00:00 - Bienvenue au cœur de l'histoire dans les interviews du vendredi, je suis Virginie Giraud.
00:04 Le 10 mai 2023, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, a annoncé que le Centre Pompidou fermerait ses portes pour travaux à partir de 2025.
00:15 La réouverture de ce musée, qui est l'un des plus hauts lieux de l'art moderne et contemporain au monde, est prévue pour 2030.
00:23 Le chantier doit notamment servir à désamianter le bâtiment.
00:27 Avant que Beaubourg ne se refasse une beauté, je vous propose de revenir sur l'histoire de cet établissement culturel iconique de la capitale.
00:34 Pour en discuter, je reçois Bernadette Dufresne, professeure des universités à Paris VIII et spécialiste des questions de communication culturelle.
00:42 Bonjour Bernadette Dufresne.
00:44 - Bonjour.
00:45 - Alors pour commencer, faisons un petit peu d'histoire.
00:48 Le Centre Pompidou a été inauguré en 1977. Dans quel but a-t-il été construit ?
00:54 - Alors, comme on l'a souvent rappelé, le président Pompidou, nouvellement élu, adresse en 1969 une lettre à son ministre de la Culture, Edmond Michelet,
01:08 où il décrit le projet "un ensemble architectural qui devra non seulement comprendre un vaste musée de peinture et de sculpture,
01:17 mais des installations spéciales pour la musique, le disque, éventuellement le cinéma et la recherche théâtrale".
01:26 Il y ajoute aussi l'idée d'une bibliothèque.
01:29 Ce projet qu'il a en tête lui a inspiré par le Lincoln Center à New York, un établissement pluridisciplinaire.
01:41 Cela dit, je n'ai toujours pas répondu à votre question, pourquoi la création de ce centre ?
01:48 Alors, il y a plusieurs raisons et la première raison que l'on invoque peu fréquemment, c'est celle de mai 68.
01:57 Pompidou, qui était alors Premier ministre, a dû affronter les événements de 68 et une fois qu'il est élu président,
02:06 il réfléchit à leur sens et comme il le dit dans un ouvrage qui paraît un peu plus tard, "Le Neu Gordien",
02:15 il y voit une crise de civilisation.
02:19 Alors, quelles solutions politiques y a-t-il pour résoudre une crise de civilisation ?
02:26 Il imagine une politique des loisirs, c'est son expression,
02:31 qui inclut la politique culturelle à côté d'une politique du sport et d'une politique des grands médias audiovisuels.
02:41 Donc, la décision de construire le centre et la réflexion sur cette politique des loisirs sont concomitants.
02:50 D'ailleurs, je tiens à signaler un propos de Renzo Piano, un des architectes du centre,
02:59 qui voit dans ceci une intuition géniale dans la mesure où le bâtiment culturel est destiné à un public différent,
03:10 ce sont ses termes, différent du public traditionnel des musées.
03:16 Il dit, il ne s'agit plus d'un public d'élite et déjà cultivé, mais de ce qu'il est convenu d'appeler la grande masse.
03:24 Donc, la volonté d'ouverture sociale, sans pour autant sacrifier la qualité de ce qui doit être montré,
03:33 est la première raison de la création du centre et elle est,
03:40 cette volonté d'ouverture sociale des établissements culturels est directement liée donc aux événements de mai 68
03:52 et à l'interprétation qu'en fait Georges Pompidou.
03:56 - Et alors, pourquoi avoir choisi le 4ème arrondissement de Paris ? Pourquoi en plein cœur, presque aux limites du marais ?
04:02 - En fait, ce n'était pas un choix volontaire, c'était le seul terrain disponible dans l'immédiat
04:11 et Pompidou voulait aller vite parce qu'il était persuadé que s'il n'allait pas vite, rien ne se ferait.
04:18 Donc, il a retenu ce terrain et ce terrain était d'autant plus facilement accessible
04:28 qu'il avait déjà été prévu pour l'édification d'une bibliothèque en libre accès qui faisait totalement défaut à Paris,
04:38 donc la BPI.
04:40 Et tout ceci allait très vite, le terrain du plateau Beaubourg a été cédé par la ville de Paris à l'État en 69,
04:53 donc très peu de temps après la prise de décision de construire le centre.
04:59 Et effectivement, ce non-choix a été un hasard heureux puisqu'on est en plein Paris populaire et historique
05:09 et que les architectes du centre tireront vraiment parti de cet emplacement.
05:16 - Alors justement, vous évoquiez le nom d'un des deux architectes, Renzo Piano, mais il était accompagné par Richard Rogers.
05:23 Comment ont-ils été choisis ? Est-ce qu'ils avaient un projet extraordinaire ? Est-ce qu'il y a eu un appel d'offres ?
05:27 - Alors, le choix de leur projet, c'est vrai, tient un peu du miracle.
05:34 Il n'a été possible que dans ce contexte de la presse 68, parce qu'eux-mêmes étaient étrangers, jeunes,
05:44 et lorsqu'ils ont appris qu'ils étaient les lauréats du concours,
05:49 ils n'avaient même pas de cravate pour se rendre au moment où ils ont dû se rendre à Paris.
05:57 Alors, le projet a été retenu d'une part parce que le jury a apprécié la simplicité de l'architecture
06:08 et le fait que l'environnement avait été pris en compte.
06:15 Et la liaison avec l'environnement est un point essentiel.
06:19 Elle était restée un pensée dans la plupart des projets soumis,
06:23 alors qu'elle était un point fort du projet de Renzo Piano et de Rogers,
06:29 notamment du fait de la présence de la Piazza.
06:33 Donc, le jury apprécie beaucoup les échanges rendus possibles avec le quartier,
06:40 le fait qu'il était rendu aussi partiellement à la circulation piétonnière,
06:47 et le fait que la Piazza pouvait constituer un lieu de rencontre, de rassemblement, de distraction.
06:55 La deuxième raison, c'est l'animation de la façade,
07:00 l'effet entraînant de la circulation du public qu'on voit monter à travers les parois de verre dans l'escalade d'or.
07:13 - Vous pouvez décrire le Centre Pompidou pour les gens qui ne l'ont pas dans l'œil.
07:17 C'est un immense bâtiment quadrangulaire avec des façades en verre,
07:21 et puis ce côté tuyauterie bleu-vert.
07:24 Je crois qu'il y a un code couleur d'ailleurs, le rouge pour les escalators et les ascenseurs,
07:28 le bleu pour la climatisation, quelque chose comme ça, non ?
07:32 - Oui, alors il y a tout un code de couleur pour les fonctions,
07:37 mais ce qui retient vraiment l'attention du jury,
07:41 un mot de pont, je résume parfaitement,
07:44 cet aspect "moviment" plutôt que "monument".
07:48 Les architectes considèrent leur bâtiment comme un outil,
07:54 c'est-à-dire non pas un monument architectural conventionnel, rigide,
08:00 mais qui suit la règle des trois F, fluide, flexible, facile à changer.
08:09 Toute cette polychromie du centre, ce côté esthétique high-tech,
08:16 ont visiblement plu aussi au jury.
08:21 L'esprit de l'architecture du centre, c'était d'implanter,
08:26 de manière tout à fait anticonventionnelle,
08:29 un grand jouet urbain au centre de Paris.
08:33 "Grand jouet urbain", c'est l'expression de Richard Rodgers,
08:38 mais c'est une expression très importante,
08:41 parce que ce monument, ce mouvement,
08:44 est lié aussi à l'idée de fête, de joie,
08:48 d'une culture accueillante et non pas d'une culture compassée,
08:55 comme pouvait l'avoir dénoncé Bourdieu dans "L'amour de l'art".
09:00 - Alors s'il y a des gens qui apprécient énormément l'architecture novatrice du musée Baubourg,
09:05 il y en a au contraire qui détestent ça,
09:07 et parmi eux il y a Jean Dormeson,
09:09 qui réagit assez vertement dans un édito du Figaro du 31 janvier 1977.
09:15 Il écrit au sujet du centre Pompidou, je le cite,
09:18 "cette atroce, on dirait une usine, un paquebot, une raffinerie".
09:22 Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi il réagit aussi fortement ?
09:25 Et est-ce qu'il y a d'autres personnes qui réagissent comme lui ?
09:28 - Oui, alors un graphiste du centre, Jean-Paul Pichat,
09:32 a représenté la bataille du centre dans un photomontage.
09:37 Son inspiration, c'était la bataille de Midway.
09:41 Donc on voit le centre bombardé par des avions,
09:47 et donc effectivement les polémiques ont été nombreuses,
09:51 et n'ont pas concerné que l'architecture du centre.
09:55 Et dans l'ouvrage que j'ai dirigé, donc "Centre Pompidou, 30 ans d'histoire",
10:01 j'ai demandé à un auteur d'analyser les caricatures pour le centre.
10:07 Et souvent le centre est présenté comme un bâtiment ultra-turbulent,
10:13 parcouru d'excroissance, ou comme une fête foraine,
10:17 ou comme une méga-cache tantôt remplie de singes,
10:21 tantôt regardée par des ploucs, comme un grand magasin.
10:25 Et en arrière-fond de toutes ces caricatures, ce qui est rejeté,
10:31 c'est le fait que ce bâtiment et la conception de la présentation de l'art
10:39 font que l'art est désacralisé, présenté dans un cadre
10:44 qui n'est pas celui du musée-temple ou du palais.
10:47 - Mais alors Bernadette Dufresne, vous avez évoqué plusieurs fois
10:50 le fait que le centre Pompidou devait être un lieu accueillant,
10:53 ouvert aux masses, qui désacralise l'art.
10:56 Mais on n'a pas l'impression qu'aujourd'hui, le public du centre Pompidou,
11:00 à part peut-être la BPI, la bibliothèque, soit hyper démocratisé.
11:03 Est-ce que l'objectif a été atteint ?
11:05 - Je pense que l'objectif a été vraiment atteint,
11:10 parce que si vous comparez le public du centre Pompidou
11:15 au public d'autres musées, celui du Louvre, celui d'Orsay,
11:22 c'est quand même un public où on trouve beaucoup de jeunes,
11:27 qui a un certain style.
11:30 Et ce qu'il ne faut pas oublier dans cette optique de la démocratisation,
11:35 c'est que le centre se prête à toutes sortes d'usages qui cohabitent,
11:41 des plus populaires, vous avez évoqué la BPI,
11:45 aux plus sophistiqués peut-être l'IRCAM,
11:49 mais il y a aussi l'atelier des enfants,
11:52 il y a des ouvertures vers les publics adolescents.
11:58 Donc il y a un style centre Pompidou,
12:01 qui est beaucoup plus décontracté,
12:05 où conformément au vœu initial,
12:09 on se rend au centre dans la continuité des activités de la ville.
12:16 - Alors une dernière question pour conclure,
12:19 quel sort est réservé aux œuvres pendant la fermeture du centre Pompidou ?
12:22 Est-ce qu'elles vont être restaurées, prêtées ?
12:24 Est-ce qu'il va y avoir des expositions itinérantes ?
12:26 On ne les verra plus pendant cinq ans ?
12:28 - Oui, alors effectivement les œuvres vont être transférées
12:35 au centre Pompidou francilien à Massy.
12:40 Ce centre va organiser des expositions pour les publics,
12:46 évidemment les activités de restauration de près continuent,
12:53 mais il y aura surtout beaucoup d'expositions hors les murs en région,
12:58 et des expositions en partenariat avec d'autres institutions parisiennes,
13:04 le Louvre, la Conciergerie, le Grand Palais.
13:08 Et donc cette déconcentration des activités du musée
13:14 est tout à fait conforme à l'esprit initial du centre,
13:19 qui en tant que centre national d'art et de culture
13:24 devait animer justement des collaborations avec les régions
13:32 et aussi avec les centres à l'étranger.
13:35 - Merci Bernadette Dufresne pour cet échange passionnant
13:38 autour de l'histoire de la construction du centre Pompidou.
13:40 Je rappelle à nos auditeurs que vous êtes professeure des universités,
13:44 auteure de la création de "Beaubourg" parue en 1977
13:48 et éditée au Presse Universitaire de Grenoble,
13:51 et de "Centre Pompidou, 30 ans d'histoire" paru en 2007
13:55 aux éditions du centre Pompidou.
13:57 Merci Bernadette Dufresne.
13:58 - Merci à vous.
13:59 - Merci à tous nos auditeurs de nous avoir écoutés.
14:03 Au cœur de l'histoire est un podcast original,
14:05 Europe 1 Studio.
14:06 Et je vous dis à très bientôt sur votre plateforme d'écoute favorite.
14:09 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]