00:01Bienvenue à l'heure des livres, Eric Emmanuel Schmitt, on est ravis de vous recevoir.
00:05Alors tout le monde vous connaît, écrivain, dramaturge, vous écrivez pour le théâtre,
00:11vous écrivez des livres, vous écrivez des livrets d'opéra, comme vous venez de le dire également,
00:15vous faites des films, j'aurai du prix concours, et vous venez de publier le cinquième tome de votre saga,
00:22La traversée du temps, un tome qui s'appelle Les deux royaumes,
00:25qui est publié comme les précédents et comme les futurs vont l'être, a priori, chez Albain Michel.
00:32Alors à l'origine, il faut le rappeler, c'est une entreprise un peu folle, mégalomaniaque quand même.
00:39Alors mégalomaniaque, je ne sais pas, folle c'est certain.
00:42En tout cas folle, c'est-à-dire de raconter finalement l'histoire de l'humanité.
00:47Alors vous l'avez souhaité par le roman, c'est un projet qui est en vous depuis longtemps,
00:53qui est désormais à maturation, puisque vous écrivez à peu près un tome par année.
01:01Alors votre édicteur écrit « Entrez que ce livre à l'ambition, comme les autres, d'entrer dans l'histoire par des histoires,
01:07comme si Yuval Noah Harari avait croisé Alexandre Dumas, fichtre ».
01:12Enfin bon, c'est un peu ça, c'était ça que vous aviez en tête.
01:15Pourquoi ce choix de passer par le roman ?
01:18Oui, parce que je trouve que le roman a un pouvoir extraordinaire, c'est de restituer intégralement un monde,
01:23avec ses sensations, avec ses émotions, avec sa spiritualité.
01:28On est complètement immergé, alors que voilà, quand on va dans un musée, on voit des restes,
01:33quand on va dans des ruines, on voit des restes.
01:36Et quand on lit un livre d'histoire, on a une réflexion, mais on n'a pas le retour de la vie que permet le roman.
01:43Et c'est pour ça que cette idée que j'ai eue très jeune, emmener mon lecteur dans une immersion totale,
01:52dans un monde disparu, c'était vraiment se servir de l'art romanesque.
01:57Alors dans ce livre, on retrouve les quatre héros qui étaient dans les précédents.
02:03Alors il y a Noam, qui est né à la fin du Néolithique, qui raconte donc cette histoire de l'humanité.
02:10Ce sont ses mémoires.
02:11C'est ses mémoires. Il y a sa femme, Noura, il y a le père de Noura, Tibor,
02:16et puis il y a Derek, le méchant de l'histoire, il en faut toujours un.
02:19Ils sont tous immortels, ils sont immortels, ce qui n'est pas obligatoirement un cadeau d'être immortel.
02:27Clairement pas. Par exemple, pour Tibor, le père de Noura, il est foudroyé,
02:33il est fouguré, immortel, quand il a à peu près 90 ans.
02:37Et donc, il n'a pas le droit à une vie perpétuelle, mais une agonie perpétuelle.
02:42Pour les autres qui ont été fulgurés plus jeunes, ça va être différent pour chacun.
02:49Pour Noura, ça va être, en échappant à la mort, elle échappe aussi à la vie et au cycle de la vie.
02:55Elle ne peut pas produire de la vie et ça va être une immense douleur pour elle,
02:59qui va générer parfois des comportements étranges chez elle.
03:02Pour Derek, c'est n'en jamais finir avec une enfance malheureuse, dont il a été victime et qui fait de lui un bourreau.
03:13Alors, pour Noam, mon narrateur, c'est différent parce qu'il vit bras ouverts, il est sensuel, il est curieux.
03:19Et donc, lui, il est quand même une grande partie de sa passion de la vie qui jouit de l'immortalité.
03:29Mais en même temps, plus il avance, plus il y a des cicatrices, plus il y a des blessures, plus il perd d'être qu'il aime.
03:37Et je pense qu'il y a un moment où, en finir avec ce poids-là, le satisferait aussi.
03:43Oui. Il y a un peu de vous dans Noam ?
03:47C'est moins, mais en mieux.
03:49Oui, c'est moins, mais en mieux.
03:50Alors, Noam, on le trouve d'abord, on est au premier siècle, avant Jésus-Christ.
03:56Oui.
03:57Et on le retrouve dans un premier temps en Gaule.
03:59Et alors, ce qui est intéressant, c'est que finalement, on connaît très peu l'histoire de la Gaule.
04:05Enfin, on connaît Astérix, en gros.
04:06Qui est bien renseignée.
04:08Oui, mais vous racontez une Gaule que l'on ne connaît pas et qui est très aimable, entre guillemets.
04:17Oui, ça a été un grand défi pour moi parce qu'effectivement, la Gaule, on ne la connaît pas.
04:20Pourquoi ? Parce que les textes qu'on a, ce sont les textes de ceux qui ont détruit la Gaule, Jules César et les autres, donc les Romains.
04:26Heureusement, il y a les grands voyageurs grecs qui étaient très fascinés par la Gaule, qui nous ont apporté d'autres choses.
04:31Mais ce qui s'est passé, c'est que très récemment, grâce à l'archéologie, on a appris beaucoup de choses.
04:36Finalement, la science de cette époque ancienne est récente.
04:39Et je me suis servi de tous ces éléments-là et j'ai découvert, à ma propre surprise comme vous en lisant, le bonheur d'être Gaulois.
04:46Le bonheur de vivre dans un monde où les forêts sont des cathédrales, dans un monde où il y a une joie de vivre, presque une insouciance, qui vient du fait qu'on croit à la métampsychose.
04:58Donc, on pense qu'on ne meurt jamais.
05:00Ce qui faisait la bravoure des soldats Gaulois qui étaient craints et admirés dans toute l'Europe, parce qu'ils allaient à la mort en chantant.
05:08Et donc, cette insouciance, ce sens du panache qui est resté en France, c'est-à-dire, qu'est-ce que c'est le panache ?
05:15C'est l'art de perdre.
05:16C'est perdre avec de l'allure.
05:19Et puis, il y a le rôle des druides qui sont des gardiens du savoir.
05:24Complètement. Pas du tout des prêtres, comme a dit Jules César, qui n'avaient pas étudié le sujet.
05:30Mais ce sont des philosophes, ce sont des savants, ils ont tout le savoir.
05:33Et ils ont cette chose très, très curieuse de monopoliser le savoir en interdisant d'écrire.
05:39Eux savent très bien écrire le grec et le lire, mais ils veulent que toute transmission de savoir soit orale.
05:46On met 21 ans à devenir druide.
05:49Et ça stimule énormément la mémoire.
05:53Et du coup, je me suis beaucoup interrogé sur l'oralité, en me rendant compte que c'était quand même un mode de transmission assez fort.
06:00Parce qu'on recontextualise forcément, on évite le littéralisme, expliquer une phrase et s'y tenir, donc perdre l'esprit pour la lettre.
06:11Donc, c'est assez intéressant, cette civilisation.
06:13Alors, il y a cette civilisation, puis en face, il y a Rome, évidemment, Rome, l'impérial Rome, symbole du pouvoir.
06:21Alors, Noam va être réduit en esclavage, il va participer à la révolte de Spartacus.
06:26Il y a quand même beaucoup d'aventures, ce Noam.
06:30Et puis, ce livre s'appelle Les Deux Royaumes, parce qu'on est obligé de passer un peu vite sur les époques.
06:36Toute la Rome, mais vous avez raison, il y a un rapport entre le royaume où l'esclavagisme est roi, et puis un autre royaume, dont on va parler à un homme, qui s'appelle Jésus.
06:48Voilà, qui s'appelle Jésus.
06:49Et donc, il y a le royaume un peu terrestre, de la puissance, hégémonique, face à un royaume céleste que propose Jésus.
06:58Céleste ou spirituel.
06:59Ou spirituel, oui.
06:59C'est-à-dire un monde où la réussite, ce n'est pas l'accumulation du pouvoir, de l'argent et de la puissance, mais la réussite, c'est vivre selon certaines valeurs.
07:09Et avec cette idée absolument nouvelle dans l'histoire de l'humanité, mais nouvelle, cette idée que tous les hommes, tous les humains sont égaux.
07:17Comme il dit, il n'y a ni homme, ni femme, ni maître, ni esclave, ni juif, ni romain.
07:23Donc, la hiérarchie des nations ou des races qui feraient que l'une est supérieure, il pulvérise ça.
07:30La différence homme-femme, il la respecte, mais en disant que ça doit être l'égalité.
07:35Et l'esclavagisme, il le condamne absolument.
07:38Même l'Église va mettre des siècles à comprendre ce qu'a dit Jésus.
07:42Et peut-être même la plus grande compréhension de ce qu'a dit Jésus, c'est ce qui va arriver au XVIIIe siècle, les droits de l'homme.
07:48Voilà, parce que c'est un révolutionnaire, en fait, avant l'heure.
07:51Enfin, dans la paix.
07:53Et c'est pour ça qu'il y a la figure de Spartacus au milieu du livre.
07:57On va tout révéler, mais c'est lié à la crucifixion aussi, l'histoire de Spartacus.
08:01Parce que Spartacus a mené une révolte, pas une révolution.
08:06C'est un noble thrace qui a été réduit en esclavage, qui était gladiateur,
08:09et qui a voulu se libérer de cet esclavage et qui a été suivi par tous les autres et les a entraînés.
08:13Mais il n'y avait pas de projet juridique, philosophique, civilisationnel.
08:17Il n'était pas contre l'esclavage, il ne voulait plus l'être.
08:19C'était une révolte parce qu'il manquait le point d'appui sur lequel appuyait le bâton d'Archimède pour se lever le monde.
08:27Il lui manquait ce point d'appui qui est le concept d'égalité que Jésus va apporter pour la première fois.
08:32Et c'est là qu'on voit la correspondance ou la permanence des thèmes aujourd'hui.
08:37Oui.
08:37Puisqu'effectivement, aujourd'hui, on se retrouve dans une société où il n'y a pas de proposition.
08:42Il y a beaucoup de protestation, de récrimination.
08:46Et aussi un déclin des droits de l'homme au profit des empires.
08:52C'est-à-dire, les deux royaumes coexistent, mais le matériel, ne serait-ce que par l'extase technologique et le génie scientifique d'aujourd'hui,
09:03le monde matériel pèse beaucoup plus lourd.
09:05Le problème, c'est que ce monde matériel, plus il est fort et puissant, plus il nous laisse vide.
09:09En quête d'une forme de spiritualité.
09:14Voilà, il faut l'habiter avec un royaume spirituel.
09:17Alors, dernière question rapidement.
09:18Vous ferez un volume sur le XXIe siècle ?
09:21Oui.
09:21Vous irez jusqu'au XXIe siècle ?
09:23Oui, oui, oui.
09:24Il se passe tellement de choses.
09:25Mais l'accélération que nous vivons, enfin, depuis ma naissance jusqu'à aujourd'hui,
09:29j'ai l'impression d'avoir traversé plusieurs mondes.
09:31Donc, oui, je voudrais rendre compte de ce que je peux rendre compte aujourd'hui de ce monde-là.
09:37Alors, déjà, vous pourrez traverser plusieurs mondes en lisant Les Deux Royaumes,
09:41donc le livre qui vient de paraître chez Albain Michel, qui fait partie de cette...
09:45Et qu'on peut lire indépendamment des...
09:47Et qu'on peut lire sans avoir lu les autres, effectivement.
09:49Oui, j'ai vraiment fait attention à ça, parce que je sais qu'il y a des gens qui ont envie de plonger dans une époque.
09:55Mais alors, c'est bien, parce qu'après, quand ils lisent celui-ci, ils reprennent les autres.
09:58Et c'est une époque ô combien riche.
10:00En tout cas, merci beaucoup, Eric-Emmanuel Schmitt.
Écris le tout premier commentaire