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  • il y a 3 heures
Avec humilité et pudeur, Romane Bohringer se met à nu dans son second film, « Dites-lui que je l’aime », adaptation bouleversante du livre éponyme de Clémentine Autain. Rencontre.
Transcription
00:00Romane, il faut aller consoler l'enfant qui est en vous.
00:03Et quelque part, j'ai l'impression et d'avoir été consolé cet enfant,
00:07et aussi d'avoir consolé l'enfant qui était ma mère.
00:15Ma mère m'a laissé à mon père quand j'étais un tout petit bébé,
00:19et décédé bien plus tard quand j'avais 14 ans.
00:22L'absence a été un chagrin un petit peu originel,
00:27mais que j'ai complètement enfoui, pas dit, pas prononcé, pas nommé.
00:33Parce que ma manière de m'en relever, justement,
00:35ça a été de développer une personnalité plutôt très combative,
00:38très enthousiaste, très joyeuse.
00:40La force des enfants, leur pouvoir de résilience est inouï.
00:45Et j'ai attendu 40 ans avant de pouvoir mettre des mots sur ce chagrin.
00:51On a une relation avec mon père forte.
00:54On a eu plusieurs vies.
00:56Il y a eu d'abord cette première partie de vie,
00:59je dirais entre mes 0 et 8 ans,
01:02qui était un duo, vraiment comme un radeau.
01:04Lui tentait de trouver sa place dans la vie comme acteur,
01:08comme auteur, comme poète.
01:10Et moi, je le suivais en espérant qu'il aille bien,
01:13qu'il soit heureux.
01:14Il nous a fabriqués, offert une famille, une vraie famille.
01:17Sa femme, qui a été comme une maman pour moi,
01:20mes frères et soeurs.
01:20Mais du coup, de notre démarrage ensemble, comme un duo,
01:24on a un lien assez presque ancestral, souterrain,
01:29d'une vie d'avant.
01:30D'une vie où il n'était pas encore acteur,
01:32où il était assez en souffrance.
01:34J'ai longtemps pensé que j'empruntais un chemin tout à fait différent du sien.
01:38J'étais comédienne, à me cacher derrière mes rôles.
01:41Et en fait, je me rends compte beaucoup en réalisant
01:44« Dites-lui que je l'aime »,
01:45qui est un pur film d'autofiction, quand même,
01:47où je me mets en scène.
01:49Et mon père a toujours fait ça à travers ses livres, ses spectacles.
01:52Et je me rends compte que les deux films que j'ai réalisés,
01:54notamment « Dites-lui que je l'aime »,
01:55sont tellement ce qu'il a fait, lui, dans sa vie.
01:58Je crois que j'ai hérité de lui une grande indépendance
02:00dans notre manière de faire.
02:01Finalement, un farouche attachement à notre liberté
02:05de dire, d'être comme on est, de fabriquer comme on veut.
02:11Devenir maman, je crois que c'était mon souhait le plus fort.
02:15Le fait que ma mère n'ait pas pu être mère, vraiment,
02:19puis qu'elle soit décédée très jeune.
02:22Je crois que longtemps, ça a plané au-dessus de moi
02:24et que j'ai cru que quelque chose m'empêcherait
02:27d'accéder à ce désir le plus cher.
02:30À chaque moment, j'avais l'impression
02:32que quelque chose de grave allait arriver,
02:34qui allait m'empêcher.
02:35Alors c'était d'abord, est-ce que je vais réussir à tomber enceinte ?
02:38Est-ce que la grossesse va bien se passer ?
02:41Est-ce que l'accouchement va bien se passer ?
02:43Jusqu'à la fin, jusqu'à l'engagement,
02:44quelque chose allait me priver, en fait, de ça,
02:48dont quelque part avait été privée ma mère,
02:50de ne pas arriver à devenir mère.
02:52Quand j'ai eu mes enfants,
02:53ça a été une émotion inouïe d'y être arrivée.
02:58Chaque geste que je fais comme maman,
02:59souvent, je me vois faire en me disant
03:02« Bon Dieu, mais ce n'est pas possible,
03:04je suis vraiment une maman. »
03:05Donc je dirais que la maternité, pour moi,
03:07ça a été une grande émotion,
03:08comme une histoire que j'ai réussi à écrire,
03:12malgré le fait que la mienne ait été accidentée.
03:16La colère, l'amertume,
03:22tous ces sentiments-là sont tellement handicapants,
03:25en fait, et tellement avilissants, quelque part,
03:28qu'on se rend bien compte que quand on arrive à réparer,
03:32restaurer l'image de ces mères qui nous ont fait du mal,
03:35quelque part, par leur incapacité à nous aimer,
03:37par leur absence, par leur négligence,
03:40on avait une vision très négative.
03:42Parce que quand on est enfant, on se défend,
03:43donc on est beaucoup dans un jugement aussi,
03:46mais jugement qui nous permet, nous, de tenir bon.
03:49Et puis tout d'un coup, plus tard,
03:51s'interroger sur vraiment qui étaient ces femmes,
03:53pourquoi, leur incapacité, leur vulnérabilité.
03:57On re-regarde l'histoire parce qu'on a eu le temps de se construire,
04:00parce qu'on a peut-être assez de force maintenant
04:02pour la confronter différemment.
04:03L'empathie et la compréhension de l'autre
04:06dans toute sa complexité
04:07est bien plus calmante et apaisante
04:11que le sentiment de colère ou de ressentiment.
04:14Mon accomplissement, il passe par le cinéma,
04:17là, en l'occurrence,
04:18qui est d'avoir rendu hommage comme fille à cette maman,
04:21de l'avoir, quelque part, réhabilité, ressuscité,
04:25rendu sa place dans l'existence,
04:27elle qui est passée de manière si brève.
04:29Si, que j'avais et que j'aimais beaucoup,
04:31m'avait dit cette phrase,
04:32Romane, il faut aller consoler l'enfant qui est en vous.
04:35Et quelque part, j'ai l'impression
04:36et d'avoir été consolé cet enfant
04:39et aussi d'avoir consolé l'enfant qui était ma mère,
04:43qui a été une enfant adoptée,
04:45ramenée en France,
04:46réabandonnée.
04:48Et du coup, j'ai un fort sentiment d'apaisement.
04:51On en parle beaucoup avec mes enfants,
04:56parce que des fois, ils disent des trucs sur moi.
04:58Je dis, mais ce n'est pas comme ça que vous allez vous souvenir de moi, quand même.
05:02Moi, je n'ai pas du tout l'impression d'être la maman qui décrive,
05:05que je leur fais peur, que je les stresse.
05:07C'est fou l'image qu'on a de soi-même
05:10et puis l'image que vous renvoie vos enfants.
05:13Bon, c'est la période aussi, ils sont en adolescence.
05:15Et donc, je me dis, oh bon Dieu,
05:16j'espère qu'ils se souviendront quand même
05:18de l'amour, de la joie, des voyages.
05:23J'espère qu'ils se souviendront de ça
05:24plutôt que des petits coups de sang.
05:27J'essaye beaucoup de leur dire
05:28qu'il faut s'aimer, s'aimer, aimer son frère,
05:33s'aimer les uns les autres, se serrer les coudes.
05:36Voilà, j'ai essayé d'envoyer de la joie,
05:38du partage, d'aimer les gens qu'on rencontre.
05:43Et donc, j'espère qu'ils se souviendront de ça.
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