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  • 04/06/2023

Catégorie

🏖
Voyages
Transcription
00:00:00 -Bonjour ! Ah, il y a tout ça pour nous ? Heureusement que les livreurs, ils sont là.
00:00:12 -A table ! -Il n'y a pas de temps, le temps, c'est de l'argent.
00:00:19 -Livrez-vous, partez-vous. -Salut les gars, ça va ? On a 11 restaurateurs
00:00:24 qui se partagent les cuisines. Emma, si vous pouvez valider, s'il vous plaît ?
00:00:29 -On ne voit pas la lumière du jour, on n'a pas de chauffage. On compare notre situation à un milieu carcéral.
00:00:34 -Ils n'ont même pas de toilettes. -Des livreurs qui se soulagent et qui transportent de la nourriture.
00:00:39 Donc, bonjour les chiens. -C'est une voiture qui m'a percuté.
00:00:43 Les médecins, ils ne pensaient pas que j'allais survivre.
00:00:47 -Il n'y a aucun respect pour les livreurs. -J'ai l'impression d'être esclave.
00:00:51 -Bonsoir et bienvenue dans "Enquête exclusive". Le document assez exceptionnel que vous allez voir dans un instant
00:01:04 ne devrait pas vous laisser indifférent. Il est fort à parier que vous réfléchirez à deux fois avant de commander sur Internet
00:01:11 un repas ou un produit quelconque. Alors, ce secteur de la livraison à domicile est en pleine expansion.
00:01:18 Il concerne 80% des Français et il n'existerait pas sans le dégouement, le travail acharné de ce qu'on appelle les galériens du bitume.
00:01:28 Qu'ils soient à vélo, à scooter ou au volant d'une camionnette, ce sont souvent des travailleurs étrangers, sans couverture sociale,
00:01:37 non déclarés bien sûr, et payés en plus à coup de lance-pierre. Alors, pour les besoins de cette enquête, nous avons contacté
00:01:44 les sociétés actrices dans ce secteur. La plupart d'entre elles n'ont pas voulu nous recevoir ni même répondre à nos questions,
00:01:52 ce qui fait que nos journalistes, pour les besoins de cette enquête, ont dû se faire embaucher afin de vous dévoiler l'envers du décor
00:02:00 de ce que l'on appelle aujourd'hui les dark stores ou encore les dark kitchens. "Livreur à domicile", "Le balai infernal", c'est un document signé
00:02:09 Karim Wafi pour Teni Commité Productions et "Enquête exclusive".
00:02:14 Comme chaque soir, Thomas est dans les starting blocks.
00:02:18 - Bah là ! Au McDo, juste là. T'es capable !
00:02:22 Son boulot, c'est livreur.
00:02:26 - Merci !
00:02:27 Thomas, cela fait 7 ans qu'il pédale, pour les principales plateformes de livraison.
00:02:34 Et ce sportif de 34 ans ne changerait de métier pour rien au monde.
00:02:40 - J'adore rouler et j'adore aller à fond, donc quand je livre, je bombarde en général.
00:02:44 Et l'idée, c'est d'avoir de bonnes sensations, justement, de ne pas avoir l'impression de travailler.
00:02:48 Et nous voilà arrivés !
00:02:50 A Paris, Thomas travaille 6 jours sur 7.
00:02:56 De nuit, comme de jour.
00:03:00 - Décollage.
00:03:02 - Merci beaucoup, bonne journée !
00:03:06 Thomas est auto-entrepreneur. C'est l'un des livreurs les plus expérimentés de Paris.
00:03:11 Livrer plus pour gagner plus, mais sans grand résultat.
00:03:15 - Je travaille quasiment tous les jours.
00:03:18 Et l'objectif sur un mois, c'est de faire 2 000 euros brut, voire un peu plus, effectivement.
00:03:22 Et donc après, en net, il faut enlever 40 %.
00:03:25 - Ça va vous faire quoi, à peu près ?
00:03:26 - 1 000 euros, on va dire, en moyenne.
00:03:28 Avec 40 % de taxes, il gagne moins que le salaire minimum.
00:03:34 5 heures d'effort plus tard, Thomas est forcément moins fringant.
00:03:37 - J'ai des moments où je suis vraiment dégoûté de me faire exploiter, clairement.
00:03:42 Mais quelque part, c'est ce qui me permet déjà de payer mon loyer et mes charges aujourd'hui.
00:03:46 Et c'est ce qui va me permettre... C'est ce qui me permet d'avancer.
00:03:48 Allez, c'est bon, c'est parfait.
00:03:50 Ce Français travaille en toute légalité.
00:03:54 Mais il est une exception dans un océan de précarité.
00:04:00 Ses forçats du bitume sont au service d'un mode de consommation plutôt séduisant et efficace.
00:04:06 - Alors, toi, tu veux quoi ?
00:04:08 - Sushi, saumon, sucré.
00:04:11 C'est aussi simple que ça.
00:04:13 À peine cliqué, votre repas est commandé.
00:04:16 - Tac.
00:04:18 Et aussi vite livré.
00:04:20 - Bonsoir, bonsoir.
00:04:22 - À la table.
00:04:23 Ce soir, c'est sushi et plateau télé.
00:04:26 Mais savez-vous qui sont ces livreurs ?
00:04:29 D'où viennent-ils ?
00:04:30 - Je sais pas vraiment.
00:04:32 En France, il existe environ 80 000 livreurs de repas.
00:04:36 98 % d'entre eux sont des hommes.
00:04:39 Une très grande majorité d'étrangers, beaucoup de sans-papiers.
00:04:43 - Vous venez d'où, monsieur ?
00:04:44 Beaucoup de ces sans-papiers se sentent exploités.
00:04:51 - Ce travail de livreur, c'est quoi pour vous ?
00:04:58 - C'est de la merde.
00:04:59 C'est dangereux pour un petit peu de monnaie.
00:05:04 Pendant des mois, nous avons pédalé comme eux.
00:05:08 - Bonjour.
00:05:09 Merci beaucoup.
00:05:11 J'ai roulé durant une demi-heure, plus de 5 km.
00:05:14 J'ai gagné 7,12 euros.
00:05:16 Ces livreurs travaillent aussi pour des cuisines d'un nouveau genre.
00:05:21 - Merci, bon courage.
00:05:23 Il y a quelques années, on a découvert le coworking.
00:05:25 Aujourd'hui, on va découvrir le co-cooking, où on a des cuisines partagées.
00:05:30 On appelle ça une dark kitchen.
00:05:33 Des cuisines fantômes qui préparent des repas en toute discrétion.
00:05:36 Ceux qui en parlent le mieux, ce sont les restaurateurs qui ont utilisé leur service.
00:05:41 Ceux de Cooklane, par exemple, le plus grand groupe de dark kitchen de France.
00:05:46 - On comparait notre situation à un milieu carcéral.
00:05:49 - On s'est fait avoir du début à la fin.
00:05:52 Tout ça au coeur de nos villes, avec des nuisances en pagaille.
00:05:56 - C'est vraiment ce foot du monde.
00:06:01 Pour la livraison des courses, c'est le même tableau.
00:06:05 Eux, pédalent encore et toujours.
00:06:07 Mais là, pour des dark stores, des supermarchés difficiles à repérer que nous avons infiltrés.
00:06:12 - Je vais aller plus vite.
00:06:16 Consommer plus, plus vite et à moindre coût.
00:06:20 Aujourd'hui, grâce aux plateformes, se faire livrer un repas ou un colis est devenu une habitude de consommation.
00:06:26 Mais que se cache-t-il derrière de simples clics ?
00:06:28 Voici ce qu'aucune entreprise de livraison n'a voulu nous montrer.
00:06:32 Partout en France, en ville ou à la campagne, nous faisons tous appel à la livraison à domicile.
00:06:42 Cette famille nombreuse vit près de Pau, loin des commerces.
00:06:50 Alors chaque jour qui passe est rythmé par les commandes.
00:06:53 - Attends, je viens d'avoir la notification du colis.
00:07:00 Des paquets comme celui-ci...
00:07:03 - Bonne journée, au revoir.
00:07:05 Cindy en reçoit toute la journée.
00:07:08 - Premier colis.
00:07:10 C'est ma coque de téléphone, oui.
00:07:14 Bonjour !
00:07:17 - Ah, il y a tout ça pour nous ?
00:07:19 - Ça, c'est trop bien. Heureusement que les livreurs, ils sont là.
00:07:22 2e livraison, tout le monde s'y met.
00:07:26 - Bah, vas-y, prends celui-là.
00:07:28 - Bon, et bah, moi, je prends le dernier.
00:07:30 - Merci, vous êtes le meilleur.
00:07:32 - Allez, au revoir, bon courage !
00:07:35 Pour sa vie quotidienne, cette famille dépend vraiment de ses paquets.
00:07:39 - Il y a plein de colis, là.
00:07:42 - Des saillages !
00:07:46 - Ouais !
00:07:47 Quant à savoir ce qui se cache derrière ces livraisons,
00:07:51 Cindy n'a pas l'air très au courant.
00:07:53 - Moi, en tant que maman de famille nombreuse, c'est pas que je m'en fiche.
00:07:58 C'est que, franchement, j'y pense pas, parce que je dois gérer beaucoup de choses,
00:08:01 avec mon travail, les enfants, l'école, les devoirs.
00:08:04 Donc je prends la solution de facilité, je vais sur Internet, je commande,
00:08:07 parce que je sais forcément que je vais trouver ce que je veux.
00:08:10 Comme 80% des Français, Cindy commande sur Internet sans trop se poser de questions.
00:08:17 En France, 1,7 milliard de colis sont distribués chaque année.
00:08:25 Comment sont-ils pris en charge ?
00:08:29 Et qui sont ceux qui vous les livrent ?
00:08:32 Pour comprendre, nous avons voulu visiter l'un des entrepôts de Chronopost,
00:08:39 l'un des leaders du marché, et suivre leur chauffeur.
00:08:43 Mais le groupe a refusé toutes nos demandes de tournage.
00:08:47 5h du matin, quelque part en France.
00:08:52 Nous nous sommes fait recruter par un sous-traitant de Chronopost
00:08:56 pour vous raconter les dernières heures de la vie de nos colis.
00:09:00 Tout commence dans cet entrepôt.
00:09:04 Nous tournons en caméra cachée.
00:09:08 - Là, tous les 5h, tu es le police.
00:09:10 Tiens, tu peux scanner, c'est pour nous.
00:09:12 Alain est chauffeur-livreur depuis 15 ans.
00:09:15 Sa tournée commence près de ce tapis roulant.
00:09:18 Il a 2h pour scanner une centaine de colis.
00:09:24 Puis il est rangé à l'arrière de sa camionnette.
00:09:31 Faire vite, sans forcément ménager les colis.
00:09:37 C'est le petit secret de ses employés.
00:09:39 Un jeu parfois périlleux.
00:09:44 Et lorsque les cartons sont trop lourds, impossible de jongler.
00:09:50 - C'est un truc à se péter le dos, ça ?
00:10:01 - Oui, c'est pour ça que ça me vient.
00:10:03 Normalement, on est limité à 30 kilos.
00:10:05 - Ouais.
00:10:06 - Après, il y a pas de limite au niveau du nombre de colis.
00:10:09 On s'en fout.
00:10:11 Charge lourde, pression du temps.
00:10:14 - C'est speed, hein.
00:10:16 Je vais te dire, j'ai commencé ce boulot,
00:10:18 au bout de 3 mois, j'avais perdu 10 kilos.
00:10:20 Je veux pas te faire peur.
00:10:24 - Il cherche à maigrir.
00:10:26 - Tu vas voir, ça va vite arriver.
00:10:28 Les chauffeurs-livreurs ont enfin trié leurs colis.
00:10:32 Leurs tournées vont pouvoir commencer.
00:10:35 L'un d'eux accepte de nous embarquer à bord de sa camionnette,
00:10:41 mais souhaite rester anonyme.
00:10:43 Mickael a 30 ans et 10 ans de livraison derrière lui.
00:10:48 - Tu vas avoir de la mémoire,
00:10:54 faut savoir où t'as rangé tes colis.
00:10:56 Tu t'as pas de mémoire,
00:10:57 tu sais pas où t'as rangé tes colis,
00:10:59 t'es mort !
00:11:01 Mickael est soumis au régime des sous-traitants.
00:11:05 Pression de son patron, livraison express.
00:11:09 Pour s'en sortir, il doit gagner du temps, tout le temps.
00:11:20 - La technique pour aller un peu plus vite, bah, t'anticipes.
00:11:23 Tu sais que ton prochain client, c'est un tel, bah, tu l'appelles.
00:11:25 "Bonjour, madame, vous pouvez descendre ?"
00:11:27 "Bonjour, monsieur, oui."
00:11:28 "Non, il est là, il est pas là, il répond, il répond pas."
00:11:30 "Il répond pas, bim, on va rouler direct."
00:11:33 "J'ai pas le temps, le temps, c'est de l'argent."
00:11:38 Pour livrer dans les délais,
00:11:40 Mickael est obligé de faire quelques entorses
00:11:42 aux côtes de la route.
00:11:44 - Là, j'ai pas de place, je suis obligé de me garer.
00:11:46 Si je veux prendre une truc, je prends une truc.
00:11:48 On doit se garer le plus près pour avoir du temps.
00:11:56 Livrer vite, partir vite.
00:11:59 Tu te gares, tu mets tes warnings.
00:12:01 Et les gens, ils vont patienter.
00:12:03 Pas de répit pour Mickael.
00:12:05 Après 10 ans de livraison,
00:12:07 un salaire mensuel de 1 300 euros net,
00:12:10 il dénonce un système qui sert tous les intérêts.
00:12:13 - Tout cette pression, elle vient des grands groupes.
00:12:16 Amazon, JNS, FedEx, eux tous.
00:12:19 Et les clients aussi.
00:12:21 Les clients, ils commandent, ils se plaignent toujours.
00:12:23 Ils vont au magasin un peu.
00:12:25 C'est mieux.
00:12:28 Ce chauffeur-livreur est un homme pressé.
00:12:31 Impossible pour nous de finir sa tournée.
00:12:34 Alors, pour en savoir plus,
00:12:37 nous montons à bord du camion de Brice.
00:12:40 Cette fois, nous tournons en caméra cachée.
00:12:44 Brice, lui, affirme se battre tous les jours
00:12:48 avec des créneaux de livraison bien trop stricts.
00:12:51 - Tu vois, là, t'as 1 heure de livraison, 9h19,
00:12:54 donc tu dois livrer à cette heure-là.
00:12:56 Une demi-heure avant ou une demi-heure après,
00:12:58 t'as un créneau d'une heure.
00:12:59 - Et si tu le fais pas dans ces créneaux-là ?
00:13:00 - Si t'es pas dans cet heure-là, t'es pas payé.
00:13:03 Je vais te passer livrer un peu, là, jusqu'à celui-ci.
00:13:08 Ouais, carrément, ouais, ouais.
00:13:10 Les sous-traitants de chronopost sont payés au colis livré.
00:13:14 Ils sont géolocalisés.
00:13:17 Et pour chaque paquet, ils doivent obtenir...
00:13:20 - Je pourrais avoir votre nom, s'il vous plaît ?
00:13:22 Le nom de la personne, sa signature, l'heure de la remise...
00:13:27 - 9h11.
00:13:28 Et un coup de tampon.
00:13:30 - Merci. - Merci, au revoir.
00:13:34 - Si tu mets pas le nom, si tu mets pas l'heure, le tampon,
00:13:39 la signature, s'il manque un des 4, t'es pas payé.
00:13:43 Sur toute la France, les milliers de sous-traitants
00:13:45 qui sont pas payés chaque jour grâce à leur truc,
00:13:48 le pognon a 2 ou 3 euros de colis, ça les arrange bien.
00:13:52 Chronopost fait-il des économies sur le dos de ses sous-traitants ?
00:13:56 Nous avons à nouveau contacté l'entreprise,
00:13:59 qui n'a pas voulu nous répondre.
00:14:01 L'argent, c'est évidemment le nerf de la guerre
00:14:12 pour tous les livreurs qui travaillent en France.
00:14:14 À vélo ou à scooter,
00:14:18 ils livrent aussi nos repas commandés sur les plateformes.
00:14:21 - Vous venez d'où, monsieur ?
00:14:24 Ils viennent d'Asie, du Maghreb,
00:14:33 et souvent d'Afrique de l'Ouest.
00:14:36 - Moi, je viens du Côte d'Ivoire.
00:14:38 Y a des Maliens étrangers, y a des Sénégalais étrangers.
00:14:40 Nous sommes tous étrangers, mais après aussi...
00:14:43 C'est le travail qu'ils nous donnent aussi, tu vois.
00:14:45 On a trouvé que ça, en fait.
00:14:47 Comme beaucoup d'autres sans-papiers,
00:14:54 Mamadou n'a pas vraiment choisi d'être livreur.
00:14:57 C'est l'un des rares jobs payés à la course
00:15:00 que cet Ivoirien de 32 ans peut exercer clandestinement.
00:15:04 - La routine va commencer, là.
00:15:06 Je suis un livreur.
00:15:08 Là, j'ai une commande.
00:15:10 C'est une commande de 4 euros.
00:15:12 Ta course, déjà, c'est mal payé, en plus.
00:15:14 Là, j'ai récupéré ma commande.
00:15:19 Voilà pour vous. Merci bien.
00:15:23 Bonne journée à vous. Merci.
00:15:31 Quand on a une commande, on veut aller vite.
00:15:34 Même quand y a des embouteillages,
00:15:36 on est obligé de faufiler entre les camions
00:15:38 pour pouvoir vite livrer, quoi.
00:15:40 Y a une fois, je me suis fait taper par une voiture.
00:15:44 Ils m'ont appelé l'ambulance.
00:15:46 J'ai même pas accepté.
00:15:48 Parce que t'as pas le temps, tu vois.
00:15:50 Et en plus, quand la police va venir,
00:15:52 ils vont te demander pièce d'identité.
00:15:54 C'est compliqué.
00:15:56 - Pas de papiers, pas de Sécu.
00:16:00 La vie de Mamadou est difficile.
00:16:03 Et quand il remplit son réservoir...
00:16:07 - Moi, mon plan, il fait 8 euros.
00:16:09 Dans la semaine, je peux pas encabouir,
00:16:11 je crache 4 fois.
00:16:12 Il ne lui reste pas grand-chose.
00:16:14 Alors Mamadou se remet au travail.
00:16:18 Et au pas de charge.
00:16:21 - Après, dans 5 semaines, j'ai ça, un sportif,
00:16:23 donc j'ai la petite des... Voilà, quoi.
00:16:26 Merci bien. Bonne journée à vous.
00:16:29 Pour rentabiliser sa journée,
00:16:31 Mamadou passe son temps à annuler
00:16:33 les commandes de sa plateforme.
00:16:35 Il les juge mal payés.
00:16:37 - Là, ils m'ont donné une commande de 5 euros
00:16:41 pour 3 km, 500.
00:16:43 C'est de la foutaise, comme on le dit chez nous.
00:16:46 Donc je ne fais qu'annuler depuis tout à l'heure.
00:16:48 Y a aucun respect pour les livreurs.
00:16:50 On est en quelque sorte comme des esclaves, quoi.
00:16:54 - Sans broncher, Mamadou, le livreur sans papiers,
00:16:58 remonte sur son scooter.
00:17:00 - Thank you. Thank you.
00:17:02 Il repart au charbon.
00:17:04 - Depuis tout à l'heure, vous avez fait combien ?
00:17:08 - 21,75 euros.
00:17:10 - Pour à peu près 4 heures de travail ?
00:17:12 - À peu près 4 heures de travail. Est-ce que ça vaut le coup ?
00:17:14 Ça vaut pas le coup.
00:17:16 - 21,75 euros.
00:17:18 Au tarif horaire, c'est presque 2 fois moins
00:17:20 que le salaire minimum.
00:17:22 Mais alors comment un migrant irrégulier
00:17:24 peut-il travailler pour une plateforme de livraison ?
00:17:28 C'est très simple.
00:17:30 Selon la loi, Mamadou n'a pas le droit de travailler.
00:17:35 Alors pour exercer son activité,
00:17:37 il a souloué un compte illégalement auprès d'un livreur,
00:17:40 auto-entrepreneur, parfaitement en règle.
00:17:43 Et ce ne sont pas les annonces qui manquent.
00:17:46 En échange de cash, ses comptes se louent à la semaine.
00:17:50 Nous allons rencontrer un livreur qui habite Nantes.
00:17:56 En plein centre-ville, notre contact est au rendez-vous.
00:18:00 - Tu vas bien ? - Ça va, merci.
00:18:02 - Tranquille. Merci, hein.
00:18:04 - Ça va, mon professeur ? Ça te va ?
00:18:06 - Sympa. Impeccable. La banque, elle est juste là.
00:18:09 Pour devenir livreur,
00:18:11 il va falloir payer 100 euros en liquide et tout de suite.
00:18:15 L'argent profite à ce jeune homme sans scrupule.
00:18:21 - Mais toi, pourquoi tu le fais ?
00:18:23 - En gros, moi, je suis étudiant.
00:18:25 J'ai déjà un autre travail à côté.
00:18:27 Je sais que c'est pas pour moi faire du vélo H24 et tout.
00:18:30 J'ai pas envie de me saouler à faire ça, tu vois.
00:18:33 C'est mon pote, en gros, qui m'a donné cette idée.
00:18:36 Il m'a dit... Ouais, je connais des gens, ils font ça.
00:18:39 Ils peuvent demander 100 balles la semaine,
00:18:41 et du coup, ils mettent un peu de côté, tu vois.
00:18:43 Grâce à cette combine, lui va pouvoir mettre de côté
00:18:46 et nous, bientôt commencer à livrer.
00:18:49 Le lendemain matin, le compte est bien actif.
00:18:55 Au bout de 30 minutes, 1re notification.
00:18:59 - Ah, j'ai une course. Je la prends.
00:19:04 L'application nous promet 4,08 euros
00:19:08 pour une course de 5 km.
00:19:11 Va falloir faire vite.
00:19:13 - Bonjour, j'ai une commande à récupérer.
00:19:15 Merci, madame. - Merci, au revoir.
00:19:17 Toutes les plateformes, sans exception,
00:19:20 utilisent un algorithme.
00:19:22 Qui règle la vie des livreurs.
00:19:24 - Je veux la 2e. 10 minutes à vélo.
00:19:26 C'est parti, c'est tout droit.
00:19:28 - C'est vous, la commande?
00:19:30 - Merci. - Au revoir.
00:19:32 Chaque livreur est géolocalisé dans un périmètre donné.
00:19:37 Impossible de savoir comment les courses sont distribuées.
00:19:41 C'est un secret bien gardé.
00:19:43 On a pédalé de jour...
00:19:48 Comme de nuit.
00:19:50 - Merci beaucoup. Bonne soirée.
00:20:00 Merci, c'est gentil. Au revoir.
00:20:02 Pour une majorité de livreurs,
00:20:04 ces courses à répétition...
00:20:06 - Bonjour. Bon courage.
00:20:08 ...sont pires que le travail en usine.
00:20:11 Et parfois, le stress fait commettre des erreurs.
00:20:15 - Eh, c'est pas possible.
00:20:17 - Quoi? - J'ai oublié le sac.
00:20:20 Je me dépêche.
00:20:22 Oh, putain!
00:20:24 Et on est bon pour un aller-retour à notre charge.
00:20:28 - J'ai oublié un sac. Tu l'as pas vu?
00:20:31 Donne-le-moi, mon frère.
00:20:33 Bonne soirée, les gars. Vous déchirez, hein?
00:20:36 Oh là là!
00:20:38 J'en peux plus. J'ai pédalé comme un fou.
00:20:41 24 heures dans la peau d'un livreur.
00:20:46 Bilan des courses...
00:20:48 31 euros et 36 centimes empochés,
00:20:52 auxquels il faut retrancher 14 euros de location de compte.
00:20:56 Autrement dit, pour chaque heure travaillée,
00:21:00 nous avons gagné autant que le livreur parisien sans papier.
00:21:04 - On va aller prendre un café pour essayer de...
00:21:07 s'échauffer un peu, quoi.
00:21:11 J'aime bien le pain ici. C'est à 1 euro.
00:21:15 - Dans le sud de Paris,
00:21:18 Mamadou rejoint des livreurs clandestins comme lui.
00:21:22 C'est la pause déjeuner.
00:21:24 - C'est chaud.
00:21:26 C'est tout, là, il fait du bien, hein?
00:21:29 Ça, c'est la feuille des patates. C'est avec du riz.
00:21:32 C'est comme ça, en vie.
00:21:34 On boit dans la mer, on mange dans la mer.
00:21:37 C'est comme ça, en vie.
00:21:39 On mange dans la rue, on fait tout dans la rue.
00:21:42 Là, on est là, on attend les commandes.
00:21:45 Nous sommes des humains, des possèdes jures.
00:21:48 Ouais, malgré -2, -1, on est là.
00:21:50 C'est dur.
00:21:52 On est là jusqu'à minuit, 1 h du mat', 2 h même, parfois.
00:21:56 Ouais, on est toujours là.
00:21:58 - Pendant leur pause,
00:22:00 ces livreurs évoquent un message inquiétant.
00:22:03 - Vous êtes dans la merde, vous êtes dans la merde.
00:22:06 - Pas tous sont reçus de la même merde.
00:22:08 - Et ce message vient de la plateforme qui les emploie.
00:22:12 - Il vous reste 48 heures pour mettre à jour
00:22:15 votre document d'identité.
00:22:18 - Les plateformes se défendent de travailler avec des sans-papiers.
00:22:22 Mais pendant notre tournage,
00:22:25 elles ont supprimé une partie des comptes douteux,
00:22:28 là où il manque des pièces d'identité.
00:22:31 C'est un coup dur pour tous ces clandestins.
00:22:34 - A partir de demain, ce moment, je peux plus faire la livraison.
00:22:37 Donc je suis en chômage.
00:22:39 - Vous allez faire comment ? - Je sais pas, franchement.
00:22:42 Mais on va s'y faire, on va aller jusqu'au bout.
00:22:45 - Régularisation pour les désactivations.
00:22:51 - Tous ceux qui ont assuré la livraison de nos repas
00:22:54 pendant le confinement
00:22:56 manifestent régulièrement dans les rues de Paris.
00:22:59 A leur côté, Jérôme Pimot,
00:23:02 un ancien livreur devenu militant associatif.
00:23:05 - 80% des livreurs qui sont là travaillent pendant le Covid.
00:23:08 La moitié ont été embauchés pendant le Covid.
00:23:11 - Jérôme Pimot critique les plateformes
00:23:14 qui ont recours au statut d'auto-entrepreneurs
00:23:17 pour employer les livreurs.
00:23:20 - Je viens en aide aux livreurs sans-papiers depuis 2016,
00:23:23 quand on a commencé à comprendre l'arnaque
00:23:26 qui se cachait derrière le régime auto-entrepreneurial pour les plateformes.
00:23:29 Typiquement, tous les livreurs qui sont là sont des auto-entrepreneurs.
00:23:32 L'arnaque, c'est que les plateformes ont joué sur les failles
00:23:38 du régime auto-entrepreneurial pour pouvoir faire travailler
00:23:41 des milliers de gens dans des conditions de salariat,
00:23:44 mais en ne payant pas toutes les cotisations sociales
00:23:47 qui sont indéfermantes de tout le socle social en France.
00:23:50 C'est le patron qui décide et les livreurs qui sont livrés
00:23:53 à eux-mêmes vis-à-vis des directives des plateformes.
00:23:56 - À l'Etat, ces travailleurs de l'ombre
00:23:59 réclament des papiers et un statut adapté
00:24:02 aux plateformes, des comptes qui leur permettent de travailler.
00:24:05 En un an, ces plateformes ont désactivé
00:24:12 plusieurs milliers de profils, dont celui de Mamadou.
00:24:15 - Ca, c'était de l'hypocrisie totale.
00:24:18 Et nous disons non! Nous disons non!
00:24:21 - Vive la régularisation!
00:24:24 - Ces livreurs sans papier sont seuls...
00:24:27 ou presque.
00:24:30 A l'Assemblée, une mission d'information
00:24:35 travaille sur le fonctionnement des plateformes.
00:24:38 Elle est dirigée par Maude Gattel, députée modem de Paris.
00:24:43 - Ce qui nous pose problème, c'est que finalement,
00:24:46 ces nouveaux acteurs sont arrivés et ont déferlé
00:24:49 sur le marché français en...
00:24:52 en profitant finalement d'une législation
00:24:55 qui est incomplète.
00:24:58 On parle d'indépendants, quand il s'agit
00:25:01 de livreurs Uber Eats ou Deliveroo,
00:25:04 donc avec pas de couverture sociale ou très peu,
00:25:07 et puis des droits très limités sur un certain nombre de sujets.
00:25:10 - Ce jour-là, Mme la députée a rendez-vous
00:25:15 avec deux représentants d'Uber qu'elle veut auditionner.
00:25:19 - Bonjour.
00:25:22 - Bonjour. - Bonjour.
00:25:25 - Bonjour.
00:25:28 - Pour la première fois, nous allons pouvoir approcher
00:25:31 deux responsables de la multinationale,
00:25:34 dont Pierre Delalande,
00:25:37 directeur des affaires publiques d'Uber France.
00:25:40 - Uber, qui est quand même le leader,
00:25:43 par son attitude peut déranger des mauvais comportements,
00:25:46 des mauvais traitements. Vous, vous en pensez quoi ?
00:25:49 - Je pense que ça fera l'objet de la discussion ici,
00:25:52 mais c'est quelque chose qu'on discutera avec la rapporteure.
00:25:55 - Vous pouvez rien nous dire d'autre ? - Non, pas à ce stade.
00:25:58 - Uber est visiblement embarrassé par notre présence
00:26:01 où sommes invités à quitter les lieux.
00:26:04 Après une heure d'entretien,
00:26:07 les deux représentants du groupe s'éclipsent
00:26:10 sans répondre à nos questions.
00:26:13 - Ils se considèrent, d'ailleurs, ils sont reconnus en tant que tels
00:26:16 comme une plateforme et donc avec des livreurs indépendants
00:26:19 sur lesquels ils n'ont pas d'autorité ni hiérarchique ni fonctionnelle.
00:26:22 Moi, c'est quelque chose que je peux entendre,
00:26:25 mais en l'occurrence que je conteste et qui, évidemment,
00:26:28 mérite d'être renforcé en matière de droits sociaux.
00:26:31 - Sous pression,
00:26:34 les plateformes ont fait un geste en avril 2023
00:26:37 en acceptant pour les livreurs
00:26:40 un salaire horaire minimum de 11,75 euros.
00:26:43 Pour le gouvernement, cet accord salarial est un progrès,
00:26:46 mais cette rémunération ne comprend toutefois pas
00:26:49 les heures d'attente.
00:26:52 Les livreurs, eux,
00:26:59 continuent à prendre tous les risques pour travailler.
00:27:02 Les plateformes exigent des livraisons rapides.
00:27:05 - Ah oui, c'est bon, c'est rouge.
00:27:08 Alors les livreurs négligent souvent la sécurité.
00:27:11 Slalom entre les voitures,
00:27:14 livraison sans casque,
00:27:17 vous les avez tous observés.
00:27:20 Mais quand survient le pire,
00:27:23 ces livreurs sont peu ou pas protégés.
00:27:26 Le pire, c'est ce qui est arrivé à Mohamed,
00:27:35 un ancien livreur.
00:27:38 Il habite Cherbourg.
00:27:42 - L'accident, il s'est passé ici
00:27:45 le 11 juillet 2022.
00:27:48 À 22h35.
00:27:51 Donc je livrais une commande
00:27:56 et malheureusement,
00:27:59 déjà le client, il a pas eu son sandwich par mois.
00:28:02 Près du centre de Cherbourg,
00:28:08 7 mois plus tôt,
00:28:11 Mohamed enfourche sa trottinette électrique
00:28:13 pour livrer ses premières commandes.
00:28:15 C'est l'été et cet auto-entrepreneur
00:28:17 n'a pas d'assurance professionnelle.
00:28:19 Il circule sans casque quand soudain...
00:28:36 - Moi, j'ai un souvenir ou un rêve
00:28:39 que c'est une voiture qui m'a percuté.
00:28:42 Après, il y a une personne qui habite ici
00:28:45 et elle a entendu le choc, l'accident.
00:28:48 - Cette vidéo a été enregistrée
00:28:53 par l'une de ses filles quelques heures après le drame.
00:29:03 Mohamed est laissé pour mort sur la chaussée.
00:29:06 Il restera 38 jours à l'hôpital,
00:29:13 dont 10 dans le coma.
00:29:17 - Ouais, alors, ma blessure, voilà.
00:29:20 Ça, et donc, j'attends
00:29:29 pour me faire opérer là prochainement.
00:29:32 Les médecins, ils pensaient pas que j'allais survivre.
00:29:38 Et je suis encore là.
00:29:43 Je suis encore là.
00:29:46 - T'as besoin, tu peux prendre les bols
00:29:50 et les cheveux un peu marqués, s'il te plaît.
00:29:53 Avec son épouse, Emmanuelle,
00:29:56 Mohamed a deux enfants, Kenza et Redouane.
00:29:59 - T'as l'air fatigué.
00:30:02 - Ouais, je suis à la chasse.
00:30:05 - Quand les médecins sont venus nous dire
00:30:09 qu'il allait mourir, j'ai hurlé dans la salle.
00:30:12 Et bah, c'était très triste.
00:30:15 - Et maintenant ?
00:30:17 - Je suis restée avec toute ma famille.
00:30:20 - Cette famille est aujourd'hui dans une situation délicate.
00:30:24 Mohamed aurait dû prendre une assurance le protégeant
00:30:27 en cas d'accident, mais ni lui ni sa femme
00:30:30 n'étaient au courant.
00:30:32 - Quand j'ai été à la Sécurité sociale,
00:30:34 c'est là qu'ils m'ont expliqué qu'en fait,
00:30:36 c'est une assurance spéciale pour les auto-entrepreneurs
00:30:39 pour être en accident de travail, en fait.
00:30:41 - Personne m'a parlé de l'assurance, ni de mutuelle, ni...
00:30:45 - Selon nos informations, 20 livreurs seraient morts
00:30:48 dans des accidents de la route ces 3 dernières années.
00:30:51 Mohamed, lui, est un miraculé.
00:30:54 Depuis notre tournage,
00:30:56 il a subi une opération de chirurgie réparatrice.
00:30:59 Il va mieux, mais il est toujours incapable de travailler.
00:31:07 Les livreurs comme Mohamed
00:31:09 participent d'un mode de consommation
00:31:11 qui peut rapporter gros.
00:31:13 D'abord aux restaurateurs traditionnels,
00:31:16 comme ici à Lyon, dans cette pizzeria de quartier.
00:31:19 - Messieurs, dames, bonne soirée.
00:31:21 - Bonsoir.
00:31:22 - Un soir comme celui-ci,
00:31:24 Anto et Fabio font 80 couverts
00:31:27 et autant de pizzas à livrer grâce aux plateformes.
00:31:30 - T'as un sac, c'est bon? Tu l'avais bien?
00:31:35 - Uber et CDLV, on voit ça comme un bonus
00:31:38 par rapport à notre activité principale.
00:31:40 Demain, si on devait arrêter de travailler avec ce système,
00:31:44 on devrait séparer certains de nos employés.
00:31:47 Pour ces patrons,
00:31:49 la livraison est devenue indispensable à leur activité.
00:31:52 Mais ceux qui profitent à fond de ce système,
00:31:57 ce sont les restaurateurs virtuels.
00:32:00 Ils sont présents sur les plateformes,
00:32:02 mais ne possèdent aucun restaurant.
00:32:05 Alors pour satisfaire leurs clients,
00:32:07 ils louent un espace dans ce genre d'entrepôt
00:32:10 pour cuisiner nos burgers, nos pâtes ou nos pizzas.
00:32:15 Jérémy Toledano, 26 ans, est le patron des lieux.
00:32:21 - On a 11 restaurateurs qui se partagent des cuisines
00:32:25 qui sont présentes ici,
00:32:27 tous spécialisés dans des spécialités différentes.
00:32:30 Le but, c'est d'avoir pas mal de diversité au sein d'un même site.
00:32:33 Bonsoir. - Merci, bon courage.
00:32:35 Si tu peux me valider, s'il te plaît.
00:32:37 - Jérémy est le repropriétaire d'une dark kitchen.
00:32:41 Traduction, une cuisine fantôme.
00:32:44 Un business qui repose sur une proposition plutôt alléchante.
00:32:47 - Aujourd'hui, le modèle de la dark kitchen,
00:32:49 c'est un modèle qui est vraiment beaucoup plus attirant,
00:32:52 moins risqué que la restauration traditionnelle.
00:32:54 Il n'y a pas de fonds de commerce,
00:32:56 il n'y a pas de gros investissements.
00:32:58 Dans la restauration traditionnelle,
00:33:00 il faut un certain nombre de personnes en cuisine,
00:33:02 des personnes en salle, des personnes à l'accueil
00:33:04 pour faire le lien entre tout ça.
00:33:06 Ici, on a uniquement des personnes en cuisine.
00:33:08 Donc forcément, les restaurateurs ont moins de personnel
00:33:10 à employer pour leur business.
00:33:13 C'est prêt?
00:33:15 Chez Jérémy, on cuisine à la chaîne dans 100 m2.
00:33:19 Poussez la porte verte. - Salut, les gars, ça va?
00:33:22 Et voici le royaume du burger au poulet.
00:33:26 Derrière la porte orange,
00:33:29 c'est l'Italie, mais sans italien au fourneau.
00:33:32 - Vous êtes prêts pour ce soir?
00:33:34 Allez, dis-moi le soir, c'est chaud, hein?
00:33:37 Ce qui est chaud, c'est surtout l'hygiène.
00:33:40 Pas vraiment au top.
00:33:42 Regardez plutôt cette gazinière.
00:33:45 Ce n'est pas la responsabilité du patron des lieux.
00:33:48 Lui s'occupe plutôt de la division du travail.
00:33:51 - Parfait.
00:33:53 - Tu peux valider les 2, s'il te plaît?
00:33:55 Pendant que les employés des restaurateurs cuisinent,
00:33:58 un écran informe les livreurs sur l'état de leur commande.
00:34:02 Rapidité et rentabilité sont les piliers
00:34:05 de ce système bien huilé.
00:34:08 - Et voilà, David. - Merci beaucoup.
00:34:11 - Sur une dizaine de restaurants,
00:34:13 on va compter sur une soirée, donc sur un service.
00:34:15 Entre 400 et 600 commandes.
00:34:17 Ça fait en moyenne une cinquantaine de commandes par restaurant.
00:34:20 C'est un beau moyen, ouais, c'est bien.
00:34:22 Au pays de la gastronomie,
00:34:24 il existerait 600 à 700 dark kitchens
00:34:27 comme celle de Jérémy.
00:34:29 Depuis le confinement, ce business a même fait la fortune
00:34:34 de certains patrons de la Silicon Valley.
00:34:37 Depuis le confinement, ce business a même fait la fortune
00:34:40 de certains patrons de la Silicon Valley,
00:34:43 comme Travis Kalanick, le cofondateur d'Uber.
00:34:47 Après avoir quitté le groupe en 2017,
00:34:51 ce patron de 47 ans décide de bâtir un nouvel empire.
00:34:55 Un empire de dark kitchens
00:34:58 présent sur tous les continents.
00:35:01 En Amérique.
00:35:03 En Asie.
00:35:06 Au Moyen-Orient.
00:35:09 Et en Europe.
00:35:11 Son groupe et ses centaines de filiales
00:35:15 pèseraient 15 milliards de dollars pour 4 000 employés.
00:35:19 A chaque pays son enseigne.
00:35:22 En France, elle s'appelle Cooklane.
00:35:25 Et elle ne vend que du bonheur.
00:35:28 - Chez Cooklane, nous aidons les restaurateurs
00:35:31 à développer leur activité en réduisant leurs risques
00:35:34 et en maximisant leur retour sur investissement.
00:35:37 Avec Cooklane, tout ce que vous aurez à faire, c'est cuisiner.
00:35:40 Nous nous occupons du reste.
00:35:42 - La promesse de Cooklane est appétissante.
00:35:45 Mais est-elle vraiment respectée?
00:35:47 Comment fonctionne ce groupe qui n'affiche nulle part sa présence?
00:35:51 Cooklane a refusé nos demandes d'interview.
00:35:54 Alors, avec une collègue,
00:35:56 nous tentons de nous faire recruter comme préparateurs de commandes.
00:36:00 Nous tournons en caméra cachée.
00:36:02 - Bonjour, monsieur, ça va? - Ça va.
00:36:04 - Karine. - Dini, enchanté.
00:36:06 - Je récupère vos CV, je les transmets au siège.
00:36:09 - Ouais.
00:36:10 Cooklane va passer au crible nos CV
00:36:13 et découvrir que Lisa est journaliste.
00:36:16 L'entreprise fait alors circuler ce message en interne.
00:36:19 - Lisa est une journaliste de M6
00:36:23 qui semble faire un reportage sur les cuisines de livraison.
00:36:26 Cooklane ne se doute pas que ce message va servir notre enquête.
00:36:31 Coup de chance, l'un de ses employés nous met en contact avec Julie et Faisal,
00:36:36 d'anciens restaurateurs qui ont tenté l'expérience Cooklane
00:36:39 sans vraiment se méfier.
00:36:41 Et leur histoire ressemble plutôt à un cauchemar.
00:36:46 - On comparait notre situation à un milieu carcéral.
00:36:49 - Pourquoi?
00:36:50 - Mais c'était des conditions vraiment horribles.
00:36:52 On est dans une cuisine de 20 m2.
00:36:54 Ça rappelle fortement une cellule, quand même.
00:36:56 On voit pas la lumière du jour, y a pas de fenêtre.
00:37:02 On n'a pas de chauffage le soir et le week-end.
00:37:06 Y a des caméras dans les couloirs.
00:37:08 On considère qu'on n'a pas vraiment le droit de parler entre nous,
00:37:12 donc ça nous est quand même reproché.
00:37:14 Voilà, psychologiquement, ça nous attend vraiment.
00:37:17 Vous vous souvenez de la promesse de Cooklane?
00:37:20 Minimiser les risques et maximiser le chiffre d'affaires.
00:37:24 Les documents de Julie et Faisal racontent une toute autre histoire.
00:37:29 - Ça, c'est le prévisionnel chiffré que certains restaurateurs ont reçu.
00:37:34 Le premier mois, 25 commandes par jour.
00:37:37 Et au bout de 6 mois, 100 commandes par jour.
00:37:43 - On y est pas du tout.
00:37:45 Je crois que la première semaine, j'étais plus à 5, 6 commandes par jour.
00:37:48 - Certains ont même eu des prévisionnels
00:37:51 à 1 million d'euros de chiffre d'affaires en fin de la première année.
00:37:56 J'aurais jamais imaginé que c'était divisé par 1 000.
00:37:59 C'est une catastrophe.
00:38:01 Une fois installés, les 2 restaurateurs doivent gérer à leurs frais
00:38:05 la politique commerciale de Cooklane.
00:38:09 - La réalité, c'est qu'il y a tellement de concurrence sur les plateformes,
00:38:12 tellement de restaurants qui font de la livraison,
00:38:15 que pour sortir du lot, pour avoir de la visibilité,
00:38:18 il faut déjà faire beaucoup de promotions.
00:38:20 Et ça, ils nous le disent après.
00:38:24 Une fois qu'on arrive, ils nous disent,
00:38:26 pendant un mois, vous fassiez tout votre menu à 30 %,
00:38:29 au bout d'un mois, vous passerez à 20 %, et ainsi de suite.
00:38:32 Donc, on a à peu près 3 mois de marketing.
00:38:37 - Et ensuite, il nous reste à payer le loyer,
00:38:39 donc de 3 000 euros par mois.
00:38:41 - Et puis, tous les mois, on doit donner 3 % de notre chiffre d'affaires à Cooklane.
00:38:45 - En plus du loyer. - En plus du loyer.
00:38:47 - On travaille 16 heures par jour, et à la fin de la journée,
00:38:49 on est encore plus endetté que la veille.
00:38:51 - Très clairement, on a vraiment l'impression
00:38:53 d'être tombé dans une arnaque organisée, quoi.
00:38:56 On s'est fait avoir du début à la fin.
00:38:59 - Faisal et Julie ont travaillé 6 mois chez Cooklane.
00:39:04 Elle en est sortie avec 15 000 euros de dettes,
00:39:07 lui, avec 50 000 euros à payer.
00:39:10 Contacté, Cooklane n'a pas souhaité répondre à nos questions.
00:39:15 Cooklane, il n'y a pas que les restaurateurs qui s'en plaignent.
00:39:22 Il y a aussi les riverains de ces cuisines fantômes.
00:39:25 Ivry, en banlieue parisienne.
00:39:29 Les habitants de ce bâtiment neuf ont emménagé il y a 18 mois.
00:39:34 Amélie et Salima ne savaient pas alors
00:39:37 qu'elles partageraient un jour leur immeuble
00:39:39 avec cette dark kitchen.
00:39:41 - Ils ont pensé que, voilà, c'était un endroit tout sympathique,
00:39:45 tout proche de Paris, du métro,
00:39:47 et on se retrouve avec des problèmes à n'en plus finir.
00:39:50 Voilà, tous les jours, des problèmes.
00:39:52 - Les problèmes, ce sont ces camions très bruyants
00:39:56 qui livrent Cooklane au moins 3 fois par semaine.
00:40:00 (bruit de camions)
00:40:03 Les voisins ne supportent plus le bruit des camions refrigérés
00:40:08 puisqu'ils font un bruit insupportable.
00:40:11 (bruit de camions)
00:40:17 - Les gens du 5e étage arrivent à entendre le bruit
00:40:21 des marchandises qui sont transportées tous les matins assez tôt
00:40:25 à l'intérieur du parking, qui n'est pas isolé phoniquement.
00:40:29 C'est au fond de ce parking, derrière cette porte,
00:40:33 que se trouvent les 26 cuisines de Cooklane.
00:40:36 C'est aussi ça, une dark kitchen,
00:40:39 des cuisines fantômes là où on ne les imagine pas.
00:40:42 - Je pense que les enfants, voilà, finissent l'école élémentaire,
00:40:49 et puis après, oui, je pense que le mieux partira.
00:40:56 Ceux qui vont rester à n'en pas douter,
00:40:59 ce sont les livreurs à scooters qui viennent chercher leur commande.
00:41:03 L'autre fléau dénoncé par Amélie.
00:41:07 - Hop, le trottoir, la dame avec la poussette, elle fait attention.
00:41:13 On peut être facilement, sur le temps du midi,
00:41:18 je pense, une centaine de livraisons.
00:41:21 Voilà, là, monsieur est obligé de faire très attention
00:41:24 à un scooter qui recule sur le trottoir qui a failli le parcuter.
00:41:28 Ça s'arrête jamais, non, non.
00:41:32 Vous voyez qu'il y a vraiment quelques mètres à dire
00:41:34 entre les scooters et les premières habitations.
00:41:36 C'est vraiment très compliqué.
00:41:38 Cela fait plus d'un an et demi
00:41:44 qu'Amélie et Salima sont excédées par le bruit.
00:41:47 Alors elles remuent ciel et terre pour que cela change.
00:41:51 L'une des rares à comprendre leur malheur,
00:41:54 c'est la députée de Paris, Maude Gatel,
00:41:58 que nous avions rencontrée à l'Assemblée nationale.
00:42:01 Elle est responsable d'une mission d'information sur les plateformes.
00:42:06 - Bonjour. - Bonjour.
00:42:10 - Maude Gatel, enchantée. Bonjour, madame.
00:42:12 - Merci d'être venue.
00:42:14 - Nous avons une clime qui s'est installée en même temps que nous.
00:42:17 Voilà, donc c'était la surprise. - Ah, en même temps que vous.
00:42:19 Salima et Amélie sont accompagnées par d'autres habitants de l'immeuble.
00:42:23 - On est tout simplement choqués par tout ça.
00:42:27 Au début, on nous a vendu les appartements avec des bureaux.
00:42:31 Donc on s'est dit, c'est très bien, on ne sera pas dérangés,
00:42:35 et ce serait parfait.
00:42:36 Et là, on se retrouve avec des dark kitchens en dessous de nos pieds.
00:42:39 Alors c'est tout simplement invivable.
00:42:43 - On a un problème à la fois d'implantation de cette dark kitchen
00:42:47 dans un quartier extrêmement résidentiel,
00:42:50 non adapté à tous ces flux,
00:42:53 qu'il s'agisse des livraisons de matières premières,
00:42:56 mais aussi des livraisons, donc, à destination du client
00:42:59 qui a commandé son burger.
00:43:01 J'entends et je comprends totalement la colère des riverains
00:43:06 dans leur quartier immédiat.
00:43:08 Ce qui énerve encore plus les habitants...
00:43:15 C'est le passage des scooters dans cette rue piétonne,
00:43:19 dont l'accès est réservé aux pompiers.
00:43:22 - On a alerté la ville, donc ils ont mis en place
00:43:25 des capteurs de passage.
00:43:26 48 heures exactement après l'installation,
00:43:29 les câbles ont été sectionnés.
00:43:32 On sait pas par qui ils ont été sectionnés.
00:43:34 On n'accuse pas les livreurs, on n'accuse pas Cooplane.
00:43:36 Simplement, nous, le trafic qu'on remarque sur cette voie piétonne,
00:43:40 c'est que c'est uniquement des scooters de livraison qui passent.
00:43:45 - En montant, ça fait...
00:43:48 Et ça résonne.
00:43:50 - Vous avez les parfaits piles jusqu'au 5e étage.
00:43:52 - Sur tout ceux qui sont sur cette façade-là.
00:43:55 - Et puis après, ça sera notre tour à un moment donné.
00:43:57 - Il y a un appartement qui s'est vendu peut-être le mois dernier,
00:44:00 juste là. Et un autre qui a été vendu là.
00:44:02 - Vous ne pouvez pas laisser des gens jeter l'éponge
00:44:06 alors que des règles existent et que simplement,
00:44:09 ces acteurs de Cooplane ou assimilés décident de ne pas les respecter.
00:44:12 Ça, c'est pas supportable.
00:44:14 Dans cet immeuble, Cooplane ne semble pas s'embarrasser
00:44:19 avec les règles de copropriété.
00:44:21 Pour éviter d'être repérées, nous retrouvons le soir même
00:44:28 Zoër et Hélène.
00:44:30 Ces 2 propriétaires nous emmènent sur le toit.
00:44:33 - Allez, jeune homme.
00:44:35 Nous découvrons un vaste système d'évacuation des fumées
00:44:39 installés après la construction de l'immeuble.
00:44:42 - On se retrouve dans une résidence où il n'y avait absolument rien
00:44:45 au niveau de la terrasse et là, on se retrouve avec des tuyaux
00:44:47 d'aération qui font des mètres et des mètres de long
00:44:50 qui vont s'étendre jusque-là.
00:44:52 - Regardez ici, des réacteurs d'avion.
00:44:55 Tout ça, c'est la VMC de notre Cooplane
00:44:58 qui ont été installés sans l'accord du conseil syndical
00:45:02 et sans l'accord de la mairie.
00:45:04 Voilà, on voit derrière nous aussi, regardez,
00:45:07 on a des armoires, là.
00:45:10 Ces armoires protègent de gros climatiseurs.
00:45:14 - 1, 2, 3 et 4 fois 2, ça fait 8.
00:45:20 En plein été, on peut entendre de l'extérieur
00:45:23 comme dans les appartements, donc on entend un bruit terrible.
00:45:28 En décembre 2022, Cooplane a tenté de régulariser ses travaux.
00:45:34 Refus de la copropriété qui envisage aujourd'hui
00:45:37 des poursuites judiciaires.
00:45:39 Quant au groupe, il n'a jamais répondu à nos sollicitations.
00:45:43 A deux pas d'ivrier dans le 14e arrondissement de Paris.
00:45:53 - Tête de Guillaume Papé. - Allez, Guillaume!
00:46:00 Dans cet autre immeuble, la Coupe du monde de football
00:46:04 capte alors toute la tension
00:46:07 et donne beaucoup de travail à ses livreurs.
00:46:11 - Il s'arrête pas, ici? - Si, il s'arrête.
00:46:18 C'est pour ici, voilà.
00:46:20 Au 6e étage, Bertrand et Annick assistent tous les soirs
00:46:24 à ce ballet infernal.
00:46:27 - Là, il y en a, regarde, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
00:46:30 - Là, bien, il y a encore un vélo qui arrive, hein?
00:46:33 - Ca fait 6, 7 mois qu'ils sont là.
00:46:35 Déjà, en 6, 7 mois, ça provoque des nuisances,
00:46:37 donc on peut s'imaginer dans un an ce que ça va donner
00:46:39 si ça continue à ce rythme-là.
00:46:41 Dans cet immeuble, Cooplane s'est installée en mai 2022
00:46:46 en contravention, là aussi, avec les règles de copropriété.
00:46:50 - Bonsoir, bonsoir! - Bonsoir!
00:46:54 - Bonsoir!
00:46:55 - La société leur avait promis une école de cuisine,
00:46:58 mais ce sont bien des cuisines fantômes
00:47:01 qui ont vu le jour au fond de la cour.
00:47:04 - Là, c'est le lieu où les ouvreurs viennent chercher les commandes.
00:47:10 Donc, ils rentrent, il y a des petits bûchers, là.
00:47:13 Et les dark kitchens sont donc au sous-sol.
00:47:16 - Vous arrêtez, s'il vous plaît.
00:47:17 - La présence des copropriétaires attire l'attention
00:47:20 du responsable de cette dark kitchen.
00:47:24 - C'est une activité commerciale.
00:47:26 Le règlement de copropriété n'autorise que des activités
00:47:29 de type culturelle, cultuelle, sanitaire, sociale, éducative.
00:47:33 - Hein?
00:47:34 - Est-ce que c'est une activité culturelle, monsieur?
00:47:36 - Non.
00:47:37 - Est-ce que c'est une activité sociale?
00:47:38 - Non.
00:47:39 - Donc, vous n'êtes pas autorisé.
00:47:41 Je me fiche de la réglementation, et après, on verra bien,
00:47:44 quand je serai là, bien installé,
00:47:46 ils ne pourront plus rien contre nous.
00:47:48 Voilà ce que c'est, votre société, monsieur.
00:47:51 - Ces gens que vous avez tenus en quasi-esclavage,
00:47:54 vous n'avez même pas de toilettes à leur offrir.
00:47:56 - Il y a pas d'esclavage ici.
00:47:58 - C'est... Ils n'ont même pas de toilettes.
00:48:00 Ils n'ont même pas de toilettes.
00:48:01 - Mais nous, on a des toilettes pour les gens qui travaillent.
00:48:03 - Pour les gens qui travaillent, mais pas pour les livreurs.
00:48:06 - On fait pipi en bas, on fait caca derrière ma voiture.
00:48:10 Ca n'arrivait pas avant que ça s'installe ici.
00:48:14 Et il n'a pas fallu longtemps pour qu'un livreur
00:48:17 se soulage devant notre caméra.
00:48:19 - Regardez dans la cour, on fait pipi contre le mur de la copropriété,
00:48:22 en dessous de nos balcons,
00:48:24 des livreurs qui se soulagent et qui transportent de la nourriture.
00:48:27 Donc bonjour, les chiennes. Voilà.
00:48:30 Aujourd'hui, ces riverains n'ont qu'un objectif,
00:48:35 se débarrasser de Cook Lane.
00:48:37 Ils ont déposé plainte
00:48:39 et espèrent que l'enseigne sera un jour expulsée.
00:48:46 Dans la famille très dark, des nouveaux acteurs de la livraison,
00:48:50 les Dark Kitchen ont des petits cousins.
00:48:53 Des supermarchés d'un nouveau genre,
00:48:55 établis en plein coeur de nos villes.
00:48:57 Ce sont les Dark Store.
00:48:59 Vous connaissez peut-être leur nom.
00:49:02 Flink, Cajou, Gorillaz ou Frishti.
00:49:08 Même business model, même nuisance.
00:49:12 Avec une promesse.
00:49:15 Livrez vos courses en 15 minutes, à n'importe quelle heure de la journée.
00:49:20 Plus besoin d'aller faire les courses. Il est trouvé bien mieux.
00:49:27 C'est le nouveau commerçant de proximité qui livre tes courses.
00:49:30 En quelques minutes.
00:49:32 Déjà ?
00:49:35 Ce modèle des Dark Store inquiète les élus parisiens depuis plusieurs années.
00:49:41 Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris,
00:49:45 et Olivia Polsky, responsable de l'artisanat.
00:49:49 Redoutent une concurrence déloyale pour les commerces de proximité.
00:49:53 Ils mettent aussi en cause un mode de consommation sans aucune limite.
00:49:58 J'ai vu une pub ce matin.
00:50:01 En gros, c'est commandé sur l'application, sur le Dark Store,
00:50:04 et on va vous livrer votre lait en 10 minutes.
00:50:06 Qui peut penser que ce soit un modèle de société,
00:50:09 qu'on rentre dans une logique ultra-consumériste,
00:50:11 à tel point qu'on se fait livrer son dentifrice ou son lait
00:50:14 quand on a oublié de l'acheter la veille ?
00:50:16 Cette espèce de nouvelle économie, ils arrivent comme des bulldozers,
00:50:20 ils captent tout.
00:50:21 Les atteintes faites aux commerces de proximité,
00:50:23 on ne le voit pas là tout de suite,
00:50:24 parce que pour l'instant, évidemment, c'est assez soft,
00:50:27 mais ça peut avoir des conséquences terribles dans Paris.
00:50:30 Demain, on n'aura plus la même ville.
00:50:32 Donc il faut absolument, au contraire, qu'on mette de la révélation.
00:50:36 Aujourd'hui, ils considèrent qu'ils peuvent continuer à enfreindre la réglementation,
00:50:40 parce que précisément, ils pensent que la réglementation finira par évoluer en leur faveur.
00:50:44 C'est un jeu de dupes et de rapports de force psychologiques.
00:50:48 Au moment de ce tournage,
00:50:50 le rapport de force était toujours favorable au Dark Store,
00:50:53 et la mairie, toujours impuissante.
00:50:56 Évidemment, nous avons voulu voir comment fonctionnent ces supermarchés,
00:51:02 situés au rez-de-chaussée de nos immeubles.
00:51:05 Mais aucune enseigne ne nous a autorisés à filmer.
00:51:08 Pour comprendre l'envers du décor,
00:51:11 l'une de nos journalistes s'est fait embaucher à mi-temps comme préparatrice de commande.
00:51:15 Un Dark Store, c'est un entrepôt sommaire avec des néons au plafond,
00:51:22 des frigos pour les produits frais
00:51:25 et des étagères pour les produits secs.
00:51:28 Première journée et premier contact avec nos collègues.
00:51:35 - Je vais à fond, les gars.
00:51:36 - Merci.
00:51:39 Un accueil chaleureux, mais à peine arrivé,
00:51:45 la société lui passe immédiatement la bague au doigt.
00:51:48 - Un petit bidule comme ça.
00:51:50 Ce petit bidule, c'est un scanner qu'elle enfile sur son index
00:51:54 et qui va lui permettre de préparer les commandes.
00:51:56 - OK, ça fonctionne.
00:51:59 Petite surprise.
00:52:03 Dans ce Dark Store, la musique est à fond.
00:52:06 - Qui c'est qui a eu l'idée de mettre de la musique ?
00:52:12 C'est pour motiver ?
00:52:16 Du bruit en permanence, la course dans les rayons.
00:52:22 Et voilà comment vos articles sont mis en sac.
00:52:25 Avec des consignes claires du patron, interdiction de parler aux collègues.
00:52:31 - C'est lui qui veut pas qu'on discute.
00:52:34 Et pour aller aux toilettes, mieux vaut prendre ses précautions.
00:52:43 - On a le droit à une mini-pause ou pas ?
00:52:46 - Bah non, maintenant, pour aller aux toilettes ?
00:52:49 - Non, non, mais c'est pour savoir...
00:52:51 - Bah, on peut en reparler ?
00:52:53 - Ouais, ouais. Non, non, y a pas de souci.
00:52:55 Pas de pause pipi et au premier coup de mou,
00:52:58 - C'est plus compliqué que la 1re fois.
00:53:01 - Et du coup, faut que je fasse plus vite ?
00:53:04 Je vais aller plus vite.
00:53:06 Ici, chaque geste est chronométré.
00:53:09 Et tout se joue à la 2nde près.
00:53:12 - Chaque fois que tu vas scanner un produit,
00:53:16 entre 2 produits que tu scans, y a pas en moyenne 10 secondes.
00:53:20 Dans un Dark Store, on turbine aussi comme à l'usine.
00:53:24 Tout ça en baisse de vitesse.
00:53:27 Tout ça en bas de nos immeubles.
00:53:29 - Je voulais te voir, juste histoire que je me positionne un peu.
00:53:33 A la fin de la journée, le manager fait le bilan
00:53:38 en nombre de secondes par produit scanné.
00:53:41 Dans son jargon, il appelle ça la vélocité.
00:53:46 - OK, et 17 à peu près, c'est...
00:53:53 - 17, pour une 1re journée, c'est vraiment pas mal.
00:53:56 C'est par intérêt normal, vu ta expérience,
00:53:59 de faire, je dirais, 200 à 300 sacs tout seul.
00:54:03 - En une matinée ? - Ouais.
00:54:06 Moi, je fais 119 sacs. J'espère que je vais progresser très vite.
00:54:11 Notre journaliste est encore loin du compte.
00:54:14 Et pour la motiser, rien de mieux qu'un coup de pression en fin de journée.
00:54:21 - En vélocité, depuis le début de semaine, on est un peu en dessous.
00:54:24 Donc... Beau charmeau, OK ?
00:54:27 Mais c'est pour le bon fonctionnement aussi, pour les primes.
00:54:31 Mais on se bat tous pour la même chose. OK ?
00:54:34 La pression sur les employés s'exerce ainsi à chaque instant.
00:54:38 - Salut, à lundi ! - A lundi, à lundi !
00:54:41 Avec pour seule carotte le versement d'une prime mensuelle
00:54:44 de 85 euros au maximum.
00:54:47 Pour la toucher, l'équipe va devoir travailler bien plus vite.
00:54:51 Fin mars 2023, le Conseil d'Etat a requalifié les dark stores
00:54:58 en entrepôts commerciaux, ce qui interdit à ces enseignes,
00:55:02 comme Frischty ou Gorillaz, de s'installer au pied de nos immeubles.
00:55:07 Une victoire pour la mairie de Paris,
00:55:09 qui a immédiatement lancé des procédures contre 25 magasins.
00:55:16 Désormais, vous savez qui sont les nouveaux acteurs de la livraison.
00:55:20 Et vous ne commanderez peut-être plus vos courses,
00:55:24 votre burger
00:55:27 ou votre curry aux crevettes comme avant.
00:55:31 Dark store ou dark kitchen, c'est finalement le même système
00:55:36 et les mêmes conditions de travail.
00:55:38 Dans un monde dominé par l'hyperconsommation,
00:55:41 achetez tout, tout de suite, et toujours plus vite.
00:55:45 Dans le monde de l'hyperconsommation, comment offrir au livreur
00:55:49 un meilleur salaire et de bonnes conditions de travail ?
00:55:52 C'est la mission de Grégoire Leclerc,
00:55:54 président de la Fédération nationale des auto-entrepreneurs.
00:55:57 Il vient de signer, il y a quelques jours à peine,
00:56:00 un accord avec les plateformes, très attendu par la profession.
00:56:03 Grégoire Leclerc, bonjour.
00:56:05 Bonjour.
00:56:06 Donc, le 20 avril dernier, vous avez signé avec des plateformes
00:56:10 trois accords, un accord avec les plateformes,
00:56:13 trois accords, d'abord sur le revenu minimum,
00:56:16 qu'est-ce qui a été prévu ?
00:56:18 Alors, on voit dans le sujet qu'en fait, la moyenne, c'est quoi ?
00:56:21 Moins de 5 euros de l'heure.
00:56:23 Oui. Alors, regardez le principe de cet accord qui est vraiment historique,
00:56:26 ça je pense qu'il faut le dire parce que c'est la première fois dans le monde
00:56:29 et surtout en Europe, que ce type de dialogue social émerge
00:56:32 et que ce type d'accord est signé.
00:56:34 L'idée, c'est quoi ? C'est de dire, on veut garantir que
00:56:37 pour une heure de travail effective, un livreur ne gagnera jamais moins
00:56:42 de 11,75 euros de chiffre d'affaires.
00:56:45 Mais qu'est-ce que vous appelez une heure de travail effective ?
00:56:48 C'est-à-dire une heure de travail où il est sur son vélo et il pédale.
00:56:51 L'heure de travail effective, c'est comptabilisé du moment où il reçoit la commande
00:56:56 jusqu'au moment où il l'a effectivement déposée chez le client.
00:56:58 Donc, ça compte évidemment le trajet pour aller au restaurant,
00:57:01 le temps d'attente éventuel devant le restaurant
00:57:03 et à nouveau le trajet pour aller chez le client.
00:57:05 Tout ce temps-là est un temps de travail effectif
00:57:08 et qu'on souhaite voir rémunéré à un tarif minimum
00:57:11 pour garantir à la fois une bonne protection sociale et des couvertures de coût.
00:57:15 Et le tarif minimum, c'est 11,75 euros ?
00:57:18 Absolument.
00:57:19 C'est pratiquement doublé le coût horaire de travail pour l'employeur.
00:57:25 Pourquoi les plateformes ont signé si rapidement ?
00:57:27 Parce que d'abord, il y a une pression importante
00:57:29 de la part des organisations de travailleurs dépendants.
00:57:31 Il y a une pression de la Commission européenne
00:57:33 qui voudrait potentiellement requalifier ses livreurs en salariés.
00:57:36 Et puis, il y a une pression du marché.
00:57:38 Les livreurs aujourd'hui, ils voient bien qu'ils ne gagnent pas assez.
00:57:41 Et donc les livreurs, un jour, ils vont arrêter de pédaler.
00:57:44 Ils vont arrêter de pédaler parce qu'ils ont besoin de casser la croûte comme tout le monde.
00:57:47 Et comme un certain nombre de plateformes commencent à tirer les prix vers le haut,
00:57:50 ils vont s'enfuir vers ces plateformes-là et les autres vont rester sur le carreau.
00:57:54 Donc tout le monde s'aligne un peu finalement autour de cette bonne pratique de marché
00:57:57 qui est de dire qu'il faut au minimum qu'on paye 11,75 euros.
00:58:00 Et alors, un autre accord sur la déconnexion intempestive des comptes.
00:58:05 On parle dans le sujet en effet que, en fait, c'est un algorithme d'ailleurs qui décide
00:58:09 si le livreur est bon ou pas bon.
00:58:11 Et s'il n'a pas livré dans le délai, il peut être déconnecté et perdre son job en fait.
00:58:15 Oui, alors il y a beaucoup de choses dans cet accord, mais il y a trois éléments importants.
00:58:18 Le premier, c'est que l'algorithme ne prenne plus la décision seul.
00:58:21 Donc effectivement, un groupe d'humains statuera de manière régulière sur le sort à donner à certains comptes.
00:58:28 La deuxième, c'est qu'on va donner la capacité aux livreurs de se défendre.
00:58:32 Et la troisième chose qui est importante, c'est qu'on va aussi mettre en place des processus
00:58:35 pour que lors d'un compte déconnecté, au lieu d'être déconnecté instantanément
00:58:39 et de ne plus pouvoir jamais interagir avec la plateforme,
00:58:42 on va lui donner plus de souplesse pour garder son activité économique.
00:58:46 Vous, vous représentez quel pourcentage des livreurs ? Ils sont pour la plupart auto-entrepreneurs ?
00:58:51 Il n'y a pas de salariés du tout ?
00:58:53 99,9% des livreurs à vélo sont auto-entrepreneurs.
00:58:56 Il n'y a que deux plateformes dans l'histoire de ce pays depuis 2013-2014
00:59:00 qui ont tenté un modèle salarial et ces deux plateformes ont déposé le bilan.
00:59:04 C'est des plateformes qui essayent plutôt de mettre en place un modèle alternatif,
00:59:08 dit plus vertueux.
00:59:10 Le problème, c'est que pour assumer ce modèle vertueux,
00:59:13 il faut forcément payer plus cher la livraison.
00:59:15 Et là, je me retourne vers tous ceux qui achètent.
00:59:17 Là, ce sont les consommateurs qui refusent ?
00:59:18 Absolument.
00:59:19 Donc on est tous complices de ce système, dans le fond.
00:59:21 La boucle est bouclée.
00:59:22 C'est-à-dire que si on veut que nos livreurs à vélo soient mieux protégés,
00:59:24 qu'ils soient salariés, qu'ils aient des congés payés,
00:59:26 qu'ils aient encore plus de protection sociale que ce que le travail indépendant leur propose,
00:59:29 il faut payer plus cher.
00:59:30 Mais il faut quasiment doubler le coût de la livraison.
00:59:32 Vous voulez dire qu'on continuera encore longtemps de les appeler les forçats du bitume ?
00:59:35 Parce que ce n'est pas de l'esclavage, mais parfois ça y ressemble.
00:59:38 Alors, ce qui est sûr quand même, c'est que plus le temps avance,
00:59:41 et plus ces forçats du bitume, en tout cas plus ces travailleurs indépendants-là,
00:59:44 ont une protection sociale qui se consolide.
00:59:46 Il y a encore 4-5 ans, ils n'avaient pas le droit au chômage.
00:59:48 Aujourd'hui, ils y ont accès.
00:59:49 Ils ont une mutuelle qui est garantie par la plateforme,
00:59:51 et qui est payée par la plateforme.
00:59:53 Demain, ils auront une protection sociale,
00:59:55 et qui leur permettra d'être là aussi mieux couverts en cas de maladie, etc.
00:59:58 Ils ont des accidents.
01:00:00 Donc, ce que je veux dire par là, c'est qu'on peut encore améliorer les choses,
01:00:03 pour que ces travailleurs indépendants soient presque, j'insiste sur le presque,
01:00:07 soient presque considérés comme des salariés au sens de leur protection sociale.
01:00:11 Et finalement, c'est peut-être le bon chemin de crête,
01:00:14 entre du 100% salarial qui ne tient pas la route,
01:00:16 ou du 100% indépendant considéré comme un forçat.
01:00:19 Merci Grégoire Leclerc d'avoir été avec nous.
01:00:21 Merci.
01:00:22 C'est la fin de cette émission.
01:00:23 Rendez-vous la semaine prochaine pour un nouveau document d'enquête exclusive.
01:00:27 La semaine prochaine, immersion inédite dans l'un des endroits les plus fermés au monde,
01:00:32 le Kamchatka.
01:00:33 Aux confins de la Sibérie, ce vaste territoire russe
01:00:36 n'est accessible que par les airs ou la mer,
01:00:39 un bout de Russie quasiment inconnu.
01:00:41 Une terre sauvage et inhospitalière,
01:00:43 riche de 200 volcans,
01:00:45 dont certains peuvent entrer en éruption à tout moment.
01:00:48 - Et ici, on déchire différemment ?
01:00:50 - Ici, on respire différemment.
01:00:52 On a l'impression que la vie a commencé ici.
01:00:55 Une péninsule unique au monde,
01:00:57 sorte de Far West de l'ex-URSS,
01:01:00 où les éleveurs de rennes côtoient les ours,
01:01:02 parfois jusque dans leurs fermes.
01:01:04 - Quand l'ours a tué un renne pour le manger,
01:01:06 je suis arrivé et j'ai chassé l'ours avec mon fusil.
01:01:09 Avec ses paysages à couper le souffle,
01:01:11 le Kamchatka est aujourd'hui totalement fermé au monde.
01:01:14 Seuls quelques riches touristes et surfeurs russes peuvent s'y rendre.
01:01:18 - C'est incroyable.
01:01:20 C'est la meilleure expérience de surf que j'ai jamais eue de ma vie.
01:01:24 - A moins de 2 000 km des côtes américaines,
01:01:28 la province du Kamchatka est une base militaire stratégique pour le Kremlin
01:01:32 et sa population est acquise à l'idéologie de Poutine.
01:01:36 - Les Américains, on a toujours réussi à les rattraper.
01:01:47 Les bombes aussi, on sait les faire.
01:01:50 S'ils veulent nous embêter, ils pourraient en pâtir.
01:01:54 - Immersion au Kamchatka, la Russie du bout du monde,
01:01:57 c'est dimanche prochain à 23h dans "Enquête exclusive".
01:02:01 - Cette émission a été préparée avec Gaël Fournier,
01:02:06 réalisation Plateau, Christophe Blais,
01:02:09 rédaction chef d'"Enquête exclusive",
01:02:11 Jean-Marie Tricot et Bertrand Deveau,
01:02:13 production Anne Connaisille.
01:02:14 Bonne soirée sur MCI.

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