir des terrains d'études,
20:04 des terrains d'expérimentation pour aussi en apprendre à la fois plus sur l'autre,
20:09 sur nous aussi et sur nous en tant qu'autre.
20:11 Et là, l'expérience en 2003 du bouitie des pygmées était véritablement...
20:17 Après, il y a différents degrés d'altérité.
20:20 Quand on attaque le microbiote, effectivement,
20:22 on est sur une altérité à la fois différente et à la fois très proche.
20:26 - Mais justement, tout à l'heure, vous disiez, on fait assez vite le tour de nous-mêmes.
20:29 Mais là, justement, on est loin de faire vite le tour de nous-mêmes lors d'une expérience comme ça.
20:34 Je vous regardais pendant qu'on diffusait l'archive.
20:37 Vous étiez en train de commenter.
20:38 Je ne sais pas si vous parliez du studio, vous aviez soif ou quoi que ce soit.
20:42 Mais est-ce que vous étiez plutôt en train de vous dire,
20:45 "Moi, ça ne s'est pas passé comme ça pour moi.
20:47 Je n'ai pas eu cette impression d'être saoule. Je n'ai pas pensé à mes parents."
20:51 - Non, mais c'est certain.
20:52 De toute façon, le bouitie, ça agit d'une manière complètement différente
20:56 sur les uns et les autres.
20:57 Et sur le fait que ça agit différemment en fonction de ce qu'on a vécu avant.
21:01 Si on a déjà une ouverture sur l'invisible, le bouitie ne fait pas peur.
21:05 Après, les gens ont peur aussi au pays parce qu'on leur fait très peur avec ça.
21:10 Ça fait partie du rituel d'avoir peur.
21:12 Sinon, on ne se sent pas impliqué.
21:15 On n'a pas envie d'être sérieux.
21:18 - Ce qui est très étonnant aussi dans votre démarche,
21:20 alors on parle de choses qui peuvent nous échapper.
21:23 Nous qui n'avons pas vécu cette expérience-là.
21:25 Et en même temps, quand vous parlez de votre art,
21:27 vous parlez beaucoup avec des termes scientifiques.
21:30 Alors cette idée de la science, de l'expérimentation, de l'objet,
21:35 presque du cobaye aussi, ça vient d'où ?
21:38 Il y a évidemment dans votre famille Marion Laval-Jantey,
21:41 votre père, prof de médecine, votre mère, chercheuse en biophysique.
21:45 Donc vous êtes plongée toute petite dans ce milieu-là, dans les musées aussi.
21:49 Vous rêviez d'exposer plus jeune et vous vous baladez dans un musée
21:54 au Louvre et là vous vous dites "mais il n'y a aucune femme exposée,
21:57 je ne pourrai jamais moi-même exposer, c'est impossible"
21:59 et vous vous mettez à pleurer.
22:01 Donc il a fallu mélanger toute cette histoire familiale pour en arriver là ?
22:05 - Oui mais bon, c'est vrai que quand on est dans une famille scientifique,
22:09 normalement on est voué à la science qu'on le veuille ou non.
22:11 C'est-à-dire que d'une certaine manière, on est engagé sur des filières scientifiques.
22:15 Moi-même, j'ai d'abord passé des diplômes scientifiques
22:18 avant de passer des diplômes d'art.
22:20 Même si j'ai toujours émis le souhait d'être artiste.
22:23 J'ai toujours fait ça d'une manière audacieuse, personnelle et cachée,
22:27 dissimulée à côté de mes études scientifiques.
22:30 Donc oui, il y a un moment, j'ai claqué la porte et puis j'ai dit
22:33 "c'est bon, maintenant je ne fais que de l'art".
22:35 Mais on ne fait jamais que de l'art parce que le problème,
22:37 c'est de quoi on nourrit son art.
22:39 Et quand on travaille à deux, on est déjà dans une dialectique
22:42 qui est finalement scientifique puisqu'on n'arrête pas d'évoquer des idées
22:45 et de les tester sur l'autre.
22:47 Et ça nous intéressait beaucoup d'avoir ce côté bi-genre déjà
22:51 et puis de pouvoir confronter des subjectivités différentes.
22:55 Et c'était déjà en soi quelque chose de scientifique.
22:58 Après, effectivement, on fait rentrer nos univers.
23:01 Le mien est plus scientifique, celui de Benoît est plus littéraire.
23:04 Et on les confronte pas mal l'un à l'autre.
23:07 Il est clairement plus dans la mythologie et moi plus dans la mythologie des microbes.
23:11 - Quel type d'expérience vous expérimentez l'un sur l'autre ?
23:15 - A part le plonger dans le Bouiti !
23:20 - Ça déjà c'est une belle expérience !
23:22 - Je me suis vengé ensuite en la piquant pour un projet ultérieur,
23:26 sur le projet du cheval.
23:28 - Qui a eu cette idée ?
23:30 - Ce projet du cheval, d'abord vous vouliez du sang de panda, si je ne dis pas de bêtise.
23:33 - C'est vrai que c'est amusant parce que ce que disait Marion,
23:36 à un moment on avait fait un projet qui impliquait le généticien Axel Kahn
23:39 et lors du petit film qu'on avait fait, etc.,
23:42 il revenait toujours sur une phrase "on va en parler en conseil de labo".
23:45 Puis on se regardait avec Marion, mais en fait nous c'est des conseils de labo
23:48 qu'on fait tous les jours.
23:50 - À deux !
23:52 - Voilà, à deux.
23:54 - Si on travaille avec des scientifiques, on les introduit dans nos conseils de labo.
23:57 - C'est effectivement un petit peu comme une espèce de longue histoire qui se déroule
24:00 et qui a des étapes.
24:03 Le cheval est venu avec une maturation assez lente,
24:06 il y a toutes les expériences ethologiques qu'on avait faites en utilisant des leurres
24:09 pour communiquer avec des animaux.
24:12 C'est des choses qui se construisent petit à petit,
24:15 mais un projet finalement...
24:18 - Il est venu très tôt, en 2003,
24:21 lors de la première exposition d'ArbioTec
24:24 qui a eu lieu à Nantes,
24:27 au lieu unique, avec Jens Hauser comme commissaire.
24:30 Dans les faits, à l'époque déjà,
24:33 je souhaitais que l'autre vive en moi,
24:36 et donc j'avais déjà proposé que le panda vive en moi.
24:39 Ça avait une dimension encore supérieure à mes yeux
24:42 parce que c'était une espèce en voie de disparition,
24:45 mais qui était désignée comme telle par les humains.
24:48 Elle était donc devenue emblématique du WWF, etc.
24:51 J'avais pas prévu à l'époque,
24:54 j'avais pas conscience que tous les pandas du monde appartenaient à la Chine
24:57 et qu'on ne pourrait pas faire ce qu'on voulait.
25:00 Donc on s'est retourné vers la plausibilité
25:03 la plus grande,
25:06 sur quoi travaillaient les gens dans les laboratoires.
25:09 On s'est retrouvé sur des animaux domestiques,
25:12 mais certainement pas sur des animaux rares comme le panda.
25:15 - Et donc du coup, le panda, c'est pas possible,
25:18 vous vous retournez vers le cheval, si je puis m'exprimer ainsi.
25:21 Qu'est-ce que vous ressentez au moment où Benoît
25:24 vous injecte ce sang de cheval qui a été un peu modifié tout de même ?
25:27 - C'est un sang de cheval dont on a supprimé
25:30 les macromolécules, les érythrocytes...
25:33 - Comment on fait d'ailleurs pour faire ça ?
25:36 - On fait ça par centrifugeuse.
25:39 - Ah ben ok ! Non mais c'est intéressant comme question, pardon !
25:42 - C'est très simple !
25:45 - C'est vrai que là,
25:48 on fait un projet qui a priori est beaucoup plus complexe
25:51 sur l'odeur de saineté avec une souris.
25:54 Et là, c'est beaucoup plus compliqué,
25:57 mais en même temps, ça reste de la cuisine en laboratoire.
26:00 - Racontez-nous cette odeur de sainteté.
26:03 - Finissons sur le cheval.
26:06 - En fait,
26:09 moi je ne suis pas très craintive.
26:12 C'est vrai que je me...
26:15 On m'a beaucoup condamné quand j'étais enfant
26:18 en me disant que je ne dépasserais pas les 10 ans,
26:21 puis les 18, puis finalement je suis toujours là.
26:24 - Pourquoi ? Parce que vous preniez beaucoup de risques ?
26:27 - Non, parce que j'étais malade, enfant, donc la question était de savoir comment j'allais survivre.
26:30 La vie n'a pas la même valeur pour moi
26:33 que pour quelqu'un qui a toujours été en bonne santé.
26:36 - Comme moi, par exemple.
26:39 - J'ai pas eu une grande crainte à l'idée de faire des expériences.
26:42 J'étais très curieuse de savoir si,
26:45 en dehors d'un remplacement mental,
26:48 comme celui qui était proposé par les pygmées,
26:51 quand on va s'incarner dans des animaux,
26:54 est-ce qu'on pouvait le faire en vrai ?
26:57 J'ai senti plein de choses.
27:00 Tout ce qui restait dans le sang, c'était des immunoglobulines
27:03 qui partaient envoyer des indicateurs différents à mon corps.
27:06 Je me sentais puissante.
27:09 Il faut dire que les immunoglobulines de cheval, c'est très gros.
27:12 Donc les réactions thyroïdiennes sont très fortes.
27:15 Je me sentais puissante, en même temps je me sentais hyper craintive.
27:18 Je dormais mal.
27:21 Il y a plein de choses qui ont changé.
27:24 - Oui, beaucoup. Je la trouve changée tous les jours.
27:27 C'est vrai que l'intérêt à la fois
27:30 philosophique, artistique et biologique de l'expérience,
27:33 c'était de franchir la barrière des espèces.
27:36 Et là, en l'occurrence,
27:39 tout le faisceau des sensations qu'elle éprouvait,
27:42 puisque c'était essentiellement des protéines messagères
27:45 qui ont une influence sur le métabolisme,
27:48 sur le hormonal essentiellement,
27:51 faisait qu'elle éprouvait des choses qui n'étaient plus
27:54 de l'ordre des primates, mais autre chose que les primates.
27:57 Donc toujours l'altérité finalement.
28:00 - Je crois que l'art, pour avoir ce caractère de fête
28:03 et d'ivresse qu'on lui demande,
28:06 a besoin d'un caractère interdit.
28:09 Je considère que l'art, pour jouer très efficacement
28:12 d'une façon très forte, doit utiliser tous les interdits possibles.
28:15 Donc un interdit contre Dieu n'en serait pas un pour moi.
28:18 C'est comme si on parlait d'un interdit contre le Père Noël.
28:21 Mais pour ceux qui croient en Dieu ou en des choses de cette sorte,
28:24 l'art doit provoquer tout ce qui est provoquable,
28:27 doit bouleverser tout ce qui est bouleversable
28:30 de façon à avoir provoqué un choc très marqué.
28:33 12h-13h30, les midis de culture.
28:36 Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
28:39 - Et nous sommes toujours les médias.
28:42 On est toujours les médias.
28:45 - Et nous sommes toujours avec Benoît Mongin et Marion Laval-Janté.
28:48 On entendait à l'instant Jean Dubuffet en 1954,
28:51 l'artiste et plasticien qui a théorisé l'art brut,
28:54 notamment, qui parle de la provocation et de l'interdit.
28:57 J'imagine que vous vous y êtes confronté
29:00 durant ces 30 dernières années à la provocation
29:03 et aux interdits.
29:06 Comment on se dit qu'on va franchir un interdit
29:09 en s'injectant du sang de l'animal ?
29:12 Ou alors en s'utilisant soi-même,
29:15 et on va y venir notamment en parlant du microbiote,
29:18 en s'utilisant soi-même comme objet d'expérience
29:21 et ensuite d'art ?
29:24 - Oui.
29:27 On a toujours eu l'impression, que ce soit toi ou moi,
29:30 plus toi d'ailleurs que moi,
29:33 qu'on avait les tabous mal placés.
29:36 Parce que Marion parlait de cette exposition en 2003
29:39 et effectivement, une des motivations, tout de même,
29:42 à cette expérience,
29:45 c'était justement de faire de l'auto-expérimentation
29:48 pour être soi-même son propre cobaye.
29:51 Parce qu'on avait remarqué que dans l'exposition en question,
29:54 même si des œuvres étaient proposées
29:57 comme extrêmement vertueuses,
30:00 ça utilisait toujours finalement un animal autre que soi.
30:03 Et là, en l'occurrence, l'idée c'était...
30:06 Donc pour nous, finalement,
30:09 on était en accord avec nos principes
30:12 en faisant ça, puisqu'on n'utilisait personne d'autre
30:15 que nous pour l'expérience.
30:18 - Oui et non, parce qu'en fait, à l'époque, on avait fait des cultures de nos propres peaux
30:21 et effectivement, les cultures de peaux,
30:24 elles étaient nécessairement déposées sur le derme de quelqu'un
30:27 et comme aucun humain n'était prêt à ce moment-là à recevoir notre peau,
30:30 c'était un cochon mort qui l'a reçu.
30:33 Mais bon,
30:36 oui, ce n'est pas seulement interdit,
30:39 c'est qu'en fait, l'art est un espace de liberté extraordinaire,
30:42 peut-être le dernier qu'on ait dans notre société,
30:45 qui est assez limitatif
30:48 pour l'individu.
30:51 Et là, on a quelque chose d'assez fabuleux,
30:54 on peut faire des expériences qui, au prétexte qu'elles sont
30:57 fantasmatiques, qu'elles sont artistiques, ne seraient pas faites
31:00 par les autres. C'est-à-dire que les protocoles scientifiques
31:03 n'iraient jamais faire ce type d'expérience.
31:06 Quand je me suis fait injecter du sang de cheval,
31:09 c'était hors des protocoles scientifiques autorisés,
31:12 mais dès lors que je l'ai fait, plein de scientifiques m'ont appelé pour me dire
31:15 "Alors, tu m'as fait un tableau clinique, qu'on sache !"
31:18 - Mais vous avez été encadrée, vous avez été suivie justement
31:21 par une équipe médicale, au cas où...
31:24 - Oui, il y avait cette nécessité, ne serait-ce que pour la performance d'ailleurs.
31:27 Ça intéressait beaucoup de centres d'art,
31:30 de gens en France, etc., mais dès qu'on leur disait "Vous savez, on va avoir besoin
31:33 d'une équipe d'urgence au cas où elle fasse un choc anaphylactique grave",
31:36 là, le concept restait intéressant,
31:39 mais la mise en œuvre était beaucoup plus problématique.
31:42 - Après, on ne peut pas vraiment appeler ça un suivi,
31:45 parce que dans la réalité, pendant 4 ans...
31:48 - C'est un peu nous qui l'avons déclenché, finalement.
31:51 - Oui, mais c'est moi qui les ai faites, les études,
31:54 et à chaque fois que j'avais besoin de comprendre, j'allais comprendre.
31:57 On était un peu comme dans la thématique
32:00 de Bernard Andrieux, "Auto-expérimentation = auto-médecine".
32:03 Il y a un moment où on ne peut pas être suivie
32:06 dès lors qu'on sort des sentiers battus.
32:09 - On a compris aussi que vous avez beaucoup voyagé dans le monde,
32:12 et donc ça nous amène à cette œuvre
32:15 que vous exposez dans cette galerie parisienne jusqu'au 23 septembre,
32:18 "Je suis contre les amibes", tout contre.
32:21 On a bien compris qu'il y avait un rapprochement très fort.
32:24 Vous êtes les premiers européens à avoir envoyé vos microbes intestinaux à San Diego.
32:29 C'était pour une grande cartographie mondiale.
32:32 Ce qui en ressort, c'est une sorte de graphique
32:35 avec à chaque fois le microbe et où vous pensez,
32:39 vous savez, vous imaginez l'avoir attrapé.
32:42 - Les microbes sont très localisables, c'est ça qui est très intéressant.
32:45 Et finalement, quand on se balade,
32:48 on les attrape, on les ramène avec soi.
32:51 Ça nous a permis de faire une nouvelle merde d'artistes
32:54 à l'heure de la globalisation, en référence à la merde d'artistes de Manzoni.
32:59 Tout en se posant la question, Manzoni est mort jeune
33:02 tout en ayant un microbiote qui était européen.
33:05 Qu'est-ce que ça donne pour nous qui avons travaillé à l'étranger,
33:09 qui avons été anthropologues, qui nous sommes beaucoup baladés ?
33:13 Qu'est-ce qu'on connaît des conséquences de ces modifications ?
33:17 - Je pense qu'on n'aura jamais eu de microbiote aussi complexe
33:21 que ceux de nos contemporains.
33:24 Et possiblement dans le futur, si on n'a plus le droit de voyager
33:27 à cause des prescriptions du GIEC,
33:30 peut-être qu'on aura été la seule génération
33:34 à avoir ce microbiote très particulier qui est bouleversé.
33:38 Après, c'est une chose qu'on a aussi aggravée avec une expérience
33:42 qui était une grève de microbiote centrafricain.
33:46 Et pour voir comment la radicalisation de cette modification
33:51 pouvait révéler des réalités qui nous échappaient.
33:55 D'où le tout contre.
33:58 - D'où le tout contre, puisque vous vous retrouvez totalement impliquée,
34:02 totalement entourée de microbes presque.
34:05 - Oui, je les porte. Je pense qu'on les porte tous.
34:09 Après, ça m'a permis de creuser, de me rendre compte
34:13 que sur le plan médical, ça révélait beaucoup de choses
34:17 qui, possiblement, allaient être découvertes prochainement
34:23 et qui nous permettraient de nous soigner.
34:26 - Marion Laval-Janté, vous avez dit tout à l'heure
34:29 que l'art était un des seuls espaces où on pouvait être totalement libre.
34:33 Est-ce que c'est véritablement le cas ?
34:36 Et est-ce qu'on peut toujours aller plus loin ?
34:39 Est-ce qu'il y a une limite, de toute façon,
34:42 pas qu'on s'impose, mais par manque d'idées,
34:45 par manque de moyens, par possibilités qu'on ne peut pas découvrir ?
34:51 - Par manque de moyens, c'est clair.
34:54 Le nombre d'œuvres qu'on n'arrive pas à réaliser par manque de moyens
34:58 ou par manque de disponibilité de personnes avec lesquelles on aimerait travailler,
35:02 c'est énorme.
35:04 On fait ce qu'on peut, ça c'est sûr.
35:07 Mais on a une capacité conceptuelle, mentale, supérieure,
35:11 en ce sens que personne ne s'étonne que dans l'art,
35:14 quelque chose puisse aller trop loin.
35:17 C'est le seul endroit où ça semble acceptable.
35:20 - Je me sens non fiscal, mais on l'accepte.
35:23 - On a ça aussi dans la littérature.
35:26 La littérature qui est un art a le droit d'aller très loin.
35:29 - Et puis d'une certaine façon, on n'est pas attendu.
35:32 Quelqu'un qui a eu un prix littéraire, par exemple,
35:35 on sait bien qu'il est attendu sur le prochain ouvrage.
35:38 - On se dit quand même jusqu'où vous irez ?
35:41 On se dit quel sera le prochain stade ?
35:44 Vous repousserez les limites encore s'il y a des limites ?
35:47 - Déjà, on se rend compte que chaque fois qu'on repose des limites,
35:50 les gens ont du mal à les admettre.
35:53 L'histoire de la souris en odeur de cercle, elle a du mal à s'imposer.
35:56 En fait, c'est une œuvre qui est partie du fait que dans la culture en général,
36:01 mais la culture chrétienne en particulier,
36:04 a toujours été considérée comme un suppôt de Satan.
36:07 - Vecteur de maladie.
36:10 - Elle mangeait nos graines, etc.
36:13 Elle est représentée dans tout l'art comme l'image du diable,
36:18 dans le retable de Mérode, dans plein d'œuvres.
36:22 On peut la tuer sans vergogne à partir de là.
36:25 Aujourd'hui, c'est assez peu connu,
36:28 mais c'est dans la famille des souris qu'on a le plus d'espèces manquantes
36:32 sur les listes de l'IUCN.
36:35 On peut se poser la question de sa réhabilitation,
36:38 d'autant que finalement, c'est une martyr moderne,
36:41 en ce sens qu'elle est largement utilisée
36:45 pour les études scientifiques, biologiques, au profit des humains.
36:50 - Et l'idée, c'est de lui donner une bonne odeur à manger ?
36:53 - L'idée, c'est de prendre ce qui, a priori, sont le plus mauvais,
36:57 c'est-à-dire des échirichia coli,
36:59 et de les transformer au point qu'au lieu de sentir une odeur de décomposition,
37:03 elles sentent une odeur violette.
37:05 Et ensuite, de les faire ingérer à la souris,
37:07 de manière à ce que la souris ait des pets miraculeux,
37:09 des fesses miraculeuses,
37:11 - En odeur de sainteté.
37:13 - Voilà, soit vraiment en odeur de sainteté.
37:15 Et là, l'odeur de sainteté, effectivement, est à la fois une littéralité,
37:19 une image, puisqu'on sait qu'on est accepté ou non,
37:24 selon qu'on l'est ou pas.
37:25 - Et puis, vous reviendrez nous parler de ce projet,
37:27 si vous arrivez à le mener jusqu'à son terme.
37:29 Merci beaucoup, Marion Laval-Janté, merci Benoît Mangin.
37:32 Votre duo art-orienté, obligé à s'exposer à la nouvelle galerie des filles du Calvaire à Paris.
37:36 Je suis contre, visible jusqu'au 23 septembre.
37:38 Très facile, très rapidement, pardon, pour terminer,
37:41 il faut faire un choix musical entre l'aigle et le panda.
37:45 Vous choisissez quoi ?
37:46 - Le panda.
37:47 - Le panda.
37:48 J'en étais sûr.
37:49 (Rires)
37:50 (Musique)
38:10 (Musique)
38:39 (Musique)
38:41 - La chanson du panda de SME dans les médis de France Culture.
38:46 On ressent beaucoup de choses quand on va voir cette exposition.
38:48 Alors, allez-y, de la gêne, de l'inconfort et aussi de l'humour, on peut en rire.
38:53 Un grand merci à toute l'équipe des médis de culture.
38:55 Émission préparée par Aïssa Toundoy, Anna Isisberg, Cyril Marchand, Zora Vignet, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
39:02 L'émission est réalisée par Nicolas Berger ce midi et à la prise de son Grégory Wallon à lundi.
39:07 Chère Géraldine, merci.
39:08 - A lundi, oui, et pas demain. - Pas demain, à lundi.
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