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00:00Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans cette édition d'Actuelle consacrée à la beauté.
00:15On ne prête qu'aux riches, dit-on, on pourrait ajouter, et au beau.
00:19Les études montrent que les personnes belles sont traitées avec davantage d'égard que les autres
00:24et qu'on leur fait davantage confiance.
00:26Mais la médaille de la beauté a aussi un, ou plutôt des revers, son coût notamment,
00:32ou les risques auxquels certaines personnes s'exposent pour atteindre leur idéal.
00:35Et puis il y a aussi cette idée, parfois, que beauté rime avec bêtise.
00:40On parle de tout cela avec mon invité Elisabeth Azoulay.
00:43Bonjour, vous êtes anthropologue, spécialiste de la beauté,
00:47et vous avez dirigé cet ouvrage collectif « 100 000 ans de beauté » aux éditions Gallimard.
00:51Merci beaucoup pour votre présence sur ce plateau.
00:53Pour commencer cette émission, je voudrais savoir, est-ce que c'est vaniteux de s'intéresser à la beauté ?
00:58Mais pas du tout.
01:00En fait, c'est même tellement évident.
01:03En fait, ce qu'il faut comprendre, c'est que les êtres humains,
01:06Homo sapiens, on sait qu'il a 300 000 ans,
01:09on sait que dès le départ, Homo sapiens ne se contente jamais de son corps biologique.
01:14Il a toujours un corps transformé culturellement, volontairement.
01:17Et donc, en quelque sorte, notre corps, c'est-à-dire le travail sur notre apparence,
01:22eh bien, c'est un des plus vieux travaux entrepris par l'homme.
01:26Et le corps, c'est le premier médium culturel.
01:28Et donc, ce n'est pas du tout, du tout, du tout superficiel.
01:31C'est un impératif humain.
01:33C'est la signature de l'humain.
01:34Et quand vous écrivez « 100 000 ans de beauté », ça veut dire que ça a toujours été une obsession des êtres humains.
01:39Ça remonte à quand ? Est-ce qu'on peut le dater dans l'histoire ?
01:41Oui, je pense que ça remonte au moment où on a eu à peu près la même taille de cerveau que nous aujourd'hui,
01:46avec le même imaginaire, la même capacité d'une pensée symbolique.
01:50C'est au-delà de 300 000 ans.
01:51C'est énorme.
01:52C'est une durée vertigineuse, en fait.
01:54C'est à partir de ce moment-là que l'homme moderne arrive,
01:57avec toute la construction dont il faut être capable,
02:00qu'on appelle construction culturelle et qui est une pensée symbolique.
02:03Quand vous dites « culturelle », ça veut dire que ça marque une appartenance à un clan ?
02:06Ça veut dire que ça marque une appartenance à une époque, à une région, à un statut social ?
02:11En fait, la beauté, c'est tout ça à la fois.
02:14Ce sont des signes qu'on pose sur son corps, son visage, etc.
02:18Et à la fois, ça traduit l'appartenance à un groupe social, à une culture.
02:24Mais en même temps, ça permet de se construire soi-même en tant qu'individu.
02:27C'est-à-dire que le même geste peut avoir différentes motivations.
02:32On se déploie dans un espace avec des signes culturels communs, dans une culture.
02:36Mais aussi, bien sûr, on reste des individus et on cherche à exister en tant que personne unique.
02:41Est-ce qu'il y a une définition de la beauté ?
02:44Non, il n'y a pas de définition de la beauté parce que sinon, on ne serait pas capable de penser la diversité
02:48et on ne serait pas capable de penser que ça change tout le temps, avec les époques.
02:53En revanche, on peut tenter quand même quelque chose.
02:55C'est de dire que la beauté, c'est tous les gestes qu'on entreprend volontairement sur soi-même pour transformer son apparence.
03:05Ça, c'est une définition.
03:06Mais moi, je me garderais bien de définir le résultat auquel on veut parvenir parce que celui-là, il change partout et tout le temps.
03:15Très beaux hommes et très belles femmes d'aujourd'hui seront peut-être les laiderons d'une autre époque.
03:18En tout cas, la beauté, ce n'est pas un domaine sans risque parce qu'il y a des opérations esthétiques qui sont parfois dangereuses,
03:24des personnes qui s'engouffrent dans cette brèche sans formation adéquate.
03:29Je vous propose de regarder cette caméra cachée.
03:31Elle a été tournée par nos confrères et consœurs de l'œil du 20h pour France Télévisions.
03:34Regardez.
03:34Ce business très lucratif continue de fleurir sur les réseaux.
03:40Nous avons fait le test à Lyon.
03:41En quelques minutes, nous trouvons des dizaines de comptes promettant un bain de jouvence.
03:47Sur celle-ci, cette soi-disant esthéticienne ne cherche même pas à cacher qu'elle pratique des injections,
03:52un acte pourtant réservé aux médecins en France.
03:55Nous y prenons rendez-vous et nous nous y rendons en caméra cachée.
04:00Sur place, un simple immeuble d'habitation.
04:04Pas de plaque.
04:05Aucun doute, ce n'est pas une médecin.
04:10Cette femme nous reçoit en réalité chez elle, dans son salon,
04:13où une table de massage a été installée.
04:17Vous faites des injections à quel niveau du coup ?
04:21À ce niveau-là.
04:23Ça s'appelle comment le produit ?
04:25C'est de l'acide.
04:26C'est de l'acide, d'accord.
04:27Et donc du coup, si je fais ça, c'est pour combien ?
04:30300.
04:30300, d'accord.
04:31Mais quand nous posons des questions plus précises sur sa formation,
04:34Et vous, vous êtes esthéticienne, c'est ça ?
04:37Un silence.
04:38Parce que vous aviez pris rendez-vous à quel moment ?
04:44Elle nous demande alors de partir.
04:46Nous insistons.
04:47Vous n'êtes pas esthéticienne en fait ?
04:50Pourtant, quelques minutes après notre départ, le compte a finalement disparu des réseaux sociaux.
05:01La fausse esthéticienne s'est volatilisée.
05:04Elisabeth Azoulay, risquait sa vie, ou en tout cas sa santé, pour devenir beau ou belle.
05:09Est-ce que c'est vraiment bien raisonnable dans le fond ?
05:11Pas du tout.
05:13Le but, c'est quand même de rester vivant et en bonne santé.
05:15Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que tout au long de l'histoire,
05:19on a pris des risques insensés pour être beau.
05:21Et on s'est prêté à des transformations corporelles, parfois pénalisantes.
05:26Par exemple, les petits pieds des Chinoises,
05:29ça voulait dire le fait de ne pas pouvoir marcher normalement pendant toute une vie, par exemple.
05:34Mais tout ça a été motivé par des croyances,
05:37l'idée que c'était très important, ce canon de beauté là,
05:41que quelque part, ça renforçait le statut d'une femme suffisamment riche
05:45pour ne pas avoir à courir dans les champs et à travailler dans les champs.
05:48Et donc, ça avait un sens.
05:49Là, ce dont on vient de parler avec ce petit reportage,
05:53c'est autre chose, c'est une escroquerie.
05:55Qu'est-ce que ça apporte concrètement d'avoir cette beauté physique ?
05:58Quels sont les avantages qu'on peut en tirer, en fait ?
06:01Ils sont de plusieurs ordres.
06:02D'abord, on veut tous essayer de se réaliser personnellement,
06:06dans une vie amoureuse.
06:07Donc, c'est un plaisir personnel avant tout ?
06:09Oui, et pas seulement.
06:10C'est aussi guidé par la nécessité de séduire.
06:13C'est à la fois tourné vers soi et vers l'autre,
06:16avec l'idée qu'on veut être au mieux
06:18de ce que l'on pense pouvoir être,
06:22à la fois pour séduire, pour avoir une vie amoureuse,
06:25une vie professionnelle, une vie sociale.
06:27Donc, c'est un mélange de toutes ces motivations-là.
06:31Qu'est-ce que ça apporte professionnellement, justement, la beauté ?
06:33C'est vrai qu'il y a un petit biais cognitif
06:35qu'on est capable d'évaluer dans des études.
06:39C'est que quand les recruteurs sont sensibles à la beauté,
06:42en fait, très souvent pour eux,
06:43ils associent beauté avec performance,
06:47efficacité,
06:49bon comportement de la personne à recruter.
06:52Ça, c'est une très, très vieille histoire de l'humanité.
06:55C'est qu'on a souvent associé la beauté à la vertu.
06:58Et ça, c'est depuis l'Antiquité.
07:00Et c'est valable pour les hommes comme pour les femmes
07:02dans le monde professionnel ?
07:04Oui, oui, tout à fait.
07:05Ce n'est pas forcément exactement les mêmes critères de beauté
07:07qui sont valorisés pour l'homme.
07:09Mais par exemple, le fait d'être plus grand,
07:11d'une plus grande taille,
07:12d'avoir une démarche,
07:14des mouvements un peu athlétiques,
07:16ça montre que finalement,
07:19c'est une forme de puissance,
07:21c'est une forme aussi de...
07:23Ça montre une personne qui s'entretient
07:25par le sport, etc.
07:27Et ça, c'est très valorisé.
07:28Il y a aussi une nouvelle tendance
07:30qui apparaît très récemment.
07:31Peut-être qu'elle a apparu plutôt dans l'histoire,
07:33vous allez me le dire tout à l'heure.
07:34Mais en tout cas, il y a les cosmétiques pour enfants
07:36qui existent et qui maintenant s'attressent
07:38à des cibles de plus en plus jeunes.
07:40Regardez.
07:41Se maquiller pour faire comme maman.
07:44Derrière l'innocence de leur jeune âge,
07:46ces enfants sont aujourd'hui la cible
07:48d'un marché colossal.
07:50Massage de pieds,
07:52pose de vernis à ongles,
07:54gommage...
07:55Les instituts de beauté réservés aux enfants
07:59se multiplient en France
08:00et la tendance inonde les réseaux sociaux
08:03où des petites filles...
08:04Après, j'ai mis ma crème.
08:06...partagent leur routine beauté.
08:08Un phénomène qui divise ces Parisiens.
08:12Un enfant, c'est un enfant.
08:15C'est tout.
08:15On le fait grandir avant l'âge
08:17alors que le mental n'est pas encore là.
08:19Déjà, ça altère la vision
08:21que l'enfant, il a de lui-même,
08:22enfin, l'adolescent, il a de lui-même.
08:24Et puis, c'est aussi fausser une certaine réalité.
08:27Donc, je pense que c'est une mauvaise chose.
08:29Chacun fait ce qu'il veut
08:29tant que ça démarre pas trop tôt non plus.
08:32C'est normal à son âge
08:33qu'on se maquille un petit peu.
08:34Alors, il ne faut pas que ce soit trop excessif.
08:36J'aime bien avoir une petite touche de maquillage
08:38ou un petit peu de paillettes
08:39ou quelque chose.
08:40Cette tendance n'a pas échappé
08:43aux marques de cosmétiques.
08:45Visage juvénile
08:46sur des emballages colorés et fruités.
08:49Même l'actrice canadienne
08:51Shay Mitchell
08:52vient de lancer une gamme de masques hydratants
08:54à partir de 3 ans.
08:55Déferlante, de réactions négatives
08:58immédiates sur les réseaux sociaux.
09:01Horrifiée.
09:02Désolée, mais c'est une idée horrible.
09:06Ces pratiques sont-elles dangereuses
09:07pour les enfants ?
09:09La peau de l'enfant,
09:10on la considère comme une peau parfaite.
09:13C'est-à-dire qu'elle n'est pas trop sèche,
09:15elle n'est pas trop grasse.
09:16Donc, si on met des produits
09:18dont on n'a pas besoin,
09:20on s'expose inutilement
09:21à des éventuels effets secondaires.
09:23Le problème, c'est que la peau d'enfant
09:25se sensibilise à certains produits
09:27qui n'étaient pas utiles.
09:29Voilà, déclenchement d'une allergie,
09:32allergie de contact,
09:33eczéma de contact.
09:34Rien d'illégal sur ce marché
09:36car il n'existe pas
09:37de réglementation spécifique
09:39définissant les cosmétiques pour enfants.
09:42Certains professionnels de santé
09:43appellent à légiférer sur le sujet.
09:46Elisabeth Azoulay,
09:47à travers l'histoire,
09:48il y a eu du maquillage,
09:49de la beauté des enfants
09:49qui était valorisé,
09:51comme on a pu le voir dans ce reportage ?
09:53Pas tant que ça, c'est rare.
09:54Ce qu'il ne faut pas croire,
09:55c'est que cette quête de beauté,
09:57elle concerne uniquement des adultes
09:58et des adultes jeunes.
10:00En fait, je pense que tout le monde,
10:02quel que soit l'âge,
10:03essaie de paraître au mieux
10:05et que les mères ont toujours
10:06tiré une certaine fierté
10:08de pouvoir montrer un enfant
10:10beau, bien habillé, bien coiffé, etc.
10:12Là, c'est différent,
10:13mais c'est parce qu'il y a un marché.
10:15Absolument, c'est une question d'argent.
10:16On a parlé des femmes,
10:18on a parlé des enfants.
10:19Est-ce que les hommes,
10:20eux aussi,
10:21ont cette espèce d'impératif de la beauté ?
10:23Est-ce que c'est quelque chose
10:24qui a évolué au fil de l'histoire ?
10:25Mais bien sûr.
10:26En fait, c'est un grand cache.
10:28On cache les gestes masculins
10:30qui cherchent l'embellissement.
10:32Ce qu'il faut bien comprendre,
10:34c'est que pendant très longtemps,
10:35quand on pense, par exemple,
10:37à l'Europe du XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle,
10:40les aristocrates se maquillaient
10:41à peu près autant que leurs femmes.
10:43Maquillage, poudre, mouche,
10:45perruque, vêtements à dentelle,
10:47à jabot, ruban, enfin bon voilà.
10:50Ce qui a changé radicalement,
10:51il y a eu une sorte de coupure.
10:53C'est qu'à partir de la Révolution française,
10:56notamment pour la France
10:57et d'autres révolutions,
10:59on a voulu des sociétés
11:00un peu plus égalitaires.
11:02Et que c'est passé par une sorte
11:04d'injonction aux hommes,
11:06qui est de porter un vêtement sobre,
11:08le noir de préférence,
11:10de ne pas avoir de maquillage.
11:13Et c'est une injonction
11:15qui a assez bien fonctionné.
11:17Ce qui ne veut pas dire
11:18qu'ils faisaient rien
11:18pendant ce temps-là.
11:19C'est-à-dire qu'il y a des gestes
11:20de beauté masculin
11:21autour de la coiffure,
11:23autour de la barbe et de la moustache,
11:26autour aussi du vêtement
11:27et de la posture.
11:29Donc c'est vrai qu'on leur a interdit
11:31un certain nombre d'outils,
11:33mais pour autant,
11:34quand on regarde un portrait
11:36de quelqu'un du XVIIIe, XIXe siècle,
11:38on est capable de dire
11:39à quelle époque
11:40a vécu cette personne.
11:41Pourquoi ?
11:42Parce qu'il y a une stylisation
11:43de l'image
11:43qui correspond à ces gestes
11:45de beauté.
11:45Et c'est ce qui fait
11:46qu'on est capable de dire
11:47lui, il a vécu là
11:48et à telle époque, etc.
11:49Merci beaucoup en tout cas
11:51Elisabeth Azoulay
11:51d'être venue nous parler
11:52de la beauté
11:53à travers les âges
11:54et les régions du monde.
11:56Et puis merci à vous
11:57de nous avoir suivis.
11:58On se retrouve très bientôt
11:59sur France 24.
12:00Sous-titrage Société Radio-Canada
12:03Sous-titrage Société Radio-Canada
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