Universel terrestre

  • il y a 9 ans
Nous avons dévoilé la dernière fois que l’uniformisation qui a cours partout est le résultat d’un vieux fantasme idéaliste, techniciste, productiviste et universaliste, qui nous pousse à toujours vouloir faire correspondre – à moindre frais, pour le plus grand confort et la plus grande facilité possible – le monde ici et maintenant au monde idéal, tel qu’il nous apparaît dans notre pensée abstraite.

Aussi avons-nous tendance à confondre l’universel et l’uniforme : l’universel, de l’ordre de la pure raison logique ; et l’uniforme, de l’ordre de la simple productivité et efficacité économique. Si toutes les choses, des objets d’usage jusqu’aux idées, en passant par les désirs, les plaisirs et les craintes, ont tendance à devenir partout les mêmes, c’est qu’elles proviennent du même fantasme universaliste, qui provient lui-même de la même vision idéaliste née en Grèce, pour finalement s’imposer partout.

Vision du monde qui nous pousse à écraser la sensibilité en général au profit de la vue sensible et du logos : l’énoncé, la proposition logique, rationnelle en tant que forme fondamentale de la pensée. Rapport au monde qui nous empêche de nous ouvrir à toute expérience sans l’objectiver, la fixer dans nos catégories de raison. Aussi sommes-nous – inconsciemment, mécaniquement – toujours en train d’obstruer les possibilités de vies autres que celle préalablement inscrites dans notre pensée.

Comme nous sommes désormais dans le monde entier presque tous rivés sur les mêmes idées universelles abstraites – celles d’un monde parfaitement beau, parfaitement agréable et non problématique –, nous nous arrachons toujours davantage de la terre. Nous négligeons, ignorons et écartons de plus en plus les traces de cet autre universel qui, loin de relever de la seule raison logique ou de la productivité économique, découle de la foisonnante et concrète sensibilité esthétique (aisthèsis).

Un universel qui ne repose pas sur une idée suprasensible, un sens logique transcendant, mais sur un bon sens immanent : sur toute une cohérence sensible, résolument terrestre. Bon sens et cohérence sensibles, terrestres, dont le sens logico-rationnel transcendant n’est tout compte fait qu’une réduction, qu’une abstraction, somme toute dénuée de tout fondement dans la vie.

Au lieu de toujours réfléchir, cerner, objectiver, mesurer, manipuler les choses, il s’agit, pour résister à l’uniformisation, de valoriser cet autre universel, résolument terrestre. Nous avons déjà indiqué comment : en faisant travailler partout le divers de la complexité esthétique et en refusant de se lover dans les catégories binaires de la raison logique. Il s’agit de faire travailler partout le divers comme ressource, l’accompagner productivement pour ressourcer notre pensée et vie sclérosées.

Non pas avec des gants et des lunettes idéalistes, mais à l’aide de chacun de nos sens : chacun de nos cinq sens déterminés par les physiologistes, plus tous les autres, plus subtiles, qui...

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