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Extrait de InPower Podcast ! Jean-Marc Jancovici, président du shift project, revient sur sa réflexion évolutive autour de la hiérarchie entre énergie fossile et sobriété (conversion énergétique versus réduction), sur le rôle central de l’économie d’énergie dans la crise climatique ainsi que sur la difficulté d’élargir le regard long terme au-delà du quotidien pour des personnes déjà sous forte pression sociale et financière. Il explique pourquoi l’information seule ne suffit plus pour déclencher l’action collective, pourquoi il faut proposer une contrepartie positive à l’effort et comment il faut rendre le capitalisme plus vertueux plutôt que de le rejeter en bloc.
Il partage également ses doutes et son approche pragmatique vis-à-vis des grandes oppositions manichéennes (croissance/décroissance, capitalisme/non-capitalisme) et appelle à regarder ce qu’il est « facile à changer » et ce qui l’est « plus difficile » avec quelles contreparties. Il évoque enfin sa position au sein du Conseil pour le climat et les enjeux de mise en œuvre réelle des recommandations.

#climat #sobriété #énergie #jancovici #environnement

Catégorie

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Éducation
Transcription
00:00J'ai changé d'avis également sur la hiérarchie, mais ça c'est parce qu'on a perdu du temps, sur la hiérarchie énergie décarbonée versus sobriété. J'étais déjà convaincu qu'on allait devoir faire des économies significatives, maintenant j'en suis encore plus convaincu. Je pense que sans ça, de toute façon, on peut rêver de tout ce qu'on veut comme éoliennes, centrales, nucléaires, etc. On va se vautrer.
00:19Ce n'est pas passé pour une partie des gens qui m'identifient toujours comme quelqu'un très focalisé sur le débat nucléaire UNR, alors qu'il y a longtemps que ce n'est plus mon sujet premier.
00:29Donc voilà, ça aussi, je ne sais pas si ce n'est pas une révolution.
00:33J'ai aussi changé d'avis sur la puissance de l'information sur le problème à traiter.
00:47A l'époque, enfin il y a 10 ou 20 ans, je pensais que de simplement expliquer le problème faisait que les gens tombaient de leur chaise, écarquillaient les yeux, se disaient « il faut absolument que je fasse quelque chose » et passer à l'action.
00:58Et j'ai compris maintenant que c'était beaucoup plus compliqué que ça. Ça, c'est vrai pour les gens qui sont en haut de l'échelle sociale, qui sont libres de leur mouvement, pas inquiets pour le lendemain, etc.
01:08Mais les gens qui sont pris dans un quotidien, qui n'est pas le mien, et que je reconnais très humblement, que je ne m'en suis pas suffisamment rendu compte à l'époque,
01:14les gens qui sont pris dans un quotidien stressant, difficile, et qui tous les mois sont chez leur banquier, qui les menacent de leur fermer leur compte, en fait, ça ne marche pas comme ça.
01:22Ils ne pouvaient pas juste compter sur le fait qu'en découvrant l'ampleur du problème, ils vont se dire « ah bah oui, c'était évident, j'en peux visiter un mec formidable », pas du tout comme ça.
01:31Donc l'activité du Shift Project, en fait, elle est très focalisée là-dessus aussi, sur comment est-ce qu'on amène des gens qui sont déjà dans une situation où le court terme est compliqué pour eux,
01:39à se préoccuper d'un truc de plus long terme. Voilà, donc ça, c'est aussi quelque chose sur lequel j'ai compris qu'en fait, il fallait incarner du positif de court terme nécessairement,
01:48d'un tout projet, voilà, c'est ce qu'on se disait tout à l'heure, donc il n'y a pas d'effort sans contrepartie, et en fait, ce n'est pas l'effort qu'il faut vendre, c'est la contrepartie.
01:55Pour mobiliser, oui.
01:56Bien sûr.
01:57Le capitalisme vertueux, pour vous, c'est un oxymore ou une possibilité ?
02:01Ça renvoie à ce qu'on disait tout à l'heure sur est-ce que dans une société en décroissance, toutes les entreprises sont en décroissance ?
02:06Il y a une confusion qui est souvent faite entre capitalisme et multinational.
02:10Quand on dit les capitalistes, en fait, on pense souvent à la finance mondialisée, propriétaire de grandes boîtes, etc.
02:16Mais votre boulanger est capitaliste aussi, ce n'est pas un fonctionnaire, ce n'est pas l'État qui est propriétaire de son fonds de commerce, voilà.
02:23Est-ce qu'il faut que tous les boulangers deviennent des fonctionnaires ?
02:26Ça se discute.
02:27Alors, je discutais l'autre jour avec quelqu'un qui m'a dit, en fait, toutes les boulangeries pourraient devenir des scopes,
02:31donc des sociétés sans capital, titulaires d'un bail, etc.
02:34Peut-être qu'il y a des voies à explorer de ce côté-là.
02:36Je confesse très humblement que je n'ai pas regardé ça suffisamment pour avoir un avis.
02:39Mais globalement, en tout cas au moins à court terme, où ce n'est pas demain matin qu'on va transformer toutes les boulangeries et tous les plombiers en scopes,
02:48je pense qu'on n'a pas tellement d'autres solutions que de rendre le capitalisme vertueux.
02:51Alors, quand je dis rendre le capitalisme vertueux, ça ne veut pas dire, c'est comme pour la croissance et la décroissance,
02:56ça ne veut pas dire rendre toutes les entreprises vertueuses.
02:58Je pense qu'il y a des entreprises qu'on ne peut pas rendre vertueuses.
03:00Donc, à ce moment, la question, c'est qu'est-ce qu'on en fait ?
03:02Mais par contre, qu'on refuse l'idée de conserver la moindre entreprise capitaliste
03:11au motif que ce n'est pas possible d'en faire une entreprise vertueuse,
03:16ça, je pense que c'est aussi un truc qui doit se discuter.
03:17Il faut regarder, encore une fois, est-ce que mon boulanger est nécessairement un affreux
03:20parce que c'est une société capitaliste ?
03:22Je ne suis pas sûre.
03:23Peut-être que...
03:24Est-ce qu'un agriculteur propriétaire de son bail, s'il n'est pas propriétaire de ses terres,
03:28est propriétaire de son tracteur ou de son cheval,
03:32est nécessairement un affreux ?
03:34Je ne sais pas.
03:36Donc, je pense qu'il y a, de toute façon, énormément de chemin à faire
03:40sur le fait de rendre, à minima, plus vertueux
03:43une partie des entreprises capitalistes
03:46avec lesquelles on n'a pas de problème de fond.
03:48Après, qu'il y ait des comportements dans le monde capitaliste
03:51qui soient des comportements répréhensibles,
03:53à l'évidence, oui.
03:55Aujourd'hui, par exemple, la part de la valeur ajoutée captée par le monde financier,
03:58ne me paraît pas correspondre à sa valeur pour la société.
04:01Et je dis ça alors que j'ai des clients dans ce monde-là.
04:04Il y a des...
04:06Est-ce qu'il faut conserver les activités capitalistes ?
04:08J'en parlais tout à l'heure,
04:09qui vendent du sucre, des sodas, etc.
04:11Je ne sais pas.
04:12Mais si elles étaient sous forme de scope,
04:14je ne suis pas sûr qu'il faudrait les conserver plus.
04:16Est-ce qu'il faut plus réglementer ?
04:19Sachant qu'en France, on fait déjà pas mal de choses par rapport à d'autres pays.
04:21Le partage de la valeur ajoutée entre l'actionnaire et le salarié,
04:24c'est un débat.
04:25C'est un débat permanent, du reste.
04:26C'est un débat qu'on a partout, y compris au sein de Carbone 4.
04:29À nouveau, ce n'est pas blanc et noir.
04:31Voilà.
04:32L'idée qu'on n'aurait plus du tout de société capitaliste,
04:35je ne sais pas si on a besoin d'en arriver là.
04:38Peut-être ? Je ne sais pas.
04:39Si on a besoin d'en arriver là, pour totalement résoudre nos problèmes,
04:44et puis pour finir par une pirouette,
04:46le monde soviétique, qui s'était transitoirement défait du capitalisme,
04:50n'a pas été spécialement plus vertueux en matière d'environnement,
04:53ni en matière d'un certain nombre d'autres choses qui nous sont chères,
04:57que ne l'était le monde occidental.
04:59Donc, un tout petit peu, c'est comme pour croissance et décroissance,
05:02je pense qu'il faut se méfier des débats manichéens.
05:04Il faut rentrer un peu dans le détail des choses,
05:06et regarder ce qui est facile à changer, plus difficile à changer,
05:09avec quelle contrepartie, quelle, etc.
05:11Moi, je suppose qu'on ait des débats un peu pragmatiques.
05:14Les grandes oppositions de concepts,
05:15je ne sais pas si on sait en faire quelque chose dans la vraie vie derrière.
05:17Quelle question vous avez marre qu'on vous pose ?
05:20C'est plus une question de forme qu'une question de fond.
05:24Ce qui est un peu fatigant, c'est quand on me prête une affirmation
05:27que j'ai déjà réfutée neuf fois pour la dixième fois.
05:30Voilà, on va dire ça.
05:31De devoir vous répéter et vous justifier.
05:33Oui, oui, voilà.
05:35J'ai envie de dire la question,
05:37vous savez, j'ai dépassé le millier de conférences.
05:42Bravo.
05:43C'est une question d'âge.
05:45Et donc, il y a des questions qu'on m'a posées,
05:47alors peut-être pas mille fois,
05:49980 fois.
05:51C'est jamais totalement les mêmes mots.
05:53C'est jamais la même personne.
05:56C'est jamais totalement demandé de la même façon.
05:59Ça ne suscite jamais totalement les mêmes réactions
06:01chez les autres personnes de l'assistance.
06:03C'est-à-dire, vous voyez les hauchements de tête
06:05ou pas les hauchements de tête,
06:05ou l'air intéressé ou l'air pas intéressé,
06:07des gens qui vous posent la question, etc.
06:09Donc en fait, et puis moi,
06:10j'ai jamais les mêmes informations à ma disposition pour y répondre.
06:13C'est-à-dire, la façon dont je répondais aux questions il y a 20 ans
06:14n'a pas grand-chose à voir avec la manière dont je réponds aux questions aujourd'hui.
06:18Parce que j'ai appris plein de trucs entre-temps.
06:19Parce que comme je disais l'autre,
06:20plus j'en sais, plus je mesure l'étendue de mon ignorance.
06:22Donc il me reste un milliard de trucs à apprendre.
06:24Je n'ai pas fait le même travail de mise en perspective des choses.
06:26Il y a 20 ans, je n'étais pas du tout capable
06:28de mettre un certain nombre de briques ou de pièces du puzzle
06:30que je suis aujourd'hui.
06:31Enfin, que je suis aujourd'hui.
06:33Que je crois, avec toute la prétention qui caractérise cette affirmation,
06:37pouvoir être capable de mettre les unes en regard des autres.
06:41Donc il y avait des réponses que je n'étais pas capable
06:43de faire de la même manière il y a 20 ans.
06:45Voilà, donc la question candide.
06:46J'ai envie de dire de la personne qui a juste envie de discuter.
06:49Même si elle n'est pas d'accord avec moi.
06:50Même si on me l'a déjà posé 500 fois, ça ne me dérange pas.
06:53Ce qui est toujours plus dégréable.
06:55Là, ce n'est pas une exception.
06:56Je pense que peu de gens aiment la mauvaise foi.
06:58Voilà, donc c'est quand vous êtes obligé de répéter pour la dixième fois un truc.
07:02Et que vous savez en plus que la personne en face de vous
07:04a très bien entendu les neuf fois précédentes où vous avez répondu.
07:07Voilà, ça c'est parfois un tout petit peu agaçant.
07:08Vous êtes toujours au conseil pour le climat.
07:10Comment plutôt est-ce qu'on pourrait faire pour qu'elle soit plus efficace,
07:15plus responsable ?
07:17Enfin parce que j'ai l'impression qu'il y a vraiment des pointures qui font partie de ce conseil.
07:21Mais que dans l'absolu, comme je crois qu'il n'est que consultatif,
07:24que ce n'est que de l'ordre du conseil.
07:26Enfin moi, je me dis dans l'idéal, si les rapports que vous soumettiez
07:31pouvaient ensuite donner place à une mise en œuvre de, comme on le disait,
07:36réglementation ou de mesures concrètes, ce serait quand même assez souhaitable.
07:42Il y a le Haut conseil pour le climat va approcher, approche de la fin de son premier mandat,
07:47puisqu'on a été nommé pour cinq ans.
07:48Et l'année prochaine, ça sera le dernier rapport rendu par l'équipe actuelle.
07:53Et en fait, la question que vous posez est une question qu'on se pose.
07:57Et je ne vais pas vous en dire plus, parce que je ne vais pas vous faire part des débats internes.
08:01Mais en tout cas, sachez que c'est une question qu'on se pose.
08:04Je ne sais pas quelle réponse on y apportera,
08:05parce que de toute façon, on n'apporte que des réponses consensuelles.
08:07Donc on apportera ce sur quoi on est d'accord pour s'exprimer publiquement.
08:10Donc pour le moment, je ne vous parle pas de ce que je pense moi en particulier,
08:14parce qu'on a des discussions internes.
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