Meurtre de Marie Trintignant : «Bertrand Cantat est encore protégé aujourd'hui», regrette Anne-Sophie Jahn

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Anne-Sophie Jahn, journaliste et auteure du livre "Desir Noir" aux éditions Flammarion, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. 20 ans après la mort de Marie Trintignant, elle mène l’enquête sur une tragédie que l’on n’appelait pas encore féminicide.
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Transcript
00:00 - Europe 1 matin.
00:02 - 7h11 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin la journaliste Anne-Sophie Jeanne.
00:07 - Bonjour Anne-Sophie Jeanne. - Bonjour.
00:08 - Bienvenue sur Europe 1, vous êtes journaliste au point il y a presque 20 ans,
00:12 juillet 2003, une époque où on ne parlait pas encore de féminicide.
00:15 Marie Trintignant tombe dans le coma après des coups violents assénés par le chanteur Bertrand Cantat.
00:21 Rapatriée en France, elle décède quelques jours plus tard à l'hôpital.
00:23 Cette affaire, elle a marqué les Français.
00:25 Vous lui avez consacré un livre, il s'appelle "Désir noir".
00:28 Ça paraît demain chez Flammarion.
00:30 Qui a-t-il encore, Anne-Sophie Jeanne, dans ce drame de la mort de Marie Trintignant
00:35 qui est judiciairement clos depuis une décennie.
00:38 Bertrand Cantat est sorti de prison en 2011.
00:40 Qui a-t-il encore à raconter ? Pourquoi ce livre ?
00:43 - D'abord, l'affaire Cantat, c'est l'affaire du plus grand féminicide français,
00:49 le plus emblématique depuis 20 ans.
00:51 Donc, même si finalement dans les faits, c'est un féminicide comme un autre,
00:57 on pourra en reparler, c'est l'affaire la plus emblématique.
01:00 Et elle symbolise, elle cristallise tout ce qui est tout notre échec
01:06 autour de ces questions en tant que société.
01:10 C'est-à-dire qu'il y a quand même un chiffre qui est absolument ahurissant.
01:15 80% des auteurs des féminicides avaient déjà été signalés.
01:21 C'est-à-dire que c'est un scandale français.
01:24 Et cette affaire, elle permet de raconter ce scandale.
01:27 - Oui, parce que vous dites finalement qu'il y a une sorte de banalité tragique
01:30 dans cette affaire-là qui ne se signale pas finalement
01:32 par rapport à d'autres drames du même genre.
01:35 Toutes ces femmes, toutes ces anonymes qui tombent sous les coups de leurs compagnons.
01:38 Et vous refaites le film des événements jusqu'à ce soir de colère fatale à Vignes.
01:43 Et vous dites, la mort de Marie Trintignant, finalement,
01:45 c'est l'aboutissement d'une dérive de Bertrand Cantat
01:48 qu'il était impossible de ne pas voir.
01:50 Qui n'a pas vu Anne Sophie Jeanne ?
01:53 - D'abord, il a bénéficié de complicités.
01:58 Vraiment, j'ai pas peur du mot, c'est des complicités.
02:00 - C'est une accusation grave.
02:01 - Oui, mais de la part de son entourage, de son milieu aussi,
02:06 de sa famille politique ou en tout cas de gens qui partageaient ses idées.
02:11 Comme s'ils partageaient des idées, ça permettait d'excuser,
02:15 de tuer une femme à coups de poing et d'être quand même
02:18 probablement responsable de la mort d'une deuxième victime en plus.
02:21 Parce qu'on connaît l'affaire Marie Trintignant.
02:23 On a parlé évidemment, mais on ne parle pas de celle de Christina Raddy
02:28 qui, pour le coup, elle, n'a pas été jugée.
02:30 - Christina Raddy qui était la compagne de Bertrand Cantat.
02:32 - La femme, exactement.
02:34 La femme qui était restée à ses côtés jusqu'au bout,
02:36 qu'il a défendue et qui s'est suicidée.
02:39 Et qui a été aussi, alors elle, à la fois victime et complice,
02:43 mais qui a menti pour lui.
02:45 Donc, cette affaire, finalement, elle n'a jamais été réellement résolue.
02:50 - Alors, vous dites, Bertrand Cantat va faire une tentative de suicide aussi,
02:55 ou plutôt met en scène une tentative de suicide.
02:58 C'est ce que vous racontez, ça fait partie des révélations aussi de votre livre.
03:01 Si on peut en dire un mot peut-être, Anne-Sophie Jeanne.
03:05 - Oui, c'est-à-dire que c'est comme beaucoup d'ailleurs de cas de féminicide classique.
03:10 C'est-à-dire que c'est là où ce qui est intéressant,
03:12 c'est que cette histoire, elle a été racontée comme un mythe un peu de superstars,
03:18 hyper belles, des icônes, qui se battent pour leurs idées,
03:22 qui sont hyper entières, pures, etc.
03:24 de Marie Trintignant et Bertrand Cantat.
03:26 - Une passion amoureuse extrême.
03:28 - Exactement, la passion.
03:29 Alors, on parle évidemment tout de suite de crimes passionnels,
03:31 ce qui n'a en plus aucune réalité juridique.
03:34 - Vous dites qu'on a voulu voir une part de romantisme, finalement, dans ce crime.
03:38 - Absolument, c'est-à-dire que ça a été romantisé.
03:40 Et dans la manière, donc, quand on relit la presse de l'époque,
03:44 on est sidérés, on est absolument choqués.
03:46 Parce que d'abord, ils sont représentés comme étant co-responsables, finalement.
03:50 C'est-à-dire que c'est "Oh, ils avaient bu, ils se sont battus,
03:54 et puis Marie Trintignant, quel terrible accident, elle est morte."
03:59 Il y a une histoire aussi qui est restée, c'est-à-dire que moi, je l'ai vue à titre personnel.
04:03 - Anne-Sophie Jeanne, justement, ce que vous racontez,
04:05 c'est-à-dire en fait, il y a des communicants qui vont bâtir une histoire
04:08 que les médias vont gober, ou bien c'est plus subtil que ça ?
04:10 Vous dites, il y a une indulgence spontanée des médias,
04:13 une sorte de complaisance au nom de la transgression rock'n'roll.
04:16 Bertrand Cantat est un garçon extrême parce que c'est un rockeur.
04:19 Et bon, finalement, voilà, c'est tragique, mais ce n'est pas plus grave que ça.
04:23 - Il y a deux fronts, si je peux dire.
04:25 C'est-à-dire que d'un côté, Bertrand Cantat lui-même et son entourage
04:28 ont une communication qui est digne des plus grosses boîtes du CAC 40.
04:31 C'est-à-dire qu'ils se mobilisent, ils discréditent déjà la victime.
04:38 C'est-à-dire qu'ils commencent à faire circuler une histoire,
04:40 de toute manière, donc elle buvait, elle fumait des joints.
04:44 Je cite quand même son frère, elle était bonne pour baiser.
04:47 Donc, comme si ça expliquait le meurtre à coups de poing d'une femme.
04:51 - Le frère de Bertrand Cantat. - Le frère de Bertrand Cantat, exactement.
04:54 Donc, on est en Afghanistan, chez les talibans.
04:57 C'est-à-dire qu'une femme n'est pas vierge, elle peut être tout à fait assassinée.
05:02 C'est quand même complète. Alors, elle, ce n'est pas un assassinat,
05:04 mais elle mérite la peine de mort.
05:06 Donc, il y a déjà ce front qui ne parle qu'à des médias qui sont complaisants,
05:12 qui s'organisent, qui fait front et qui ment, collectivement.
05:16 C'est pour ça que j'avais parlé du terme "Omerta",
05:18 parce que c'est une décision collective de mentir,
05:20 pour couvrir des violences passées.
05:24 Donc, ça, c'est le premier front.
05:25 Ensuite, du côté de la société et des médias, etc.,
05:29 cette affaire est complètement romanticisée.
05:33 - C'est la dimension politique, finalement, de ce programme-là.
05:36 - Exactement, parce que Bertrand Cantat appartient au camp du bien,
05:39 parce que c'est un homme de gauche qui se bat pour des idées, etc.
05:42 Et donc, les féministes, on ne les entend pas.
05:45 Les politiques, finalement, oui, il y a certaines indignations, etc.
05:51 Mais quand même, il est protégé.
05:53 Il est protégé à ce moment-là, il est protégé quand il sort de prison
05:57 et il est protégé encore aujourd'hui.
05:59 C'est ça qui est complètement fou.
06:00 - La question que vous posez, c'est est-ce qu'on imaginerait
06:03 un tel dénouement, une telle mensuétude pour Bertrand Cantat,
06:07 aujourd'hui, après, évidemment,
06:08 enfin voilà, on voit que le thème des féministes s'est imposé
06:11 comme un thème de société majeure.
06:12 C'est le combat du quinquennat aussi, voulu par Emmanuel Macron,
06:16 au nom de l'égalité entre les femmes et les hommes.
06:18 Comment ça se passerait aujourd'hui ?
06:19 C'est difficile à évaluer, Anne-Sophie Jeanne, mais on imagine.
06:22 - C'est assez facile à évaluer, parce que finalement, d'un point de vue juridique,
06:25 d'abord, entre-temps, il y a une loi qui est passée,
06:27 la loi pour le suicide forcé, en fait,
06:30 qui, dans le cas de la mort de Christine Aradie,
06:33 donc qui est la deuxième affaire Cantat,
06:34 en réalité, derrière l'affaire Marie-Ettring-Tignan,
06:36 là, il aurait peut-être été condamné,
06:39 et donc, il aurait peut-être été renvoyé en prison,
06:41 parce qu'il était en plus en conditionnel à l'époque de la mort de sa femme,
06:45 qui est morte dans des conditions très troubles,
06:47 et qui maintenant, s'est avérée, a été battue.
06:49 Et d'un point de vue médiatique, etc.,
06:52 j'aimerais vous dire que les temps ont changé,
06:53 en partie, les temps ont changé, mais pas tant que ça,
06:55 parce que vous savez, dans le cadre de mon enquête,
06:58 j'ai essayé de contacter, je ne sais pas, Caroline Dehasse,
07:01 Cécile Duflo, etc.,
07:02 qui tweetent, quand même, du matin au soir,
07:04 sur les violences conjugales,
07:06 "frapper une femme, c'est mal", etc.,
07:08 mais, là, elles n'ont pas pris le temps de répondre,
07:11 enfin, elles n'ont pas trouvé le temps,
07:12 comme si ce n'était pas, finalement, un combat aussi essentiel.
07:14 - Cécile Duflo était l'épouse de Xavier Cantat,
07:16 le frère de Bertrand Cantat.
07:17 - Absolument, mais ce n'est pas une raison
07:18 pour ne pas dénoncer un féminicide,
07:20 surtout quand ça fait partie des grands combats de sa vie,
07:24 soi-disant, en tout cas, là, il n'y avait personne,
07:27 et quand on a été, d'ailleurs, attaqué avec le point
07:29 pour diffamation par Bertrand Cantat,
07:31 on n'a bénéficié d'absolument aucun soutien de féministes non plus.
07:33 Donc, finalement, les temps ont-ils changés ?
07:36 Pas vraiment.
07:37 - Merci Anne-Sophie Jeanne d'être venue nous voir ce matin sur Europe 1.
07:40 Je montre sur europe1.fr la couverture de votre livre
07:43 qui s'appelle "Désir noir",
07:45 ça paraît demain chez Flammarion.
07:47 Merci d'être venue nous voir ce matin.
07:48 - Merci. - Bonne journée à vous.

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