Qui n’a pas déjà entendu parler des Stradivarius ? Ces instruments, souvent des violons, sont devenus de véritables légendes et comptent dans les instruments les plus chers du monde. Objet musical, historique mais aussi spéculatif, les Stradivarius fascinent : mais qu’ont-ils de si particulier ?
00:13 Ces instruments, souvent des violons, ont plus de 300 ans.
00:17 Et ils doivent leur nom à leur luthier, Antonio Stradivari.
00:21 On se dit tous les jours, on ouvre la boîte et on se dit qu'on a un chef-d'oeuvre dans la boîte,
00:26 tel une oeuvre d'art de, je sais pas, Léonard de Vinci ou quelque chose comme ça.
00:31 Un chef-d'oeuvre avec un vernis brillant, une sonorité exceptionnelle et un prix tout aussi exceptionnel.
00:37 2 millions de dollars.
00:38 3 millions de 100 euros.
00:40 En 2011, un violon Stradivarius a été vendu 15,89 millions de dollars.
00:46 C'est l'un des instruments les plus chers du monde.
00:49 100 !
00:50 Alors qu'est-ce qui explique toute cette folie autour des Stradivarius ?
00:55 Antoine Tamestit joue sur celui que l'on appelle le Mahler.
00:59 Tous les Stradivarius ont leur petit nom.
01:01 Le Mahler est l'un des rares altos fabriqués par Stradivari.
01:07 Et pour le musicien, il est bien plus qu'un instrument.
01:10 On va sur scène à deux, en duo.
01:14 Et ça, c'est quelque chose qui a changé à partir du moment où je l'ai eu entre les mains.
01:18 Mais que j'aime beaucoup comme philosophie, parce que, bon,
01:21 déjà, je ne suis pas tout seul.
01:24 Et puis, c'est intéressant de se dire qu'on a chacun la moitié du travail à faire.
01:28 J'ai eu l'impression que l'instrument me donnait des informations
01:34 et me disait "non, tu ne peux pas jouer comme ça"
01:37 ou "oui, va plutôt dans cette direction-là, allonge l'archet".
01:41 Et petit à petit, j'ai eu l'impression que l'instrument m'apprenait à jouer.
01:50 Alors forcément, moi, je n'ai pas voulu laisser partir ma musicalité et mes idées musicales.
01:57 Mais j'ai l'impression qu'on s'est retrouvés à mi-chemin
02:00 et qu'on a fait tous les deux des compromis l'un vers l'autre.
02:03 Alors vous voyez, j'en parle presque comme d'une personne.
02:06 Je pense que ce n'est pas loin.
02:08 En tout cas, en musique, on entre dans une relation très intime avec son instrument.
02:12 Antoine Tamestit joue désormais sur le Mahler, mais l'instrument ne lui appartient pas.
02:18 Au prix d'achat d'un Stradivarius, peu de musiciens peuvent se permettre d'en posséder un.
02:22 Le Mahler est un prêt de la fondation Abyss Reutinger,
02:25 qui a contacté Antoine Tamestit en 2008 pour lui proposer de jouer avec l'alto.
02:30 Il a alors fait l'expérience du son Stradivarius.
02:34 J'ai été assez transporté par un son qui avait l'air habité par beaucoup d'histoires.
02:46 Je me disais que je posais l'archet, mais qu'on avait l'impression que cette note avait déjà été jouée,
02:53 avait déjà vibré avant.
02:55 Mais la valeur du Stradivarius n'est pas seulement justifiée par sa sonorité.
03:04 Contrairement à d'autres très bons instruments, les Stradivarius sont entrés dans la culture populaire.
03:10 Ils entrent dans le dictionnaire, on en parle dans des romans, au cinéma.
03:14 On l'appelle le violon rouge.
03:17 Et les mystères de sa fabrication déchaînent l'imagination.
03:21 Une question revient sans cesse, Stradivarius avait-il un secret ?
03:26 Il faut retourner au XVIIe siècle en Italie pour comprendre comment sont fabriqués ces chefs-d'œuvre.
03:32 Antonio Stradivarius naît dans les années 1640 à Crémone.
03:36 C'est déjà une ville reconnue pour sa tradition de la lutherie.
03:39 Depuis le milieu du XVIe siècle environ, il y a une grande famille de luthiers, la famille Amati.
03:46 Stradivarius est formé par Niccolò Amati, puis il ouvre son propre atelier et il fait évoluer les techniques de la lutherie.
03:53 Ce qu'apporte Stradivarius, il faut se mettre prêt pour le voir.
03:57 Ce sont des variations subtiles dans les rapports de proportion de la caisse,
04:02 la longueur par rapport aux différentes largeurs, et surtout peut-être le modelé des voûtes.
04:08 En effet, la table d'harmonie et le do ne sont pas plates, comme sur une guitare par exemple,
04:14 mais sont voûtées dans un violon.
04:16 La forme et le dessin de cette voûte a une très grande importance sur le fonctionnement vibratoire, acoustique et donc sonore du violon.
04:34 Pour fabriquer ce Stradivarius, le luthier utilise différents types de bois.
04:39 L'épicéa pour la table d'harmonie, l'érable pour les parties extérieures.
04:43 Le dos, les éclisses qui sont les côtés de la caisse, le manche et la tête sont faits en érable.
04:50 Il utilise aussi le peuplier, comme pour le Mahler.
04:53 Le peuplier est un bois plus mou, qui a priori renforcerait les sonorités graves, ou en tout cas les sonorités chaudes.
05:02 Voilà peut-être la raison pour laquelle Stradivari a employé ce peuplier,
05:07 qui donne quand on le tourne comme ça un petit peu des reflets, comme s'il y avait une flamme qui partait d'en bas.
05:15 Une flamme révélée par le vernis inventé par Stradivari.
05:19 Un vernis qui fait tout le mystère des Stradivarius.
05:23 Une sorte d'ambre, je trouve qu'on dirait un miel doré.
05:28 Le maître luthier n'a laissé aucune recette sur sa composition.
05:31 Mais les scientifiques se sont largement penchés sur la question.
05:34 La chimie, la chimie analytique notamment, et la microscopie sont entrées dans le jeu.
05:40 Jean-Philippe Echard a coordonné une enquête sur le vernis des Stradivarius.
05:43 Les chercheurs ont identifié les composés qui constituent le vernis de cinq instruments,
05:47 ce qui permet de décomposer le processus de fabrication.
05:51 Première étape, Stradivari pose une fine couche d'huile de lin ou de noix sur le bois.
05:56 Ensuite, cette couche d'huile est recouverte d'un vernis pigmenté.
06:00 Le vernis est constitué de cette huile de lin, mais cette fois-ci mélangé à une résine, une résine de pin.
06:06 Pour incorporer l'un et l'autre, il faut chauffer à une température assez forte.
06:10 C'est là où intervient l'idée de la recette.
06:12 La particularité peut-être de Stradivarius, c'est qu'à cette seconde couche, il ajoutait des pigments,
06:20 donc des petites particules colorées qui viennent de savoir faire de la peinture.
06:24 Stradivari utilise différents types de pigments, comme le vermillon ou encore le pigment de cochenille.
06:30 La cochenille, c'est ce petit insecte broyé qui donne une couleur rouge.
06:34 Et là, il y a un phénomène optique particulier qui rend le vernis chargé de pigments de cochenille
06:42 à la fois intensément coloré d'un rouge profond qui tend parfois vers le violacé, un peu comme certains vins rouges,
06:49 et qui laisse le vernis être transparent et ne le transforme pas en peinture.
06:54 Et c'est là où peut-être résiderait un secret.
06:57 Dans le jeu avec les propriétés de ces vernis colorés, cela voudrait dire que le secret résiderait dans un aspect purement visuel.
07:05 En plus d'avoir une valeur musicale et historique, les Stradivarius sont donc des objets esthétiques.
07:11 Il en reste aujourd'hui près de 700 sur le millier fabriqués par Stradivari.
07:16 350 ans après sa fabrication, Antoine Tamestit a ramené le malheur à Crémone.
07:22 Il a joué dans l'ancien atelier du luthier, une expérience quasi mystique.
07:27 Je me suis dit qu'il était là et en jouant, j'ai vraiment eu beaucoup d'émotions et les larmes aux yeux.
07:33 Et je me suis dit, c'est vraiment un magicien.
07:35 Mais à la fin, j'ai eu cette impression bizarre que s'il avait été là, on aurait discuté de manière très simple de lutherie et de musique.
07:44 Et il m'aurait dit, il faut peut-être régler la corde de dos.
07:47 Parce qu'à mon avis, c'est un génie bien sûr, mais c'était aussi un artisan, comme il en existe aujourd'hui des talentueux et comme il en a existé pendant 400 ans.