Aujourd'hui, dans « Les 4V », Gilles Bornstein revient sur les questions qui font l’actualité avec Philippe Juvin, chef des urgences hôpital G. Pompidou et député L.R.
00:00Bonjour Philippe Juvin, effectivement vous êtes chef des urgences de l'hôpital Georges Pompidou qui est tout à côté d'ici, à quelques mètres d'ici dans le 15ème.
00:09Comme de nombreux parisiens vous dîniez dehors ce soir-là, vous avez été rapatrié dans votre service.
00:16Les urgences de Pompidou ont reçu ce jour-là une cinquantaine de patients qui sont tous arrivés relativement tard, vers une heure du matin et à peu près en même temps.
00:25Racontez-nous ce qui s'est passé à partir de ce moment-là.
00:27Quand j'arrive à l'hôpital, j'arrive à l'hôpital vers 11h, j'ai été prévenu qu'il y avait ce qu'on appelait le plan blanc, c'est-à-dire la mobilisation des hôpitaux.
00:36Et je me dirige d'abord vers la salle d'attente où il y a des patients qui attendent, comme dans toutes les urgences de France et de Navarre.
00:42Je dis aux patients qui sont là, écoutez, il est en train de se passer quelque chose, on ne sait pas trop à l'époque, à ce moment-là, rentrez chez vous.
00:48Alors j'en vois un ou deux qui me paraissent un peu fatigués, donc je leur dis de rester, mais les autres rentrent.
00:52Et je lance l'affaire, c'est-à-dire que nous avons des plans qui sont préétablis, j'appelle les médecins, je passe un message sur les réseaux sociaux
01:01en disant si vous êtes médecin et que vous êtes dans le coin de Pompidou et venez nous donner un coup de main.
01:07Il y a quelques médecins qui vont venir d'ailleurs, médecins en vacances, un couple, je me souviens, de province qui habite en face, dans un hôtel et qui vient nous rendre service.
01:14On prépare le service et puis on attend, le temps passe, j'appelle mes copains au SAMU en disant où ça en est, alors c'est un peu le flou, on ne sait pas très bien.
01:26Parce que maintenant on le sait, mais sur le moment on le sait.
01:28Non, vous savez, quand vous êtes dedans, vous ne savez pas ce qui se passe et le temps passe, on a le temps de se préparer, les équipes sortent le matériel adéquat.
01:35Et un premier patient arrive vers minuit un quart, un deuxième, minuit 20, envoyé par ambulance, ils sont assez graves, on les envoie directement au bloc opératoire.
01:48Puis plus rien jusqu'à une heure du matin, et à une heure du matin, une trentaine d'ambulances qui arrivent aux urgences.
01:56On n'est pas prévenus, on ne sait pas qu'elles vont arriver, elles arrivent d'un coup, elles montent la pente des urgences, puisque les urgences sont au premier étage.
02:03Et là, c'est l'embouteillage des ambulances, on voit qu'il y a un chaos, je fais reculer tout ce beau monde dans la rue, je vais dans la rue et j'ouvre la première porte de l'ambulance.
02:16Et là, il y a deux ou trois patients, il y a deux ou trois patients par ambulance, il y en a une cinquantaine au total.
02:20Qui venaient tous du Bataclan.
02:21Qui venaient tous du Bataclan, et là je fais ce qu'on appelle le tri.
02:25Vous avez commencé le tri dans les ambulances ?
02:27Dans la rue, dans la rue.
02:29Dans la rue, dans les ambulances ?
02:30Dans les ambulances.
02:31Et là, je trie les patients, c'est quoi trier ?
02:34C'est un mauvais mot, mais ça signifie qu'en fait, il faut qu'on sache par un coup d'œil très rapide, si le patient doit par exemple directement aller au bloc opératoire, une urgence absolue, il va mourir très rapidement si vous ne faites rien, de celui qui peut attendre un peu.
02:49Et donc, je fais ce tri, j'en envoie effectivement quelques-uns en bloc opératoire, en salle de réveil, au scanner, et d'autres qu'on met aux urgences, pour lesquelles on va commencer les premiers soins.
02:57Mais on s'imagine, dans ces moments-là, évidemment, on est tous nourris par les films et les séries, on s'imagine des scènes de panique, de l'agitation, et vous racontez que paradoxalement, c'était très calme dans votre service, chacun savait précisément ce qu'il avait à faire.
03:11Dans une série américaine, les gens crient, courent, etc. Il faut imaginer l'exact inverse. Dans les urgences règne un silence quasi absolu. Je passe de boxe en boxe, voir si ça se passe bien.
03:24Silence quasi absolu ?
03:25On n'entend rien. Et les gens, les victimes, qui pourtant sont très gravement blessées, mais très gravement blessées, sont toutes silencieuses. Elles sont assommées par ce qui vient de se passer.
03:36Et les médecins et les infirmières qui s'occupent d'eux le font aussi en silence.
03:39La plupart étaient conscients ?
03:41Tous ceux que j'avais gardés aux urgences étaient conscients. Parfois blessés très fortement, avec des impacts de balles un peu partout.
03:50On commence les premiers soins, les perfusions, les pansements, les sutures. Et là, je suis frappé, oui, par ce silence des patients, qui pourtant manifestement ont mal, par le silence des soignants
04:03qui sont tous concentrés. Le contraire de la ruche hyperactive. Au contraire, un grand calme. Probablement parce que les gens sont...
04:12Vous avez ?
04:13Les professionnels sont entraînés. Donc ça joue, probablement, à ce moment-là. Les gens sont concentrés sur leurs tâches. Et puis les patients, eux, je crois, ont vécu tellement une chose tellement folle
04:24qui lui est tombée dessus que...
04:26On sait que vous avez été médecin en théâtre de guerre en Afghanistan. On sait que la médecine d'urgence, c'est parfois faire des choix, décider qui aura une chance de vivre
04:35et qui en aura moins. Est-ce que ce soir-là, vous avez été confronté à ce genre de... à cette obligation de faire des choix ?
04:43Alors non, parce qu'en pratique, quand les patients arrivent aux urgences, c'est qu'ils ont déjà survécu. Ceux qui sont morts sur place, ceux qui sont morts durant le trajet
04:53ou en attendant les secours, par définition, n'arrivent pas aux urgences.
04:57Tous ceux qui sont arrivés chez vous avaient une chance de vivre ?
04:59Tous ceux qui sont arrivés chez nous, pour certains, étaient très gravement blessés. Ils auraient pu mourir.
05:04Et heureusement, sur les 50 ou 60 que nous avons eus, nous n'avons déploré aucun décès.
05:10Justement, vous dites que certains étaient très gravement blessés. J'ai lu vos témoignages après cette journée.
05:15Vous dites que vous, vous avez connu la médecine de guerre. Vous dites que vous avez vu ce soir-là des corps qui étaient dans un état encore plus grave
05:22que ce que vous aviez pu connaître en Afghanistan ?
05:23Bien sûr, parce que tout ce que j'ai vécu en Afghanistan, c'était souvent les victimes d'une seule explosion ponctuelle,
05:31d'une fusillade ponctuelle. Et là, on a des gens qui sont multicriblés, avec plusieurs impacts.
05:39Et puis, vous savez, quand vous êtes en Afghanistan, c'est loin.
05:43C'est loin. Vous vivez quelque chose qui est loin de votre quotidien.
05:46Et là, vous voyez celui qui pourrait être votre frère, votre fils.
05:51Et ça change la vision des choses et la perception.
05:55Les services de l'État font état de menaces renforcés à l'occasion de cet anniversaire.
06:04Est-ce que vous êtes inquiet ? Est-ce que vous avez pris des dispositions particulières ?
06:07Est-ce que l'hôpital Pompidou et, en général, les hôpitaux parisiens se sont organisés ?
06:12De moyens à faire face si, par hasard, quelque chose advenait ?
06:15Alors, c'est vrai que depuis 10 ans, maintenant, on a du matériel que nous n'avions pas le premier jour.
06:20En particulier, il y a des garrots pour arrêter les hémorragés.
06:23En médecine de guerre, puisque c'est de la médecine de guerre, on meurt essentiellement d'hémorragés.
06:28Les gens perdent leur sang et ils n'ont pas le temps d'arriver à l'hôpital.
06:32Donc, la priorité des prioritaires en médecine de guerre, c'est d'avoir des garrots pour gagner du temps sur l'arrivée à l'hôpital.
06:38Donc, on a tous des garrots en nombre. Vous pourriez me dire, j'espère que vous en aviez avant.
06:42On en avait, mais quelques-uns, là, il y en a beaucoup.
06:45Et puis, surtout, nous nous entraînons en permanence, désormais, à des situations très diverses.
06:51On peut avoir des attaques d'autres types.
06:54Je ne vais pas donner ces types pour ne pas donner de mauvaises idées à d'éventuels terroristes.
06:59Mais il y a tout un panel, malheureusement, d'agressions qui sont possibles, qui vont bien au-delà de la fusillade.
07:05Et désormais, dans les hôpitaux de France, on s'entraîne plusieurs fois par an avec des exercices, avec des figurants, des gens qui jouent les victimes.
07:13Et nous redons nos procédures.
07:17En fait, ce qui fait qu'on sauve des vies, c'est qu'on est préparé, vous savez.
07:20Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital Georges Pompidou, à l'époque, vous l'êtes toujours d'ailleurs,
07:27bien que vous soyez rapporteur général du budget, était l'invité des 4 V.
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