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Du 8 mai 1945 au 13 mai 1948, la création de l'État d'Israël résulte du jeu cynique des grandes puissances d'après-guerre mais également du désir de l'URSS d'affirmer sa présence au Moyen-Orient. De l'influence de la diplomatie stalinienne à la marginalisation des victimes de la Shoah, les idées reçues sont balayées...
Pour en débattre Jean-Pierre Gratien reçoit les historiens : Caterina Bandini, Thomas Vescovi et Dominique Vidal.
LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.
Pour en débattre Jean-Pierre Gratien reçoit les historiens : Caterina Bandini, Thomas Vescovi et Dominique Vidal.
LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.
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00:00:00 Générique
00:00:02 ...
00:00:15 -Bienvenue à tous dans "Débat doc".
00:00:18 La postérité considère souvent la création de l'Etat d'Israël
00:00:21 comme la conséquence directe de la Shoah.
00:00:24 Mais sa naissance après-guerre
00:00:26 résulterait plutôt du jeu des grandes puissances
00:00:30 et du désir de l'URSS d'affirmer sa présence au Moyen-Orient.
00:00:33 Tel est, en tout cas, le point de vue
00:00:36 défendu par le documentaire qui va suivre,
00:00:38 "Israël, merci Moscou",
00:00:40 réalisé par Philippe Saada
00:00:43 et tiré de la série "Les coulisses de l'histoire".
00:00:46 Je vous laisse le découvrir et je vous retrouverai juste après,
00:00:49 en compagnie de l'historien Thomas Vescovy,
00:00:52 du journaliste et historien Dominique Vidal
00:00:55 et de la sociologue et chercheuse Katerina Bandini.
00:00:58 Avec eux, nous nous interrogerons sur le contexte
00:01:01 dans lequel a été créé en Palestine l'Etat d'Israël.
00:01:05 Bon doc.
00:01:07 Musique intrigante
00:01:09 -L'histoire n'est pas une science exacte.
00:01:12 Elle n'est jamais gravée dans le marbre.
00:01:15 Musique intrigante
00:01:17 ...
00:01:24 Au fil du temps, la connaissance du passé s'affine et évolue.
00:01:29 ...
00:01:36 Mais les idées reçues ont la peau dure
00:01:39 et les a priori restent tenaces.
00:01:42 ...
00:01:58 Pour saisir les vérités du monde,
00:02:00 il faut parfois bousculer les certitudes
00:02:03 et décrypter les faits en proposant un autre regard.
00:02:07 ...
00:02:20 Musique intrigante
00:02:23 La postérité a fait de la création d'Israël
00:02:27 la conséquence directe de la Shoah.
00:02:29 Et pourtant.
00:02:32 ...
00:02:46 8 mai 1945.
00:02:48 L'Allemagne gît désormais sous les gravats,
00:02:51 écrasée par l'ampleur de ses crimes.
00:02:53 ...
00:02:58 Auschwitz, Birkenau, Sobibor, Treblinka.
00:03:03 La liste des atrocités commises est immense.
00:03:05 ...
00:03:08 6 millions de Juifs ont été exterminés
00:03:10 dans la plus grande brutalité.
00:03:12 ...
00:03:15 Restent les rescapés de cette tragédie.
00:03:18 ...
00:03:22 Ils ont survécu à la déportation, aux marches de la mort.
00:03:26 ...
00:03:30 Ils ont tout perdu et n'ont nulle part où aller.
00:03:33 ...
00:03:35 Leur destin dépend désormais des grands vainqueurs du conflit.
00:03:39 ...
00:03:41 Mais en cet immédiat après-guerre,
00:03:43 donner une patrie aux Juifs n'est pas la priorité.
00:03:46 ...
00:03:51 ...
00:04:03 ...
00:04:07 Pour l'heure, les Alliés écroulent sous d'innombrables défis.
00:04:11 ...
00:04:13 L'urgence est de rétablir les voies de communication,
00:04:16 gérer la masse de prisonniers allemands.
00:04:18 ...
00:04:20 Et surtout, rapatrier les dizaines de millions de personnes
00:04:24 déplacées par le conflit.
00:04:25 ...
00:04:27 La logistique fait des prouesses.
00:04:30 En quelques mois, déportés, résistants,
00:04:33 travailleurs forcés, civils ayant fui les combats
00:04:36 et soldats démobilisés,
00:04:38 retrouvent leur foyer.
00:04:39 ...
00:04:45 D'autres n'ont pas cette chance.
00:04:48 ...
00:04:53 A l'automne 1945,
00:04:55 près de 70 000 survivants de l'Holocauste
00:04:57 attendent toujours que le monde trouve une issue à leur sort.
00:05:01 ...
00:05:03 Regroupés dans les camps de personnes déplacées,
00:05:06 ils sont originaires de Pologne, d'Ukraine ou de Hongrie
00:05:09 et refusent de retourner sur ces terres de sang
00:05:12 qui ont concentré tant de massacres.
00:05:15 Beaucoup cherchent à immigrer pour refaire leur vie.
00:05:18 Mais les terres d'asile se font rares
00:05:21 et même la Palestine, le berceau de leurs ancêtres,
00:05:24 refuse de leur ouvrir les bras.
00:05:26 Et pour cause, les Anglais, qui gouvernent le territoire,
00:05:30 s'opposent à leur venue.
00:05:32 ...
00:05:37 La raison ? Carrefour stratégique,
00:05:40 la Palestine est le centre névralgique
00:05:43 de l'Empire britannique au Moyen-Orient.
00:05:45 ...
00:05:47 Située à deux pas du canal de Suez,
00:05:49 c'est à Haïfa qu'aboutit le Léoduc,
00:05:51 qui transporte le précieux pétrole irakien.
00:05:54 Et en Irak, comme en Transjordanie et en Égypte,
00:05:58 règne des monarques que Londres tient à ménager.
00:06:01 Son influence dans la région en dépend.
00:06:05 ...
00:06:09 Aussi, après avoir favorisé l'immigration juive,
00:06:12 les Anglais ont promis aux Arabes
00:06:14 de limiter les visas à 1 250 par mois.
00:06:18 ...
00:06:23 Présents sur le territoire depuis des temps immémoriaux,
00:06:26 les Palestiniens, chrétiens comme musulmans,
00:06:29 considèrent les Juifs comme des envahisseurs, des colons.
00:06:33 ...
00:06:35 Pour eux, le sort tragique des rescapés de la Shoah
00:06:39 ne peut servir de prétexte à l'invasion de leur pays.
00:06:42 ...
00:06:54 A l'inverse, pour les 500 000 Juifs déjà installés en Palestine,
00:06:59 la venue massive des survivants de l'Holocauste
00:07:02 est d'une importance capitale.
00:07:04 ...
00:07:08 Entrepreneurs et bâtisseurs,
00:07:10 depuis l'installation des premiers pionniers,
00:07:12 ils n'ont cessé de prospérer.
00:07:14 ...
00:07:16 Leurs exploitations agricoles,
00:07:18 les fameux kiboutz, arrachés au désert,
00:07:21 se sont multipliés.
00:07:22 ...
00:07:24 En quelques années, la ville de Tel Aviv
00:07:26 est devenue une métropole moderne de 200 000 habitants.
00:07:30 ...
00:07:35 Sionistes de la première heure,
00:07:37 ils aspirent maintenant à fonder un Etat,
00:07:40 aussi vaste qu'autant des rois David et Salomon.
00:07:43 ...
00:07:45 Autrement dit, bien que minoritaire,
00:07:47 ils revendiquent la Palestine tout entière.
00:07:50 ...
00:07:55 Toutefois, cette ambition se heurte à un problème de taille.
00:07:58 ...
00:08:00 La population arabe leur est deux fois supérieure.
00:08:03 ...
00:08:04 Et l'extermination des Juifs d'Europe
00:08:06 les a privés du principal foyer des migrants
00:08:08 sur lequel ils comptaient pour la supplanter.
00:08:11 ...
00:08:15 Alors, tant que les Britanniques restreignent
00:08:18 les conditions d'émigration,
00:08:20 leur projet d'Etat est voué à l'échec.
00:08:23 ...
00:08:29 Un homme refuse cette fatalité,
00:08:32 David Ben Gourian.
00:08:33 ...
00:08:35 A la tête de l'agence juive,
00:08:36 véritable embryon de gouvernement,
00:08:38 toute sa vie est tournée vers un seul but,
00:08:41 une seule idée, une seule passion.
00:08:43 Donner un Etat à son peuple
00:08:46 pour que les Juifs aient enfin une terre à eux.
00:08:49 ...
00:08:54 Le 16 octobre 1945,
00:08:56 lors d'une visite en Allemagne,
00:08:58 le représentant des Juifs de Palestine passe à l'action.
00:09:02 ...
00:09:17 Applaudissements
00:09:31 Pragmatique, il sait que les rescapés
00:09:33 sont un levier pour la cause sioniste
00:09:35 et il est prêt à tout pour peupler son futur Etat.
00:09:38 ...
00:09:43 Bientôt, les camps de personnes déplacées
00:09:45 se transforment en centres de recrutement.
00:09:48 ...
00:09:51 Pour préparer les candidats au départ,
00:09:53 les militants sionistes dispensent, aux plus jeunes,
00:09:56 des cours d'hébreu.
00:09:57 ...
00:10:01 Ou encore d'histoire et de géographie.
00:10:03 ...
00:10:08 Les adultes, eux, sont initiés au rudiment de l'agriculture.
00:10:12 ...
00:10:14 Pour tous, l'apprentissage des chants et des danses folkloriques
00:10:17 scelle une communauté de destin.
00:10:19 ...
00:10:21 Au fil des semaines,
00:10:22 le nombre de volontaires pour la terre promise s'accroît.
00:10:26 Reste à leur fournir des visas.
00:10:28 Ben Gurion compte bien les obtenir.
00:10:31 ...
00:10:33 ...
00:10:38 ...
00:10:41 Au printemps 1946,
00:10:43 le vieux leader mobilise l'opinion internationale.
00:10:46 ...
00:10:48 L'objectif est de dénoncer l'inflexibilité des Anglais.
00:10:52 ...
00:10:55 Pas moins de 100 000 visas sont exigés
00:10:57 pour tous les Juifs désireux d'immigrer.
00:11:00 ...
00:11:01 Tous les réseaux du monde juif sont activés.
00:11:04 En Europe et surtout aux Etats-Unis,
00:11:07 le plus fidèle allié de la Grande-Bretagne.
00:11:09 ...
00:11:11 Le message des sionistes est clair.
00:11:13 ...
00:11:14 La politique migratoire britannique doit être combattue.
00:11:18 ...
00:11:21 ...
00:11:26 Forte d'une communauté juive de 5 millions de personnes,
00:11:30 la Fédération sioniste américaine
00:11:32 est la plus puissante, la plus active
00:11:35 et la plus riche du monde.
00:11:36 Comme Ben Gurion, ses partisans militent ardemment
00:11:40 pour la création d'un Etat hébreu,
00:11:42 à l'image de Naoum Goldman,
00:11:44 l'un des fondateurs du Congrès juif mondial.
00:11:47 ...
00:11:49 ...
00:12:02 ...
00:12:03 Mais aussi fort que soit l'argument,
00:12:05 la raison d'Etat n'a que faire de ces considérations.
00:12:08 ...
00:12:10 Pour George Marshall, le ministre des Affaires étrangères,
00:12:13 soutenir les sionistes,
00:12:15 c'est risquer de compromettre l'accès des Etats-Unis
00:12:18 au pétrole du Moyen-Orient.
00:12:20 ...
00:12:21 De plus, en cet immédiat après-guerre
00:12:24 où le communisme progresse,
00:12:25 il ne tient pas à se mettre à dos ses alliés anglais.
00:12:28 ...
00:12:32 Le président Harry Truman, lui, est partagé.
00:12:35 ...
00:12:36 Fervent chrétien, sa compassion pour les Juifs est sincère.
00:12:39 ...
00:12:40 Plus qu'aucun autre chef d'Etat,
00:12:42 il a été sensibilisé au drame de la Shoah.
00:12:45 ...
00:12:46 Malgré les réticences de ses conseillers,
00:12:49 il se déclare favorable aux 100 000 visas
00:12:51 réclamés par Ben Gurion.
00:12:53 ...
00:13:00 Piqués au vif,
00:13:01 les Anglais réagissent sans tarder.
00:13:04 ...
00:13:08 Ruinés par la guerre, le pays peine à se relever.
00:13:11 ...
00:13:14 Hier, puissance mondiale de premier plan,
00:13:16 l'Angleterre vit au rythme des restrictions et des pénuries.
00:13:20 ...
00:13:23 Elle n'a plus un sou en caisse
00:13:25 et ne survit que grâce à l'aide financière des Etats-Unis.
00:13:28 ...
00:13:32 Malgré cette dépendance,
00:13:34 Ernest Bevin, le ministre des Affaires étrangères,
00:13:37 n'entend pas que sa politique migratoire soit contestée.
00:13:40 ...
00:13:41 Outré par l'ingérence, il rétorque sèchement à Truman
00:13:45 d'accueillir lui-même les rescapés aux Etats-Unis.
00:13:48 ...
00:13:50 Très vite, la divergence entre les deux pays
00:13:53 fait le tour des chancelleries.
00:13:55 ...
00:13:57 Nikolai Novikov, un diplomate soviétique,
00:14:00 prévient le Kremlin.
00:14:01 ...
00:14:04 -La demande américaine d'autoriser 100 000 Juifs
00:14:07 à entrer en Palestine
00:14:08 pourrait miner les relations américano-britanniques.
00:14:12 ...
00:14:17 Joseph Stalin saisit la balle au bond.
00:14:20 ...
00:14:21 L'occasion est trop belle. Autant en profiter.
00:14:24 ...
00:14:27 Creuser le différent entre les deux pays
00:14:29 pourrait déstabiliser l'Angleterre
00:14:31 et lui ouvrir les portes du Moyen-Orient,
00:14:34 une région dont l'Union soviétique a toujours été écartée.
00:14:38 ...
00:14:40 Rusé, il avance sépiant.
00:14:42 ...
00:14:45 Du jour au lendemain, Moscou autorise les Juifs
00:14:47 des pays occupés par l'armée rouge à franchir les frontières.
00:14:51 ...
00:14:54 En Pologne comme en Bulgarie, en Tchécoslovaquie
00:14:57 comme en Roumanie, un fleuve humain se met en marche.
00:15:01 ...
00:15:05 Pressé de fuir l'antisémitisme qui continue à sévir
00:15:08 ces pays, des milliers de familles vont se mettre
00:15:11 sous la protection des Alliés.
00:15:12 Direction, l'Allemagne et ses camps de personnes déplacées.
00:15:17 ...
00:15:20 Très vite, britanniques et américains
00:15:22 croulent sous le poids des réfugiés.
00:15:24 ...
00:15:25 David Wall, un sioniste américain, se réjouit.
00:15:28 ...
00:15:31 -Le gouvernement soviétique a fait passer de 70 000 à 250 000
00:15:35 le nombre de personnes déplacées.
00:15:37 Cette population est d'une valeur inestimable
00:15:41 pour accroître l'immigration juive en Palestine.
00:15:44 ...
00:15:50 Pendant ce temps, aux quatre coins de l'Europe,
00:15:52 les filières d'immigration clandestine se multiplient.
00:15:55 ...
00:15:58 Des centaines de Juifs, pressés de rejoindre la terre promise,
00:16:01 se lancent dans l'aventure.
00:16:03 ...
00:16:08 Dans les Balkans, des passeurs envoyés par Ben Gurion
00:16:11 sont là pour les encadrer.
00:16:13 ...
00:16:19 Un parcours harassant à travers les pistes
00:16:22 et les routes de montagne,
00:16:23 avant de gagner les petits ports discrets de la Méditerranée.
00:16:27 ...
00:16:38 Entassés sur des navires de fortune,
00:16:40 malgré les conditions déplorables,
00:16:42 les immigrants savourent la fin de leur errance,
00:16:45 le matin d'une nouvelle vie.
00:16:48 ...
00:16:53 Un répit de courte durée.
00:16:55 ...
00:17:07 Dans la majorité des cas,
00:17:09 à l'approche des côtes palestiniennes,
00:17:11 ils sont arraisonnés par la Royal Navy.
00:17:13 ...
00:17:20 -Les soldats anglais, dont j'aurais embrassé les pieds
00:17:23 quand je m'avais libéré en Allemagne,
00:17:25 se frayaient un chemin sur notre bateau avec des matraques.
00:17:28 ...
00:17:33 -Prisonniers des Anglais,
00:17:34 les passagers sont alors conduits sous bonne garde dans un camp,
00:17:38 à Atlit, près de Haïfa.
00:17:40 ...
00:17:44 Pour eux, le paradis promis se transforme en enfer.
00:17:48 ...
00:17:53 Londres reste de marbre.
00:17:55 Et Ernest Bevin avertit...
00:17:57 ...
00:17:59 que les Juifs d'Europe ne mettent pas trop en avant
00:18:02 leur situation raciale.
00:18:04 S'ils cherchent à forcer le passage en jouant des coudes,
00:18:07 qu'ils ne s'étonnent pas d'un regain d'antisémitisme
00:18:10 à travers l'Europe.
00:18:11 ...
00:18:13 ...
00:18:17 C'est l'étincelle qui met le feu aux poudres.
00:18:21 ...
00:18:25 -Ulcéré, les Juifs de Palestine entrent en rébellion.
00:18:29 Hier pacifique,
00:18:31 des civils se métamorphosent en combattants.
00:18:34 ...
00:18:38 Dans la clandestinité, ils se frottent au métier des armes.
00:18:42 ...
00:18:45 L'heure de la soumission est passée.
00:18:47 Il est temps de montrer
00:18:50 que les Juifs ne se plieront plus aux dictates des Anglais.
00:18:53 ...
00:18:54 Explosion
00:18:56 ...
00:19:01 ...
00:19:10 ...
00:19:16 ...
00:19:18 ...
00:19:23 ...
00:19:25 -Une bombe a détruit le Golf Club.
00:19:27 L'attentat a fait 14 morts et de nombreux blessés.
00:19:30 Le pays de Moïse ne connaît plus d'autre loi que celle de la violence.
00:19:34 ...
00:19:40 -À l'été 1946,
00:19:42 une vague d'attentats sans précédent cible les intérêts britanniques.
00:19:46 ...
00:19:49 Infrastructures pétrolières, installations militaires,
00:19:53 voies de communication,
00:19:56 tout saute.
00:19:57 ...
00:20:03 Explosion
00:20:06 ...
00:20:07 Le 22 juillet, un nouveau seuil est franchi.
00:20:10 ...
00:20:15 À Jérusalem, un commando frappe le siège
00:20:17 de l'administration britannique.
00:20:19 La puissance mandataire est touchée en plein coeur.
00:20:23 ...
00:20:27 Dans les décombres de l'hôtel King David,
00:20:29 91 morts et plus de 40 blessés.
00:20:32 ...
00:20:37 Au total, près de 250 soldats de Sa Majesté
00:20:41 perdent la vie cet été-là.
00:20:43 ...
00:20:48 Explosion
00:20:50 La répression qui s'abat est sans pitié.
00:20:53 ...
00:20:57 Rue par rue, maison par maison,
00:20:59 les coupables réels ou présumés sont traqués.
00:21:03 ...
00:21:09 Plus de 3 000 sympathisants sont emprisonnés.
00:21:13 Le noyau dur du mouvement sioniste est décapité.
00:21:16 ...
00:21:22 ...
00:21:31 ...
00:21:36 Face au flot incessant de clandestins,
00:21:38 les Britanniques redoublent de sévérité.
00:21:41 ...
00:21:43 Pour les malheureux qui ont entrepris la traversée,
00:21:46 le contact avec la terre promise
00:21:48 se limite à quelques minutes sur le quai.
00:21:51 ...
00:21:55 Transférés sur des bateaux-cages,
00:21:57 dans des conditions indignes,
00:21:59 ils sont désormais déportés vers Chypre,
00:22:02 où un immense camp de détention
00:22:04 vient d'être construit spécialement pour eux.
00:22:07 ...
00:22:17 Après avoir échappé à l'horreur des Canazies,
00:22:20 ils se retrouvent de nouveau derrière des barbelés,
00:22:23 entourés de miradors et de gardiens armés.
00:22:26 ...
00:22:34 En enfermant des Juifs après tout ce qu'ils ont subi,
00:22:37 la Grande-Bretagne montre à quel point
00:22:39 elle est déterminée à ne pas céder.
00:22:41 ...
00:22:48 Musique intrigante
00:22:51 ...
00:22:53 Pour sortir de l'impasse,
00:22:55 Ben Gurion abat alors son joker.
00:22:57 ...
00:23:01 Afin de rendre le projet sioniste plus acceptable,
00:23:04 il renonce à l'idée de revendiquer la Palestine entière
00:23:07 pour n'en réclamer qu'une partie.
00:23:09 ...
00:23:14 Libres aux Arabes désireux de s'émanciper,
00:23:17 de créer leur Etat sur l'autre.
00:23:19 ...
00:23:23 La manoeuvre ne passe pas inaperçue.
00:23:26 Jamal Housseini, au nom de la communauté arabe,
00:23:29 proteste.
00:23:30 ...
00:23:47 Musique intrigante
00:23:50 -Les Américains, eux, saluent cette concession.
00:23:54 Le 4 octobre 1946,
00:23:58 pour la première fois,
00:23:59 Harry Truman se prononce en faveur d'un Etat juif
00:24:02 sur une portion du territoire palestinien.
00:24:05 ...
00:24:08 Pour l'Angleterre, c'est un coup de poignard dans le dos.
00:24:11 Lâché par les Américains,
00:24:14 sous la pression des Arabes,
00:24:16 aux prises avec le terrorisme sioniste,
00:24:19 sa tutelle sur la Palestine relève de la mission impossible.
00:24:22 ...
00:24:24 D'autant que le bourbier palestinien a mauvaise presse.
00:24:28 Il mobilise 100 000 soldats,
00:24:30 alors que la guerre est finie depuis deux ans.
00:24:33 De plus, il engloutit des sommes considérables,
00:24:37 un luxe que la couronne ne peut plus s'offrir.
00:24:40 ...
00:24:44 Le 17 février 1947,
00:24:46 lors d'une séance aux communes,
00:24:48 Bévine jette l'éponge.
00:24:50 ...
00:24:51 La mort dans l'âme, il annonce devoir porter la question
00:24:54 devant la toute jeune organisation des Nations unies.
00:24:58 ...
00:25:01 Les Arabes de Palestine viennent de perdre leur protecteur.
00:25:05 ...
00:25:07 Musique de suspens
00:25:10 A Moscou, Staline jubile.
00:25:13 ...
00:25:15 La question des réfugiés a tenu ses promesses.
00:25:18 Le front anglo-américain est rompu,
00:25:21 le mandat britannique est à l'agonie,
00:25:23 et grâce au soutien de ses pays frères,
00:25:26 l'URSS est en position de force
00:25:29 pour peser sur les débats à l'ONU.
00:25:31 ...
00:25:34 La stratégie de Staline pour prendre pied au Moyen-Orient
00:25:38 prend forme.
00:25:39 ...
00:25:51 Deux mois plus tard, à New York,
00:25:53 les représentants d'une cinquantaine de pays
00:25:56 entrent en scène.
00:25:57 -Un nombre de 55 nations.
00:26:00 ...
00:26:02 -C'est une expérience grave pour les Nations unies.
00:26:05 -A l'ordre du jour de cette session extraordinaire,
00:26:08 trouver une issue politique au conflit qui déchire la Palestine
00:26:12 en satisfaisant les deux communautés.
00:26:14 Deux camps qui ne partent pas à égalité.
00:26:18 Côté sioniste, deux talentueux lieutenants de Ben Gurion.
00:26:22 Abba Eban, qui parle anglais avec l'accent de Cambridge.
00:26:25 ...
00:26:27 Et Moshe Charette, un brillant orateur.
00:26:30 ...
00:26:33 Surtout, les deux hommes bénéficient d'un atout.
00:26:36 Le mouvement sioniste a déjà rallié à sa cause
00:26:39 la plupart des pays démocratiques.
00:26:41 ...
00:26:43 En face, Jamal Housseini, au nom du Haut Comité arabe,
00:26:47 est bien seul pour défendre les intérêts des Palestiniens.
00:26:50 ...
00:26:54 La grande inconnue reste la position de l'Union soviétique.
00:26:57 Chacun s'interroge.
00:26:59 Moscou a toujours combattu l'idéologie sioniste.
00:27:03 Ses partisans sont systématiquement envoyés au goulag,
00:27:07 voire assassinés.
00:27:09 Mais Staline n'en est pas à une contradiction près.
00:27:13 Le 14 mai 1947,
00:27:16 Andrei Gromyko, son délégué, met fin au suspense.
00:27:20 ...
00:27:34 A la surprise générale,
00:27:36 l'URSS se déclare favorable à l'existence d'un Etat hébreu.
00:27:41 Abba Ibn Sidiri.
00:27:44 ...
00:27:46 -Une telle prise de position constituait pour nous
00:27:49 une aubaine inouïe.
00:27:51 En un instant, toutes nos prévisions,
00:27:53 tous nos calculs sur l'issue de la discussion aux Nations unies
00:27:57 se trouvaient bouleversés.
00:27:59 -Le monde arabe fait grise mine,
00:28:02 mais la partie n'est pas encore perdue.
00:28:05 Pour dégager un compromis,
00:28:07 une commission d'enquête est formée.
00:28:09 A sa tête, Emil Sandström, un diplomate suédois.
00:28:14 Sa mission ? Sillonner la Palestine,
00:28:17 auditionner les deux parties
00:28:19 et trouver une solution pour Jérusalem et les lieux saints.
00:28:23 ...
00:28:43 ...
00:28:45 A l'été, Emil Sandström, flanqué de 11 délégués,
00:28:48 débarque en Terre sainte, sous un soleil de plomb.
00:28:51 ...
00:28:55 Hormis quelques notables,
00:28:57 les autorités arabes refusent de coopérer.
00:28:59 La Palestine est leur terre,
00:29:02 nul besoin de constater l'évidence.
00:29:05 ...
00:29:07 Boycottés, les membres de la commission
00:29:09 sont privés de contact avec la population.
00:29:12 Ils se contentent de traverser les villages
00:29:15 en relevant leurs dénuments.
00:29:16 ...
00:29:21 Les Juifs, en revanche,
00:29:23 leur réservent un accueil enthousiaste.
00:29:25 ...
00:29:32 Ben Gurion a tout mis en oeuvre pour éblouir ses visiteurs.
00:29:36 ...
00:29:38 Chant, danse, rien ne leur est épargné.
00:29:41 ...
00:29:42 Une véritable tournée de propagande prend place.
00:29:45 ...
00:29:51 A l'honneur, les plus belles réalisations du sionisme.
00:29:54 ...
00:29:57 Son industrie naissante.
00:29:59 ...
00:30:03 Ses implantations agricoles prospèrent.
00:30:05 ...
00:30:11 Son système scolaire performant.
00:30:13 ...
00:30:19 Toutefois,
00:30:20 entre deux spectacles et une visite de kibbutz,
00:30:24 la commission constate l'omniprésence
00:30:26 de l'appareil répressif britannique.
00:30:28 Partout, des barbelés, des checkpoints,
00:30:32 des barrages.
00:30:33 ...
00:30:36 Le délégué guatemaltèque décrira un véritable état policier.
00:30:40 ...
00:30:42 Exploitant la présence de la commission onusienne,
00:30:45 l'agence juive monte alors de toutes pièces
00:30:47 une opération qui va marquer les esprits.
00:30:50 ...
00:30:56 Le 12 juillet 1947,
00:30:59 un vieux rafiot rebaptisé Exodus appareille en Méditerranée.
00:31:03 ...
00:31:04 A son bord, 4 500 rescapés de l'Holocauste,
00:31:08 encadrés par des militants prêts à en découdre.
00:31:11 ...
00:31:12 Pour Ben Gurion,
00:31:13 l'objectif n'est pas de faire entrer les clandestins
00:31:16 sur le territoire,
00:31:17 mais d'instrumentaliser leur refoulement.
00:31:20 ...
00:31:21 Un calcul qui va s'avérer payant.
00:31:24 ...
00:31:25 Au large de Gaza, le navire est repéré par les Anglais.
00:31:28 ...
00:31:30 Les soldats montent à bord. Un affrontement éclate.
00:31:33 ...
00:31:34 Bilan, 3 morts et 28 blessés parmi les passagers.
00:31:38 ...
00:31:41 L'Exodus en charpie est remorqué jusqu'au port de Haïfa.
00:31:45 ...
00:31:51 Alertés, Emil Sandström et ses collègues
00:31:54 assistent aux premières loges à un spectacle révoltant.
00:31:57 ...
00:31:59 Sous leurs yeux,
00:32:00 les passagers sont transférés dans des bateaux-cages
00:32:03 avant d'être reconduits en Allemagne,
00:32:06 le pays de leurs bourreaux.
00:32:08 ...
00:32:11 ...
00:32:20 Les images qui font le tour du monde
00:32:23 ébranlent la conscience de l'Occident.
00:32:25 ...
00:32:29 De retour à New York, la commission livre ses conclusions.
00:32:33 ...
00:32:38 Sa recommandation ?
00:32:40 Mettre un terme aux mandats des Britanniques.
00:32:43 ...
00:32:44 Partager la Palestine en deux Etats indépendants,
00:32:47 l'un juif, l'autre arabe.
00:32:49 ...
00:32:50 Et faire de Jérusalem, la ville trois fois sainte,
00:32:53 une zone internationale.
00:32:55 ...
00:32:57 En un instant, le ciel du monde arabe s'assombrit.
00:33:01 ...
00:33:04 La Transjordanie, l'Egypte, la Syrie et l'Irak
00:33:08 menacent d'une intervention militaire
00:33:10 si le partage est voté.
00:33:12 ...
00:33:18 Du Kher à Bagdad et de Amman à Damas,
00:33:21 la Russe enflamme et réclame la guerre.
00:33:24 ...
00:33:31 En Palestine, des milices s'organisent.
00:33:34 ...
00:33:36 Les armes sortent des cachettes.
00:33:38 ...
00:33:41 La possibilité d'un soulèvement du monde arabe
00:33:43 est dans tous les esprits.
00:33:45 ...
00:33:46 Une aubaine pour Staline,
00:33:48 qui mise sur cette agitation pour déstabiliser la région.
00:33:51 ...
00:33:54 A Washington, la méfiance est de mise.
00:33:56 George Marshall s'inquiète.
00:33:58 ...
00:34:01 Le Moyen-Orient est une zone d'endigment du communisme
00:34:04 et le rapprochement inattendu entre sionistes et soviétiques
00:34:07 risque de le livrer à l'influence de Moscou.
00:34:09 ...
00:34:12 ...
00:34:16 Côté sioniste,
00:34:17 la bataille d'influence redouble d'intensité.
00:34:20 ...
00:34:25 Aux quatre coins du pays,
00:34:26 défilés, parades et manifestations se multiplient
00:34:29 sous la houlette du rabbin Abba Silver,
00:34:32 l'un des chefs de file de cette mobilisation.
00:34:35 ...
00:34:39 -Palestine is the land of Israel.
00:34:41 It is the historic home of the Jewish people
00:34:44 where it produced the Bible.
00:34:46 ...
00:34:48 -Harry Truman est harcelé jour et nuit.
00:34:50 Il écrit...
00:34:51 ...
00:34:53 "Les principaux meneurs sionistes
00:34:55 "exerçaient toutes sortes de pressions sur moi
00:34:57 "pour engager le pouvoir au service de leurs aspirations.
00:35:01 "Je n'ai jamais été l'objet
00:35:03 "d'une campagne de propagande aussi virulente."
00:35:05 ...
00:35:10 Le 11 octobre 1947,
00:35:13 l'Amérique annonce officiellement qu'elle se prononcera
00:35:16 en faveur du partage de la Palestine en deux États.
00:35:19 ...
00:35:21 Dans la foulée,
00:35:22 les Nations du Monde Libre lui emboîtent le pas.
00:35:25 ...
00:35:27 Ravie de mettre un clou dans le cercueil du mandat britannique,
00:35:30 l'URSS, suivie de ses pays frères,
00:35:33 se rallie elle aussi à la partition.
00:35:35 ...
00:35:38 Quand soudain,
00:35:39 à quelques jours du vote,
00:35:42 la délégation sioniste constate
00:35:44 qu'il lui manque encore quelques voix pour l'emporter.
00:35:47 ...
00:35:50 Par crainte de laisser la part belle aux communistes,
00:35:52 les États-Unis s'empressent de montrer
00:35:55 qu'ils ont eux aussi les moyens de faire pencher la balance.
00:35:58 Aussitôt,
00:35:59 diplomates et hommes d'affaires américains
00:36:01 sont mis à contribution.
00:36:03 ...
00:36:04 Monsieur Firestone, l'empereur du pneu en caoutchouc,
00:36:08 est prié de coopérer.
00:36:10 L'industriel est menacé.
00:36:12 ...
00:36:14 Sinon, nous vous boycotterons
00:36:16 et vos plantations d'EVA pourriront sur place
00:36:19 pour le plus grand malheur du Libéria.
00:36:21 ...
00:36:23 Monsieur Firestone se charge de convaincre les autorités libériennes.
00:36:27 ...
00:36:32 Des pressions analogues ont également raison des Philippines
00:36:35 et de Haïti.
00:36:36 ...
00:36:38 Pays pauvres, dépendant des subsides de Washington,
00:36:41 le dollar va les rallier à la position de leur bienfaiteur.
00:36:44 ...
00:36:48 *Bruit de feu
00:36:50 Le 29 novembre 1947,
00:36:53 la Palestine a rendez-vous avec son destin.
00:36:56 -We will proceed the whole call.
00:36:59 Argentina,
00:37:01 abstention.
00:37:02 Australia,
00:37:05 yes.
00:37:07 France,
00:37:08 yes.
00:37:10 Ukraine,
00:37:12 yes.
00:37:13 Soviet Union,
00:37:14 yes.
00:37:16 United Kingdom,
00:37:18 abstain.
00:37:20 United States,
00:37:22 yes.
00:37:23 -En quelques minutes, l'avenir du territoire est scellé.
00:37:27 ...
00:37:29 -The resolution
00:37:31 of the DAC committee for Palestine
00:37:35 was adopted by 33 votes,
00:37:38 13 against, 10 abstention.
00:37:41 ...
00:37:48 -A l'annonce du résultat, les Juifs exultent.
00:37:52 Après 2 000 ans d'attente, ils touchent au but.
00:37:56 Dans quelques mois, leur état verra le jour.
00:37:59 ...
00:38:00 Pourtant, David Ben Gurion est moins optimiste.
00:38:03 Il écrit dans son journal...
00:38:06 ...
00:38:13 ...
00:38:15 Côté arabe, un immense sentiment d'injustice prévaut.
00:38:19 Amin al-Husseini,
00:38:21 le chef du mouvement national palestinien, proclame...
00:38:25 -Nous lutterons,
00:38:26 nous nous battrons contre le partage du pays.
00:38:29 Nous n'accepterons aucun compromis.
00:38:32 ...
00:38:37 -A Jérusalem, des troubles éclatent.
00:38:39 ...
00:38:42 Une manifestation dégénère en émeute.
00:38:44 ...
00:38:47 Les commerces israélites sont vandalisés.
00:38:49 ...
00:38:51 Sept Juifs sont tués ce jour-là.
00:38:53 ...
00:38:58 Des milliers de Palestiniens prennent le maquis.
00:39:01 Les localités juives sont harcelées.
00:39:03 ...
00:39:04 Bientôt, les tirs isolés évoluent en bataille rangée.
00:39:08 ...
00:39:12 En dépit de ses séances de yoga quotidiennes,
00:39:14 David Ben Gurion demeure anxieux.
00:39:16 ...
00:39:18 Certes, le soutien de Moscou a ouvert la voie à un État hébreu,
00:39:23 mais sa survie est déjà menacée.
00:39:25 ...
00:39:30 Les Etats arabes s'apprêtent à attaquer
00:39:32 dès que le dernier soldat anglais sera parti.
00:39:35 Ils ont des chars, des avions.
00:39:38 ...
00:39:39 Ben Gurion, lui, en est dépourvu.
00:39:41 ...
00:39:43 Sa modeste armée, équipée pour la guérilla,
00:39:46 ne fera pas le poids.
00:39:47 ...
00:39:49 Il lui faut des armes, et vite.
00:39:51 ...
00:39:52 Une fois de plus, c'est Staline qui lui offre une planche de salut.
00:39:56 ...
00:40:02 Et, août d'avril, le meilleur agent du Mossad
00:40:05 s'envole pour la Tchécoslovaquie.
00:40:07 ...
00:40:11 Avec une économie en piteux état, en manque cruelle de devises
00:40:15 et sous la pression du Kremlin,
00:40:17 le pays va se révéler un fournisseur de premiers choix.
00:40:20 ...
00:40:25 Arrivé à Prague,
00:40:26 et août d'avril, est reçu comme un prince.
00:40:28 ...
00:40:31 Les Tchèques lui proposent d'acquérir un véritable arsenal.
00:40:35 A commencer par un stock de fusils Mauser,
00:40:38 dont, ironie de l'histoire, une bonne partie confisquée aux nazis.
00:40:42 ...
00:40:44 Mieux, les surplus de l'usine d'armement Skoda
00:40:47 sont mis à sa disposition.
00:40:49 ...
00:40:55 C'est une femme qui est chargée de trouver les fonds
00:40:57 pour régler la facture.
00:40:59 Golda Mare, une proche de Ben Gurion.
00:41:02 ...
00:41:04 Les seuls donateurs potentiels sont les 5 millions de Juifs américains
00:41:08 déjà largement mis à contribution.
00:41:10 Mais elle sait trouver les mots qui incitent à donner.
00:41:13 ...
00:41:14 ...
00:41:35 ...
00:41:39 Durant deux mois, elle va écumer les Etats-Unis.
00:41:42 ...
00:41:45 De Los Angeles à San Francisco et de New York à Chicago,
00:41:49 les meetings, les galas, les tombolas se succèdent
00:41:52 et l'argent coule à flot.
00:41:53 ...
00:42:01 Résultat, au lieu de la somme escomptée,
00:42:04 elle en récolte le double,
00:42:05 50 millions de dollars qui filent directement en Tchécoslovaquie.
00:42:10 ...
00:42:12 Mise en caisse à Prague, les armes transitent par la Hongrie
00:42:16 avant d'être embarquées sur des cargos en Yougoslavie.
00:42:19 ...
00:42:20 Trois démocraties populaires
00:42:22 qui se sont pliées aux exigences du Kremlin.
00:42:25 ...
00:42:28 Le 3 avril 1948,
00:42:30 une première livraison d'armes arrive en Palestine,
00:42:33 enfouie sous une montagne d'oignons.
00:42:35 ...
00:42:36 L'armée de Ben Gurion s'en empare.
00:42:39 Elles vont changer la donne du tout autour.
00:42:41 ...
00:42:48 Le 14 mai 1948,
00:42:50 après trois décennies de domination,
00:42:52 le dernier carré des forces britanniques
00:42:55 quitte la Palestine en Katimini.
00:42:57 ...
00:42:58 Libérés de leur fardeau,
00:43:00 les soldats de Sa Majesté tirent leur révérence,
00:43:03 visiblement soulagés.
00:43:04 ...
00:43:06 Pressés de partir,
00:43:08 le commentateur officiel ne s'attarde pas.
00:43:10 ...
00:43:24 La Palestine mandataire a vécu.
00:43:26 ...
00:43:30 Ce même 14 mai 1948,
00:43:33 à 16h,
00:43:34 David Ben Gurion proclame la naissance de l'Etat hébreu.
00:43:38 ...
00:43:42 -Au-delà de notre histoire,
00:43:46 nous avons un Etat hébreu
00:43:49 qui est un État jésuite,
00:43:51 qui est un État jésuite
00:43:54 qui est un État jésuite
00:43:56 qui est un État jésuit
00:43:58 qui est un État jésuit
00:44:01 ...
00:44:07 -Il omettra toutefois de saluer le rôle décisif
00:44:10 joué par les Soviétiques dans cette création.
00:44:13 ...
00:44:16 ...
00:44:21 Explosion
00:44:23 ...
00:44:26 Le lendemain, dès l'aube,
00:44:28 les forces arabes déferlent sur le territoire de l'Etat nouveau né.
00:44:31 ...
00:44:37 Un combat sans merci s'engage.
00:44:39 Mais grâce aux armes fournies par les Tchèques,
00:44:42 l'armée israélienne est prête à soutenir le choc.
00:44:45 ...
00:44:47 Elle dispose désormais de l'équipement nécessaire
00:44:49 pour défendre ses frontières et repousser ses assaillants.
00:44:52 ...
00:44:55 Au cours de la progression de ses troupes,
00:44:58 les villages arabes sont pris un à un.
00:45:00 ...
00:45:02 Fuyant les combats,
00:45:03 beaucoup se sont déjà vidés de leurs habitants.
00:45:06 Ceux qui sont restés
00:45:08 sont chassés par la violence ou l'intimidation.
00:45:11 ...
00:45:18 Puis, c'est au tour des grandes villes.
00:45:21 À Jaffa ou à Lod, les Arabes sont expulsés.
00:45:24 ...
00:45:28 Contraints d'abandonner leur foyer,
00:45:30 plusieurs centaines de milliers de Palestiniens,
00:45:33 hommes, femmes et enfants, prennent le chemin de l'exil.
00:45:36 ...
00:45:44 Au même moment,
00:45:46 les rescapés qui croupissaient dans les camps
00:45:48 arrivent massivement dans leur nouveau pays.
00:45:51 ...
00:45:55 Les premiers sont les détenus de Chypre.
00:45:58 Pour eux, le rêve de la Terre promise s'accomplit enfin.
00:46:02 ...
00:46:13 Dès leur descente de bateau, ils deviennent citoyens israéliens.
00:46:17 ...
00:46:24 Les hommes en âge de combattre rejoignent les rangs de l'armée.
00:46:28 ...
00:46:30 Nombreux portent sur l'avant-bras le tatouage des déportés.
00:46:34 ...
00:46:35 Mais le nouvel État juif n'a que faire de leur douloureux passé.
00:46:39 ...
00:46:43 Après quelques jours d'entraînement,
00:46:45 les Israéliens sont envoyés au front pour défendre leur nouvelle patrie.
00:46:49 ...
00:46:51 Au cours de ce conflit,
00:46:53 une victime israélienne sur trois est un survivant du génocide.
00:46:57 ...
00:47:04 Cette guerre, le tout jeune État hébreu va pourtant la gagner haut la main.
00:47:09 ...
00:47:11 Il va même étendre son territoire au-delà des frontières fixées par l'ONU.
00:47:15 ...
00:47:17 Les villes de Nazareth ou de Saint-Jean-d'Acre,
00:47:20 que le plan de partage avait attribué aux Arabes, sont annexées.
00:47:23 ...
00:47:31 Une victoire militaire, mais aussi démographique.
00:47:34 ...
00:47:37 Les 750 000 Arabes expropriés,
00:47:40 désormais entassés dans les camps de Gaza et de Cisjordanie,
00:47:44 ne reviendront jamais.
00:47:46 ...
00:47:50 Leur droit au retour sera discuté à l'ONU,
00:47:53 mais Israël se refusera à les accueillir,
00:47:55 soutenu par Moscou, toujours solidaire,
00:47:58 qui imposera son veto.
00:48:00 ...
00:48:07 Ben Gurion écrira à Staline...
00:48:09 -Notre peuple n'oubliera jamais l'aide apportée par l'URSS.
00:48:14 Ni son soutien loyal à Israël
00:48:16 dans sa lutte pour l'indépendance,
00:48:18 dans son foyer historique.
00:48:20 ...
00:48:24 Musique de tension
00:48:26 ...
00:48:28 -Mais la lune de miel entre les deux pays ne va pas durer.
00:48:32 Car l'enthousiasme des Juifs soviétiques pour Israël
00:48:35 va très vite indisposer le Kremlin.
00:48:38 Staline y verra une menace
00:48:40 visant à les détourner de l'idéal communiste,
00:48:43 ciment inconditionnel de la mère patrie.
00:48:46 ...
00:48:49 Nommée ambassadrice à Moscou,
00:48:51 Goldamer assiste à la dégradation de cette alliance d'intérêts,
00:48:55 qui va s'éteindre peu à peu.
00:48:56 Elle dira...
00:48:58 -Dès janvier 1949,
00:49:01 les Juifs russes ont payé très cher leur trahison.
00:49:05 Cinq mois plus tard,
00:49:06 il ne restait plus une seule organisation juive en Russie.
00:49:10 ...
00:49:12 Aucun Juif soviétique ne sera autorisé à émigrer en Israël.
00:49:16 ...
00:49:22 Qu'importe.
00:49:23 Dès la première année de sa création,
00:49:26 près de 300 000 Juifs venus de toute l'Europe
00:49:29 vont affluer dans le pays.
00:49:30 ...
00:49:36 Parmi eux, la quasi-totalité de ceux
00:49:38 qui vivaient dans les camps de personnes déplacées.
00:49:41 ...
00:49:46 Mémoire vivante du génocide,
00:49:48 ils vont taire leurs souffrances
00:49:50 pour s'intégrer aux Israéliens de souche,
00:49:52 qui resteront sourds à leur tragédie.
00:49:54 ...
00:49:58 Un survivant du ghetto de Varsovie avoue...
00:50:02 -Ce qui nous sépare,
00:50:03 ce sont des océans de réflexion et d'expérience.
00:50:07 Ils ne pouvaient pas nous comprendre.
00:50:09 Ils ne parlaient pas notre langue, la langue des survivants.
00:50:12 ...
00:50:14 -Ainsi, l'Holocauste va longtemps rester l'affaire
00:50:17 des seuls rescapés.
00:50:19 ...
00:50:26 Depuis, le temps a passé.
00:50:28 ...
00:50:30 La Shoah est aujourd'hui au coeur de l'identité israélienne.
00:50:33 Elle est devenue l'affaire du pays tout entier.
00:50:37 ...
00:50:40 Une fois par an, le jour du souvenir,
00:50:43 tout s'arrête.
00:50:44 ...
00:50:46 En mémoire de ces martyrs,
00:50:47 le pays se fige dans le silence et le recueillement.
00:50:51 ...
00:50:57 ...
00:51:02 Depuis quelques années, les femmes rescapées
00:51:05 sont mises à l'honneur dans un concours de beauté.
00:51:08 ...
00:51:11 Destinées à célébrer la vie,
00:51:13 le titre de Miss survivante de la Shoah couronne la gagnante.
00:51:17 ...
00:51:26 La tragédie des Juifs d'Europe légitime désormais
00:51:29 si fort l'existence de l'Etat hébreu
00:51:31 que le monde a oublié que sa création a été avant tout
00:51:34 le fruit du jeu cynique des grandes puissances.
00:51:37 ...
00:51:39 En réalité, les cendres d'Auschwitz
00:51:42 n'ont pas pesé lourd dans la naissance d'Israël.
00:51:45 ...
00:51:49 Musique intrigante
00:51:52 -La postérité considère souvent la création de l'Etat d'Israël
00:51:55 comme la conséquence directe de la Shoah,
00:51:58 mais sa naissance après-guerre
00:52:00 résulterait plutôt du jeu des grandes puissances
00:52:02 et du désir de l'URSS d'affirmer sa présence au Moyen-Orient.
00:52:06 Tel était en tout cas le point de vue défendu à l'instant
00:52:09 par ce documentaire réalisé par Philippe Sahada
00:52:12 et tiré de la série "Les coulisses de l'histoire".
00:52:15 Nous allons en débattre maintenant,
00:52:17 après ce film, en compagnie de nos invités
00:52:19 présents aujourd'hui sur ce plateau de débats d'octobre.
00:52:23 Thomas Vescovy, tout d'abord.
00:52:25 Bienvenue. Vous êtes historien,
00:52:26 chercheur en histoire contemporaine, spécialiste d'Israël
00:52:30 et des territoires palestiniens occupés.
00:52:32 Vous êtes l'auteur, entre autres, de "L'échec d'une utopie,
00:52:35 une histoire des gauches en Israël".
00:52:38 C'est un ouvrage publié aux éditions "La Découverte".
00:52:42 Dominique Vidal est également avec nous.
00:52:44 Bienvenue, Dominique Vidal.
00:52:46 Vous êtes journaliste, historien,
00:52:48 passée notamment par "Le Monde diplomatique",
00:52:50 spécialiste de la question palestinienne,
00:52:53 avec Bertrand Baddy, de "L'Etat du monde",
00:52:56 publication annuelle,
00:52:57 disponible aux éditions "La Découverte"
00:53:00 et bien connue de tous les amateurs de géopolitique.
00:53:03 Parmi vos ouvrages, je citerai celui-ci,
00:53:06 en lien direct avec le film que nous venons de voir,
00:53:09 "Israël, naissance d'un Etat",
00:53:11 1896-1949,
00:53:14 publié aux éditions "L'Armatan".
00:53:17 Et puis, enfin, avec nous, Katerina Bandini.
00:53:20 Bienvenue à vous.
00:53:21 Vous êtes docteure en sociologie
00:53:23 de l'Ecole des hautes études en sciences sociales
00:53:26 et chercheuse associée au Centre de recherche français
00:53:29 à Jérusalem.
00:53:30 Vos travaux portent sur l'engagement militant
00:53:33 et les mouvements sociaux, sur le militantisme religieux
00:53:36 et sur les rapports coloniaux entre Israël et la Palestine.
00:53:41 Merci d'avoir accepté notre invitation
00:53:43 pour cette émission "Débat d'oct".
00:53:45 On va revenir dans un instant
00:53:47 sur ce qui est défendu
00:53:50 dans ce film que nous venons de voir.
00:53:52 D'une part, la création d'Etat d'Israël
00:53:55 ne serait pas la conséquence directe de la Shoah.
00:53:59 C'est vrai que c'est souvent ce que beaucoup pensent aujourd'hui.
00:54:02 Et puis, d'autre part, l'Etat d'Israël,
00:54:05 sa création devrait beaucoup, beaucoup
00:54:08 à l'URSS au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
00:54:11 Mais pour commencer, je vous propose
00:54:14 tout d'abord d'aborder le sujet du sionisme
00:54:16 en parlant peut-être de choses
00:54:18 que nous n'avons pas vues dans ce film,
00:54:21 car il faut revenir bien avant la fin de la Seconde Guerre mondiale.
00:54:24 Le sionisme, ce mouvement qui a vu le jour en 1897,
00:54:28 à l'initiative notamment de Théodore Hells,
00:54:32 qui était un libéral plutôt proche de la grande bourgeoisie.
00:54:37 Le sionisme fait référence à la colline de Sion,
00:54:41 de Jérusalem, où fut érigée la citadelle de David.
00:54:47 Et parallèlement,
00:54:49 il y a eu cette administration de la Palestine
00:54:52 confiée dès 1917.
00:54:54 Nous sommes dans la désintégration
00:54:58 de l'Empire ottoman.
00:55:00 Administration britannique en 1917,
00:55:04 ça sera même un mandat britannique à partir de 1922.
00:55:08 Et le fait majeur, dont on ne parle peut-être pas beaucoup
00:55:11 dans ce documentaire, c'est l'accord Balfour.
00:55:14 Justement, en 1917,
00:55:17 où les Britanniques acceptent l'établissement
00:55:19 d'un foyer national juif en Palestine.
00:55:23 Autrement dit,
00:55:25 les Britanniques étaient d'ores et déjà d'accord
00:55:30 pour installer un foyer juif en Palestine,
00:55:34 et ce, dès 1917.
00:55:35 -Les Britanniques vont jouer un jeu un peu trouble,
00:55:39 puisqu'ils vont promettre, deux ans avant la déclaration Balfour,
00:55:44 la même chose aux populations arabes,
00:55:46 une indépendance si jamais on les laisse accéder
00:55:49 au Proche-Orient, à Jérusalem.
00:55:51 Mais ensuite, le jeu va être encore plus d'équilibriste,
00:55:54 puisque d'un côté, ils vont être mis sous pression
00:55:57 par le mensionniste qui revendique de les laisser,
00:56:00 notamment, entrer les immigrés juifs en Palestine,
00:56:03 et en même temps, les nationalistes arabes
00:56:06 et les Palestiniens veulent considérer
00:56:08 qu'ils doivent avoir la totalité de l'Etat
00:56:11 pour former leur pays indépendant.
00:56:13 Après la Seconde Guerre mondiale,
00:56:15 les Britanniques vont être pris entre deux feux
00:56:18 et ils vont avoir la tentation, il est vrai,
00:56:20 de limiter les vérités du mensionniste,
00:56:23 mais concrètement, ils vont davantage arbitrer
00:56:25 en faveur des sionistes plutôt que des Arabes palestiniens.
00:56:29 -Les sionistes du début du siècle dernier
00:56:31 sont d'accord sur un objectif,
00:56:33 c'est créer un Etat juif en terre palestinienne.
00:56:36 Mais pour le reste, ils semblent assez divisés.
00:56:39 Il y a déjà divers courants dans ce mouvement.
00:56:43 Et à partir de 1920,
00:56:46 c'est plutôt la gauche, les sionistes de gauche,
00:56:49 qui prennent la direction de ce mouvement,
00:56:52 dont seraient issus Ben Gurion, Goldheimer et bien d'autres.
00:56:55 -C'est une très longue histoire,
00:56:57 c'est ça qu'il faut avoir en tête.
00:56:59 On ne peut pas comprendre la création d'Israël
00:57:02 simplement en regardant ce qui se passe après-guerre.
00:57:05 Il y a trois éléments essentiels.
00:57:07 D'abord, la tête d'un homme qui s'appelle Théodore Herzl
00:57:10 et qui se trouve, par hasard,
00:57:12 correspondant à Paris, de son journal autrichien.
00:57:15 -Il est journaliste. -Il est journaliste.
00:57:17 -Hongrois. -Hongrois. D'origine.
00:57:19 Mais élevé en Autriche.
00:57:21 Et donc, ce Herzl se trouve
00:57:24 dans la cour de l'école militaire
00:57:27 le jour où on dégrade le capitaine Dreyfus.
00:57:30 Donc, il en déduit, à tort ou à raison,
00:57:33 mais en tout cas, c'est sa réflexion,
00:57:35 que les Juifs ne sont pas assimilables,
00:57:38 où que ce soit, même en France,
00:57:40 qui, avec la Révolution, a donné
00:57:43 une émancipation sans précédent aux Juifs.
00:57:46 -Et puis, il y a ces pogroms organisés...
00:57:49 -En Russie. -...dans l'Empire russe
00:57:51 tout au long du 19e siècle.
00:57:53 -Notamment en 1881, 82, 83,
00:57:55 ce qui fait qu'on est chez Herzl dans quelque chose de prenant.
00:57:59 -D'où cette idée de créer cet Etat juif.
00:58:01 -L'idée, c'est de permettre aux Juifs d'avoir,
00:58:04 comme les autres peuples, un Etat qui leur soit propre.
00:58:07 Deuxième élément, vous l'avez très bien dit,
00:58:10 c'est le jeu des grandes puissances.
00:58:12 D'abord, les Britanniques,
00:58:14 et ensuite, effectivement, les Américains et les Soviétiques.
00:58:17 Mais là, on est dans une longue histoire,
00:58:20 et je crois qu'on ne peut pas comprendre Israël
00:58:23 sans parler de Londres.
00:58:25 C'est à Londres que la décision a été prise,
00:58:28 c'était à l'époque la plus grande puissance mondiale,
00:58:32 d'aller appuyer, non pas pour faire plaisir aux Juifs,
00:58:36 c'était pour d'abord assurer la victoire
00:58:38 dans la Première Guerre mondiale,
00:58:40 et ensuite organiser une espèce d'hégémonie
00:58:44 sur ce qu'on appelle aujourd'hui le Proche-Orient.
00:58:47 C'est ça qui explique, à mon avis, la création d'Israël.
00:58:50 La Shoah va jouer un rôle à la fois concret et théorique.
00:58:55 "Concret", ça veut dire
00:58:57 qu'il y a 250 000 survivants de l'Holocauste,
00:59:01 dont au moins les trois quarts
00:59:06 ont été poussés par Moscou.
00:59:08 -On va y revenir. -On va y revenir.
00:59:10 Et deuxièmement, il y a une légitimité
00:59:13 que le mouvement sioniste n'avait pas
00:59:16 et qui apparaît après la guerre.
00:59:18 Au fond, Ben Gurion,
00:59:19 quand il voit la délégation de l'ONU,
00:59:21 qu'est-ce qu'il lui dit ?
00:59:23 "Qui peut nous garantir que ça ne va pas recommencer ?
00:59:26 "Il faut un Etat et une armée."
00:59:29 -Est-ce qu'il existe, à l'époque,
00:59:32 un sionisme de droite et un sionisme de gauche ?
00:59:35 Comme je l'ai dit, c'est plutôt le sionisme de gauche,
00:59:38 calqué sur un modèle socialiste, à l'époque,
00:59:41 qui prend le pouvoir au sein de ce mouvement sioniste
00:59:44 et qui prendra aussi le pouvoir dès la création d'Israël.
00:59:48 -Oui, il faut comprendre... -On a besoin de comprendre.
00:59:51 Le lien avec l'URSS, il est peut-être là aussi, non ?
00:59:54 -Alors, il y a peut-être de ça aussi.
00:59:57 En tout cas, je voudrais aller encore un peu en arrière
01:00:01 pour comprendre, comme le disait Dominique,
01:00:04 que cette histoire est une histoire très longue
01:00:07 et que l'idée sioniste est d'abord une idée chrétienne.
01:00:10 On a vraiment du mal à se le rappeler.
01:00:13 L'idée sioniste, l'idée du retour à Sion,
01:00:16 est née comme idée religieuse, d'abord,
01:00:18 au sein des communautés chrétiennes, protestantes, puritaines,
01:00:22 au XVIIe siècle, pardon,
01:00:26 et ce qui explique aussi ce sionisme chrétien,
01:00:29 cet engagement britannique,
01:00:31 puisqu'il ne faut pas oublier que beaucoup de...
01:00:34 Beaucoup de Britanniques dans l'administration coloniale
01:00:38 avaient des fortes sympathies
01:00:41 envers l'idéologie sioniste chrétienne.
01:00:44 Donc déjà, il y a ce contexte-là.
01:00:47 Ensuite, le sionisme a été dit, comme ça a été dit,
01:00:50 beaucoup de choses en même temps.
01:00:52 Je ne serais pas d'accord avec l'affirmation
01:00:55 que tout le monde était d'accord sur le fait
01:00:57 de créer un État juif en Palestine.
01:01:00 -La majorité était d'accord. -Oui, mais il y avait aussi
01:01:03 des courants minoritaires, par exemple,
01:01:06 on cite souvent la pensée de Martin Buber,
01:01:09 Gershom Scholl, et Manar, etc.,
01:01:12 qui étaient, eux, pour un, le sionisme
01:01:14 comme un mouvement de renaissance culturelle,
01:01:17 spirituelle, hébraïque,
01:01:21 mais qui, en tout cas, n'envisageait pas
01:01:23 la création d'un État juif sur le modèle de l'État-nation,
01:01:27 qui était alors le modèle prédominant en Europe.
01:01:30 Comment en étant arrivés à l'intérieur
01:01:33 de ce mouvement sioniste, à souhaiter,
01:01:36 et à voir ceux qui souhaitent un modèle socialiste
01:01:39 s'imposer au sein de ce mouvement ?
01:01:42 -C'est une question de rapport de force,
01:01:44 et effectivement, c'est le fait que, finalement,
01:01:48 le sionisme politique de Herzl est gagné
01:01:51 sur les autres courants, au moment de l'organisation
01:01:54 du 1er congrès mondial à Bâle.
01:01:56 Et puis, ensuite, c'est le fait que Ben Gurion
01:02:01 ait été si puissant comme homme politique.
01:02:07 Je veux pas personnaliser, il y a d'autres raisons aussi,
01:02:10 mais en tout cas, il y a vraiment ce courant
01:02:14 du sionisme politique qui était pragmatique
01:02:17 et qui pouvait apporter des solutions concrètes
01:02:21 pour les Juifs d'Europe, et qui, donc, a pris le...
01:02:25 a l'a emporté sur tous les autres.
01:02:28 Et comme vous l'avez dit, c'était un sionisme
01:02:31 d'empreinte socialiste, travailliste,
01:02:34 et d'ailleurs, au sein de ce sionisme de gauche,
01:02:37 il y avait aussi des divergences, des nuances,
01:02:40 et il y avait aussi des sionistes qui étaient plus enclins
01:02:44 à former cet Etat avec la collaboration
01:02:46 de la population arabe-autochtone.
01:02:48 -Est-ce qu'on peut dire que le soutien de l'URSS
01:02:52 pour la création de l'Etat d'Israël
01:02:54 reprouve une partie de ces souches,
01:02:56 dans ce qu'on vient de dire ?
01:02:58 -C'est un tout petit peu plus complexe.
01:03:01 L'URSS, disons, au lendemain de la Révolution russe,
01:03:04 est extrêmement sévère, selon mon sioniste,
01:03:06 qu'il assimile comme un mouvement qui vise, en fait,
01:03:09 à créer un nationalisme juif plutôt que faire une révolution,
01:03:13 surtout parce que le sionisme se base sur des principes ethniques,
01:03:17 à savoir en profiter d'abord aux Juifs,
01:03:19 et non pas des classes sociales.
01:03:21 -Les Soviétiques sont antisionistes.
01:03:24 -Ca a changé progressivement,
01:03:26 où, 1934-1935, le Comintern change
01:03:30 et commence à appeler à des ligues antifascistes partout,
01:03:33 parce que ça monte en Europe, il faut faire front.
01:03:36 Notamment en Palestine, on va avoir les marxistes juifs
01:03:39 qui vont être sommés de trouver des alliances
01:03:42 avec des mouvements progressistes, y compris sionistes,
01:03:45 parce qu'il faut faire un barrage à l'arrivée du fascisme.
01:03:48 Par la suite, différentes rencontres vont avoir lieu
01:03:52 dans les pays sociaux, à Londres, mais également, par exemple,
01:03:55 au Mexique, entre des représentants du mouvement sioniste
01:03:58 et des représentants soviétiques, afin de les convaincre
01:04:01 qu'au Proche-Orient, la seule bonne voie à suivre,
01:04:04 c'est celle de l'Etat juif,
01:04:06 parce que ça leur permettra d'avoir une entrée, un allié.
01:04:09 En réalité, le mouvement sioniste avait très bien
01:04:12 qu'il ne serait pas allié de l'URSS,
01:04:14 mais les Soviétiques avaient un dilemme.
01:04:16 Soit soutenir l'idée d'un Etat arabe unitaire,
01:04:19 mais on voyait bien que les tensions étaient palpables,
01:04:22 et que ça allait être compliqué.
01:04:24 Soit soutenir l'Etat juif en espérant qu'il ne soit pas
01:04:27 un allié de l'URSS, mais au moins qu'il soit neutre
01:04:30 après la guerre, ni pro-américain ni pro-soviétique.
01:04:33 -J'ai vu qu'Hélène Carrière-Dancos, par exemple,
01:04:36 avait évoqué l'idée et avait affirmé que, selon Staline,
01:04:41 lui pensait que ce futur Etat israélien
01:04:44 basculerait dans le camp socialiste.
01:04:46 -La plupart des historiens qui connaissent le sujet,
01:04:50 l'Union soviétique et le Proche-Orient,
01:04:54 disent que la vision de Carrière-Dancos
01:04:58 est une fantaisie.
01:05:01 Pourquoi ? Parce que Staline n'était pas un naïf.
01:05:04 Staline a été éduqué dans l'antisionisme.
01:05:07 Certains disent qu'il est antisémite.
01:05:09 Peut-être que c'est possible, mais c'est pas ça qui compte.
01:05:14 Ce qui compte, c'est la politique des Soviétiques après la guerre.
01:05:18 D'abord, ils se sont beaucoup appuyés
01:05:20 sur le mouvement sioniste pendant la guerre
01:05:22 pour ramasser beaucoup d'argent aux Etats-Unis,
01:05:26 faire pression pour le second front,
01:05:28 qui était la grande question,
01:05:30 et ensuite, après guerre,
01:05:32 ils ont paradoxalement le même objectif que les Américains,
01:05:35 c'est-à-dire virer les Anglais.
01:05:38 Les Américains ont évidemment plus d'ambition,
01:05:41 ils veulent prendre la place, la relève de la Grande-Bretagne.
01:05:45 C'est devenu la première puissance mondiale après la guerre.
01:05:48 D'autre part, vous avez, du côté soviétique,
01:05:52 l'idée que si on appuie les forces juives,
01:05:55 on va semer le désordre dans l'ensemble du Proche-Orient
01:05:59 et on va finir par récupérer les Arabes
01:06:02 qui se délivreront de la tutelle britannique.
01:06:05 -Vous cautionnez ce qui est avancé dans ce film.
01:06:08 Oui, l'URSS souhaite enfoncer un clou
01:06:10 entre les alliés historiques que sont la Grande-Bretagne
01:06:13 et les Etats-Unis,
01:06:15 et deux, l'URSS a des vues sur le Moyen-Orient,
01:06:17 et c'est aussi un moyen de justifier
01:06:20 son soutien à l'époque à la création de l'Etat d'Israël.
01:06:23 -Si Staline avait eu l'idée que suggère Karajan-Kos,
01:06:26 il aurait vite déchanté,
01:06:28 parce que les premières élections, en 49, en Israël,
01:06:32 le Parti communiste fait 2,5 % des voix,
01:06:35 et l'autre parti, disons, sioniste de gauche,
01:06:38 le MAPAM, fait lui aussi 3 %.
01:06:41 Il n'y a aucune illusion chez les Soviétiques.
01:06:44 Le problème, c'est de virer les Britanniques
01:06:46 et de récupérer l'alliance avec les peuples arabes.
01:06:50 Soit dit entre nous, le calcul de Staline a parfaitement marché,
01:06:54 parce qu'après la défaite en Palestine,
01:06:57 les Britanniques ont perdu l'Egypte,
01:06:59 c'est la révolution des Nasser et Neguib,
01:07:02 ensuite, ils ont perdu l'Irak,
01:07:05 et ensuite, ils vont perdre... -La Syrie.
01:07:07 -La Syrie sous des formes différentes,
01:07:10 et après, ils vont tout perdre.
01:07:11 En 70, le dernier soldat britannique quitte le Golfe.
01:07:15 Donc, on a...
01:07:16 -Et là, on retrouve une autre idée reçue,
01:07:19 c'est que les Soviétiques ont toujours eu une politique pro-arabe,
01:07:23 sauf dans la période, en l'occurrence, qui nous concerne.
01:07:26 On va voir un extrait du film. Nous sommes en novembre 1947.
01:07:29 C'est le vote historique à l'ONU,
01:07:32 favorable à la création d'un Etat d'Israël.
01:07:35 -Le 29 novembre 1947,
01:07:39 la Palestine a rendez-vous avec son destin.
01:07:42 ...
01:08:09 -En quelques minutes, l'avenir du territoire est scellé.
01:08:13 ...
01:08:28 -29 novembre 1947,
01:08:31 les jeux sont faits à l'organisation des Nations unies
01:08:36 avec ce vote historique.
01:08:38 Regardez cette carte.
01:08:39 Voilà ce qu'était la proposition de partage de l'ONU en 1947,
01:08:43 avec en bleu la proposition d'Etat juif,
01:08:45 en vert, la proposition d'Etat arabe.
01:08:48 Jérusalem, à l'époque, a été proposée
01:08:51 comme une ville de zone internationale.
01:08:54 Et puis, évidemment, tout le reste,
01:08:56 ce sont les pays arabes entourant cet Etat d'Israël,
01:09:01 tel qu'il a été proposé par les Nations unies en 44.
01:09:06 Qu'est-ce qu'on peut dire de cette création de l'Etat d'Israël,
01:09:11 mouvement historique, véritable victoire du mouvement sioniste ?
01:09:14 -Tout à fait.
01:09:16 Ce qu'on peut dire, en tout cas, de cette carte,
01:09:19 c'est que, finalement,
01:09:21 c'est une carte qui ne représente aucune réalité.
01:09:25 C'est une réalité qui n'a jamais vu le jour.
01:09:28 Ce qu'il faut savoir, c'est que...
01:09:31 -Ce qu'on peut dire aussi, c'est...
01:09:34 C'est un territoire de peuples.
01:09:36 -Alors, c'est un territoire de peuples.
01:09:39 Disons, cette affirmation peut être contestée,
01:09:45 dans le sens où elle vient mettre au même niveau,
01:09:48 sur le même plan, ces deux peuples,
01:09:50 qui, de fait, ne le sont pas.
01:09:52 Il ne faut pas oublier que le sionisme a, à mon avis,
01:09:56 et ce n'est pas seulement mon avis, deux dimensions structurelles,
01:10:00 une dimension nationale, nationaliste,
01:10:03 mais aussi une dimension coloniale.
01:10:05 Et donc, de fait, ces deux peuples
01:10:08 sont quand même pris, je veux dire,
01:10:10 dans une relation coloniale
01:10:13 qui est, en fait, en cours encore aujourd'hui.
01:10:17 Cette carte, ce plan, ce partage ne se fera jamais,
01:10:23 puisque, finalement, les sionistes, eux,
01:10:26 ils l'acceptent, puisqu'ils n'ont absolument rien à perdre,
01:10:30 et tout a gagné, alors qu'on s'étonne
01:10:32 qu'on peut entendre des propos surpris,
01:10:37 jugeants, condamnants,
01:10:38 le fait que les Arabes de Palestine aient refusé le plan de partage.
01:10:42 Mais il faut savoir que les Arabes de Palestine, à l'époque,
01:10:46 ils avaient tout à perdre, et notamment cette zone du littoral,
01:10:51 qui était la zone où s'était épanouie la société,
01:10:54 la culture arabe palestinienne jusqu'à l'époque,
01:10:57 avec des villes, notamment, très importantes,
01:10:59 comme Haïfa ou Jaffa.
01:11:01 -Haïfa, où transite notamment le pétrole du Moyen-Orient,
01:11:04 et auquel tenaient tant les Britanniques,
01:11:07 sous leur mandature.
01:11:08 C'est le péché originel, ce partage de l'Union en 1947,
01:11:12 péché originel, si on regarde de l'histoire,
01:11:14 qui s'est déroulée depuis,
01:11:16 ces différentes guerres entre Israéliens et Arabes,
01:11:19 qui se poursuivent, malheureusement, aujourd'hui.
01:11:22 C'est un péché originel.
01:11:24 Comment vous jugez, aujourd'hui, ce partage ?
01:11:26 -C'est surtout qu'on a eu une vision déformée,
01:11:29 une vision occidentale, imposée au Proche-Orient,
01:11:32 où, d'une certaine manière,
01:11:34 même si le documentaire montre bien
01:11:36 qu'en réalité, la Shoah n'est pas au cœur du vote,
01:11:39 mais malgré tout, on a voulu donner une forme de réparation,
01:11:42 faire rentrer les Juifs dans l'histoire avec un État,
01:11:45 mais au détriment d'une population qui était majoritaire.
01:11:49 Dans 50 des 60 districts de Palestine en 1947,
01:11:51 les Arabes sont majoritaires.
01:11:53 Il y a deux fois plus de population arabe
01:11:55 que de population juive au Proche-Orient.
01:11:58 En 47, on a moins de 9 % des propriétés de la Palestine
01:12:01 qui appartiennent à des populations juives.
01:12:03 Ca veut dire que quand on dit que les jeux sont faits,
01:12:06 pas tant que ça.
01:12:08 Quand le partage a lieu, la population arabe,
01:12:10 il y a des tensions et des conflits,
01:12:12 mais majoritairement, il y a un attentisme.
01:12:15 Comment va-t-on imaginer partager ce territoire
01:12:17 alors qu'on est majoritaire,
01:12:19 qu'on a une domination démographique évidente ?
01:12:22 A l'inverse, la population sioniste,
01:12:24 elle sait qu'elle a tout à gagner
01:12:26 et elle va accepter ce partage-là,
01:12:28 en sachant que ça va faire effet de levier,
01:12:31 c'était l'expression de Ben Grouillon,
01:12:33 "s'il y a un prix, on veut tout prendre",
01:12:35 mais surtout parce qu'à la différence des deux,
01:12:38 le mouvement sioniste a été capable,
01:12:40 avant la guerre mondiale,
01:12:42 de devenir un mouvement quasiment autogéré.
01:12:44 Ils avaient toutes les formes d'un pré-Etat
01:12:47 mis en place et quasiment capable de s'établir
01:12:49 avec quelques nuances à apporter.
01:12:51 -Ce que laisse d'ailleurs un peu entendre
01:12:54 le documentaire que nous avons vu.
01:12:56 Je sais pas si Thomas sera d'accord,
01:12:58 mais il y a eu un péché originel,
01:13:00 mais c'est de ne pas avoir appliqué ce plan de partage
01:13:03 et de l'avoir complété,
01:13:06 cette non-application,
01:13:08 de quelque chose que personne n'avait autorisé,
01:13:11 surtout pas l'ONU, c'est-à-dire l'expulsion
01:13:13 de 4/5 de la population autochtone.
01:13:15 Le péché originel, il est là.
01:13:18 C'est pour cette raison qu'on est encore dans la guerre
01:13:21 avec ce qu'elle est devenue,
01:13:23 c'est-à-dire une guerre sans précédent.
01:13:25 -Vous venez de dire, et d'une certaine manière,
01:13:28 que vous n'êtes pas en accord avec ce qu'il vit dans le documentaire.
01:13:32 Bien sûr, il a fallu offrir une compensation après la Shoah.
01:13:35 Or, le documentaire a l'air de dire que c'est souvent ce qu'on pense,
01:13:39 mais ça n'a pas été le cas. Néanmoins, oui,
01:13:42 il y a eu une compensation vis-à-vis des Juifs européens,
01:13:45 notamment, avec la création de cet Etat.
01:13:47 -Je pense que le document...
01:13:49 Ce qui est très intéressant dans le documentaire,
01:13:52 c'est de redimensionner le rôle de la Shoah
01:13:55 puisque, on vient de le dire,
01:13:57 le sionisme a des racines bien plus anciennes.
01:14:00 Néanmoins, je pense que la Shoah a eu un poids
01:14:05 évidemment énorme
01:14:07 dans l'imaginaire,
01:14:09 dans l'opinion publique européenne, etc.
01:14:13 Et ça, ce poids symbolique, à mon avis,
01:14:16 il ne faut pas non plus le sous-estimer.
01:14:18 -Ce qui m'a frappée, c'est ce qui est dit à la fin du documentaire.
01:14:22 Les rescapés de la Shoah européens
01:14:26 ont transité vers l'Etat d'Israël,
01:14:29 mais on leur a demandé, une fois arrivés,
01:14:32 de ne pas parler de la Shoah.
01:14:33 -C'est très connu dans la société juive israélienne.
01:14:38 C'est-à-dire que jusqu'au procès d'Eichmann à Jérusalem,
01:14:41 en 1961,
01:14:43 il n'y avait pas de place,
01:14:46 en tout cas, pas de place publique
01:14:48 pour cette parole, la parole des survivants, des rescapés,
01:14:52 puisqu'il fallait bâtir ce nouvel État.
01:14:54 Il y avait une image qui est aussi l'image
01:14:56 que le sionisme veut véhiculer,
01:15:00 et là, qui est vraiment un topos,
01:15:02 un élément typique de beaucoup de discours coloniaux,
01:15:05 qui est l'image de l'homme fort, du juif fort,
01:15:08 qui d'ailleurs veut se substituer au juif faible,
01:15:11 qui a été, en fait, exterminé pendant la Shoah.
01:15:15 Et donc, cette image de l'homme fort, du pionnier,
01:15:18 les sabras, comme on appelle en Israël
01:15:21 les juifs qui sont nés sur place,
01:15:24 ne peut pas perdre de temps,
01:15:27 entre guillemets, avec la Shoah.
01:15:30 -Je crois qu'il faut quand même...
01:15:33 Nous savons bien, nous, journalistes,
01:15:35 pas seulement historiens,
01:15:37 dès qu'on dit "les Juifs", "les Arabes",
01:15:40 "les", on est sûrs qu'on va se planter.
01:15:42 Pourquoi je dis ça ?
01:15:43 Parce qu'on sait très bien
01:15:45 que l'immense majorité des survivants
01:15:48 qui étaient dans les camps de personnes déplacées,
01:15:51 c'est-à-dire au même endroit où ils avaient été
01:15:53 du temps du nazisme,
01:15:55 il faut mesurer la charge mentale que ça représente,
01:15:59 la plupart d'entre eux, ils voulaient aller aux Etats-Unis.
01:16:03 Seulement aux Etats-Unis, depuis 1924,
01:16:05 et les lois taftent,
01:16:07 toutes les formes d'immigration ont été réduites.
01:16:10 Donc, les gens n'ont pas où aller.
01:16:12 Ils ne peuvent pas rentrer en Pologne,
01:16:14 sinon, il y a des pogroms à nouveau.
01:16:17 Ils ne peuvent pas rentrer dans la plupart
01:16:19 des pays d'Europe centrale.
01:16:21 Ils peuvent, quand c'est des Français,
01:16:23 ça, oui, ou des Belges,
01:16:25 mais pour le reste, ils n'ont pas le choix.
01:16:27 Les sionistes leur disent
01:16:29 "Venez reconstruire votre vie,
01:16:31 "venez en Palestine."
01:16:32 A l'époque, on appelait ça la Palestine.
01:16:35 -On précise aussi dans ce film
01:16:36 qu'aucun Juif soviétique n'aura le droit à s'exiler
01:16:40 du côté de l'Israélien après la création de ce fameux Etat.
01:16:44 On va voir un deuxième extrait du documentaire.
01:16:47 Cette fois, nous sommes juste après la création
01:16:50 de cet Etat d'Israël, et c'est le début d'une guerre
01:16:53 entre Arabes et Israéliens.
01:16:54 -Cette guerre, le tout jeune Etat hébreu
01:16:58 va pourtant la gagner haut la main.
01:17:01 Musique de tension
01:17:03 Il va même étendre son territoire au-delà des frontières
01:17:06 fixées par l'ONU.
01:17:07 ...
01:17:09 Les villes de Nazareth ou de Saint-Jean-d'Acre,
01:17:12 que le plan de partage avait attribué aux Arabes,
01:17:14 sont annexées.
01:17:16 ...
01:17:23 Une victoire militaire, mais aussi démographique.
01:17:26 ...
01:17:29 Les 750 000 Arabes expropriés,
01:17:32 désormais entassés dans les camps de Gaza et de Cisjordanie,
01:17:36 ne reviendront jamais.
01:17:37 ...
01:17:40 -Pour étayer ce qui vient d'être dit
01:17:43 dans cet extrait du documentaire,
01:17:45 je vous propose une autre carte, celle-ci de 1949.
01:17:48 Nous sommes juste après la première guerre israélo-arabe.
01:17:51 Regardez ce qu'est devenu l'Etat d'Israël.
01:17:54 Il a largement empiété sur ce qu'était l'Etat,
01:17:57 évidemment proposé par les Nations Unies en 1947,
01:18:00 envers l'annexion de la Cisjordanie par la Jordanie, en 1950.
01:18:04 Et l'administration militaire égyptienne
01:18:07 est effective à Gaza, à l'époque.
01:18:10 Jérusalem, qui n'est plus une ville internationale en 1949,
01:18:15 mais une ville partagée entre Israël, à l'époque,
01:18:18 et la Jordanie.
01:18:19 Un mot, tout de même, sur ces fameux réfugiés.
01:18:23 Ca a été évoqué, vous l'avez évoqué, Dominique Vidal.
01:18:26 Là, on parle, ici, dans ce documentaire,
01:18:28 de 750 000 Arabes expropriés de leur terre,
01:18:32 dans la mémoire collective palestinienne,
01:18:35 d'ailleurs, ça s'appelle l'Anaqba, en français, la catastrophe.
01:18:38 Ca pèsera très, très lourd, juste après 49,
01:18:42 parce que cette question des réfugiés
01:18:44 sera un point d'achoppement
01:18:46 à chaque fois qu'il leur a été question de négocier
01:18:49 entre Israéliens et Palestiniens.
01:18:51 -Je crois que là, on touche une forme de pêche originel
01:18:54 du sionisme. C'est-à-dire que,
01:18:56 dans le documentaire, il y a, à mon avis, un point
01:18:59 que je pourrais un peu critiquer, quand même.
01:19:01 Le documentaire correlle l'expulsion des Palestiniens
01:19:04 à la guerre israélo-arabe, déclenchée après l'indépendance d'Israël,
01:19:08 en mai 48. En réalité,
01:19:10 quand Ben Gurion fait la déclaration d'indépendance,
01:19:13 on a quasiment 400 000 Palestiniens
01:19:15 qui ont déjà été expulsés ou chassés de leur terre
01:19:18 ou certains sont partis à cause de tensions.
01:19:20 Dans le sionisme, il faut savoir qu'il y a l'idée
01:19:23 de s'installer sur une terre où on n'est pas majoritaire.
01:19:26 Dès lors, nécessairement, et dans toute l'histoire du sionisme,
01:19:30 le transfert de la population arabe est évoqué perpétuellement.
01:19:33 Tout à l'heure, j'ai évoqué les rencontres
01:19:36 entre le mouvement sioniste et les soviétiques.
01:19:39 Lorsqu'il y a une rencontre entre l'ambassadeur soviétique à Londres
01:19:42 et un représentant du mouvement sioniste,
01:19:45 l'ambassadeur explique comment on peut créer un Etat
01:19:48 majoritairement juif sur une terre où on n'est pas majoritaire.
01:19:51 La réponse est simple, on transfère ces gens vers les pays voisins
01:19:55 car on va créer sur place un territoire qui va profiter à tout le monde.
01:19:59 Cette idée du transfert est dominante.
01:20:01 On ne peut pas regarder les réfugiés palestiniens
01:20:04 si on ne prend pas en compte cet aspect-là
01:20:07 du transfert dans l'idée sioniste.
01:20:09 Après, évidemment que, par la suite,
01:20:11 l'achoppement va aussi avoir lieu par rapport au fait
01:20:14 que les Palestiniens vont bénéficier de la résolution 194 de l'ONU,
01:20:18 qui leur donne le droit au retour ou à compensation,
01:20:21 et un point qui, en fait, dès l'origine, Israël refuse,
01:20:24 quelque part, d'accepter de mettre en place
01:20:27 des résolutions votées par l'ONU.
01:20:30 -Je crois qu'il faut comprendre que le sionisme est un mouvement
01:20:34 qui a une grande intelligence tactique.
01:20:37 Donc, ils utilisent l'ONU,
01:20:40 mais ils ne respectent pas l'ONU.
01:20:42 C'est pas nouveau, on l'entend encore aujourd'hui, d'ailleurs.
01:20:46 Parfois, je crois.
01:20:48 Donc, on a, si vous voulez,
01:20:50 une déclaration d'indépendance, le 14 mai 48,
01:20:55 qui repose sur les droits historiques du peuple juif,
01:20:58 pas sur la résolution des Nations unies,
01:21:00 pas un mot dans le discours de Ben Gurion sur l'autre Etat,
01:21:04 qui devait être créé.
01:21:05 Et quand la guerre est finie,
01:21:07 l'ONU exige le retour des réfugiés,
01:21:10 et Israël va être obligé d'accepter,
01:21:14 du point de vue verbal.
01:21:16 C'est-à-dire qu'ils vont, pour pouvoir être intégrés,
01:21:19 admis à l'ONU... -En 49.
01:21:22 -En 49, ils vont devoir reconnaître,
01:21:25 et c'est écrit en toutes lettres,
01:21:27 toutes les résolutions de l'ONU.
01:21:29 Ils ne le feront pas encore aujourd'hui.
01:21:31 Donc, on a vraiment... C'est self-service, quoi.
01:21:34 On utilise l'ONU quand on peut l'utiliser,
01:21:36 mais on ne respecte absolument pas la ligne de l'ONU.
01:21:40 -Cette question des réfugiés palestiniens,
01:21:42 il y aura une deuxième vague très importante
01:21:45 à la sortie de la guerre des Six Jours.
01:21:47 On parle de 500 000 personnes palestiniens.
01:21:49 Elle pèsera à jamais dans les négociations
01:21:52 qui pourront exister, peut-être même dans le futur,
01:21:55 entre Israéliens et Palestiniens ?
01:21:57 -Soyons en monde clair, c'est la question
01:22:00 la plus difficile sur laquelle toutes les négociations
01:22:03 ont à choper.
01:22:04 -Avec Jérusalem, bien entendu.
01:22:06 -Oui, mais Jérusalem, la solution est plus simple à trouver.
01:22:10 Faire revenir les descendants de 800 000 personnes,
01:22:15 c'est pas évident.
01:22:16 -Il nous reste deux minutes.
01:22:18 On a beaucoup parlé du sionisme,
01:22:20 parce qu'il était la base, on l'a bien compris,
01:22:22 de la création de l'Israël.
01:22:24 Pour bien comprendre les choses,
01:22:26 on n'en est plus à ce sionisme de gauche.
01:22:29 On est plutôt à ce que l'on considère
01:22:31 un sionisme de droite, voire d'extrême droite.
01:22:33 Vous pouvez nous le définir, ce sionisme de 2024,
01:22:36 à comparer à ce sionisme qu'on a vu dans ce documentaire,
01:22:39 qui est à l'origine de la création de l'Etat d'Israël ?
01:22:42 -Trouver une définition qui fasse consensus
01:22:45 est assez compliquée.
01:22:46 Donc, on parle effectivement d'extrême droite,
01:22:50 d'ultra droite, il y a plusieurs expressions possibles.
01:22:54 En tout cas, effectivement...
01:22:56 -Les références ne sont plus laïques,
01:22:58 pour l'essentiel.
01:22:59 -Alors oui, après, je pense,
01:23:01 j'insiste toujours sur un point,
01:23:03 je pense qu'il est central de comprendre
01:23:06 que le récit biblique a vraiment toute sa place
01:23:09 dans le sionisme, y compris dans le sionisme laïque,
01:23:12 y compris dans le sionisme politique d'Hertzell.
01:23:15 En fait, il n'y aurait pas eu ce sens d'unité
01:23:18 du peuple juif,
01:23:20 partout,
01:23:23 parmi ces communautés éparpillées partout dans la diaspora,
01:23:27 s'il n'y avait pas, au fondement,
01:23:29 les idées de peuple lu,
01:23:31 terre promise, retouration, etc.
01:23:34 Donc, je fais très attention
01:23:35 à différencier de manière aussi nette
01:23:38 le sionisme séculier et le sionisme religieux.
01:23:41 Ceci étant dit, c'est vrai qu'aujourd'hui,
01:23:43 on est face à un sionisme qui est beaucoup plus ouvertement raciste,
01:23:48 violent,
01:23:49 qui mobilise des références ethno-nationales,
01:23:53 religieuses, etc., de manière très décomplexée.
01:23:56 -Ca, oui.
01:23:57 -Je veux pas vous embarrasser, mais nous avons tous les trois
01:24:01 un collègue israélien,
01:24:02 qui est un des meilleurs spécialistes de la Shoah,
01:24:05 qui s'appelle Daniel Blattman.
01:24:07 Quand on lui a demandé ce qu'il pensait de Ben Gvir
01:24:10 et de Smotrich, les deux ministres d'extrême droite,
01:24:14 comme on dit, de Netanyahou,
01:24:15 il a répondu que si c'était pas en Israël,
01:24:18 on les appellerait des néonazis.
01:24:20 -Extrême droite ou ultra-religieux,
01:24:22 ça dépend des termes utilisés.
01:24:24 Vraiment un grand merci à tous les trois
01:24:27 d'avoir participé à cette émission "Débat d'oct",
01:24:29 où il était question de la création de l'Etat d'Israël,
01:24:33 avec ce documentaire tiré de la série "Les coulisses de l'histoire".
01:24:36 Vos réactions, ce sera sur #DébatDoc.
01:24:39 Merci à Selma Salih et Emma Comff, qui m'ont aidé à préparer.
01:24:42 Je vous donne rendez-vous pour un prochain "Débat d'oct".
01:24:45 Ca sera à la même place, la même heure,
01:24:48 avec ce documentaire et son débat. A très bientôt.
01:24:50 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
01:24:53 ...
01:25:04 [SILENCE]
1:25:07
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