Oh vous qui crevez de soif ce soir, écoutez bien ce qu'un vieux cheval ivre a sur le coeur et comme il s'en délivre en chantant pour vous aider à boire
Quand don Juan m'acheta un bon prix à un riche maquignon de Castille, c'était surtout pour séduire la jeune fille dont j'étais le cheval favori.
Quand elle vint me faire sa dernière visite, raide et maudissant son père, don Juan lui promit de ne plus faire l'affaire et séchant ses larmes la séduit si vite
Qu'ils firent l'amour dans l'écurie puis s'enfuirent en me fouettant sans trève vers un couvent où elle attends et rève à mon maitre le reste de sa vie.
Depuis je n'ai jamais revu ma paille et j'ai eu la vie errante d'un maudit cherchant dans le vent fuyant dans la nuit la bouche en chairs vives tant les mors l'entaillent
Il baisait ma crinière à chaque conquète mais ses éperons laissaient dans mes flancs tant de plaies coulant de sueur et de sang que j'aurais préféré la paix des défaites
Et tout au long de ces années de sévices en frissonant les yeux hallucinés par la faim, les reins le dos fatigués je me suis usé à devenir son complice
Harnaché comme le cadeau d'un seigneur parfumé et dressé aux révérences j'arrivais mais je savais d'avance qu'il faudrait partir comme le cheval d'un voleur.
Autrement il ne prenait pas soin de moi pendant que les vers grouillaient sous ma selle il me forçait à lui faire la courte échelle pour grimper sur le mur d'un pensionnat
Le soir il enlevait l'institutrice qui la nuit même se plaçait dans un bordel mais il flattait tant la vieille maquerelle qu'à l'aube au Carmel elle rentra novice.
Quand don Juan séduit une bohémienne je tire la roulotte je danse comme la chèvre tandis que mon maître le cigare aux lèvres flatte un singe borgne et rit de ma peine
Le jour repartant comme un fugitif on est même venu à me tirer dessus: «C'était à prévoir de ce triste cocu» Qu'il me dit en me mettant les côtes à vif.
Un dimanche il m'a vendu à un abbé pour lui j'étais trop chargé de souvenirs et mon maitre avait tant peur de vieillir que le prix fut si bas qu'il le but d'un trait
J'ai cru voir enfin la fin de mes misères dans la douce quiétude de la bigotterie mais là le destin m'a fait une vacherie: Mon abbé faisait la chasse aux sorcières
Cet illuminé bourreau d'intolérance traquait l'hérétique au fond des campagnes au coeur des forets en haut des montagnes il ne s'arrétait que pour ses pénitences
En plein midi en tête des processions sous un drap noir je portais les reliques en or massif et face aux basiliques les mouches aux yeux j'écoutais ses sermons.
Nous avons converti des pays entiers j'ai mis mes sabots sur tant de places où l'échafaud rameute la populace et les corbeaux pour gouter à not gibier
J'ai tant plié l'échine sous les fagots dont il me chargeait pour faire ses buchers J'ai tant tiré de chars de supliciés qu'il ne me restait que la peau et les os
Mais il ne m'a jamais laché la bride jusqu'au jour où pris dans un guet-apens par une bande de voleurs mécréants on me laissa enfin la croupe vide
Jour béni où enfin tout nu sous un chêne je me suis enfui à un coup de fouet tandis que l'abbé en l'air ballançait soulageant mon dos des hommes et de leurs chaînes
J'ai couru couru pour l'eau des ruisseaux enfin pour moi-même, l'herbe des clairières en fuyant les hommes et leurs sales manières je ne suporte que le poids des oiseaux
Ce soir y'a un bal au café des chevaux et un cheval saoul dort sur le comptoir personne ne saura la morale de l'histoire: Ce soir y'a un bal au café des chevaux.
Chanson de Paul Boissard. Paul n'étant plus ici pour les chanter, la chanson fait de l'oeil à tous les chanteurs chanteuses suceptibles de l'interpréter. Aussi, elle a plein de petites soeurs de genres variés et du talent de Paul. Bonne musique à tous.
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