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  • il y a 1 jour
Merci Paul Gasnier d'avoir participé au podcast !

Son livre "La collision" aux éditions Gallimard a remporté le prix Goncourt des détenus 2025.

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Transcription
00:00Lui s'en est tiré avec un tibia fracturé et ma mère est décédée une semaine plus tard.
00:03Cet événement c'est ni un accident ni un meurtre, qu'est-ce que c'est ?
00:07Moi j'ai vécu quelque chose qui vient illustrer le discours d'extrême droite parfaitement,
00:11c'est-à-dire que mon histoire elle est tellement parfaite,
00:13c'est-à-dire que c'est un délinquant maghrébin, dealer de drogue, défoncé au cannabis,
00:16qui fait du rôdeur urbain sur une moto non homologuée pour laquelle il n'y a pas le permis,
00:19qui vient tuer une femme française, catholique, blanche de souche, bourgeoise,
00:23qui a juste eu pour tort de croiser sa route à ce moment-là.
00:26Moi j'ai été élevé par deux parents de gauche, mère écolo, père socialiste,
00:30ce que je venais de vivre venait contredire complètement l'éducation que j'avais reçue.
00:34C'est évidemment la collision entre ces deux personnes,
00:36mais aussi entre deux familles qui incarnent chacune de France très différentes.
00:41J'étais tellement exaspéré d'avoir entendu ce discours,
00:43et je me suis dit mais en fait moi aussi j'ai quelque chose à dire sur la délinquance,
00:46sur l'insécurité, sur tous ces sujets-là qui sont brûlants, qui hystérisent la conversation publique,
00:50je veux montrer qu'on peut en parler autrement que par leur gré de lecture complètement binaire.
00:53Les délinquants c'est pas des diables, c'est pas des monstres.
00:55Je me disais mais Paul c'est le moment quoi, t'es face au garçon qui a tué ma mère,
00:59qui t'a rendu orphelin, qui est à l'origine de tout, et va lui parler.
01:01Bienvenue Paul Gassnier !
01:03Merci.
01:03On dit Gassnier pas Gagné.
01:04On dit Gassnier, on prononce le S.
01:06Mais j'ai déjà rencontré des Gagnés qui me défendent des mordicules,
01:09qu'on prononçait pas le S mais pour moi on prononce.
01:10On te voit tous les soirs à l'antenne de Quotidien,
01:13t'es un des journalistes emblématiques de l'émission,
01:15ça fait des années que tu travailles là-bas.
01:17Moi je suis une spectatrice de Quotidien,
01:19donc vraiment je suis hyper hyper heureuse de te recevoir.
01:22On va parler de ton livre La Collision, publié aux éditions Gallimard.
01:26On va parler aussi du fait qu'effectivement tu étais nommé pour le prix Goncourt,
01:29que c'est ton premier roman, c'est ton premier écrit.
01:32Donc vraiment c'est un livre qui a énormément résonné,
01:34notamment auprès des lecteurs évidemment.
01:36Il y a un caractère assez unanime de la qualité, du plaisir et de l'émotion
01:40qu'on a eu en lisant ce livre.
01:42Et il y a aussi un caractère un peu d'assoir,
01:46un petit peu ton côté finalement écrivain aujourd'hui.
01:49Le prix Goncourt c'est exceptionnel.
01:51Donc voilà, merci beaucoup d'avoir accepté de venir dans Conversation avant la fin du monde.
01:55C'est un podcast qui parle un peu de la fin du monde
01:57et du coup on va parler un peu d'un événement qui t'est arrivé,
02:00qui est le sujet de ton livre, qui était un peu la fin de ton monde à ce moment-là.
02:04Donc pour parler évidemment du sujet du livre, on est là pour ça, la collision.
02:09Le 6 juin 2012 se passe cette fameuse collision.
02:13Ta maman est percutée par un jeune qui s'est avéré être sous cannabis,
02:18qui était en roue arrière, donc en rodéo urbain,
02:21qui a percuté, voilà, ta mère et qui est décédée peu après cette collision justement.
02:29Toi, est-ce que tu peux raconter un petit peu ce qui s'est passé ce jour-là ?
02:34Où tu étais ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
02:36En fait, ce qui s'est passé, c'est que ma mère allait à son centre de yoga
02:39qu'elle venait d'ouvrir trois semaines plus tôt sur le quartier des Pentes de la Croix-Rousse,
02:43qui est un quartier très central à Lyon.
02:45Et ça, je le précise à chaque fois parce que ce n'est pas une histoire de cité,
02:47de banlieue, de zone périurbaine.
02:49On est vraiment au cœur de Lyon, presque au pied de l'hôtel de ville.
02:52Et voilà, elle faisait ce trajet comme tous les jours pour aller à son centre de yoga.
02:55Elle remontait cette petite rue à vélo et elle a été percutée très brutalement
02:59par un jeune qui s'amusait à faire de la roue arrière avec une motocross beaucoup trop puissante pour lui.
03:06Et il a perdu le contrôle de sa moto et il lui a foncé dedans à 40 km heure dans cette toute petite rue.
03:11Et ce qui s'est passé juste après, c'est qu'il y a pas mal d'amis de ce jeune motard
03:15qui sont arrivés pour partir avec la moto, pour maquiller la scène de l'accident et protéger leurs copains
03:20parce qu'ils savaient qu'il était sous cannabis et qu'il n'avait pas le droit de la conduire.
03:24Et il y a eu une espèce d'altercation comme ça entre eux et les passants qui aidaient ma mère.
03:27Et ils ont réussi à s'enfuir.
03:28Lui s'en est tiré avec un tibia fracturé et ma mère est décédée une semaine plus tard.
03:33Et moi, à ce moment-là, j'étais pas du tout à Lyon.
03:36J'étais à Bombay puisque je faisais un stage en Inde auprès du consul général de Bombay.
03:40Et mon père m'a appelé dans la soirée heure française, donc en pleine nuit, heure indienne.
03:45Et il était à peu près 3h30 du matin.
03:48Ça m'a réveillé et il m'a dit, écoute, il faut que tu rentres tout de suite à Lyon
03:50parce que ta mère a eu un très grave accident et il y a des risques qu'elle décède quand tu seras dans l'avion.
03:56Donc voilà, rentre le puits de possible.
03:58Toi, t'avais quel âge à ce moment-là ?
04:00Moi, j'avais 21 ans.
04:02Donc t'étais en stage effectivement à Bombay.
04:06Pourquoi le terme collision et pas le terme, enfin d'autres termes qui auraient pu être utilisés,
04:11l'impact, quoi que ce soit ?
04:12Pourquoi avoir choisi ce terme, la collision ?
04:14Ça m'est venu assez vite quand j'ai commencé à écrire.
04:17Il n'y a pas eu trop de débats sur le titre du livre.
04:19Parce que la collision, en fait, ça aurait aussi pu s'appeler les collisions parce que la collision, ça fait référence à plusieurs chocs.
04:25En réalité, c'est évidemment la collision entre ces deux personnes, mais aussi entre deux familles qui incarnent chacune de France très différentes.
04:33C'est aussi la collision entre la brutalité du réel et mes idéaux de jeunesse qui devenaient d'un coup, enfin qui étaient complètement contredits par cet événement.
04:44C'est la collision aussi entre la douleur intime que j'ai ressentie, que je ressens depuis dix ans et la manière dont elle est instrumentalisée politiquement à l'échelle collective.
04:54Donc il y a plusieurs collisions horizontales et verticales.
04:57Le livre, il parle effectivement de cet événement qui s'est passé, mais aussi, comme tu viens de le dire, de la rencontre, de la collision entre deux stéréotypes de la société.
05:07Ta mère, on va en parler de son personnage, de la manière dont tu le décris.
05:11J'ai quelques passages qui sont assez édifiants, que j'ai beaucoup aimé.
05:15Et aussi l'autre personnage qui s'appelle Saïd, qui est ce jeune effectivement qui a percuté ta mère, que ensuite tu vas voir au tribunal.
05:24Tu vas rencontrer ensuite sa sœur.
05:26On va donc revenir sur toute cette enquête personnelle finalement et ensuite que tu as mis sur le papier, qu'il y a un récit.
05:33Moi, ma question, la première, ça va être combien de temps tu as écrit après cet événement ?
05:37Dix ans. En fait, je n'ai rien fait pendant dix ans. Je n'ai jamais ressenti le besoin d'écrire sur cet événement.
05:44Et ça m'est venu d'un coup pendant la campagne présidentielle de 2022 que je suivais en tant que journaliste pour Quotidien.
05:50Et on tombait à peu près dans l'anniversaire des dix ans de la collision.
05:53Et c'est en assistant à un meeting d'extrême droite que sont nées des pensées nouvelles en moi et que je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire avec ce que j'avais vécu.
06:04Et que j'ai vraiment ressenti le besoin d'écrire parce que je ne supportais pas de voir des hommes politiques qui, par définition, ont une vision du monde très binaire et très idéologisée et très manichéenne, très noir et blanc.
06:15Je ne supportais pas de voir ces gens-là parler de délinquance à ma place et vouloir mettre des mots très brutaux, très radicaux, très idéologisés sur une douleur intime que j'avais ressenti.
06:27Et c'est en sortant d'un meeting en particulier, quelques mois avant le premier tour, que j'étais tellement exaspéré d'avoir entendu ce discours, que cette exaspération a pris le pas sur la colère intime que je ressentais.
06:37Et je me suis dit « Mais en fait, moi aussi, j'ai quelque chose à dire sur la délinquance, sur l'insécurité, sur tous ces sujets-là qui sont brûlants, qui hystérisent la conversation publique.
06:46Et je veux montrer qu'on peut en parler autrement que par leur gré de lecture complètement binaire. »
06:51Donc pour moi, il y avait aussi un enjeu politique d'aller sur leur terrain pour, d'une certaine manière, planter mon drapeau et dire qu'on peut en parler autrement, avec plus d'humanité,
07:00et qu'un événement qui, à première vue, semble très manichéen, ne l'est pas toujours.
07:05Et que les délinquants, ce n'est pas des diables, ce n'est pas des monstres, c'est des gens qui ont un parcours, qui ont une histoire,
07:10dont les choix ont été orientés dans une direction différente de la nôtre, et que ça mérite d'être raconté, parce que leur trajectoire nous raconte aussi tous, collectivement.
07:18L'extrême droite, il parle beaucoup avec des mots très forts, justement. Et ce que je trouve hyper juste dans ton texte, c'est...
07:24C'est très efficace.
07:25Tout à fait. Et d'ailleurs, on va y revenir, à ce fameux meeting, qui était le candidat, effectivement, d'extrême droite ?
07:30Éric Zemmour, nommons-le.
07:31Voilà, exactement. Et surtout, qu'est-ce qui t'a vraiment choqué ?
07:35Mais sur les mots, je trouve que tu définis très bien les mots. Déjà, ce premier mot, collision, cet événement, c'est ni un accident, ni un meurtre.
07:45Qu'est-ce que c'est ?
07:46Oui, c'est ce que je dis dans le livre. C'est ni un accident, ni un meurtre, parce qu'un accident, pour moi, c'est un événement complètement fortuit.
07:52Voilà, c'est une faute d'inattention qui fait qu'on rate un virage et qu'on termine dans un parc-mètre ou dans un fossé.
07:57C'est un événement dont il n'y a aucune morale à tirer. Un meurtre, évidemment, c'est autre chose, parce que c'est prémédité, c'est volontaire, etc.
08:03Là, on est entre les deux, et c'est pas moi qui dis ça, c'est tous les gens que j'ai rencontrés qui ont connu Saïd à différents moments de sa vie,
08:10ils m'ont tous dit que cette collision était inévitable.
08:12C'est-à-dire qu'il était pris dans une telle dérive délinquante qu'il allait forcément finir par tuer quelqu'un.
08:18Et le jour où c'est arrivé, tous les policiers, les magistrats, les éducateurs sociaux, tous ceux qui avaient croisé la route de Saïd à un moment,
08:24se sont tous dit « Merde, ça y est, c'est aujourd'hui, il a commis les réparables, il a tué quelqu'un ».
08:29Et c'est en ça que c'est pas un accident.
08:31On parlait des stéréotypes tout à l'heure.
08:33Sur ta mère, tu dis cette phrase, tu dis « Sans le savoir, ma mère est l'une des plus emblématiques représentantes
08:38de cette transformation des pentes, qui est le quartier à Lyon, effectivement, où la scène s'est passée,
08:43l'ouverture d'un centre de yoga faisant souvent office de dernier drapeau planté pour consacrer la conquête d'un territoire ».
08:48Tu dis que ta mère est un stéréotype, effectivement, de cette société.
08:52Saïd en est un autre, complètement différent aux antipodes.
08:55Est-ce que tu pourrais décrire, effectivement, ces deux stéréotypes, celui de ta mère,
08:59que tu as très bien décrit dans cette phrase-là, et ensuite Saïd ?
09:02Oui, ce qui m'a fasciné, en fait, dans cette histoire, c'est que les deux protagonistes principaux,
09:05ma mère et Saïd qui l'a tué, sont deux personnages romanesques, en fait, malgré eux,
09:11parce qu'ils sont... c'est deux archétypes, en fait.
09:14Deux archétypes qui racontent chacun, à leur manière, la société française.
09:18Deux Frances très différentes, qui se croisent, qui se côtoient tous les jours dans la rue,
09:22sans se connaître et sans se rencontrer.
09:25Et quand je dis que ma mère est un archétype, je dis ça parce qu'elle,
09:28elle a une histoire familiale et personnelle qui raconte quelque chose
09:32de l'évolution socio-économique et culturelle de la France.
09:34Elle vient d'une grande famille de la noblesse militaire qui est...
09:38Enfin, c'est une Française de souche, comme diraient certains.
09:41Et elle, elle appartient à cette génération post-68.
09:44Donc toute sa vie, elle s'est émancipée de tout ce carcan catholique, conformiste, conventionnel, etc.
09:50pour vivre une vie féministe avant l'heure et beaucoup plus émancipée.
09:54Elle a rencontré mon père très vite.
09:56Ils ont vécu à l'étranger.
09:56Moi, j'ai grandi à l'étranger.
09:58C'est vraiment... ils sont devenus, cette France, des lycées français qui sont bourgeoises,
10:02qui se fait de l'argent. Elle est devenue profession libérale, architecte.
10:05Et à la fin de sa vie, elle est devenue prof de yoga.
10:07Donc c'est assez dur de faire plus caricatural comme parcours de bobo.
10:10Comme on dit, il y a beaucoup de mépris aujourd'hui.
10:12T'as grandi où ? Où, à l'étranger ?
10:13Moi, j'ai grandi à Prague. Et ensuite, après 7 ans à Prague, on a déménagé à Milan.
10:19Ensuite, quelques années à Nice. Ensuite, j'ai fait tout mon collège à Londres.
10:22Et je suis arrivé à Lyon pour mon lycée.
10:25Et Saïd, d'un autre côté ?
10:27Et Saïd est aussi un archétype à part entière, puisque lui...
10:31Donc lui est né à la Croix-Rousse.
10:33C'est vraiment... il est beaucoup plus lyonnais que moi.
10:35Moi, j'y ai vécu que 3 ans.
10:36Et lui est le fils d'un couple de Marocains à l'origine.
10:42Son père est arrivé à Lyon dans les années 60, en pleine Trente Glorieuse,
10:47à un moment où la France faisait rentrer beaucoup d'immigrés maghrébins
10:50pour assurer le roulement de ces industries, pour reconstruire le pays.
10:54Enfin, on connaît cette histoire.
10:56Et son père a travaillé dans...
10:58D'abord, il était militaire dans l'armée française.
10:59Il a servi en Annochine, au Congo.
11:02Il était stationné sur une base dans la région lyonnaise.
11:04Ensuite, il a travaillé dans le BTP.
11:06Et toute sa vie, il a travaillé très dur.
11:10Il a fait venir sa femme, qui était plus jeune que lui, du Maroc,
11:12qui, elle, est devenue femme de ménage et assistante maternelle.
11:15Donc ils ont eu un parcours aussi très archétypal, ses parents,
11:17parce que c'est quelque chose...
11:18C'est des trajectoires qu'on retrouve chez beaucoup de maghrébins
11:20qui sont arrivés en France dans ces années-là.
11:23Et lui appartient à cette deuxième génération, Saïd,
11:26pour qui ça a été plus compliqué,
11:28qui est tombé sous l'emprise de la drogue très rapidement,
11:31qui est un phénomène sur lequel il faut inciter,
11:33parce qu'on a mis beaucoup de temps à saisir l'ampleur de la drogue
11:35et à quel point ça peut complètement transformer un quartier
11:37et changer les perspectives de toute une partie de cette jeunesse.
11:44Il est tombé en échec scolaire à un âge déterminant
11:47quand il était au collège.
11:48Il a commencé à fréquenter des jeunes qu'il ne fallait pas fréquenter.
11:51Et très vite, il a compris qu'il pouvait se faire plus d'argent
11:53en vendant du shit qu'en suivant un quelconque CAP.
11:56Et donc il est tombé là-dedans et il n'a jamais su en sortir.
11:59Et en Saïd, c'est très archétypal,
12:01parce que quand on regarde des parcours de dealers
12:03ou de délinquants multirécidivistes,
12:04on retrouve toujours les mêmes histoires.
12:06Donc c'est ça qui m'a intéressé aussi dans cette histoire,
12:09c'est que ces deux personnages, évidemment,
12:11qui ont leur unicité,
12:13mais qui sont quand même des idéotypes
12:15de deux Frances différentes qui sont entrées en collision.
12:18Tu vas rencontrer ensuite sa sœur à Saïd,
12:21elle s'appelle Afsia,
12:22et elle va te raconter qu'ils ont perdu leur grand frère,
12:25qui est décédé dans un règlement de compte.
12:29Donc en plus de cet événement-là,
12:32il se passe aussi un événement dans leur passé
12:35qui est un drame familial,
12:37qui j'imagine conduit aussi à leur histoire
12:40et surtout à l'histoire de Saïd.
12:43Toi, tu insistes,
12:44tu parles de la nécessité d'humaniser le monstre,
12:47l'assassin finalement de ta mère,
12:50le délinquant maghrébin,
12:51alors avec énormément de guillemets dans cette expression,
12:54et on insiste aussi parce qu'on parle beaucoup
12:55de l'importance des mots.
12:57Pourquoi des guillemets ?
12:57Les délinquants maghrébins,
12:58de fait, sont des délinquants maghrébins.
13:00Oui, oui, bien sûr,
13:01mais je veux dire,
13:02en fait c'est une expression
13:04qui est énormément reprise par l'extrême droite,
13:06donc utiliser les formules de l'extrême droite,
13:08c'est toujours leur servir un petit peu la soupe,
13:11mais ce que tu arrives avec une main de maître
13:13à ne pas faire et à retourner totalement,
13:16d'ailleurs on va revenir après,
13:17mais sur le côté humaniser le monstre,
13:20le délinquant maghrébin,
13:21pourquoi cette volonté-là ?
13:25Oui, ce qui m'intéressait,
13:26c'est qu'effectivement le délinquant maghrébin,
13:27c'est devenu une figure
13:29qui obsède le débat public aujourd'hui.
13:31On en parle à chaque lendemain de faits divers,
13:34à chaque lendemain de victoire du PSG,
13:35même à chaque lendemain d'attentats,
13:37presque,
13:37j'ai l'impression que le délinquant maghrébin
13:38est devenu comme ça une figure centrale du débat,
13:42des plateaux,
13:43de certaines chaînes télé,
13:43et moi l'enjeu c'était de dépasser un peu
13:46cette caricature,
13:48même si de fait c'est un délinquant
13:50et de fait il est maghrébin,
13:51derrière il y a quand même un personnage
13:53qui s'agissait d'humaniser,
13:54parce que moi en fait depuis 10 ans,
13:56j'avais complètement diabolisé ce personnage,
13:59c'est-à-dire que Saïd,
14:00j'y pensais tout le temps,
14:01il m'omnubilait,
14:03je le détestais,
14:04alors que je ne le connaissais pas,
14:05j'avais de bonnes raisons de le détester,
14:06il avait tué ma mère,
14:07mais c'est-à-dire que je pensais constamment à lui,
14:09dès que je croisais des jeunes délinquants
14:10qui avaient son profil,
14:11je pensais à lui,
14:12j'avais des accès de rage,
14:13enfin je vivais dans une intranquillité permanente,
14:16qui n'a jamais eu de traduction politique,
14:19heureusement,
14:20et pour moi l'écriture,
14:21elle a servi à ça,
14:22à rendre son histoire à ce personnage,
14:25et à l'humaniser,
14:27pour tourner la page de la colère,
14:29et passer à autre chose.
14:30En fait, l'écriture,
14:31pour moi je le vis vraiment
14:32comme une prise de pouvoir
14:33sur ce qui m'est arrivé,
14:35et j'ai écouté beaucoup d'interviews
14:37d'écrivains et d'écrivaines
14:39qui racontent des traumas
14:40qu'elles ont vécu,
14:41notamment tous les livres
14:42qu'il y a eu sur les violences sexuelles,
14:43sur l'inceste, etc.
14:44Et elles parlent toutes
14:45de l'écriture comme une prise de pouvoir
14:46sur leur histoire,
14:47et moi je l'ai vraiment ressenti comme ça,
14:49c'est-à-dire que pendant 10 ans,
14:50en fait c'est moi qui vivais
14:51sous l'emprise de cet événement,
14:52et sous l'emprise de ce personnage
14:53que je ne connaissais pas,
14:55et le fait d'écrire dessus,
14:56ça m'a permis moi d'avoir le pouvoir
14:58enfin sur cet événement,
15:00sur cette collision,
15:01et sur ce jeune
15:02qui avait tué ma mère.
15:03Et donc maintenant j'ai l'impression,
15:03moi de le maîtriser lui,
15:05et plus l'inverse.
15:06Et ça c'est énorme,
15:07et seule l'écriture permet ça.
15:09Tu parles de la colère,
15:11en 10 ans,
15:12là tu viens de parler justement
15:13de l'évolution de ton sentiment
15:14à l'égard de ce personnage-là
15:16qui est Saïd,
15:17est-ce que tu as eu une évolution
15:18d'émotion, de sentiment,
15:21en 10 ans,
15:22ou vraiment ça a été de la colère
15:23pendant 10 ans ?
15:25Non, non, je suis passé par plusieurs phases.
15:26Déjà juste après la mort de ma mère,
15:29j'avais 21 ans,
15:30j'étais jeune,
15:31et j'étais très très en colère,
15:33et j'en voulais même un peu à mes parents,
15:34parce que ce que je venais de vivre
15:36venait contredire complètement
15:37l'éducation que j'avais reçue.
15:39C'est-à-dire que moi j'ai été élevé
15:40par deux parents de gauche,
15:42mère écolo, père socialiste.
15:44Moi mon éveil politique
15:46c'est l'élection de Sarkozy en 2007,
15:48et j'étais au lycée,
15:49mes parents détestaient Sarkozy,
15:50et je me souviens ils me disaient
15:51mais tu te rends compte,
15:52il ose utiliser le mot raca,
15:54il arrête pas de parler de délinquance,
15:56et de façon les français qui votent
15:57en pensant à l'insécurité,
15:58c'est vraiment des leupénistes,
15:59là l'opénisation des esprits,
16:01les vrais sujets c'est pas ça,
16:02c'est l'écologie,
16:03enfin j'ai vraiment baigné là-dedans,
16:05dans une éducation très préservée,
16:06et là d'un coup je vivais quelque chose
16:08qui venait contredire toutes ces valeurs
16:10humanistes de gauche, altruiste
16:12que j'avais reçues,
16:13et je découvrais que,
16:14bah non en fait la délinquance ça existe vraiment,
16:16la délinquance maghrébine ça existe,
16:18le trafic de drogue qui crée de la délinquance
16:20c'est un vrai problème,
16:21la preuve tout ce que vous avez nié,
16:22ça vient de tuer ma mère quoi.
16:24Et donc j'étais comme ça très déboussolé
16:26politiquement et idéologiquement,
16:28et je l'en ai presque voulu
16:29de m'avoir préservé de la brutalité du réel,
16:32et puis après je suis sorti de ce sentiment-là,
16:35mais en moi j'ai toujours eu énormément de colère,
16:39énormément de rage parfois,
16:42je m'amusais à jouer avec des pensées radicales,
16:45je me reconnaissais pas dans les propos
16:46que je tenais devant mes amis,
16:47après je disais ça aussi pour les tester,
16:49je me cherchais,
16:49enfin c'est comme si j'avais eu une crise d'ado
16:51avec beaucoup de retard,
16:53où je venais me chercher
16:55dans l'opposition à l'éducation
16:56que j'avais reçue de mes parents.
16:58Et en fait je me suis rendu compte
16:59que c'était une impasse,
17:00j'ai mis toute cette colère sous le boisseau
17:02avant qu'elle se remanifeste
17:03après le moindre événement,
17:04enfin j'étais vraiment dans un sentiment
17:05d'intranquillité permanente avec ça,
17:08et je pense que le besoin d'écrire
17:10est venu de cette fatigue intime
17:12que je vivais,
17:14et aussi de voir la traduction politique
17:16que ça pouvait avoir cette colère.
17:17Et je pense qu'il m'a fallu
17:18dix ans de polarisation
17:20et de radicalisation de la France,
17:21que j'observais en tant que journaliste,
17:23et il m'a sans doute fallu assister
17:24à tous ces meetings d'extrême droite
17:25pour me rendre compte
17:26que ce que je ressentais intimement,
17:28en fait c'était une impasse,
17:30parce que quand des gens s'en saisissaient,
17:31c'était terrible pour le pays.
17:34Comment tu te rends compte
17:35que c'est une impasse justement ?
17:37Tu avais dit dans une interview,
17:38j'étais hyper claire
17:39sur mes opinions politiques
17:40avant cet événement-là,
17:41même si tu étais relativement jeune,
17:43mais je veux dire 21 ans,
17:44ça reste quand même,
17:45on est très ancré politiquement
17:46en fait à 21 ans.
17:47Tu as une éducation de gauche effectivement,
17:48et où est-ce que tu as été le plus loin
17:51dans te dire des choses
17:52qu'aujourd'hui tu ne penses plus du tout ?
17:55Je ne peux pas tout raconter,
17:59mais en tout cas,
18:01je le vivais surtout,
18:02je n'ai jamais voté pour l'extrême droite,
18:04mais c'était une espèce de,
18:08comme si ma pensée jouait
18:09avec un hochet en permanence.
18:10et je me retrouvais à voir
18:12dans les faits divers racontés dans l'actu,
18:14la preuve que j'étais dans la bonne direction.
18:17Et en fait,
18:17le problème de toute pensée radicale,
18:19c'est que c'est une pensée très confortable.
18:22Et ce qui m'a sauvé, je pense,
18:24c'est qu'à chaque fois
18:26que je me sentais flanché,
18:26j'avais la voix de ma mère
18:27au-dessus de mon épaule
18:28qui me rappelait à l'ordre,
18:29parce que je savais très bien
18:30ce qu'elle en aurait pensé.
18:32Et je pense que c'est parce que
18:33mon éducation quand même était solide
18:34et que j'étais très proche de ma mère
18:35que je suis resté dans les clous
18:37et j'ai su garder les idées claires,
18:40même si ça n'a pas toujours été facile.
18:41Mais jusqu'où je suis allé,
18:45ça reste dans ma tête.
18:47Bien sûr.
18:47Je te dis ça parce que
18:48c'est une toute autre histoire,
18:50à une toute autre échelle.
18:52On en parlait un tout petit peu avant.
18:54Moi, l'année dernière,
18:55il s'est trouvé que
18:56des personnes ont essayé de me sortir
19:00d'un jury,
19:01d'un festival LGBT dans lequel j'étais.
19:03j'étais un peu victime d'antisémitisme
19:06à ce moment-là.
19:07Et en fait,
19:08j'ai vu la machine de l'extrême droite
19:11essayer de me récupérer
19:13des chaînes d'extrême droite,
19:15des médias d'extrême droite, etc.
19:17Mais avec une telle efficacité,
19:19une telle force,
19:21ils sont venus vers moi,
19:22ils ont essayé effectivement
19:24de m'interviewer,
19:24que j'aille sur leur plateau, etc.
19:26Et je n'ai pas cédé.
19:27Je n'ai pas cédé du tout.
19:29Alors évidemment,
19:29toi, c'est une toute autre échelle forcément.
19:32Mais j'ai un peu vu,
19:33effectivement,
19:33cette machine-là.
19:35Et je me suis dit,
19:36en fait,
19:36qu'est-ce qui fait
19:37que tu n'as pas cédé
19:38à des pensées
19:39vraiment nauséabondes
19:41en répétant leurs slogans,
19:43leurs trucs comme ça ?
19:44Et justement,
19:45c'est un peu aussi
19:46à ce moment-là
19:46que le podcast
19:47a pris tout son sens
19:48parce que je me suis dit,
19:49ça peut être
19:49finalement une opportunité
19:52entre guillemets
19:52de réflexion
19:54plutôt que d'action.
19:56et je me suis reconnue
19:59entre guillemets
20:00dans ça.
20:01Et c'est ce qui m'a vraiment plu
20:03dans ton livre,
20:04c'est justement
20:04comment on ne cède pas
20:07à l'extrême droite,
20:07comment on ne devient pas
20:08un jeune d'extrême droite.
20:11Après, moi,
20:12je ne donne pas de leçons
20:13ni de formules prêtes à penser.
20:14C'est-à-dire que chacun
20:15a son cheminement.
20:17Regarde ce qui s'est passé
20:17au Bataclan,
20:18à côté d'ici.
20:19Il y a un homme
20:20qui a perdu sa femme
20:21qui a écrit un livre magnifique
20:21qui s'appelle
20:22Vous n'aurez pas ma haine.
20:23Et il y a un autre homme
20:23qui a perdu sa fille
20:24qui est devenu militant zémoriste.
20:27Donc, voilà,
20:28je sais que chacun trace sa route
20:30comme il peut
20:30après un événement aussi traumatique.
20:32Moi, ce qui m'a sauvé,
20:33c'est ma proximité avec ma mère.
20:34Le fait que j'étais très proche d'elle
20:36et qu'elle m'a souvent engueulé
20:38quand j'étais petit.
20:39Donc, j'avais l'impression
20:39qu'elle m'engueulait outre-tombe
20:40quand je me sentais basculer.
20:42Et puis aussi, la lecture
20:43parce que la lecture
20:45m'a énormément apporté.
20:47Et puis, la lecture offre
20:48un amour de la nuance
20:50qui est impossible
20:52avec toute...
20:53Enfin, comment dire ?
20:53Qui est contradictoire
20:55avec toute pensée radicale,
20:56je pense.
20:57Donc, c'est l'amour de ma mère,
20:58ma proximité avec elle
20:59et la lecture qui m'ont sauvé.
21:01Mais pendant tout le livre,
21:02j'essaye de cheminer
21:03sur une ligne de crête
21:03parce qu'il y a plusieurs écueils
21:05quand on s'intéresse
21:05à ces sujets-là,
21:06surtout quand on les a intimement vécus.
21:07L'autre écueil,
21:08ce serait aussi de tomber
21:08dans un écours très complaisant
21:10qu'on trouve très, très à gauche
21:12aujourd'hui
21:12qui consisterait à dire
21:14que Saïd est un petit ange
21:16victime de la société,
21:17qu'il n'a pas de responsabilité individuelle
21:19et que la délinquance
21:21et l'insécurité
21:21ne sont pas des vrais sujets.
21:22Non, non, moi, je dis
21:23que ce sont des vrais sujets.
21:24C'est un des sujets
21:25de préoccupation principaux des Français.
21:27Ce n'est pas honteux.
21:27Il faut la traiter.
21:28Il faut que la gauche
21:29ait une doctrine sur ces sujets-là
21:30sinon elle est condamnée
21:31à continuer à perdre.
21:33Donc voilà,
21:33je suis sur une ligne de crête
21:36et les deux falaises
21:37de chaque côté
21:38sont tout aussi dangereuses
21:40et fausses.
21:41Toi, tu es journaliste.
21:42Tu t'intéresses souvent
21:43au sujet justement
21:44lié à l'extrême droite,
21:46politique en général,
21:47mais tu vas souvent
21:48au meeting
21:48un peu essayer
21:49d'aller les interroger,
21:50les comprendre en réalité
21:51pour en ressortir vraiment
21:53ce qu'ils pensent.
21:55Tu assistes à ce discours
21:57d'Éric Zemmour à Cannes
21:59ce jour-là
21:59et ça te choque
22:01ce qu'ils racontent
22:01te choque.
22:03Il dit notamment,
22:04il y a eu des petits passages
22:05j'ai écouté
22:06dans les interviews
22:07où notamment
22:07il y a un truc
22:07qui m'a vachement choquée.
22:09Il dit
22:09il faut armer les blancs
22:11en fait.
22:12Il faut armer les blancs
22:13contre les non-blancs
22:14finalement.
22:15Donc en fait,
22:17rajouter,
22:18enfin assumer
22:18un désir de violence
22:20finalement dans la société.
22:21Ils essayent de maquiller
22:22cette volonté de violence
22:23en une volonté
22:24de non-violence
22:25mais en fait,
22:26et je voulais savoir
22:28qu'est-ce qui t'a choqué
22:29vraiment dans ce discours-là ?
22:32Il y a eu cet exemple-là
22:33mais est-ce qu'il y a eu
22:33d'autres déclarations,
22:35d'autres trucs
22:35qui ont été vraiment choquants ?
22:36Lui, c'était tout un discours
22:38sur,
22:39c'est quelque chose
22:40qu'on connaît très bien maintenant,
22:41on s'y est habitué
22:41et c'est triste,
22:42mais c'était tout un discours
22:42sur le laxisme judiciaire,
22:44sur les juges,
22:46les magistrats
22:46qui sont tous
22:47des communistes,
22:48des gauchistes,
22:49bourgeois,
22:49qui ne voient pas
22:50la brutalité du réel
22:51et qui excusent en permanence
22:53les délinquants
22:54et les racailles
22:55comme ils les appellent
22:56sous prétexte
22:56d'appliquer la loi.
22:57Effectivement,
22:58il préconisait aussi
22:59aux bons citoyens
23:00de s'armer
23:00pour répondre aux délinquants.
23:03En fait,
23:03ce que fait Eric Zemmour,
23:04c'est du rôdeur urbain.
23:06C'est du rôdeur urbain verbal,
23:08en fait.
23:08Et c'est ça qui était saisissant,
23:09c'était qu'à la violence délinquante
23:11concrète,
23:12lui répondait
23:12par une violence verbale
23:13mais qui est tout aussi dangereuse.
23:15Et pourquoi je dis
23:15que c'est du rôdeur urbain ?
23:16Parce que c'est
23:17un comportement verbal
23:19qui est complètement débridé,
23:21qui vise à attirer l'attention
23:22et à cliver
23:23en ne se souciant pas du tout
23:25des conséquences
23:25que ça peut avoir
23:26sur les gens
23:28des années après.
23:29C'est-à-dire qu'il y a des gens
23:29en écoutant Zemmour
23:30qui peuvent ensuite
23:31aller agresser
23:31des Maghrébins
23:32ou des Noirs dans la rue.
23:34Donc voilà,
23:34pour moi,
23:35il y avait une gémélité
23:36entre le parcours de Saïd
23:38et son comportement
23:39et le comportement
23:40d'Eric Zemmour.
23:41Et quand j'ai compris ça,
23:43là,
23:43ça m'a donné
23:43un déclic d'écriture
23:45très fort.
23:46Parce qu'en fait,
23:46en sortant de ce meeting
23:47d'Eric Zemmour,
23:48je venais d'assister
23:48à un spectacle
23:49de Rodeurbin.
23:50Et ce qui est terrifiant,
23:51c'est que 2,4 millions
23:52de personnes ont voté
23:53pour lui
23:53au premier tour.
23:55Et l'autre chose
23:56qui m'a aussi terrifié
23:57pendant ce meeting,
23:58c'est que je trouvais
23:58qu'il mettait des mots
23:59très justes
24:00sur ce que j'avais ressenti.
24:01Parce que moi,
24:01j'ai vécu quelque chose
24:02qui vient illustrer
24:03le discours d'extrême droite
24:04parfaitement.
24:05C'est-à-dire que mon histoire,
24:05elle est tellement parfaite
24:06pour quelqu'un comme lui.
24:08C'est-à-dire que c'est
24:08un délinquant maghrébin,
24:09dealer de drogue,
24:10défoncé au cannabis,
24:11qui fait du Rodeurbin
24:12sur une moto non homologuée
24:13pour laquelle il n'y a pas
24:14le permis,
24:14qui vient tuer
24:15une femme française,
24:17catholique, blanche,
24:17de souche, bourgeoise,
24:18qui a juste eu pour tort
24:19de croiser sa route
24:20à ce moment-là.
24:22Et c'est à partir
24:23de ce paradoxe
24:24que j'ai voulu écrire.
24:25C'est-à-dire que j'ai une histoire
24:25qui valide parfaitement
24:27le discours d'extrême droite.
24:28Pourtant, je ne suis pas devenu.
24:29Pourquoi ?
24:30Et en même temps,
24:30je reconnais que ce qu'il dit
24:31touche une fibre en moi.
24:33Et voilà,
24:34c'est à partir du paradoxe
24:35qu'on écrit les meilleurs textes.
24:36J'aime bien le côté
24:37parallélisme
24:39entre Éric Zemmour,
24:40Saïd,
24:41le fait que tu utilises
24:43cette formule
24:43de Rodeo Urbain
24:44pour parler d'Éric Zemmour,
24:46je trouve ça hyper juste.
24:47Et il y a une telle gémélité
24:48qu'Éric Zemmour
24:49est un délinquant
24:50multirécidiviste aussi.
24:51Il a été condamné
24:51définitivement deux fois.
24:52Complètement, bien sûr.
24:54Tu parles beaucoup
24:55de la colère,
24:57de ta propre colère,
24:58mais aussi de la colère
24:59des gens
25:00qui sont dans ces meetings.
25:02Et justement,
25:03qu'est-ce qu'on fait
25:04d'une foule en colère
25:05comment ils arrivent
25:08à manipuler
25:09toutes ces foules en colère ?
25:10Est-ce qu'une foule en colère,
25:11c'est un ensemble
25:14facilement malléable,
25:16facilement manipulable ?
25:17Surtout quand on est
25:18aussi éloquent
25:20et bon sur scène
25:21que lui.
25:22C'est-à-dire que lui,
25:22c'était un zénith
25:23qui était plein à craquer.
25:24Il y avait énormément de monde,
25:26beaucoup de jeunes
25:26de mon âge.
25:27Et ce qui était dingue,
25:28c'est que le public
25:30réagissait comme un seul homme
25:31à tous ses effets de style
25:33et à tous ses effets de manche.
25:34Enfin, un peu comme un public
25:35qui est fan de Lady Gaga
25:37et qui irait l'écouter
25:38au Stade de France.
25:38Il y avait un truc
25:39où il maîtrisait
25:40complètement la salle
25:40et tout le monde
25:42se calmait
25:42quand il baissait la voix,
25:43tout le monde applaudissait
25:44et s'énervait
25:45quand il haussait le ton.
25:46Et c'était quelque chose
25:46de fou.
25:47Et je me souviens
25:47à un moment
25:48où il disait
25:49la délinquance,
25:49ça suffit.
25:50Et là,
25:50tout le public a gueulé
25:51ça suffit,
25:53ça suffit,
25:53en tapant des pieds
25:54sur les estrades.
25:55Et j'avais l'impression
25:55d'être dans la scène du Royaume
25:56quand le troupeau de Gnou
25:57fonce sur le Petit Lion.
25:59Là, c'était vraiment
25:59la même chose.
26:00C'est-à-dire que tout s'est mis
26:00à trembler autour de nous
26:01et je me souviens très bien
26:02qu'avec mon équipe,
26:02on s'était regardé
26:03en disant
26:04mais c'est dingue
26:04ce qui se passe.
26:05On a fait les meetings
26:06de tous les candidats
26:06et on n'a jamais vu
26:07un spectacle aussi tonitruant,
26:09aussi impressionnant
26:10que ces meetings
26:11d'Éric Zemmour
26:11qui étaient très bien produits,
26:12qui étaient calibrés
26:21n'est pas zémoriste
26:22mais ça fait des années
26:23qu'il la travaille
26:24sur les réseaux,
26:25sur YouTube,
26:26par ses petites vidéos,
26:27sur Instagram, etc.
26:29Il y a tout un langage codé
26:30des références,
26:31les bains voyons, etc.
26:32que tout le monde saisit parfaitement
26:34et en fait,
26:35il a une commu.
26:36Il a une commu
26:37et c'est un des rares politiques
26:37qui en a une,
26:38une commu très fidèle,
26:39très radicale
26:40et qui est prêt à le suivre
26:41jusqu'au bout.
26:42Tu parles effectivement
26:44du fait qu'il est
26:45lui-même délinquant.
26:46C'est ça qui est fou,
26:47c'est qu'il parle de la délinquance
26:48alors que lui-même
26:49est condamné.
26:49On continue d'inviter
26:51dans beaucoup de chaînes,
26:52même sur le service public.
26:54Tout à fait.
26:54Je pose ça là.
26:56À un moment,
26:57tu décris la moto,
26:58la moto de Saïd.
26:59Moi, ça m'a beaucoup marqué
27:00ce moment.
27:01Tu l'as décrit comme telle,
27:02tu dis,
27:03c'est une KTM 654 cm3
27:06conçue à base de testostérone.
27:09On t'a beaucoup interrogé
27:10sur le côté testostérone,
27:12qu'est-ce que ça dit
27:12de la société viriliste,
27:14etc.
27:15Je trouve que la virilité,
27:16elle est vraiment au cœur aussi.
27:17La critique de la virilité
27:18est vraiment au cœur de ton livre
27:19à la fois sur le modèle de la moto,
27:22à la fois dans cette manipulation
27:24de l'extrême droite.
27:25Oui, bien sûr.
27:27Une moto à base de testostérone.
27:29Ce n'est pas moi qui dis ça,
27:29c'est les sites qui la vendent.
27:30C'est-à-dire que c'est un argument de vente
27:31quand tu es un jeune mec
27:32qui veut faire de la moto,
27:33on te la vend comme
27:34tu seras vraiment un vrai gars
27:35quand tu arriveras à la conduire.
27:37Et je pense qu'il n'y a pas besoin
27:38d'avoir fait de grandes années
27:39de psychologie pour comprendre
27:40que le roadie urbain,
27:42c'est vraiment le véhicule
27:42de la masculinité contrariaire.
27:44Parce que c'est quoi le roadie urbain ?
27:45C'est dresser un guidon
27:46plus puissant que soi
27:46et le garder dresser
27:47le plus longtemps possible
27:48pour impressionner tous ses amis.
27:50Enfin, voilà,
27:51le parallèle, il est évident.
27:53Et c'est clair qu'au fond du problème,
27:55c'est la masculinité
27:57de la violence, évidemment.
27:58C'est à quel point,
27:59quand on a une vie
27:59qui ne correspond pas
28:00aux attentes qu'on avait,
28:01on essaie de trouver des ersatz
28:03de puissance et de virilité
28:04dans tout ce qui nous tombe sous la main.
28:06Lui, en l'occurrence,
28:07c'était la motocross.
28:08Et le fait qu'elle soit vendue
28:10comme une moto à base de testostérone,
28:12je trouve que ça dit tout.
28:13Le roadie urbain,
28:14c'est effectivement, pour moi,
28:15le véhicule de la virilité
28:17qui ne s'est pas se trouvée.
28:19Ensuite, tu rencontres Afsia,
28:21donc la sœur de Saïd,
28:23et elle te pose cette question.
28:25Enfin, je vais te citer un passage
28:27qui m'a beaucoup marquée aussi.
28:29C'est aussi une des premières questions
28:30que m'avait posée Afsia
28:31lorsque nous nous étions quittés
28:33Place Belcourt.
28:34Elle s'était presque excusée
28:35de la poser,
28:35mais elle y tenait absolument.
28:37Est-ce qu'après tout ça,
28:38vous n'avez pas eu un dégoût
28:39de la communauté maghrébine ?
28:41Je lui avais répondu
28:42que l'écriture permettait précisément
28:43de réinjecter de l'humain
28:44dans des histoires manichéennes,
28:45non pas pour diluer
28:46les responsabilités,
28:48mais pour apaiser la colère
28:49et sortir du piège
28:50des sommations
28:51qu'exigeait l'époque.
28:54Bon, déjà,
28:55c'est tout à fait parlant.
28:57Tu ressens quoi
28:58quand tu la rencontres, Afsia ?
29:00Au début,
29:01c'est un peu embarrassant.
29:03C'est-à-dire qu'on ne sait pas
29:04trop comment c'est,
29:05surtout que...
29:06Pour revenir à la prise de contact,
29:09moi, j'ai retrouvé son adresse mail.
29:11Je lui ai envoyé un message
29:11qui tenait en quelques lignes.
29:12Je lui ai dit,
29:13voilà, bonjour, je m'appelle Paul.
29:14« Il y a dix ans,
29:15votre petit frère a tué ma mère.
29:16Est-ce que ça vous dirait
29:17d'aller boire un café ? »
29:18Et je conçois que c'était
29:20un peu brutal comme approche,
29:21mais bon,
29:21moi, j'ai les droits au but.
29:23Et elle a mis du temps
29:24avant de me rappeler.
29:25Elle était très méfiante.
29:26Au début,
29:26elle m'a appelé
29:26avec des numéros masqués.
29:27Moi, je ne répondais pas.
29:28Puis finalement,
29:29un jour,
29:29elle m'a appelé
29:29avec son vrai numéro.
29:30Donc là, j'ai décroché.
29:31Enfin bref,
29:31on a mis du temps
29:32comme ça
29:32à convenir d'un rendez-vous.
29:34Et elle est arrivée
29:36au rendez-vous à Lyon
29:37très méfiante
29:38parce qu'elle se demandait
29:39ce que je cherchais.
29:40C'est-à-dire qu'au début,
29:40elle se disait
29:41« Mais c'est qui ce mec
29:42qui revient dix ans après ?
29:43Je n'ai jamais entendu
29:43parler de cette famille
29:44depuis le procès.
29:45Est-ce qu'il est en train
29:46de préparer un projet
29:47de vengeance
29:48contre mon petit frère ?
29:49Est-ce qu'il essaye
29:49d'obtenir des infos
29:50sur lui,
29:51où il habite,
29:51etc.,
29:52pour se venger
29:53dix ans plus tard ? »
29:54Et elle était vraiment
29:55sur ses gardes,
29:56sur ce qu'elle me disait,
29:57etc.,
29:57surtout qu'elle a
29:58une méfiance instinctive
29:59des journalistes.
30:00Et j'ai réussi
30:01à gagner sa confiance.
30:02On s'est vus
30:02plusieurs fois,
30:04plusieurs heures.
30:05Et à la fin,
30:07on s'est rendu compte
30:08qu'on ne pouvait plus
30:09s'arrêter de parler
30:09de cet événement,
30:10de comment ça avait
30:11bouleversé nos vies
30:12à nous deux,
30:13comment ça avait
30:13cassé sa famille
30:14à elle aussi,
30:15sur une toute autre échelle,
30:16évidemment.
30:17Mais c'est en la rencontrant
30:19que je me suis rendu compte
30:20que cette collision
30:21avait brisé d'autres vies
30:23que la mienne,
30:24d'autres vies que les nôtres.
30:26Parce que son petit frère
30:27a disparu
30:28en prison pendant trois ans.
30:29Son grand frère
30:29qui avait été tué
30:31quasiment la même année
30:33fait que cette famille
30:34a traversé
30:35une année 2012
30:36épouvantable
30:37parce qu'elle a connu
30:37les deux faces du deuil.
30:38C'est-à-dire qu'elle a connu,
30:40elle a vu son grand frère
30:41assassiné par des jeunes
30:42en plus qu'elle connaissait,
30:43dont certains venaient
30:44du quartier.
30:45Et puis,
30:45quelques mois plus tard,
30:46elle connaît la culpabilité
30:48de voir son petit frère,
30:49lui, responsable
30:50d'avoir tué.
30:50Donc, elle a connu
30:51comme ça
30:51ces deux faces du deuil.
30:52Et c'était une femme incroyable
30:53parce qu'elle était
30:54d'une dignité,
30:55d'une lucidité.
30:57Elle avait tout un discours
30:58sur le pardon.
30:59Et c'était fou
31:01de la rencontrer.
31:02Je pense que c'est
31:03une des plus belles rencontres
31:03que j'ai faites
31:04en écrivant ce livre.
31:05Et effectivement,
31:05à la fin,
31:06elle m'avait demandé,
31:07elle-même,
31:08elle m'a dit,
31:09vous n'êtes pas dégoûtée
31:10des Arabes ?
31:11Parce qu'elle était
31:12très consciente
31:12à quel point
31:13les parcours
31:14de ses deux frères
31:14venaient valider
31:15plein de clichés,
31:16plein de préjugés
31:16sur les Maghrébins
31:17en France.
31:17Et évidemment,
31:19je l'ai rassuré
31:19sur la teneur du livre.
31:23Il y a le moment
31:24du tribunal aussi.
31:26Ça, ça vient
31:27combien de temps
31:28après l'événement ?
31:30Le procès,
31:31c'est fin 2013.
31:33Donc la collision,
31:34c'est juin 2012,
31:35le procès fin 2013,
31:35donc un an et demi après.
31:37Et est-ce que c'est
31:37à ce moment-là
31:38que tu vois Saïd
31:39pour la première fois ?
31:40Oui, c'est là
31:41que je le vois
31:41pour la première fois.
31:41Et à même un moment
31:42où tu fumes une cigarette
31:43à côté de lui
31:44et tu l'observes ?
31:45Alors ça,
31:45c'est quand je suis allé
31:46le revoir en 2024.
31:48Il y a eu deux procès en fait.
31:49Il y a le procès
31:50qui jugeait mon affaire.
31:51Saïd était en maison d'arrêt.
31:53Il arrivait dans le box
31:54avec les menottes
31:55et il est reparti en prison
31:56après le procès.
31:57Ensuite,
31:58il se passe 10 ans
31:58et puis je l'ai revu
32:00en 2024
32:01puisque j'ai eu une info
32:02selon laquelle
32:02il est repassé au tribunal
32:04à Lyon.
32:05J'y suis allé.
32:06Les audiences sont publiques
32:07donc je me suis glissé
32:08dans le public
32:08et j'avais mis un masque
32:10FFP2 pour que personne
32:11ne me reconnaisse,
32:12notamment sa famille
32:13au cas où sa famille
32:13allait être là.
32:15Et ça n'a pas loupé
32:15puisque sa soeur Afsia
32:16était là
32:16et elle m'a quand même reconnu
32:17et elle m'a demandé
32:19de quitter la salle
32:20parce qu'elle allait
32:21prendre la parole
32:22pour défendre son frère
32:22et elle allait livrer
32:23des choses intimes
32:24sur sa famille
32:24donc elle préférait
32:26que je ne sois pas là
32:26et j'ai décidé
32:27de lui obéir
32:28et de respecter son intimité
32:29mais avant qu'elle me sorte
32:31de la salle,
32:32j'ai passé toute la journée
32:33sur le même banc
32:34que Saïd.
32:35En fait,
32:35c'était une journée
32:36où plusieurs affaires
32:37étaient jugées à la chaîne.
32:39Il y avait 6 ou 7 affaires
32:39qui allaient de violences conjugales
32:41etc.
32:42et lui est passé en dernier
32:45et donc on a passé
32:46toute la journée
32:47sur le même banc
32:47à attendre son tour
32:49et à un moment
32:50il est sorti fumer une cigarette
32:51moi je l'observais
32:52du coin de l'œil
32:52et je l'ai suivi
32:53dans le tribunal
32:54je me suis retrouvé
32:55à côté de lui dehors
32:56pendant 15 minutes
32:57après il est revenu
32:58dans la salle d'audience
32:59je l'ai resuivi
33:00enfin voilà
33:00j'étais vraiment à un moment
33:01où j'essayais de m'approcher
33:02le plus possible
33:03de mon sujet
33:04sans me brûler les ailes
33:06pour autant
33:07en allant lui parler
33:08c'est-à-dire que
33:08pendant tout ce moment-là
33:09je me disais
33:10mais Paul c'est le moment
33:11t'es face au garçon
33:12qui a tué ma mère
33:13qui t'a rendu orphelin
33:14qui est à l'origine de tout
33:15va lui parler
33:16trouve quelque chose
33:17d'intelligent à lui dire
33:18et en fait
33:18j'ai pas su quoi lui dire
33:20et je pense que j'ai bien fait
33:21de ne pas aller lui parler
33:22mais j'avais besoin
33:23de ça
33:24de le suivre
33:25presque de le sentir
33:26d'entendre le son de sa voix
33:27de l'entendre rire
33:28de l'entendre au téléphone
33:29de voir comment il était habillé
33:31comment il marchait
33:31pour avoir le sentiment
33:33que j'étais allé
33:33au bout du bout
33:34de ma démarche de compréhension
33:36alors que j'imagine
33:38que pendant 10 ans
33:39t'as dû te faire
33:40mille fois la scène
33:42peut-être de le rencontrer
33:43de lui dire des choses
33:44de revenir sur ta version
33:45de ressortir une autre
33:46absolument
33:47et à chaque fois
33:47que je rentrais à Lyon
33:48pour Noël
33:49ou pour voir de la famille
33:50ou pour voir mon père
33:50et que je me baladais dans Lyon
33:51notamment dans le quartier
33:52de la Croix-Rousse
33:53je me disais
33:54je regardais les gens
33:55autour de moi
33:55je me disais
33:56mais si ça se trouve
33:56je vais le croiser
33:56parce que lui il vient de là
33:57tous ses amis sont dans le quartier
33:59puis c'est un petit quartier
34:00et je lui dis
34:01mais alors si tu le croises
34:02Paul qu'est-ce que tu vas lui dire
34:03c'est vrai que je m'étais fantasmé
34:04plusieurs scènes
34:04plusieurs dialogues
34:05et en fait la réalité
34:07elle est beaucoup plus décevante
34:08et prosaïque que ça
34:08et quand on se retrouve face à lui
34:09on se rend compte
34:10qu'en fait on a rien à lui dire
34:12et que c'est peut-être pas nécessaire
34:12d'aller lui parler
34:13parce que
34:13je me suis souvent posé la question
34:15en écrivant
34:16est-ce que je devrais le contacter
34:17parce que j'ai son numéro
34:18j'ai son adresse
34:19pour aller prendre un café avec lui
34:21et en fait je me sentais pas
34:22les épaules de le faire
34:23parce que c'est quand même pas évident
34:24psychologiquement
34:26c'est quand même une charge
34:26de se retrouver
34:27à prendre un café
34:28avec celui qui vous a rendu orphelin
34:33lui n'a rien à me raconter
34:34et qui sont un peu débiles
34:35en fait
34:36et c'est ce que tous les gens
34:37qu'il avait côtoyé m'avaient dit
34:38il m'a dit attention
34:38vous êtes quand même sur quelqu'un
34:40d'assez limité intellectuellement
34:42et c'est pas certain
34:42qu'il aura un discours de rédemption
34:44ou quelque chose d'intelligent
34:45à dire sur lui
34:46en vous rencontrant
34:47et donc je suis parti du principe
34:49que quand quelqu'un
34:50a rien à raconter
34:51son parcours parle à sa place
34:52et a quelque chose à raconter
34:54sans que lui ait à parler
34:56donc c'est pour ça que je l'ai pas fait
34:58Entre le procès
35:00qui te concerne en 2013
35:02et un autre procès
35:03pour lequel il a replongé
35:04en fait en 2024
35:05donc tu le vois
35:07à ces deux moments là
35:08quelle est la différence
35:10d'émotion que tu ressens
35:12entre ces deux rencontres
35:13ce qui est fou
35:14c'est que
35:15lui je l'ai vu deux fois
35:16les deux fois c'était au tribunal
35:17dans le même tribunal
35:18quasiment dans la même salle d'audience
35:20et à chaque fois
35:22en qualité d'accusé
35:23et ce qui est fou
35:25c'est que lui n'a pas évolué
35:26dans sa vie
35:27c'est ça que ça raconte
35:28c'est à dire que je l'ai laissé
35:28en 2013
35:29dans un box d'accusés
35:30je le retrouve en 2024
35:31dans le même tribunal
35:32toujours accusé
35:33pour une histoire
35:34qui n'a rien à voir
35:36mais bon
35:36il en était là
35:38c'était pour une histoire
35:39de violence
35:39et en fait
35:41ce que j'ai découvert
35:42c'est que depuis 10 ans
35:43il a passé
35:44sa vie
35:45à la détruire
35:46en entrant
35:47en sortant de prison
35:48devant un magistrat
35:49en fait
35:49il n'a jamais réussi
35:50à s'extraire
35:50de la délinquance
35:51et en 2013
35:54la première fois
35:54que je l'ai vu
35:54mon sentiment
35:55c'était
35:55de la colère
35:57de l'incrédulité
35:58j'arrêtais pas
35:59de décrypter son visage
36:00je me disais
36:00mais c'est qui
36:01c'est qui ce petit con
36:02qui m'a enlevé ma mère
36:03quoi
36:03donc c'était énormément
36:05de rage et de colère
36:06et 10 ans plus tard
36:09en 2024
36:10c'était plutôt
36:11de la
36:13c'est peut-être
36:14un syndrome de Stockholm
36:15mais de la tristesse
36:15pour lui
36:16je me disais
36:16mais mon pauvre ami
36:18quoi
36:18t'en es toujours là
36:20j'espère sincèrement
36:22que tu vas
36:23que tu vas réussir
36:24à t'extraire
36:25de ta pente
36:27qui semble t'emmener
36:28à chaque fois
36:28vers les mauvais choix
36:29et vers la délinquance
36:30que tu vas réussir
36:31à sortir ton pied
36:31des filets
36:32des mauvais choix
36:33et que tu vas faire
36:34des belles rencontres
36:35qui font qu'on revient
36:37dans les clous
36:37non seulement pour toi
36:38mais aussi pour tous les gens
36:39que tu vas croiser
36:40donc voilà
36:41j'avais une approche
36:43et un regard
36:43beaucoup plus apaisés
36:45en 2024
36:45que la première fois
36:46que je l'ai vu en 2013
36:47c'est normal
36:48est-ce que
36:49tu t'es surpris
36:50presque avoir de l'empathie
36:51pour lui
36:52bien sûr
36:52je me suis pas surpris
36:54je pense que c'était
36:55un des buts de l'écriture
36:57l'empathie c'est pas la sympathie
36:58l'empathie c'est la capacité
36:59à se mettre à la place
37:00de quelqu'un
37:01pour comprendre son comportement
37:03et bien sûr
37:04que j'ai développé
37:06de l'empathie pour lui
37:06et je pense que j'en avais besoin
37:08pour arrêter de le diaboliser
37:09ça va pas jusqu'à aller boire
37:11des coups avec lui
37:12mais là je lisais le livre
37:13d'Aurélie Sylvestre
37:15qui a perdu son compagnon
37:17au Bataclan
37:17et qu'elle raconte exactement ça
37:19c'est à dire qu'elle a écrit
37:19tout un bouquin
37:20où elle explique
37:21qu'elle avait besoin
37:21d'aller au procès
37:22pour humaniser
37:23Salah Abdeslam
37:24parce qu'elle avait besoin
37:26presque de connaître
37:27le personnage
37:27pour en être déçu
37:29et pour le neutraliser
37:30et moi il y avait vraiment
37:31de ça dans mon rapport
37:32avec Saïd
37:33c'est à dire que
37:33j'avais besoin de comprendre
37:34exactement comment son parcours
37:36délinquant s'était construit
37:37quels ont été les moments
37:39charnières de sa vie
37:40qui ont jalonné
37:40sa carrière de délinquant
37:42entre guillemets
37:42pour qu'en ayant humanisé
37:46ce personnage
37:47il me déçoive
37:47et j'arrive à le neutraliser
37:48c'est paradoxal
37:50mais moi j'avais besoin
37:51de faire cette démarche
37:53et puis je pense
37:54qu'aussi
37:54c'est une des formations
37:55professionnelles de journaliste
37:56et que j'étais face
37:57à une histoire
37:58qui était aussi intéressante
37:59à raconter
37:59en tant que journaliste
38:01tu t'intéresses
38:03quand est-ce que tu dis
38:04que tu as envie
38:05de devenir journaliste ?
38:06Très vite
38:07j'ai toujours voulu faire ça
38:08C'est avant
38:09après l'événement ?
38:10Non même avant
38:11j'ai pas fait
38:12l'école de journalisme
38:13moi j'ai fait Sciences Po
38:14mais j'ai pas fait
38:15l'école de journalisme
38:16et puis très vite après
38:17j'ai trouvé un stage
38:18dans une société de production
38:20qui faisait des documentaires
38:21et puis j'ai rencontré
38:21des personnes
38:22et les arts de la vie
38:23ont fait que
38:24que j'ai évolué
38:25dans ce milieu là
38:26mais en tout cas
38:27moi le journaliste
38:28c'est toujours
38:28ce que j'ai voulu faire
38:29quand je vivais en Inde
38:31je voyageais énormément
38:31j'écrivais des chroniques
38:32de voyage
38:33je prenais beaucoup de photos
38:34à un moment
38:34je voulais être photographe
38:35donc j'ai toujours su
38:37que je voulais être journaliste
38:37journaliste télé
38:39pas forcément
38:39ça s'est fait
38:40un peu par le hasard
38:41de la vie
38:42mais en tout cas
38:43cet événement
38:43il n'y a pas eu d'avant
38:44après de ce point de vue là
38:45c'est à dire que
38:45j'ai toujours su
38:46que je voulais raconter
38:46des histoires
38:47Ma question ça allait être
38:48est-ce qu'il y a un lien
38:49entre
38:50ou plutôt
38:51une conséquence
38:52entre cet événement là
38:53qui t'est arrivé
38:54ce drame personnel
38:55et la manière
38:56dont tu appréhendes
38:57l'enquête
38:57le prisme politique
39:00ta manière de pratiquer
39:02ton métier de journaliste
39:03oui je pense que
39:04cet événement
39:05a eu une influence
39:06dans l'intérêt que j'ai
39:08pour l'extrême droite
39:08le fait que
39:11ce soit mon sujet
39:12de prédilection
39:13ou en tout cas
39:13le sujet que je préfère
39:14couvrir
39:15je pense que
39:16c'est pas étranger
39:17au fait que ma mère
39:18a été tuée
39:19par un jeune délinquant
39:20maghrébin
39:20et que
39:21j'aurais pu avoir
39:22cette trajectoire
39:23je pense qu'il y a
39:24une partie de moi
39:24qui comprend
39:25la colère des gens
39:26dans les meetings
39:27d'extrême droite
39:28j'ai peut-être
39:29une fascination morbide
39:30pour des gens
39:31que j'aurais pu admirer
39:32si j'avais eu une trajectoire
39:33différente
39:33enfin moi je fais un lien
39:35qui est très clair
39:36entre ce que j'ai vécu
39:37et mon intérêt professionnel
39:38pour l'extrême droite
39:39aujourd'hui
39:39est-ce que
39:40les militants
39:41d'extrême droite
39:42ou les partisans
39:43même de partis
39:44d'extrême droite
39:44doivent lire ton livre
39:45oui alors ça dépend
39:47à quel degré
39:49ils sont impliqués
39:50idéologisés
39:51j'ai pas la prétention
39:52de leur faire changer d'avis
39:52mais je pense que
39:54je pense que tout le monde
39:55devrait le lire
39:55et eux
39:57je sais pas
40:01si ça les fera
40:02changer d'avis
40:02en tout cas
40:03si ça leur permet
40:04de comprendre
40:04que le réel
40:05est toujours plus nuancé
40:06plus complexe
40:07et que c'est une infinie
40:08nuance de gris
40:09que ce qu'ils pensent
40:10alors à ce moment là
40:11ce sera gagné
40:12mais là
40:13les retours que j'ai
40:14des militants d'extrême droite
40:15c'est les haters en ligne
40:16et c'est quelque chose
40:17ouais
40:18bon après
40:19ils sont pas trop
40:19dans cette démarche
40:20de recherche de nuances
40:21après les commentaires
40:23qui se passent
40:24sur les réseaux sociaux
40:25enfin tu sais comment c'est
40:26en fait
40:26la négativité
40:27la haine
40:28prend le pas
40:30sur la positivité
40:31les compliments
40:31les choses sympas à dire
40:32donc bon
40:33c'est pas toujours
40:34les plus malins
40:34qui s'expriment sur X
40:35non mais je pense
40:37que si quelqu'un
40:38est tenté par des
40:38est tenté par ces discours là
40:40qui
40:41qui sent que
40:43il sent que c'est une impasse
40:44mais il arrive pas
40:44à mettre des mots dessus
40:45et que si en lisant
40:47mon modeste texte
40:48il découvrira que
40:49en fait
40:50s'arrêter à la figure
40:52du délinquant maghrébin
40:53ça suffit pas
40:53et que derrière
40:54il y a aussi
40:54une responsabilité collective
40:56autour de la délinquance
40:57que le réel est beaucoup
40:58plus nuancé
40:58et complexe que ça
40:59s'il arrive à entreprendre
41:01cette démarche intellectuelle
41:02en parcourant mon histoire
41:04alors à ce moment là
41:04bingo quoi
41:05est-ce que
41:06la notion de pardon
41:08évolue
41:09entre la date de l'événement
41:12évidemment
41:12beaucoup de colère
41:13beaucoup d'émotions
41:14comment cette notion
41:15de pardon
41:16elle évolue
41:16et est-ce que
41:17on peut pardonner
41:19ça c'est une question
41:22à laquelle j'ai beaucoup
41:23de mal à répondre
41:24parce que moi je crois
41:25beaucoup à la force
41:26rédemptrice du pardon
41:27mais j'ai du mal
41:30à dire aujourd'hui
41:31que je lui ai pardonné
41:32déjà parce que lui
41:34ne me l'a jamais demandé
41:34et puis
41:36et puis parce que
41:38le pardon pour moi
41:39il est
41:40c'est presque quelque chose
41:41de trop grand
41:42pour mes petites épaules
41:43voilà moi je suis un
41:43je suis un être humain
41:45comme tout le monde
41:46assez médiocre
41:46qui est encore
41:47plein de rancœur
41:48et de ressentiment
41:49et même si j'ai fait
41:51un gros travail là dessus
41:52aller jusqu'au pardon
41:53je pense que ça me prendra
41:54encore des années
41:55peut-être toute ma vie
41:56en fait ça dépend
41:58comment tu définis le pardon
41:58si dans le lien d'empathie
42:00que j'ai développé
42:01pour Saïd
42:01et le fait d'avoir écrit
42:02son histoire
42:03de l'avoir rendu public
42:04si entre les lignes
42:05on comprend qu'il y a
42:06une main tendue vers lui
42:07et qu'on décide de mettre
42:08le mot de pardon dessus
42:09alors peut-être que je lui ai
42:10un peu déjà pardonné
42:11avec ce livre
42:12mais en tout cas
42:14rien que pour ça
42:15pour lui tendre la main
42:16et m'intéresser à lui
42:17ça m'a pris 10 ans
42:17pour dire que je lui ai pardonné
42:19ça en prendra peut-être 50
42:20au contraire
42:23qu'est-ce que tu ne pardonnes pas
42:24à Saïd ?
42:27la raison pour laquelle
42:28j'ai du mal à lui pardonner
42:29c'est qu'il ne s'est jamais repris
42:31après avoir tué ma mère
42:32il a toujours
42:33il a toujours rechuté
42:35dans la délinquance
42:35en fait
42:36et pourtant il a eu des pistes
42:38pour se remettre
42:40sur le droit chemin
42:41sa sœur était là
42:42pour l'aider
42:42il a créé
42:43sa petite entreprise
42:44avant il avait commencé
42:45une formation
42:46il est devenu père
42:47et en fait
42:49à chaque embranchement
42:50de la vie
42:51où il aurait pu
42:52tourner à gauche
42:53plutôt qu'à droite
42:53pour avoir une trajectoire
42:55différente
42:55et bien en fait
42:56c'était plus fort que lui
42:57il est toujours retombé
42:58dans la violence
42:58dans la drogue
42:59dans les excès de vitesse
43:00et je pense que c'est pour ça
43:01que j'ai du mal
43:02à lui pardonner
43:02c'est que c'est quelqu'un
43:03qui ne s'est jamais ressaisi
43:05qui ne s'est jamais repris
43:06et je pense que pour pardonner
43:07il faut aussi voir
43:08à quel point
43:10tel événement
43:10a changé la vie
43:11de son auteur
43:13et là
43:13je n'ai pas l'impression
43:14que c'était le cas
43:15pour revenir sur l'émotion
43:18les différentes émotions
43:20que tu as ressenti
43:21on va reparler de la colère
43:24tu écris toute une tirade
43:28sur la colère
43:29tu dis
43:29contrairement à une image répandue
43:31la colère n'est pas un feu
43:33qui consomme
43:33c'est un liquide
43:34qui s'infiltre insidieusement
43:35dans nos interstices psychiques
43:37pour remplir notre cave
43:38y moisir les fondations
43:40et corrompre notre édifice entier
43:42en chamboulant tout
43:43ce qu'on y avait soigneusement déposé
43:45nos repères
43:45nos bornes idéologiques
43:47les quelques idées directrices
43:48que l'on se fait sur la vie
43:49ce procès
43:50c'était aussi le procès
43:51de mes croyances
43:51et des valeurs
43:52que m'avait transmises ma mère
43:53à partir du moment
43:54où je dévisageais enfin
43:55le garçon
43:56qui l'avait tué
43:56plus rien ne serait désormais
43:58comme avant
43:58parce que cet accident
43:59venait tout brouiller
44:00ce n'était pas juste
44:01une pierre jetée
44:02dans le jardin de mon éducation
44:03par laquelle mes parents
44:04s'étaient excrimés
44:05à me transmettre leurs valeurs
44:06c'était un éboulement de terrain
44:08dont j'observais les dégâts
44:09ébahis depuis un hélicoptère
44:10de secours
44:11qu'est-ce qu'on fait
44:16qu'est-ce qu'on fait
44:17de cette colère
44:18quand on la vit
44:19pendant tant de temps
44:20et bien
44:22on la sublime
44:24en écrivant dessus
44:25et c'est ça
44:26le miracle de l'écriture
44:28cette force incroyable
44:29que permet le livre
44:30c'est que l'écriture
44:31est la seule chose
44:32qui permet de se sortir de là
44:34parce qu'on fait quelque chose
44:37de ce qu'on nous a fait
44:37et encore une fois
44:39moi je reviens toujours
44:40à cet exemple là
44:41mais toute la littérature
44:42qu'il y a eu
44:42sur les violences sexuelles
44:44et sur l'inceste
44:45et la pédophilie
44:46m'a beaucoup
44:46je pense m'a influencé
44:48parce que c'est des livres
44:49qui m'ont vraiment marqué
44:49sur à quel point
44:50des années après un trauma
44:52la victime
44:53en écrivant dessus
44:54permet de se sauver
44:55un petit peu
44:55ou en tout cas
44:56de faire quelque chose
44:58de ce qu'on lui a fait
44:59et moi il y a vraiment
45:00de ça dans cette démarche
45:01c'est à dire que la colère
45:02au fond
45:02évidemment qu'elle est toujours là
45:04mais je la tiens à distance
45:07et je la mets à sa place
45:09c'est à dire qu'elle a cessé
45:10de m'envahir
45:10de me faire perdre des pédales
45:12comme elle l'a fait
45:12à certains moments
45:13ces dix dernières années
45:14et elle est toujours là
45:15mais elle est circonscrite
45:16dans le chaos de mes émotions
45:18et ça c'est par l'écriture
45:20que j'ai réussi à faire ça
45:22et moi je crois beaucoup
45:23au pouvoir performatif
45:25de l'écriture
45:26à la parole performative
45:27c'est à dire qu'en disant
45:29qu'on est passé à autre chose
45:30et en l'écrivant
45:31et en le rendant public
45:32en fait c'est ça qui fait
45:33qu'on passe à autre chose
45:33et c'est aussi ça
45:35qu'à littérature permet
45:35et qu'est-ce que t'as découvert
45:38sur toi en écrivant
45:39ta propre histoire
45:40ah intéressant
45:43qu'est-ce que j'ai découvert
45:45sur moi
45:46c'est dur comme question
45:47ça implique
45:49peut-être que c'est
45:52enfin en fait
45:54t'as posé les choses
45:55et aujourd'hui
45:56t'as du recul
45:57sur cet événement là
45:59si t'arrives pas
46:01à répondre à cette question
46:02est-ce que tu penses
46:03que ton sentiment
46:04va évoluer
46:04les dix prochaines années
46:06là ça fait dix ans
46:06il y a dix ans à venir encore
46:09enfin
46:09beaucoup d'autres années encore
46:11cinquante comme tu l'as dit tout à l'heure
46:12mais
46:12est-ce que tu penses
46:13que ton sentiment
46:14à l'égard de cet événement
46:16va changer en dix ans
46:17ou alors là
46:18il est figé
46:18dans un livre
46:19non je pense que
46:19si ça évolue
46:20ce sera évidemment
46:21dans la bonne direction
46:22grâce au fait
46:22d'avoir écrit dessus
46:24grâce à ce livre
46:24et je pense que
46:26je vais aller
46:26toujours plus loin
46:27dans la tranquillité
46:28et dans la sérénité
46:29vraiment
46:30et j'avais besoin d'écrire
46:31pour amorcer
46:33ce processus là
46:34et je suis certain
46:36que je ne vais jamais
46:37rechuter dans les attermoiements
46:39émotionnels
46:39que j'ai vécu pendant dix ans
46:40cet événement
46:42c'est une épreuve
46:43que tu as vécu toi
46:45et tu définis l'épreuve
46:46dans le livre
46:47tu dis
46:47l'épreuve c'est un test d'humanité
46:49dans les conditions du réel
46:50enfin en tout cas
46:51cet événement
46:52c'est un test d'humanité
46:53dans les conditions du réel
46:54en somme
46:54qui donnait tout son sens
46:56au terme épreuve
46:56une épreuve qui consistait
46:58essentiellement à garder
46:59l'esprit ouvert
46:59et lucide que possible
47:01ouais
47:02presque
47:02pardon vas-y
47:04non mais c'était
47:05est-ce que
47:06enfin
47:06toi qui as une
47:08connaissance de l'épreuve
47:10est-ce que tu pourrais
47:10définir l'épreuve ?
47:12bah moi je le
47:13c'est vrai que ce procès
47:14en 2013
47:15quand je me retrouvais
47:16pour la première fois
47:16face au garçon
47:17qui a tué ma mère
47:18je l'ai vécu comme une épreuve
47:19presque au sens télévisé
47:20du terme quoi
47:21c'était presque une épreuve
47:22à la Fort Boyard
47:23où voilà
47:24maintenant le but du jeu
47:25ça va être de sortir
47:25de cette pièce
47:26avec des valeurs
47:29tout aussi solides
47:31que avant la mort de ta mère
47:32et moi je l'ai vraiment vécu
47:34comme ça
47:35c'était comme un crash test
47:36où on vit quelque chose
47:38qui est tellement brutal
47:39qui vient tellement contredire
47:40tout ce qu'on croyait
47:40que le but du jeu
47:42ça va être de rester lucide
47:44la tête sur les épaules
47:45de sang froid
47:46pour pas basculer
47:48et c'est pour ça
47:48que j'utilise le terme d'épreuve
47:50c'est à dire que c'est
47:51très facile d'être de gauche
47:52quand on n'a pas vécu ça
47:53ça allait beaucoup moins
47:54quand c'est un maghrébin
47:55dealer de drogue
47:55qui a tué ta mère
47:56en gros de drogue urbain
47:57et c'est en ça
47:58que c'était une épreuve
47:58une épreuve à franchir
48:00et qui m'a mis
48:01ça m'a pris 10 ans
48:02à la réussir
48:03c'est ce que tu dis
48:05quand tu
48:06quand tu écris
48:08sur la réaction
48:08de ton père
48:09quand il arrive au tribunal
48:10tu dis
48:11à l'arrivée de Saïd
48:12mon père se pencha
48:14en avant pour mieux le voir
48:15et décrypter le visage
48:15de celui qui avait tué
48:16sa femme
48:17c'était volatilisé
48:18l'indulgence amusée
48:20que les honnêtes gens
48:20portent aux voyous
48:21quand ils bénéficient
48:22du luxe de la distance
48:24ouais
48:24oui c'est à dire que
48:25quand on vit dans un milieu
48:26bourgeois
48:28privilégié
48:29assez préservé
48:31de la délinquance quotidienne
48:32ce qui était complètement
48:33notre cas
48:33on a toujours un regard
48:35un petit peu
48:36pas sympathique
48:37mais un peu goguenard
48:38sur les délinquants
48:38sur les jeunes
48:39qui font des conneries
48:39etc
48:40et puis là tout ça
48:41tout ça s'était volatilisé
48:42à partir du moment
48:42où un d'entre eux
48:43avait commis irréparable
48:45et tué sa femme
48:46ma mère
48:46donc effectivement
48:48lui aussi
48:48avait changé de regard
48:49puisque j'avais l'impression
48:51qu'en fait
48:51qu'on découvrait tous
48:52la brutalité du réel
48:54qui faisait effraction
48:55dans nos vies
48:56qui étaient confortablement
48:57rangées
48:58et préservées de tout ça
48:59et forcément
49:00ça fait que ça
49:00on change complètement
49:02de filtre
49:03quand on vit quelque chose
49:04de cette nature là
49:06alors mon père
49:07et ma soeur
49:08je pense
49:09sont des gens
49:09beaucoup plus
49:10beaucoup plus solides
49:11et sophistiqués que moi
49:12donc ils n'ont pas eu
49:13ils n'ont pas connu
49:15tous ces attermoiements
49:15et ce déboussolement politique
49:17dont je parlais
49:17ils n'ont pas eu besoin
49:19d'écrire dessus
49:19pour passer à autre chose
49:20mais voilà
49:21chacun son cheminement
49:22et comment ils ont réagi
49:24à la réception de Siv
49:26en tout cas
49:27quand tu leur as fait lire
49:28j'imagine dans les premiers
49:29ou
49:29ils étaient
49:30alors moi
49:31déjà j'ai fait valider
49:32avec eux
49:33l'idée d'écrire dessus
49:34quand j'ai commencé
49:34à écrire sur
49:35sur la collision
49:36et quand le projet
49:38devenait sérieux
49:39c'est à dire
49:40quand j'avais la quasi-certitude
49:41qu'il allait être publié
49:41je leur en ai parlé
49:42et ils ont validé
49:44ma démarche
49:44et je leur ai fait
49:45évidemment lire le manuscrit
49:46avant publication
49:47pour moi c'était important
49:48d'avoir leur consentement
49:48pour faire ça
49:50surtout mon père
49:51parce que je parle quand même
49:52de son intimité de couple
49:53je raconte
49:53la femme avec qui il a vécu
49:55pendant 30 ans
49:56avec qui il a eu deux enfants
49:57donc c'est pas rien
49:57de rendre ça public
49:58alors pour lui
50:01la première lecture du texte
50:02c'était très difficile
50:03parce qu'il a découvert
50:04plein de choses
50:05qu'il connaissait pas
50:07sur cet accident
50:07sur
50:08sur
50:09voilà
50:09l'histoire du dernier homme
50:11qui a tenu la main de ma mère
50:12pendant qu'elle était en train
50:13de mourir
50:14ça il le savait pas
50:16enfin il y a eu plein de détails
50:17comme ça sur cette collision
50:17sur le parcours de Saïd
50:18dont il était complètement ignorant
50:20comme moi
50:21avant de commencer cette enquête
50:22donc pour lui
50:23ça a été très dur
50:23puis de revivre aussi
50:24l'accident
50:25de revivre la collision
50:28comme ça minute par minute
50:29il s'était
50:31lui il avait jamais lu
50:32le dossier d'instruction
50:33donc il s'est pris ça
50:34un peu en pleine tête
50:35donc la lecture du manuscrit
50:37la première fois
50:37a été très difficile pour lui
50:38il l'a relu plusieurs fois
50:40et heureusement
50:41il était d'accord
50:42pour que ça sorte
50:43sinon ça aurait été un problème
50:44et t'as une soeur
50:46il me semble
50:46et ma grande soeur
50:47pareil je l'adore
50:49on est très proche
50:50et puis elle était avec moi
50:51du début à la fin
50:51donc pas de problème
50:53de ce côté là
50:54heureusement
50:54ouais c'est clair
50:56est-ce que t'aurais
50:58un conseil
51:00ou quelque chose
51:01à dire
51:01je sais que chaque histoire
51:02est différente
51:03le drame par définition
51:05c'est unique
51:05donc chaque famille
51:06chaque personne
51:07a ses drames
51:08a effectivement
51:09une expérience différente
51:10du drame
51:11mais est-ce que t'as
51:12un conseil
51:13ou quelque chose
51:13à dire
51:14à des jeunes
51:15de 21 ans
51:16qui vivent une épreuve
51:19vivent un drame
51:20personnel
51:21familial
51:22est-ce que t'aurais
51:23quelque chose
51:23à leur dire
51:24d'abord j'ai
51:25quelque chose
51:26à dire
51:27à ceux qui ne vivent
51:27pas ces épreuves là
51:28dites à vos proches
51:29que vous les aimez
51:30tous les jours
51:30et comme l'écrit
51:32magnifiquement
51:32Albert Cohen
51:33dans le livre de ma mère
51:34n'oubliez jamais
51:35que vos mères sont mortelles
51:36et quand vous vous éparpillez
51:38dans des rencontres inutiles
51:40ou dans du temps perdu
51:41où vous préférez
51:41être avec une nymphe
51:44plutôt qu'au téléphone
51:45avec votre mère
51:45comme il le dit
51:46voilà n'oubliez jamais
51:47que le bonheur
51:48d'avoir une mère
51:49que vous aimez
51:49est un bonheur
51:50hautement provisoire
51:51et que ça s'arrêtera
51:52un jour
51:52et que c'est une expérience
51:53universellement partagée
51:54ceci étant dit
51:55quelle leçon
51:56je pourrais donner
51:57à quelqu'un
51:57qui vit une épreuve
51:57comme ça
51:58faites confiance
52:01au temps quand même
52:02parce que le temps
52:02aide à
52:03réparer les cicatrices
52:06et à doucir
52:06les plaies
52:07et réfugiez-vous
52:09enfin vraiment
52:09je vais enfoncer
52:10une porte ouverte
52:11mais réfugiez-vous
52:13dans l'amour des vôtres
52:14parce que c'est ça
52:15qui vous sauve
52:15et moi c'est l'amour
52:16de ma mère qui m'a sauvée
52:17mais je me garde
52:18de donner
52:19des leçons
52:20et en tout cas
52:21d'avoir un regard
52:22qui juge
52:22sur les trajectoires
52:24des uns et des autres
52:24parce qu'on sait jamais
52:25comment on va réagir
52:26quand on vit quelque chose
52:27comme ça
52:27est-ce que c'est
52:30c'est bientôt la fin
52:31t'inquiète
52:31non t'inquiète
52:33t'inquiète
52:33j'en prendrai une heure de plus
52:34est-ce que
52:35merci
52:36est-ce que c'est difficile
52:38de parler du livre
52:40qu'on a écrit
52:40sur la mort de sa mère
52:42oui
52:44alors déjà
52:44c'est difficile
52:45d'écrire dessus
52:45moi les pages
52:46les plus dures
52:47à écrire
52:47en fait
52:48c'était
52:48c'était les pages
52:49sur ma mère
52:50c'est-à-dire
52:50tout le chapitre
52:52où je raconte
52:52qui elle était
52:53le rapport
52:53que j'avais avec elle
52:54là j'avais plus du tout
52:55de distance journalistique
52:56parce que je parlais
52:57de mon enfance
52:58de choses très intimes
52:59comme c'est intime
53:01pour n'importe qui
53:02d'écrire sur sa mère
53:03enfin j'avais un lien
53:05très proche d'elle
53:05mais il n'y a pas
53:06une particularité
53:07dans l'amour
53:07que je lui portais
53:08mais oui ça
53:09c'était très difficile
53:10parce que c'est quelque chose
53:11que j'avais jamais fait
53:12moi j'ai toujours écrit
53:13sur des histoires
53:14qui ne me concernaient pas
53:15et sur des personnages
53:17avec qui j'avais aucun lien intime
53:19et là c'est la première fois
53:19que je devais mettre des mots
53:20sur une relation
53:21que j'avais jamais racontée
53:22parce que pour moi
53:23elle était évidente
53:23et ça effectivement
53:25c'était pas facile
53:26c'était ce qu'il y avait
53:27plus dur dans l'écriture
53:28et le fait d'en parler
53:29publiquement aujourd'hui
53:30ouais ouais ouais
53:33non non c'est pas évident
53:34c'est clair
53:34puis on a l'impression
53:35d'être complètement tarte
53:36quand on dit
53:37qu'on aimait sa mère
53:38et que c'est cet amour maternel
53:40qui nous a sauvés
53:40mais en l'occurrence
53:41s'il y a une conclusion
53:42à mon livre
53:42c'est bien celle-là
53:44ouais c'est pas évident
53:46d'en parler
53:46mais heureusement
53:47il y a des interviewer
53:48comme toi Julia
53:49qui permettent
53:49de faire accoucher
53:50les invités
53:50si j'ose dire
53:51est-ce que je peux te faire
53:54faire un petit exercice
53:55tu me dis
53:55si t'acceptes de le faire
53:56en fait
53:58c'est ce que je demande
53:59aux invités
54:00assez souvent maintenant
54:01et c'est toujours
54:02des moments
54:03assez intéressants
54:05je trouve
54:05c'est en fait
54:06de s'adresser
54:07à l'adolescent
54:08qu'on était
54:08il le fait
54:09il le fait
54:11donc c'est le Paul
54:13qui avait 15 ans
54:15c'est le Paul
54:15qui avait peut-être
54:16même 23 ans
54:18c'est le Paul
54:18d'il y a 10 ans
54:19en fait
54:19le Paul d'il y a 10 ans
54:20salut Paul
54:22c'est Paul
54:23on est en 2025
54:24écoute je voulais juste dire
54:26que la force
54:28de survivre
54:29à cette épreuve
54:29elle est en toi
54:30ne perds pas ton temps
54:32prends soin
54:33des gens
54:34que tu aimes
54:35ne leur fais pas de mal
54:37et la réponse
54:38à tes tourments
54:39viendra de
54:41de l'amour
54:44qu'on te porte
54:44et que tu acceptes
54:45de recevoir
54:46et je sais que tu n'as pas toujours
54:47accepté les mains
54:49qu'on te tendait
54:49et l'amour qu'on te portait
54:50donc accepte-le
54:51perds-toi dedans
54:52et c'est ça
54:53qui te sauvera
54:54quand au reste
54:56tu seras toujours
54:56un peu ringard
54:57désolé
54:57mais voilà
54:59c'est aussi ça
54:59ta marque de fabrique
55:00je t'embrasse
55:02super
55:04bravo
55:05merci beaucoup
55:06enfin merci
55:07pour cette
55:08c'est déjà fini ?
55:10ouais
55:10bah non
55:11mais après
55:11on peut rester là
55:12on peut
55:12on peut continuer
55:14en tout cas
55:14j'ai arboré
55:15tous les endroits
55:16que je voulais
55:17arborer avec toi
55:18et c'était un plaisir
55:19de parler d'un sujet
55:20aussi intime aussi
55:21de cette manière là
55:22j'ai adoré ce livre
55:24trop bien
55:24merci beaucoup
55:25tous les gens
55:26à qui je l'ai prêté
55:26parce que je l'ai vachement prêté
55:27le livre
55:28prêtez vos livres
55:29ça c'est un truc
55:30oui prêtez vos livres
55:30voilà
55:31et récupérez les après
55:33oui voilà
55:33rendez les livres
55:34qu'on vous prête
55:35à tous les gens
55:36à qui j'ai prêté ce livre
55:38ça a été assez unanime
55:41dans l'émotionnel
55:42et dans le plaisir de lecture
55:45ah bah trop bien
55:46enfin les gens ont adoré quoi
55:47trop bien
55:48bravo
55:48et tu vas écrire d'autres livres
55:49et Calmos
55:51il est sorti il y a trois mois
55:52une seconde
55:53tout le monde me demande ça
55:54non c'est sûr
55:55que je vais continuer d'écrire
55:55parce que j'ai adoré ça
55:57et c'est un processus
55:58qui est vraiment unique
56:00dans le sens
56:01où on est à la fois
56:01démiurge
56:03et esclave
56:03de nous même
56:04c'est à dire
56:04parfois on peut se trouver
56:05génial dans ce qu'on écrit
56:07puis après nullissime
56:08le lendemain
56:08quand on se relie
56:09donc c'est un sport
56:11qui rend humble
56:12voilà
56:14c'est clair
56:14c'est un peu comme
56:15aux meufs
56:16on leur dit
56:16tu vas refaire un enfant
56:17tu vois c'est un peu le même truc
56:18exactement
56:19j'aimerais bien dire exactement
56:20comme si je parlais
56:21d'expérience et d'autorité
56:22mais j'imagine que c'est
56:23ouais c'est sans doute
56:24la même chose
56:25trop bien
56:26La Collision
56:27édition Gallimard
56:28on y va
56:28on l'achète
56:29on le lit
56:30merci beaucoup
56:31merci Paul
56:31merci Julia
56:32merci d'avoir passé ce moment
56:34avec nous
56:34si cette conversation
56:35vous a parlé
56:36n'hésitez pas à vous abonner
56:37à liker ou à partager
56:38c'est la meilleure façon
56:39de soutenir le podcast
56:40et de faire vivre
56:41ces discussions
56:41on se retrouve très vite
56:43pour une nouvelle conversation
56:44avant la fin du monde
56:45à liker ou à liker ou à liker
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