Interview de PYARé/Pierre Friquet à propos de Spaced Out présenté dans le cadre de 0(ff)23 par Mulhouse Art Contemporain les 10, 11 et 12 juin 2023 à la piscine de l'Illberg à Mulhouse
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00:00 C'est ça qui est né d'une obsession esthétique qui est l'image inversée, c'est-à-dire
00:09 le rendu négatif qu'on peut avoir.
00:10 Ça fait des années que j'ai ça en tête, que j'ai envie de faire un travail avec
00:14 ça et ce qui s'est passé c'est qu'à travers différentes étapes, c'est le fil
00:22 rouge de la motivation de faire cette oeuvre, c'était de plonger comme ça entre deux
00:29 zones avec une esthétique qui est à la fois reconnaissable et à la fois aussi abstraite.
00:35 On s'est trouvé le bon ton entre ces deux formes.
00:39 L'utilisation de la réalité virtuelle ?
00:41 Ce qu'il faut dire aussi c'est que la première fois que j'ai essayé de faire
00:49 la réalité virtuelle, j'ai eu la chance grâce à ma mère de faire en 93, à l'âge
00:53 de 7 ans, une expérience de vol, une expérience de deltaplane qui était très rudimentaire
00:59 à l'époque parce que la technologie était extrêmement basique.
01:02 On parle de trois ans avant, même après, dans la même manière que le film "Joueur
01:07 sec parc" donc du coup en train de 3D c'était assez minimaliste.
01:11 Et ça m'a donné l'envie, aussi une obsession, de reproduire cette expérience
01:18 qui est d'être en liberté, de défier la gravité, d'être en apesanteur et
01:24 de voler.
01:25 Ensuite, j'ai passé par un schéma classique de réalisateur, c'est-à-dire de l'école
01:32 du cinéma, ensuite de la réalisation de prométrages, fictions et documentaires.
01:36 J'ai fait mes études en Inde, c'est assez particulier, j'ai beaucoup tourné en
01:40 35mm sur pellicule et ça m'a rebouté sur l'aspect création sur un format linéaire,
01:51 sur un format plat, sur un format analogue en séquence.
01:55 Donc la rencontre de la réalité virtuelle est venue de nouveau en 2009 et 2010, quand
01:59 les outils comme des caméras 360 ou d'autres tentatives avant même que Facebook, RHS,
02:07 Oculus m'ont donné le goût en 2010 de replonger dans la réalité virtuelle et de
02:13 débarrasser un tout petit peu de la linearité du cinéma et de creuser cette nouvelle façon
02:19 de créer l'espace et donc d'amener le corps dans les images.
02:24 En 2016, j'ai rencontré Ando qui est ce créateur qui a d'abord conçu ce casque
02:35 étanche de réalité virtuelle et en 2016, on a travaillé ensemble sur différents projets,
02:39 on a réalisé ensemble différentes expériences VR et c'est à cette époque-là où j'étais
02:44 un peu à la croisée de chemin, où je n'étais pas sûr de continuer dans la réalité virtuelle
02:47 et en écoutant son projet d'entreprise de créer ce casque-là, ça m'a donné envie
02:53 de poursuivre et de faire une sorte de machine ultime poétique, c'est-à-dire VR dans l'eau
03:01 qui propose une double immersion, à la fois dans le casque de la réalité virtuelle et
03:05 à la fois avec le corps puisqu'on est plongé dans l'eau et on a cette métaphore réalisée
03:11 de l'immersion.
03:12 On a vraiment cette sensation extrême d'être dans un corps dans de l'eau, dans quelque
03:19 chose qui est différent de l'air en fait, donc on quitte le monde ordinaire, le monde
03:26 habituel d'être dans l'air, on plonge dans l'eau, on rentre même par le corps
03:32 dans ce monde extraordinaire.
03:33 Ensuite, quand on donne un casque de réalité virtuelle, on remplace les yeux, on remplace
03:38 les oreilles et presque on remplace le corps en fait et on se téléporte dans un ailleurs
03:44 mais qui ressemble à quelque chose de très familier et du coup Space Out était un peu
03:48 la rencontre de tout ça.
03:50 La relation avec Méliès.
03:53 La relation avec Méliès en fait, à peu près la même période où j'ai essayé
03:58 de la réalité virtuelle en 93, j'ai découvert l'œuvre de Méliès qui était du coup très
04:04 inspirant et très pionnier et c'était aussi ensuite quand j'ai travaillé il y a
04:10 3-4 ans sur vraiment Space Out, c'était sur l'idée de faire un analogue en fait
04:16 avec ce qu'il a lui fait avec le cinéma et de créer avec la VR à peu près la même
04:21 chose c'est-à-dire d'être dans cette même optique, d'être un homme à tout faire,
04:26 de travailler sur une nouvelle matière, de pousser en fait des normes, des nouveaux territoires
04:33 et que je ne pourrais pas refaire la même chose au cinéma.
04:35 Lui l'a fait à peu près 6-7 ans après la création du cinéma, il a été le père
04:40 des faits spéciaux, le père du film de science fiction aussi, presque de la fiction en fait
04:45 en soi et c'était en fait pour émuler, recréer, essayer de reprendre un peu son esprit,
04:52 un peu incarner son fantôme et d'aller vers une imagination débordante, hybride,
05:00 parce qu'il mélange aussi la scène, il mélange aussi d'autres formats et c'était
05:03 de prendre son chapeau, sa casquette et de continuer un petit peu son aventure esthétique
05:09 et graphique.
05:11 Comment se répartit finalement la créativité entre la technologie et la créativité pure,
05:20 c'est à dire l'esthétique ?
05:21 Ouais, en fait du coup c'est toujours l'idée d'échouer très rapidement en fait, d'essayer
05:26 des choses, de tester avec un public aussi et de voir ce qui marche et ce qui ne marche
05:31 pas en fait.
05:32 C'est aussi un peu abandonner une certaine position en fait d'artiste qui vient peut-être
05:36 du XIXe siècle, c'est à dire un artiste tout puissant qui a toutes les réponses,
05:42 qui a une sorte d'inspiration et presque de mission presque divine de faire un art en
05:48 fait.
05:49 Là c'était plutôt de baser sur des retours d'expérience, sur des tests faits au préalable,
05:55 sur des limitations technologiques et en fait d'adopter quelque chose de humble, un chemin
06:01 plein d'humilité, de création en fait, avec voir petit à petit, au pas à pas, ce
06:08 qui marche en fait.
06:09 C'était vraiment ça quoi.
06:10 Donc la relation entre la technologie et l'art en fait elle est primordiale, elle va de pair,
06:18 il faut dire aussi que je suis un grand passionné avocat de l'artier virtuel et je sais que
06:25 ce qui se fait en ce moment, ces possibilités créatives, ces technologies sont en fait
06:30 infinies et ne sont pas encore exploitées.
06:31 On connaît souvent ce prisme, ce jugement de voir cette technologie par les entreprises
06:36 qui vendent l'équipement, par exemple Facebook, Meta, mais en fait au delà de cette entreprise
06:43 il y a aussi une histoire de la forme, une continuation et une cohérence dans l'histoire
06:47 de l'art qui est d'aller vers quelque chose de plus immersif.
06:50 Donc on peut voir avec la photographie, le cinéma en fait, les jeux vidéo et ensuite
06:59 dans l'artier virtuel une sorte de continuité, une évolution qui est directe en fait, qui
07:04 remplace pas celle précédente, qui n'est pas là pour détruire l'autre, mais en fait
07:08 complète un rêve d'être ailleurs et d'être quelqu'un d'autre.
07:13 Ce serait ça ma théorie.
07:15 Donc la VR dans l'eau c'est aussi une promesse de remplir ce rêve de l'artier virtuel,
07:22 de l'immersion totale, d'accaparer tous les sens, d'être en attention maximum vers
07:27 quelque chose, d'avoir cette exaltation de l'image et de la forme.
07:36 Et donc ce que je veux dire aussi avec Space Out, c'était la formule qui est très simple,
07:42 c'est un peu mon algorithme en tant que créateur, c'est trois choses.
07:44 C'est d'abord en fait utiliser un documentaire, avoir un enregistrement sonore, quelque chose
07:49 qui existe et qui touche déjà à l'imaginaire collectif, donc quelque chose qui est familier
07:54 en quelque sorte, en l'occurrence c'était les voix des astronautes de la mission Apollo
07:59 11, donc on a forcément entendu, même si on ne connait pas, ça rentre dans l'impression
08:03 collectif.
08:04 Et ensuite on a une image en fait abstraite où je m'éclate avec un sort de spectacle
08:10 de forme et de couleur, et qui n'est pas forcément figuratif parce que l'imagination
08:16 va compléter en fait ce que ça représente avec justement l'enregistrement sonore.
08:21 Et un troisième voix en fait qui est cette double immersion du corps en fait, ou quelque
08:26 chose de viscéral en fait, avec une relation de l'eau avec le corps qui est immédiate
08:32 en fait, on est baigné littéralement, soit c'est chaud, soit c'est froid, il y a quelque
08:35 chose d'immédiat en fait dans la réaction des gens, et comme je disais avant, on va
08:42 quitter le monde ordinaire, on rentre dans l'eau et là la gravité est différente.
08:46 Et c'est vraiment un mash-up pour moi, le cœur de ce que je fais en fait, c'est hétérogène,
08:51 quelque chose qui n'est pas censé fusionner ensemble en fait, et je crée vraiment ce
09:00 cocktail on va dire qui est extrêmement divers et qui n'est pas censé se connecter, mais
09:06 j'en crée quelque chose d'assez maximal et total.
09:10 Et donc vraiment le résumé c'est l'hétérogénéité, le mash-up qui est au centre de ce que je
09:16 fais.
09:17 Et pour finir, vraiment la vraie poésie que je vise derrière, c'est pas seulement l'œuvre
09:22 en fait, c'est aussi tout ce parcours d'utilisateur, et le vrai enjeu, là où commence vraiment
09:29 l'œuvre, c'est quand on finit celle en réalité virtuelle qui est dans l'eau,
09:32 qu'on sort en fait du bassin et qu'on va s'asseoir et qu'on sent de nouveau son
09:37 corps et l'apesanteur qu'il y a.
09:39 C'est ça en fait la vraie poésie que je veux viser en fait, quand je parlais avant
09:43 de machine poétique ultime, c'est quand en fait on enlève tout l'après-l'œuvre
09:48 en fait, donc toutes les impressions, les choses qu'on a, et vraiment la sensation
09:52 quand on se détend, cette réaction et tout ça.
09:57 En fait l'œuvre commence, l'œuvre est véritablement là.
10:00 C'est ça.
10:00 [SILENCE]