00:00 France Info.
00:03 Elle accompagne les ados depuis bientôt 10 ans, maintenant elle grandit bien vite.
00:07 Esther avait 10 ans quand Riad Satouf a commencé à griffonner les traits de celle qui était
00:12 encore une enfant des pages de Lobs au rayon BD.
00:16 Esther est devenue familière pour les lecteurs les plus assidus de ses cahiers, sorte de
00:21 journal de bord d'une enfant de la génération Z qu'on a vu devenir ado qui se frotte désormais
00:27 aux épreuves du bac et même à Parcoursup.
00:29 Esther a 17 ans, le 8ème tome de ses aventures sort aujourd'hui en librairie aux éditions
00:35 à Larry et on est avec son père spirituel et son dessinateur.
00:41 Bonsoir Riad Satouf.
00:42 Bonsoir.
00:43 Ravi de vous recevoir dans le studio de France Info.
00:44 Qu'est-ce qu'elle a grandi ?
00:45 Et oui, c'est un petit peu ce que je me dis aussi quand je la dessine, c'est incroyable,
00:51 j'ai l'impression que c'était hier que je commençais les histoires où elle était
00:53 en CE2 et où elle jouait à des jeux un petit peu inconscients dans sa cour.
00:59 Et là maintenant, comme vous le disiez tout à l'heure, elle attend Parcoursup ce soir
01:03 aussi.
01:04 Je vais avoir les résultats de ce qui va inspirer ma prochaine page je pense.
01:08 Vous imaginez à l'époque de l'histoire de ses 10 ans, l'avoir allé jusqu'au bac ?
01:12 Eh bien écoutez, au départ, j'avoue avoir lancé ce projet comme ça, en me disant que
01:18 j'allais suivre cette jeune fille jusqu'à ses 18 ans, en faire un album par an, bien
01:25 sûr en cachant sa vraie identité, en cachant un petit peu tout ce qu'est lui pour pas
01:29 qu'on puisse la reconnaître dans la réalité.
01:30 Mais je pensais pas que ça irait aussi vite.
01:32 Oui, c'est vrai.
01:33 Qu'est-ce qui va le plus vite, ses enfants qui grandissent ou son enfant de BD qui grandit
01:37 ?
01:38 C'est assez étrange parce que vous savez, en tant que dessinateur, moi je dessine le
01:43 jour, je fais une page toutes les semaines et je me pose jamais en me disant "tiens là
01:48 je vais faire grandir mon personnage, je vais observer comment elle grandit".
01:51 Je la dessine toutes les semaines.
01:52 Mais en fait elle grandit d'elle-même aussi en dessin.
01:55 C'est ça qui est assez étrange.
01:56 C'est-à-dire que quand je regarde la façon dont je la dessine aujourd'hui et la façon
01:59 dont je la dessinais il y a 10 ans, c'est plus la même façon mais ça s'est passé
02:03 de manière totalement inconsciente.
02:04 Et ce qui est formidable, c'est aussi qu'elle grandit, qu'elle change et que ça renouvelle
02:09 l'exercice pour vous à chaque fois ?
02:10 Ben oui, c'est vrai qu'il y a plusieurs choses qui changent.
02:14 Quand elle était plus jeune, elle était extrêmement volubile, un peu inconsciente
02:18 et cruelle.
02:19 Il y a des histoires un peu dures, elle était quelqu'un de très populaire dans sa classe.
02:25 Et là, évidemment avec l'adolescence, elle a un petit peu changé, un petit peu cynique.
02:29 Elle a pris un peu les hormones dans la tronche, la vague de plein fouet.
02:34 Donc c'est un peu moins facile mais c'est toujours aussi rigolo.
02:37 Et disons que les préoccupations ont changé.
02:38 Et puis c'est un âge formidable aussi où les changements sont permanents, où les expressions
02:43 évoluent.
02:44 On a l'impression d'être en permanence dans la cour ou sur les réseaux sociaux avec vous
02:47 parce que chaque expression de langage s'adapte à l'époque.
02:52 C'était aussi une des raisons pour lesquelles je me suis lancé dans les cahiers d'Esther,
02:55 déjà d'un point de vue purement personnel et humain.
02:59 Parce que comme tout le monde, je vieillis et donc j'avais envie de rester en contact
03:02 quand même avec ce qu'il y avait dans la tête des jeunes et de comprendre le monde
03:05 à travers eux et essayer d'explorer leur univers qui est un petit peu imperméable
03:11 quand même.
03:12 C'est une sorte d'agent secrète, d'agente secrète dans le monde des jeunes.
03:18 C'est vrai que je reste en contact.
03:20 - C'est votre espion dans la cour du lycée ?
03:21 - Un petit peu, c'est comme dans 21 James Street.
03:24 Seul ceux des années 90.
03:25 - Alors ça c'est pas la génération Z.
03:26 - Excusez-moi !
03:27 - Le coup de vieux terrible.
03:28 Votre expression préférée ? Elle est en mode ?
03:29 - Oui en mode, oui j'avoue.
03:30 En mode, oui.
03:31 Dire que je suis en mode quelque chose de manière très sérieuse, moi ça me fait
03:42 rire mais en fait c'est pas drôle pour la personne qui le dit aujourd'hui.
03:45 - On suit Esther mais on suit évidemment toute une société autour d'elle avec toutes
03:50 les problématiques qui touchent aujourd'hui à la jeunesse.
03:53 Alors il n'y avait pas forcément la cigarette, la drogue quand elle avait 10 ans, forcément
03:56 ça fait son apparition.
03:57 C'est ça aussi qui vous passionne ? On n'ira pas jusqu'à l'œil du sociologue mais de
04:03 regarder comme ça comment une jeunesse se heurte aussi à des problématiques qui changent
04:08 en grandissant ?
04:09 - L'idée de faire cette bande dessinée sur une durée de temps entre guillemets aussi
04:13 longue parce que j'ai suivi un personnage, une personne qui a grandi.
04:16 Ce qui m'a aussi stupéfié c'est le nombre d'événements historiques qui ont traversé
04:23 la vie d'une si jeune personne et aussi de cette bande dessinée.
04:26 C'est-à-dire qu'il y a eu plusieurs présidentielles, il y a eu la victoire de Donald Trump, il
04:30 y a eu la pandémie, il y a eu la guerre en Ukraine.
04:34 - Elle a été en mode confinement.
04:35 - Voilà exactement.
04:36 C'est vraiment étonnant quand on relit ça parce qu'au jour le jour on ne s'en rend
04:39 pas compte.
04:40 C'est vrai qu'en regardant dans le rétroviseur, c'est vrai que ce n'est pas facile pour les
04:44 jeunes.
04:45 On a toujours tendance à leur faire peser beaucoup de choses sur les épaules, une grande
04:49 responsabilité.
04:50 Mais avec tout ce qu'ils vivent et tout ce dont ils ont conscience, justement avec ce
04:54 monde qui est de plus en plus conscient de lui-même où on sait exactement comment les
04:57 gens vivent à l'autre bout de la planète, il n'y a plus d'enchantement.
05:01 Le monde est désenchanté complètement.
05:03 On sait ce qu'on peut devenir quand on a 10 milliards sur son compte.
05:06 On sait comment on vit quand on est chanteur, quand on est chanteuse, acteur.
05:10 Il n'y a plus rien à se créer.
05:11 - Vous le trouvez dur ce monde pour les jeunes ?
05:13 - Oui, c'est vrai, je le trouve très dur.
05:18 On a toujours tendance à penser que les nouvelles générations sont catastrophiques par rapport
05:22 à celles d'avant.
05:23 Je ne pense pas du tout, c'est toujours un peu la même chose.
05:27 C'est très dur pour Esther, cette espèce d'être tout le temps avec les écrans, avec
05:34 les sollicitations permanentes, avec les harcèlements en ligne, avec les harcèlements
05:38 à l'école.
05:39 Et de réussir à garder quand même une vision très positive, comme elle le fait des choses,
05:45 je trouve ça très agréable à observer.
05:47 - Ça, c'est une obsession aussi pour vous, de laisser une part d'optimisme, de positif
05:51 dans ce personnage ?
05:52 - Bien sûr, de toute façon, c'est elle.
05:54 Elle est comme ça.
05:55 C'est quelque chose de très rassurant aussi, de dire "moi, évidemment, je vieillis, le
06:00 temps passe, je m'effondre lentement comme le climat sur cette planète".
06:04 Mais ça fait toujours plaisir de voir que les jeunes, ou en tout cas elle, elle a envie
06:09 de prendre les problèmes à bras-le-corps.
06:11 Et ce n'est pas du tout déprimant, c'est très positif, je trouve, de rester en contact
06:17 comme ça avec les jeunes.
06:18 - Et puis, ça avait déjà commencé, mais c'est le rapport aux garçons aussi, en grandissant,
06:22 le rapport au genre aussi, aux questions de genre que vous installez dans la salle de
06:26 classe, parce qu'elles y sont.
06:27 Aujourd'hui, ça n'existait pas du tout, à ce point-là, il y a 20 ou 30 ans.
06:32 - Alors, est-ce que ça n'existait pas ?
06:33 Moi, j'ai l'impression que ça existait quand même un petit peu.
06:37 Mais les "Cahiers d'Ester", ce n'est pas non plus un journal intime.
06:40 Je ne raconte pas les secrets d'une jeune fille.
06:44 Toutes les histoires qu'elle me raconte, c'est des histoires qu'elle va raconter à ses parents,
06:48 par exemple.
06:49 Et moi, je les mets en bande dessinée.
06:50 C'est des histoires de rien et des histoires sans histoire, entre guillemets.
06:52 Et c'est vrai que toutes ces thématiques-là, de la recherche de qui on est, de qui on aime,
06:57 de pourquoi on aime, de pourquoi on déteste, etc., ça arrive forcément dans la bande,
07:01 dans la bande, justement.
07:02 - Est-ce qu'il y a un âge que vous avez trouvé plus intéressant qu'un autre ?
07:05 - Je crois que non, pas spécialement.
07:08 Les 17 ans, là, enfin, je ne dis pas ça parce que c'est le livre d'aujourd'hui, mais le
07:14 fait qu'elles grandissent comme ça, c'est comme, j'ai l'impression que c'est la somme
07:18 de tous les autres albums, quelque part.
07:20 On se dit que c'est marrant.
07:21 Par exemple, vous disiez tout à l'heure que c'était publié dans l'Obs.
07:25 Moi, j'avais une sorte de rêve secret qui était qu'avec le temps, elles deviennent
07:30 de droite, par exemple.
07:31 J'aurais bien aimé suivre un personnage comme ça.
07:34 Et c'est marrant de voir comment les expériences qu'elle a vécues et comment la façon dont
07:38 elle a envisagé les rapports avec les autres, ça en construit l'individu qu'elle est dans
07:41 sa façon de juger le monde ou d'avoir des valeurs, etc.
07:45 C'est très gratifiant, je trouve, et positif de voir un individu comme ça qui devient.
07:52 Et vous n'avez pas eu d'appel du Figaro ?
07:54 Non, mais je n'ai aucun a priori.
07:59 J'aurais bien aimé justement suivre.
08:00 C'est ce que je fais.
08:01 Vous le faites avec le grand frère.
08:03 Le grand frère, tout à fait, qui est complètement de droite et qui est très gentil aussi, d'ailleurs.
08:07 Un mot des piliers aussi, la famille qui est toujours là, cette relation particulière
08:12 aux parents et puis Cassandre, le pilier absolu de la vie d'Esther, sa copine Cassandre.
08:17 Et c'est marrant parce que je n'aurais pas pensé que ce personnage, qui la suit depuis
08:21 la primaire, depuis le premier album, prendrait autant d'ampleur dans les albums.
08:26 Et c'est marrant parce que c'est aussi une ode à l'amitié, parce qu'elles sont restées
08:31 copines pendant toutes ces années, elles arrivent au bout de leur parcours scolaire.
08:35 Elles sont toutes les deux de milieux sociaux très différents et il y a quelque chose
08:40 de très émouvant, je trouve.
08:41 - Qui vous fait le plus de réflexion, les jeunes ou les parents ?
08:43 - Vous voulez dire sur Esther ? Je crois que c'est les jeunes.
08:48 Et c'est marrant parce que c'est une bande dessinée qui n'a pas été pensée du tout
08:51 pour les jeunes au départ, c'était pour adultes en fait.
08:53 Il y a de plus en plus d'ados qui se sont mis à lire maintenant, la majorité c'est
08:56 des ados.
08:57 - L'histoire de mes 17 ans, les cahiers d'Esther, c'est le 8ème tome déjà et il vous reste
09:01 moins de 10 minutes pour Parcoursup, donc on va vous laisser filer à Riad Satouf.
09:05 Merci infiniment d'être repassé.