Passer au playerPasser au contenu principal
  • il y a 2 jours
Le soir de l'attaque terroriste contre le Bataclan, Daniel Psenny, alors journaliste au quotidien Le Monde, est l'auteur des seules images diffusées et reprises partout, un témoignage unique sur la folie terroriste de cette nuit du 13 novembre 2015 à Paris. Dix ans après, que sont devenus les rescapés que l'on voit sur les images ?
Daniel Psenny a mené une longue enquête pour les identifier, il s'est entretenu avec ces femmes et ces hommes. Sept d'entre eux ont accepté de témoigner pour raconter leur histoire cette nuit-là, leurs blessures physiques, leurs traumatismes et comment ils vont aujourd'hui. À visage découvert.
Lors de l'attaque terroriste, Daniel Psenny habitait un immeuble jouxtant la salle de concert. De sa fenêtre, à la lumière des réverbères, il a filmé par réflexe avec son téléphone portable sans comprendre immédiatement la situation dramatique. Des dizaines de personnes affolées, certaines grièvement blessées, s'enfuient par les sorties de secours de la salle de spectacle pour échapper aux balles tirées par les terroristes de l'intérieur. Une fuite désespérée et un chaos sanglant.
Lui-même a été grièvement blessé par une balle de Kalachnikov tirée par un terroriste alors qu'il portait secours à un blessé. Ce soir-là, Daniel Psenny a été à la fois observateur, sauveteur, victime puis miraculé. Il a aussi été un journaliste avec ses réflexes.

Ce film, réalisé par Daniel Psenny et Franck Zahler autour de cette vidéo, est aussi un travail de mémoire pour les générations futures, à travers le témoignage de ces hommes et de ces femmes qui ont réagi à une situation extraordinaire dans laquelle leur vie était directement menacée.
En hommage aux victimes, Louis Bertignac, l'ex-guitariste du groupe Téléphone, a accepté de mettre en musique et d'interpréter une chanson inédite écrite par Daniel Psenny, dévoilée pour la première fois dans ce documentaire.

Catégorie

🗞
News
Transcription
01:00Oui
01:05Ah bah oui
01:07J'ai toujours pas revu
01:09C'est l'intégrale ?
01:10Ouais
01:11Il y a le son ou il n'y a pas le son ?
01:13Il y a le son sur l'endroit aussi
01:14Je peux le couper ?
01:16Bien sûr
01:17En fait j'ai toujours pas osé regarder cette vidéo avec le son
01:20Le son me procure un truc
01:22Que j'aime pas du tout en fait
01:24Tu me dis quand je peux aller ?
01:30S'il vous plaît
01:46Qu'est-ce qui se passe ?
01:47Hein ?
03:19Sous-titrage Société Radio-Canada
03:49En novembre 2015, je ne me rappelle plus vraiment de la journée.
03:53J'étais à Paris pour la seule fois de l'année.
03:58Je suis un provincial qui vient très occasionnellement.
04:04Je me souviens avoir dit à mes collègues que j'avais un concert, que ça allait être cool.
04:10On avait réservé nos billets il y a un moment avec ma meilleure amie avec qui je faisais tous mes concerts.
04:16Et les Eagles of Death Metal faisaient partie des groupes qu'on adorait.
04:22Je les avais vus à rock en scène et ça n'avait pas été un super concert pour moi.
04:28Parce que ce n'était pas les bonnes conditions.
04:31Donc je me dis là, ça va être la revanche.
04:34On va vivre le concert dans une salle mythique.
04:36Moi, je n'aimais pas très envie en vrai d'y aller.
04:40C'est ma femme qui a insisté ici, on y va, j'ai envie de les voir.
04:43Je disais, t'es sûr ? On est rentré, on a briefé un peu la baby-sitter avant d'y aller.
04:52Et sur la moto, je disais, t'es sûr ? Tu ne veux pas qu'on aille au resto tranquille ?
04:55Non, j'ai envie de les voir.
04:56J'ai rejoint Magali, du coup, devant le Bataclan, on s'est retrouvés.
05:01Il faisait chaud ce jour-là.
05:05Je me souviens, en arrivant au Bataclan, me dire, mince, j'ai presque pas envie de faire un concert.
05:10Je voyais les gens en terrasse manger leurs burgers et ça me faisait envie, en fait.
05:14En rentrant, je me dis, je vais vraiment profiter du concert.
05:22Je vais vraiment rester devant la scène.
05:24On envisage la fosse un moment, et puis après, je me dis, c'est Eagles of Death Metal.
05:28Je suis enceinte, ça va pogoter, on va peut-être la jouer tranquille.
05:33Donc, on monte, en effet, au balcon.
05:40Le concert démarre.
05:44Grosse musique, gros son.
05:50Franchement, le groupe, ils ont une très bonne prod, ça sonne bien.
05:53Moi, je fais beaucoup de concerts.
05:55Et le public parisien, je le connais.
05:58Généralement, quand tu cries un peu trop fort, les gens, ils te regardent.
06:00Là, c'était le feu, c'était le bordel.
06:05On est en train, c'est un concert extraordinaire.
06:09On rentre dans le Pogo, c'est-à-dire en plein milieu, vraiment à 10 mètres de la scène.
06:13centre de la fosse.
06:20J'étais bien parce qu'il y avait une très bonne ambiance,
06:23mais j'étais pas tranquille et je saurais jamais pourquoi.
06:27Je me dis, putain, mais c'est qui des boulets qui lancent des pétards dans une salle de concert, quoi ?
06:49Genre, le respect est mort, quoi.
06:51Ça va très vite dans mon cerveau.
06:53Je me dis, tiens, la pompe à bière a explosé.
06:55Tiens, il y a des ballons.
06:57On regarde les projos.
06:58Tiens, est-ce que c'est un projecteur qui a éclaté ?
07:01Pourquoi ? Je sais pas.
07:05Mais à ce moment-là, quasiment, enfin vraiment dans l'instant, j'ai pris ma copine.
07:12Je nous ai mis au sol.
07:14Et là, d'un coup, en fait, on se retrouve par terre, quoi.
07:16Et il y a eu un espèce de mouvement de panique où toute la salle s'est couchée comme d'un seul homme.
07:22On a pris les premières vagues sur nous, des gens qui se faisaient tirer dessus.
07:26Et on est très vite tombés à terre.
07:29J'ai essayé de rattraper ma femme comme je pouvais dans la cohue.
07:31On s'est fait recouvrir par les gens.
07:33Et là, en fait, tu vois qu'il y a d'autres mecs qui sont en train de tirer sur d'autres mecs.
07:44Et moi, je me souviens que mon cerveau, il était en mode, ce qui est en train de se produire n'est pas possible.
07:49On se dit, c'est pas possible.
07:50Enfin, si vraiment c'est ce qu'on croit, parce que tout le monde est un petit peu sous le choc.
07:56Ma femme, elle a capté tout de suite.
07:58Elle a capté tout de suite que des gens voulaient à notre vie.
08:01Alors que moi, j'ai mis longtemps.
08:03Enfin, je pense, après, le temps est tellement étiré dans ces cas-là.
08:11Et en fait, j'ai eu besoin de dire à mon ex plusieurs fois.
08:18Mag, c'est des vrais gens avec des vraies mitraillettes.
08:20Je me souviens de cette phrase.
08:21Bon, je l'entends, la phrase, mais en fait, c'est un scénario de film.
08:27On s'est parlé avec ma femme.
08:29Je lui ai dit que je l'aimais.
08:30Elle m'a dit, je veux pas mourir, je veux voir les enfants.
08:34Et il y a une sorte de bousculement de pensée.
08:38Mince, il y a mon chat à la maison.
08:39Et puis, non, je peux pas mourir là.
08:42Si je meurs là, ma mère se remettra jamais.
08:46Pendant ce temps-là, il passait autour de nous et il y avait un énorme silence.
08:50Il tirait sur les gens, il finissait les gens.
08:53On les entendait marcher, en fait.
08:54Ça sentait la poudre, le son de la calage dans le corps.
09:04On le ressentait vraiment à côté de nous, je pense, au-dessus.
09:07Il y avait des gens qui étaient allongés au sol.
09:10Il y avait du sang.
09:12Il y avait des cris.
09:13Il y avait les tirs.
09:14Il y avait l'odeur qui était horrible.
09:16Enfin, c'était ouf comme truc, quoi.
09:22Après, une fois qu'il a arrêté de tirer, quand il passait entre nous, j'entendais beaucoup de souffrance.
09:27C'est des trucs que j'oublierai jamais.
09:29C'est des cris et des à l'aide des gens qui souffraient, quoi.
09:35Ça, ouais.
09:36Je me souviens que je voulais pas les regarder parce que j'avais peur.
09:39Et parce que j'avais peur, en fait, qu'en croisant leur regard, c'est à ce moment-là qu'ils allaient me tirer dessus.
09:43Et je me disais, tant que je croise pas leur regard, en fait, ça va aller, quoi.
09:51En fait, je les entendais parler en français, quoi.
09:53Comme toi et moi, quoi.
09:58Donc, je sais pas pourquoi, je me suis toujours dit qu'ils parleraient en rebeu si c'était des terroristes.
10:02C'est complètement con.
10:04Il y a des gens qui avaient la lucidité de se dire, OK, ils sont en train de recharger, on y va maintenant.
10:09Et moi, en fait, j'étais paralysé, quoi.
10:14Enfin, genre terrorisé au sens premier du terme, en fait.
10:19Moi, le déclic réel, ça a été de voir face à moi la personne à ma gauche suffoquer, cracher du sang, s'étouffer comme ça.
10:28Et à ce moment-là, mon instinct m'a dit de ramper, en fait.
10:35Moi, j'ai aperçu tout le monde s'engouffrer vers la sortie.
10:38Je me suis levé avec ma femme.
10:40Et elle, elle a été tétanisée.
10:41Elle est restée complètement par terre.
10:44Moi, j'avais le bras tendu et j'étais debout comme ça, avec un silence incroyable.
10:48Et j'étais genre un lapin, quoi.
10:51J'aurais pu vraiment me faire tirer dessus.
10:53Je sais que j'ai un gros noir et j'ai couru vers la sortie.
11:01Quand je reprends mes esprits, je patouche dans le sang qu'il y a au niveau des toilettes.
11:10On s'approchait des sorties de secours et il y avait des corps, en fait, qu'il fallait enjambler.
11:16Donc, on s'est mis à quatre pattes.
11:17Je rampe en m'accrochant au sac, à une épaule, pour essayer d'avancer, quoi.
11:25Et c'est effectivement en levant le bassin pour ramper que j'ai pris la balle dans le nerciatique, du coup, de la jambe.
11:36J'ai pris une balle par l'arrière de la cuisse.
11:39Le point d'entrée est un tout petit trou, en fait, juste du diamètre de la balle.
11:43Et le point de sortie, par contre, c'est un truc comme ça au niveau de ma cuisse, en fait.
11:47Et ça a tapé l'os.
11:48Et mon os, il a éclaté en mille morceaux.
11:54La douleur était hallucinante.
11:57Je ne pensais pas qu'on pouvait avoir mal à ce point-là.
12:00Et je me souviens de cette sensation très particulière de voir la balle à travers ma peau.
12:05La balle qui était intacte, que l'on voyait par transparence, juste sous ma peau, à l'avant de la cuisse.
12:10Ma jambe, je ne la sens plus, c'est devenu un poids mort.
12:13C'est une enclume qui brûle avec une sensation de brûlure vraiment énorme.
12:17Donc je me relève et j'essaye de tirer par les bras mon ex-compagnon pour qu'au moins il sorte de cette salle.
12:23Je me souviens que les portes des sorties de secours, elles étaient grandes ouvertes parce que les gens étaient tombés par terre, en fait.
12:33Elles maintenaient les portes ouvertes.
12:36Et donc, je me souviens de passer par-dessus des roulades.
12:41Enfin, c'était hyper flou, en fait, dans ma tête, quoi.
12:43Et après, je me retrouve dehors, dans la rue, à côté du trottoir, à plat ventre.
13:00Et c'est là où je commence effectivement à crier, à appeler Ruben, parce qu'il est dans l'axe des tirs, parce qu'il se fait marcher dessus.
13:07Et à partir de ce moment-là, de toute façon, je vais hurler, je crois, pendant quatre heures à peu près, pour être sûre, déjà, pour qu'on nous sauve de la rue.
13:26Dans mon souvenir, c'est une ambiance plombée.
13:50Il y a quelques hurlements, mais par rapport au nombre de gens qu'on était, c'est plutôt cette agonie silencieuse.
13:56Quand je reprends mes esprits, je suis, bah, rue, la rue Hamelot, là, passager Hamelot, mais je suis sans ma femme, quoi.
14:12Et en fait, au bout d'un moment, j'entends « je suis là ».
14:15« Je suis là, bébé, je suis là ! »
14:17« C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là ! »
14:51« C'est là ! C'est là ! C'est là ! C'est là, qu'on se bat quoi, pardon. »
14:59Ouais, c'est...
15:02C'était...
15:03C'est assez important, ça.
15:05Je savais que j'allais chouiner.
15:19Lorsque j'ai entendu les coups de Kalachnikov qui continuait à pétarader dans la salle,
15:27là, je décide de ne pas sortir du Bataclan.
15:29Ça a été ça, le drame.
15:31C'est-à-dire que je suis monté à l'étage.
15:35Et là, je me suis retrouvé coincé encore plus.
15:40Avec ma copine, on se retrouve dans une espèce de loge avec un canapé.
15:44Et puis, dans cette loge, une autre porte qui donne sur des toilettes.
15:49Et donc, on s'enferme dans les toilettes.
15:53Et les bruits de pétard continuent.
15:57Je casse le plafond, le faux plafond.
16:02Et je me rends compte qu'il n'y a pas la place de s'y planquer,
16:04qu'il n'y a pas assez de fond.
16:07Et donc là, on se regarde.
16:09Et là, il y a un moment suspendu.
16:11On ne se dit rien.
16:11Et dans notre regard, c'était...
16:17A priori, c'est la fin.
16:21On reprend nos esprits.
16:27Et on se dit, mais on n'est pas du tout suffisamment...
16:29On ne s'est pas sécurisé là où on est.
16:32Donc on ressort des toilettes.
16:35Et moi, dans ma tête, j'avais le souvenir de cette fenêtre.
16:37La fenêtre était ouverte, mais elle était bien trop haute
16:45pour que je puisse me permettre de sauter.
16:48J'ai évalué les possibilités de m'accrocher.
16:51En considérant ça, c'était soit la paraplégie, soit la mort.
16:56Donc je choisis à ce moment-là, troisième cachette illusoire,
17:01d'essayer de sortir de cette fenêtre sans m'évacuer du Bataclan.
17:05Quand je suis sur la fenêtre, c'est la deuxième fois
17:12où je me dis que je vais mourir.
17:15La première fois, c'était dans la fosse
17:17où j'ai senti des balles siffler au-dessus de ma tête,
17:20où il y a des personnes qui sont mortes à côté de moi.
17:23Et la deuxième fois, c'est quand je me dis
17:24que la seule manière de sortir du Bataclan,
17:27ce sera aller pied devant.
17:29Puisque soit je me lâche de cette fenêtre
17:31ou soit les terroristes vont me découvrir
17:34et auquel cas, je ne vois pas pourquoi
17:37ils m'épargneraient plus qu'un autre.
17:42Dans mon esprit, on n'était qu'au premier balcon.
17:45Donc en fait, je me suis dit, c'est pas très haut,
17:46c'est un premier étage.
17:48J'enjambe la barrière
17:51et je descends pour essayer d'être un peu plus proche du sol.
17:57Je me suspends.
18:02Et en fait, à ce moment-là, je me rends compte
18:03que c'est beaucoup trop haut.
18:08Il y avait des poubelles d'immeubles.
18:10Et dans ma tête, je me dis, rapprochez une poubelle,
18:11ça va amortir ma chute.
18:13Et j'entends des gens qui s'excusent,
18:16qui disent, je suis désolée, je peux pas, ça tire, ça tire.
18:21Et en fait, je pense que j'avais pas pris conscience
18:24de ce qui se passait sous moi dans cette impasse.
18:26Et en effet, il y a eu un moment,
18:33un temps qui s'est arrêté.
18:35Je regarde et en effet, je vois des gens
18:36allongés,
18:40blessés,
18:42qui bougent plus.
18:47Et puis, un moment de flottement
18:48où il n'y a plus de cris,
18:53plus de hurlements,
18:54grand moment de silence.
18:59Et je vois des gens cachés
19:01sous des portes cochères.
19:04Et je...
19:06J'interpelle les gens
19:08en disant,
19:10aidez-moi, aidez-moi, je vais tomber.
19:21Le moment où je dis que je suis enceinte,
19:24je culpabilise vachement
19:27parce que je me dis
19:28« Ah putain, tu joues sur un truc... »
19:31Enfin...
19:33Oui, j'ai culpabilisé d'avoir dit ça.
19:37Elle le disait tellement fort
19:38que je crois que tout le passage à Blu
19:40a dû l'entendre.
19:42Et donc, je relève la tête
19:43et là, je vois sur la corniche,
19:48en haut à ma droite,
19:49deux personnes.
19:55Quand je vois la femme enceinte
19:57qui a fait le même calcul que moi,
20:00c'est-à-dire qu'elle voulait sauter de la fenêtre,
20:02je me dis « Quel courage ! »
20:03Elle doit être bien désespérée
20:04pour tenter quelque chose comme ça.
20:06Je crois que je dis
20:11« Aidez-moi, je vais lâcher,
20:13je vais lâcher, je ne tiens plus. »
20:15S'il vous plaît,
20:17s'il vous plaît,
20:18je vais lâcher, je suis enceinte.
20:21Je suis toute la station.
20:24Je vais lâcher, je suis enceinte.
20:27Et c'est à ce moment-là
20:28que je re-rentre dans le Bataclan
20:30en me disant
20:31que sa vie
20:33était la priorité.
20:38Sur le coup,
20:39je me dis
20:39« Ça va être compliqué. »
20:41Parce que, déjà,
20:43moi, j'ai qu'un bras,
20:44parce que je ne peux pas
20:44lui donner les deux,
20:46parce que l'autre
20:46doit servir d'appui.
20:49Et puis mon bras,
20:49j'ai l'impression
20:50qu'il va se disloquer
20:51sous le poids
20:52d'une personne
20:53totalement dans le vide.
20:56Seb,
20:57il me tend une main
20:58que je saisis.
21:00Et donc,
21:00elle me met ses deux bras
21:01autour du mien,
21:03de mon avant-bras.
21:05Et là,
21:06d'une force surhumaine
21:07parce que
21:08l'adrénaline
21:09a dû jouer son jeu,
21:10je pense.
21:13Il me hisse.
21:14Moi, je tire
21:15et j'arrive à remonter
21:17et à rejamber
21:17la rambarde
21:18et à me retrouver
21:19à l'intérieur.
21:20J'arrive à la retirer
21:21comme ça,
21:22d'un coup.
21:23Et je me souviens
21:24qu'on se regarde
21:25à ce moment-là
21:25et qu'il me dit
21:27« Waouh,
21:27mais t'es vachement forte ! »
21:29Et puis là,
21:32il y a quelques secondes,
21:35je ne sais pas
21:36ce qu'il fait.
21:37Et ensuite,
21:38elle s'est...
21:39Elle a disparu.
21:40Elle s'est volatilisée.
21:42Mais c'est vrai
21:43qu'à ce moment-là,
21:44j'avais deux vies
21:45entre mes mains.
21:47Et finalement,
21:49c'était,
21:50je pense,
21:50symboliquement fort
21:51qu'il se passe
21:52cette action-là
21:55avant que je sois
21:56pris en otage.
22:01Bonsoir.
22:02Et un journal consacré
22:03ce soir à des fusillades
22:05dans le centre de Paris.
22:07La préfecture annonce
22:07au moins 18 morts.
22:09Le bilan n'est pas
22:09encore définitif.
22:13Je me souviens
22:13d'être
22:14dans un...
22:16Enfin,
22:17genre dans un état second,
22:18quoi.
22:19C'était un état de choc.
22:21Et j'ai mal.
22:24J'ai super mal.
22:25Et j'ai froid.
22:27Enfin,
22:28j'ai peur.
22:31Je me souviens
22:32de penser...
22:34Enfin,
22:34penser horrible,
22:35quoi.
22:35Genre,
22:36j'ai envie que ça s'arrête,
22:37quoi.
22:37J'ai envie de plus avoir mal.
22:38Tant pis si je m'endors
22:39à ce moment-là, quoi.
22:44À ce moment-là,
22:44on habite juste à côté
22:46du Bataclan.
22:48On a entendu
22:49des tirs.
22:51Je me suis dit
22:52que c'était des tirs.
22:53Je l'ai dit à Xavier
22:54et qu'il ne m'a pas cru.
22:57On a ouvert la fenêtre,
22:58on a vu ces gens
22:59qui couraient.
23:01J'ai demandé
23:01ce qui se passait,
23:02en fait.
23:04Et des personnes
23:05ont répondu,
23:07nous ont dit
23:07qu'ils étaient...
23:08qu'ils s'étaient fait tirer dessus,
23:11qu'il fallait les aider.
23:11à dire,
23:13qu'ils s'étaient fait tirer dessus.
23:14Hein ?
23:15Je sais que quand je vois
23:21tous ces gens,
23:22je me dis,
23:23moi aussi,
23:23il faut que je descende.
23:27Je dis à Aurore,
23:29il faut que je fasse quelque chose,
23:30il faut que j'aille aider les gens.
23:32Je descends.
23:36Xavier est allé dans la rue
23:37pour aider les personnes
23:39qui ne pouvaient pas marcher.
23:45C'est mes sauveurs,
23:46ce sont nos sauveurs
23:47de cette soirée-là.
23:49Moi, je ne peux pas me dire
23:50qu'il y a des personnes
23:51qui sont probablement
23:52au bas de l'immeuble,
23:53qui sont en danger de mort
23:54et ne pas tout faire
23:55pour les sauver.
23:59Quand je sors,
24:00je tourne la tête
24:01vers l'entrée du Bataclan.
24:03Et moi, dans mon esprit,
24:05j'ai l'impression
24:07d'être dans une zone de guerre,
24:10en fait.
24:14Je me souviens
24:15assez clairement de Ruben.
24:18Je sais que je le traîne.
24:23On me traîne sur,
24:25je ne sais pas,
24:2620 mètres,
24:27peut-être 30 mètres,
24:28jusqu'à devant un immeuble
24:31qui a une vingtaine de mètres
24:34de la sortie de secours
24:35du Bataclan.
24:38Quand j'ai vu
24:39que deux personnes
24:40prenaient Ruben par les bras
24:42pour le tirer au sol,
24:44au milieu de la route,
24:45jusqu'à leur immeuble,
24:47à ce moment-là,
24:47c'est l'énorme soulagement
24:48de se sentir à l'abri, en fait.
24:51Ça, c'est le premier soulagement réel,
24:53c'est de se dire
24:53« Waouh, je suis en vie, là ! »
24:55William, il y a une fusillade !
24:58C'est nous !
25:00Attends, c'est nous, c'est nous !
25:02Le sec !
25:04Le sec !
25:05Le sec !
25:07Le sec !
25:08C'est bon, c'est bon !
25:10William, c'est Xavier
25:13qui me soulève,
25:14ils me prennent sur leurs épaules,
25:16on passe les portes d'entrée,
25:18moi je marche comme je peux
25:19sur une jambe,
25:20enfin voilà, quoi.
25:22On a pris l'ascenseur,
25:23et ensuite, ils me déposent
25:25chez eux, leur étage, quoi.
25:29Toutes les personnes
25:30qui étaient valides,
25:32je les ai fait entrer dans le salon,
25:35Magali était dans la cuisine,
25:37Ruben était dans le couloir.
25:38Il y avait un autre mec
25:39blessé avec une balle dans le dos
25:41qui était dans les toilettes, je crois.
25:45Magali était à côté de moi
25:46dans le couloir,
25:46elle ne pouvait plus bouger non plus,
25:48et après, il y avait tous les autres
25:49qui n'étaient pas blessés,
25:50mais qui venaient aussi du Bataclan.
25:52Comme si je me réveillais
25:53de ma torpeur,
25:54je vois qu'il y a
25:56peut-être une dizaine,
25:57peut-être une quinzaine
25:58de personnes dans l'appartement.
26:03Il y avait énormément,
26:04énormément de sang,
26:06il était impossible de savoir
26:07à quel point ils étaient touchés,
26:09en fait.
26:12Quand j'étais allongé par terre
26:13et que je perdais du sang,
26:14elle était en mode,
26:15attends, j'ai un trou dans le ventre,
26:16quoi.
26:17Et en général,
26:17quand t'as un trou dans le ventre,
26:20voilà, c'est pas très bon au cœur,
26:22quoi.
26:23Il y avait une médecin
26:24qui était là,
26:25en fait,
26:25dans l'appartement,
26:28et qui m'a dit un truc
26:29qui m'a vachement rassuré.
26:31En fait, là,
26:32si tu n'as pas de grosses veines
26:35ou de grosses artères
26:35qui est touchées,
26:36sinon tu te serais vidé de son sang
26:37et tu serais déjà mort.
26:38J'ai essayé de m'occuper un peu
26:41des blessés,
26:42j'allais voir si tout allait bien.
26:44Je restais un petit moment
26:45avec chaque blessé.
26:46À un moment donné,
26:48j'ai proposé de l'alcool
26:49aux personnes qui étaient là
26:50pour les aider un peu
26:52à surpasser tout ça.
26:53Un des hommes qui étaient là
26:58voulait en découdre,
27:00en fait,
27:00il a vu une batte de baseball
27:01à l'entrée chez nous.
27:03Il voulait descendre
27:03avec sa batte de baseball
27:04et en fait,
27:05sa meuf lui disait
27:05« Mais mec,
27:06qu'est-ce que tu vas faire
27:07avec une batte de baseball
27:07contre une calache ? »
27:09Alors, vous l'avez dit,
27:10le bilan est très provisoire.
27:1215 morts au Bataclan,
27:1318 morts selon la préfecture
27:15et il y aurait une crise d'otage en cours.
27:18La police, en tout cas,
27:19a bouclé le périmètre.
27:22Au premier étage du Bataclan,
27:25en face de moi,
27:27il y a quelques marches
27:28avec une rampe et une porte.
27:33Et donc, je toque à la porte
27:34en essayant d'être
27:35la plus discrète possible.
27:37Et pourquoi, dans ma tête,
27:38je me dis que ma copine est dedans ?
27:39Et je dis « C'est moi, c'est moi,
27:41c'est Charlotte, ouvre-moi, ouvre-moi ! »
27:43Et donc, en fait,
27:44j'ai quelqu'un qui ouvre,
27:45je m'embarque,
27:46qui ferme
27:47et en fait,
27:47je me retrouve dans une petite pièce
27:49plongée dans le noir
27:52avec déjà,
27:54je ne sais pas,
27:57une quinzaine de personnes.
28:05On entend les terroristes
28:06qui découvrent des gens cachés
28:09dans une pièce
28:10qui était probablement la loge
28:11dans laquelle je m'étais
28:12initialement réfugiée.
28:16Et on comprend, voilà,
28:18que là, ça y est,
28:20ils sont là
28:20avec des gens
28:23qui retiennent en otage.
28:28Je comprends
28:29que ça va durer.
28:31Et donc là,
28:35on commence
28:35à les entendre parler.
28:38Ils nous expliquent.
28:39On a envie
28:39de venger
28:40les gens
28:41qui sont morts en Syrie
28:43à cause
28:43des bombes
28:45françaises,
28:46américaines.
28:47Et je les entends rire,
28:49je les entends
28:49viser des gens,
28:51se dire entre eux,
28:52« Bah tiens,
28:52lui, je l'ai eu. »
28:53Et à un moment donné,
28:56on entend quand même
28:57les terroristes dire
28:59« Reculez, reculez,
29:00tirer par la fenêtre. »
29:02Et on comprend, en fait,
29:10qu'il y a la police
29:12qui est arrivée.
29:13On ne sait pas
29:14à quel soit ça
29:15on va être mangé.
29:16On se dit qu'on va...
29:17Moi, je me dis
29:17qu'on va y passer
29:18un par un,
29:19qu'il va nous
29:19prendre en exemple.
29:26Je me souviens
29:27de m'être dit
29:27« Le pire,
29:28c'est pas que je meurs.
29:30Le pire,
29:30c'est la peur de mourir. »
29:34Je me dis que
29:34c'est la plus grande torture.
29:40Un otage
29:40qui était à côté de moi
29:41avait reçu
29:42l'autorisation
29:43de mettre son pull
29:45puisqu'elle semblait
29:47avoir froid.
29:47Donc voilà,
29:48un acte humain
29:49de la part d'un terroriste.
29:51Et là,
29:51je m'engouffre dans la brèche.
29:52J'avais super froid.
29:53J'étais à la fenêtre
29:54depuis au moins une heure
29:56à prendre le courant d'air
29:57en t-shirt
29:58avec ma chemise
29:59autour de ma taille.
30:01Je lui dis
30:01« Et moi,
30:01est-ce que je peux
30:02mettre ma chemise,
30:03s'il te plaît ? »
30:05Et là,
30:06il m'a dit
30:06« Toi, tu parles trop.
30:09Est-ce que tu vas être
30:09le premier à mourir
30:10ce soir ? »
30:11On a eu des téléphones
30:17qui ont vibré
30:17dans la pièce.
30:19Et à chaque fois,
30:20c'était une panique intérieure.
30:24Et puis,
30:25à un moment donné,
30:25ils envoient quand même
30:26un otage
30:26pour vérifier
30:27qu'il n'y a personne.
30:30Et à ce moment-là,
30:32notre poignet
30:33joue.
30:36Et en fait,
30:36je ne sais pas
30:36qui est cet otage-là.
30:38Mais il a compris
30:38qu'il y avait quelqu'un
30:39qui retenait la porte.
30:41Et donc,
30:42il a dit
30:42« Il n'y a rien,
30:43c'est fermé. »
30:44À l'heure où nous parlons,
30:48l'assaut
30:49est en cours
30:49au Bataclan,
30:50la salle de concert
30:51de l'Est parisien
30:53où se trouveraient
30:53plusieurs dizaines
30:54d'otages.
30:56Le moment
30:56qui fait basculer
30:57à la soirée,
30:58c'est quand l'assaut
30:59est donné.
31:01La BRI,
31:01depuis qu'elle est là,
31:02on est à la fois
31:03rassurés
31:03et terrorisés.
31:05On sait très bien
31:08qu'on va se retrouver
31:09entre deux feux.
31:10D'un côté,
31:10il y a une colonne
31:11de la BRI
31:12surarmée
31:13et de l'autre,
31:14il y a deux
31:14terroristes
31:16armés de Kalashnikov
31:18avec des ceintures
31:19d'explosifs
31:19qui,
31:20lorsqu'ils vont se sentir
31:21menacés,
31:22vont tout faire exploser.
31:29J'entends que ça monte,
31:30je les entends dire
31:30« Si vous avancez,
31:33on les tue un part,
31:33on les balance
31:34par la fenêtre. »
31:35L'assaut,
31:36il intervient
31:37en une fraction
31:39de seconde.
31:41Il y a la porte
31:42qui est défoncée
31:43et ensuite,
31:45c'est un fratrat
31:47d'éclats,
31:49de balles,
31:51de bruits.
31:55La colonne
31:56de la BRI
31:57est derrière
31:58un bouclier.
32:00Ils tirent
32:01à bout portant
32:03sur les terroristes
32:04qui sont
32:04à un ou deux mètres
32:06de chaque otage.
32:08Il y en a un autre
32:08qui est tout au bout
32:09et qui tient
32:11la colonne en joue.
32:15C'est un miracle
32:16que je sois encore là
32:17pour en parler.
32:20On est dans l'immeuble
32:22juste à côté du Bataclan.
32:23donc on entend
32:25les tirs
32:26de l'assaut.
32:28J'entends une explosion
32:29très, très forte
32:29à tel point
32:31qu'en fait,
32:32les murs
32:32de cette salle
32:33s'effritent
32:35et qu'on se retrouve
32:36envahis
32:36d'une espèce
32:37de poussière.
32:39les ceintures
32:43explosives
32:43miraculeusement
32:44elles explosent
32:46en direction
32:47du plafond
32:47et moi
32:49dans ma tête
32:49je me dis
32:50ça y est
32:52c'est fini.
32:54Et là
32:54je réalise
32:54que le miracle
32:56de la vie
32:57je suis encore
32:58en vie
32:58après
32:59cette scène
33:00de guerre
33:00et puis là
33:01quelqu'un
33:02me tire
33:03par les cheveux
33:03me dit
33:05lève ton t-shirt
33:06sors de là
33:09lève les mains
33:10pour savoir
33:12si j'étais
33:13terroriste ou pas.
33:15Et puis
33:15ils nous font sortir
33:16au pas de course
33:17les uns
33:17après les autres.
33:23En fait
33:24il y a une sorte
33:24de corridor
33:25de flic
33:26qui me gueule dessus
33:27en me disant
33:28sors vite vite vite
33:29regarde pas.
33:31Alors moi
33:32je m'exécute
33:32je regarde devant moi
33:33je sais très bien
33:34pourquoi il me dit ça.
33:35s'il vous plaît
33:36messieurs dames
33:36vous reculez
33:37merci.
33:41On est sortis
33:42ma femme
33:43elle a explosé
33:44en sanglots
33:45elle tenait plus
33:45j'ai dû la tenir
33:46elle est partie
33:47en crise
33:47vraiment
33:48super intense
33:49quoi.
33:54L'évacuation
33:55était ouf
33:56c'était genre
33:56un film de guerre
33:57le truc en fait
33:57il y avait
33:59une colonne
33:59de blessés
34:00au milieu
34:01encadré
34:01par des flics
34:02armés
34:03je me souviens
34:04des flics
34:04je me souviens
34:06des corps
34:06là par terre
34:07ils avaient installé
34:10un hôpital
34:11dans un bar
34:12qui est derrière
34:13au bar
34:14La Royale
34:15j'ai le souvenir
34:16qu'on nous marque
34:17des numéros
34:18sur le front
34:19pour faire
34:20un premier tri
34:21des blessés
34:22avec les mentions
34:24urgence relative
34:25urgence absolue
34:26Il y avait
34:32plein de blessés
34:33à l'engager
34:33par terre
34:34il y avait des morts
34:36aussi
34:36il y avait des gens
34:38qui étaient plus là
34:39quoi
34:39et c'était
34:40pareil c'était ouf
34:42il y avait des ambulances
34:42dans tous les sens
34:43il y avait des flics
34:43il y avait des pompiers
34:44ça criait
34:45les gens
34:51ils étaient à gare
34:51autour il y avait
34:54les secours
34:54je me rappelle
34:54ils nous ont dit
34:55vous pouvez pas partir
34:56il y a François Hollande
34:56qui arrive
34:57on avait dit
34:58on s'en fout
34:59ça Hollande
35:00il faut courante
35:00ma copine
35:04elle finit par me retrouver
35:05on se retrouve
35:06sur un boulevard
35:06mais on est hébété
35:07je suis pieds nus
35:08j'ai la couverture
35:09de survie
35:10qu'on m'a donnée
35:10et puis en effet
35:12je retrouve mon compagnon
35:13qui a réussi
35:13à passer les cordons
35:14de sécurité
35:15la première chose
35:19que je fais
35:20en sortant
35:20quand je suis encore
35:21torse nu
35:22c'est que j'appelle
35:23ma mère
35:24j'appelle ma soeur
35:25qui appelle
35:26ma petite amie
35:27j'appelle ma mère
35:28je vois que j'ai plus
35:29trop de batterie
35:30je réalise un coup
35:31qu'elle ne sait pas
35:32que je suis là
35:32rien que de lui annoncer ça
35:34j'ai l'impression
35:34qu'elle va faire
35:35une crise cardiaque
35:35donc je l'engueule
35:37j'ai dit
35:38maman tu te tais
35:39tu m'écoutes
35:40avec Ruben
35:42on était au Bataclan
35:43on est blessés
35:44mais on va bien
35:44ma femme
35:50il y avait cette obsession
35:51depuis qu'on était
35:53par terre
35:53dans la fosse
35:54elle voulait revoir
35:54les enfants
35:55il fallait qu'on rentre
35:56en fait pour
35:56pour aller voir
35:58les enfants
35:58et on a attrapé
35:59un taxi
36:00je me rappelle
36:00on avait pas
36:00beaucoup de monnaie
36:01et le mec
36:01on lui a dit
36:02vous pouvez nous déposer
36:03juste pour
36:03je sais plus
36:0410 euros
36:04et le mec
36:05en fait
36:05nous a ramené
36:05chez nous
36:06on retrouve
36:11on retrouve
36:12tous nos amis
36:13qui s'étaient
36:14tous réunis
36:14chez une copine
36:16et donc
36:17en fait
36:17ça a été
36:18mon premier
36:19refuge
36:23à ce moment là
36:24et donc je me souviens
36:25qu'ils me récupèrent
36:26qui me disent
36:29mais on va te mettre
36:29des chaussettes
36:30en fait
36:30qu'ils voient
36:31que j'ai du sang
36:31partout
36:32donc
36:32qui me permettent
36:35d'aller me laver
36:36toutes nos fringues
36:42les pompes
36:43on était plein de sang
36:44jusqu'à
36:45ouais on en avait sur nous
36:47et la baby-sitter
36:49elle était en panique
36:49elle avait la télé allumée
36:50mais moi tout de suite
36:54j'ai eu besoin
36:55de
36:56de
36:57de
36:57de
36:57de vomir
36:58ce que je venais de vivre
36:58de dire ce qui s'était passé
37:00et donc en fait
37:01j'ai tout raconté
37:02on est restés tous ensemble
37:03je pouvais pas boire
37:04d'alcool
37:05parce que j'étais enceinte
37:06c'est ça
37:06je me souviens de m'être dit
37:07mais je rêve
37:08d'un verre
37:09de
37:09de quelque chose
37:11juste pour redescendre
37:13les heures qu'on suivit
37:17déjà on a passé de longs moments
37:19regarder nos enfants
37:20wow c'était
37:23c'était incroyable quoi
37:25on les regardait
37:26sans rien dire
37:27je crois qu'on l'a jamais dit
37:29ça au gosse
37:29on l'a regardé
37:32longtemps
37:32les enfants dormire
37:33on se sent
37:34putain
37:35wow
37:35c'est fou quoi
37:36on n'aurait plus
37:37ces trois orphelins
37:38c'est
37:38c'est
37:38c'est
37:38c'est
37:38c'est
37:38c'est
37:39c'est
37:39c'est
37:39c'est
37:40c'est
37:40c'est
37:40c'est
37:41c'est
37:42tir à la kalachnikov
37:45prise d'otage de masse
37:46attentat suicide
37:47coordonné
37:48au moins 120 morts
37:49c'est donc au bataclan
37:51salle de spectacle
37:52que l'horreur a dépassé
37:53l'entendement
37:53hier soir
37:54l'attaque la plus sanglante
37:55et la plus meurtrière
37:56un des parcours
38:00les plus compliqués
38:01que j'ai eu à vivre
38:02ça n'a pas été
38:03de sortir de cette salle
38:06ça c'était l'instinct
38:07ça s'est fait
38:08ça s'est fait
38:09comme ça
38:09par contre
38:10vivre après
38:11avec tout ça
38:12oui
38:12quand j'arrive
38:17à l'hôpital
38:18moi à ce moment là
38:19je vais bien
38:19je suis en vie
38:20j'ai confiance
38:20je lâche prise
38:22j'ai pris une balle
38:23deux
38:23je m'en fous
38:24je suis en vie
38:24je suis en vie
38:25je me sens la
38:26je me sens la plus forte du monde
38:28je me sens indestructible
38:29à ce moment là
38:30je crois que c'était un interne
38:33qui m'a opéré
38:34et j'ai eu droit
38:36à un encloutage
38:37dans la moelle
38:38de l'os
38:39du fémur
38:39avec deux vis
38:41au niveau du genou
38:42et une vis au niveau
38:43de la hanche
38:43et mon os
38:45s'est reconstruit
38:45autour de ça
38:46avec Ruben
38:49on s'est retrouvés
38:5015 jours plus tard
38:51en centre de rééducation
38:53nos potes
38:54avaient organisé
38:55un calendrier
38:56partagé
38:57où ils bloquaient
38:59les jours
39:00pour ne pas venir
39:00tous au même temps
39:01et ce qui fait
39:02qu'en fait
39:02on avait tout le temps
39:03des potes
39:04qui venaient nous rendre visite
39:05on n'avait rien à gérer
39:06et du coup
39:09toute cette période
39:09elle a été pour nous
39:11en fait
39:12très agréable
39:13et puis d'un coup
39:14vous sortez
39:15vous retrouvez votre chez vous
39:23que vous ne reconnaissez plus
39:24donc je me souviens
39:25que cette sortie
39:26de centre de rééducation
39:27en réalité
39:28pour moi
39:29elle est très violente
39:29je me sens seule
39:31je me sens abandonnée
39:32je ne sais pas comment
39:32je vais faire
39:33j'ai du mal
39:35à faire trois pas
39:36donc je ne peux même pas
39:37aller de ma cuisine
39:38à mon salon
39:39en portant un plateau
39:40j'ai mes béquilles
39:40parfois je ne peux pas
39:43ramasser mes chaussettes
39:44je ne peux pas les mettre
39:45voilà
39:46je suis obligée d'attendre
39:47que mon corps veuille bien
39:48pour pouvoir
39:49passer un petit coup
39:50d'aspirateur
39:51aller me doucher
39:52pour tous les gestes basiques
39:53du quotidien
39:54où on n'a même pas à réfléchir
39:55moi je suis obligée
39:56d'attendre
39:56que mon corps veuille bien
39:57d'être reconnue
40:01en tant que victime
40:01je pense que ça fait partie
40:03du processus de reconstruction
40:05l'expertise
40:08était nécessaire
40:11c'est aussi une façon
40:12de dire que ça a eu lieu
40:15je me souviens de l'expert
40:21qui m'accueille
40:22et qui me dit d'emblée
40:24bon je sais pourquoi
40:25vous êtes là
40:26c'est comme les autres
40:27vous voulez votre indemnisation
40:28c'est une bataille d'assurance
40:30avec des experts
40:31qui des fois
40:32n'ont aucun tact
40:34un cliché
40:35du médecin
40:37gavé d'arrogance
40:38qui va vous prendre de haut
40:40on n'est pas là
40:41pour vous écouter
40:42vraiment
40:42parler des difficultés
40:44de votre vie
40:44on est là pour
40:45faire rentrer
40:46quelques difficultés
40:47dans des cases
40:47moi ma situation
40:49du coup
40:49est un peu plus complexe
40:51et du coup
40:52ne rentre pas
40:52vraiment dans les cases
40:53donc c'est pas facile
40:55à indemniser
40:56Magali
40:58le fait qu'elle ait été
41:00moins bien indemnisée
41:02que moi
41:03alors qu'en fait
41:04aujourd'hui
41:04elle a encore des séquelles
41:05et pas moi
41:06moi je trouve ça dégueulasse
41:07ma femme et moi
41:11psychologiquement
41:12on était ravagés
41:13on a été chez le psy
41:15à la suite psychologique
41:18ensemble
41:18la reconstruction
41:21elle a commencé
41:22lorsque
41:23j'ai pris contact
41:25avec un psychologue
41:26j'avais la sensation
41:28d'avoir été un peu
41:29la victime sacrificielle
41:30du pays
41:30quand même
41:31qu'on avait manqué
41:31de protection
41:32qu'il y avait eu
41:33des négligences
41:34voire de laisser faire
41:36et j'étais
41:37quelque part
41:39très en colère
41:39j'avais la sensation
41:44qu'il y avait un lien
41:46de cause à effet
41:46entre cet attentat
41:48et les agissements
41:50du pays
41:52de la France
41:52sur la scène internationale
41:54j'en suis arrivé
41:58à penser que
41:59finalement
42:00les terroristes
42:01avaient
42:02des bonnes raisons
42:04d'opérer
42:05et ce premier psy
42:09m'a permis
42:09de faire
42:10ce distingo
42:10entre
42:11le sentiment
42:12des terroristes
42:13qui voulaient
42:14ramener
42:15une forme de justice
42:16et
42:17leur méthode
42:18qui ne faisait que
42:19mettre de l'huile
42:20sur le feu
42:21moi j'ai
42:24eu comme
42:25réaction
42:28de me couper
42:29d'absolument
42:30tout ce qui pouvait
42:32se dire
42:33se voir
42:34s'entendre
42:36sur le 13 novembre
42:38j'ai repris le travail
42:42en septembre
42:422016
42:44donc au moment
42:44de la rentrée scolaire
42:45puisque j'étais
42:45professeur des écoles
42:46je dois regérer
42:48mon métier d'avant
42:49mais au final
42:50dans ma tête
42:50il se passe
42:51des tonnes de choses
42:52en parallèle
42:53que je ne sais même pas
42:54expliquer
42:54c'est juste
42:55que c'est une sorte
42:55de remise en question
42:56du sens de la vie
42:59en fait
42:59j'ai beau savoir
43:00que je suis chanceuse
43:01d'accord
43:02mais qu'est-ce que j'en fais
43:02en fait maintenant
43:03de ma vie
43:03Caro et moi
43:08on a retravaillé
43:08assez rapidement
43:09moi j'ai fait
43:10un premier tournage
43:10qui d'ailleurs
43:11était dans l'onzième
43:12c'est incroyable
43:14déambulation
43:15dans les rues du onzième
43:16et donc passage
43:18devant le Bataclan
43:19c'était fou
43:20tu vois
43:21mes images
43:22c'est pas très
43:23c'est pas très joli
43:23je suis devant
43:25il faut regarder mon plan
43:26je trempe beaucoup
43:27le retour au travail
43:31je le voulais
43:32en fait
43:32j'avais envie
43:33j'avais envie
43:35de remonter
43:35sur le cheval
43:36il fallait que
43:37il fallait que je reprenne
43:38les transports en commun
43:39je voulais absolument
43:41me confronter
43:42au métro
43:43à la foule
43:43j'avoue
43:46que j'ai eu
43:47des moments de stress
43:48il suffisait
43:49qu'il y ait
43:50un cri
43:51de quelqu'un
43:52ou que le métro
43:53freine de manière
43:54pas prévue
43:55et ça y est
43:56je m'imaginais
43:57le pire tout de suite
43:58vous voyez un mec
43:59basané en doudoune
44:00j'ai fait ma prière
44:01mais alors
44:01combien de fois
44:01dans les transports
44:02j'étais en sueur
44:03j'étais en larmes
44:04j'étais persuadée
44:04de mourir
44:04j'étais persuadée
44:05que le mec
44:05allait se faire péter
44:06c'est un procès
44:10hors normes
44:10qui s'ouvre aujourd'hui
44:11les victimes
44:12et leurs proches
44:13vont replonger
44:14dès aujourd'hui
44:15et pour neuf mois
44:15dans l'horreur
44:16du 13 novembre 2015
44:17un procès pour les victimes
44:19un procès filmé
44:21aussi pour l'histoire
44:22j'ai longtemps été
44:24tiraillé
44:24il y avait une part
44:26de moi
44:26qui avait envie
44:29d'assister
44:30à ce procès
44:31hors normes
44:33voir comment ça
44:34se déroulait
44:35et puis il y avait
44:36ce côté de moi
44:37qui avait quand même
44:38depuis le début
44:39mis à distance
44:40tout ce qui se rapportait
44:41au 13 novembre
44:42j'ai pas témoigné
44:44au procès
44:44je suis resté
44:46très éloigné
44:47du procès
44:47j'avais pas envie
44:48d'y aller
44:48j'ai l'impression
44:49que
44:50j'ai envie
44:52en fait j'ai envie
44:53d'aller de l'avant
44:54et aller au procès
44:55c'était rester en arrière
44:56en fait
44:56la seule fois
45:00où je voulais y aller
45:00j'ai eu du taf
45:01de toute façon
45:03je ne voyais pas
45:04trop l'intérêt
45:04d'y aller en vrai
45:05voilà
45:06les mecs sont morts
45:07je savais que je voulais
45:09témoigner
45:09et c'était une grosse pression
45:12parce que
45:12parce que j'en avais
45:14encore gros sur le coeur
45:15vis-à-vis des zones d'ombre
45:17qui sont restées en plus
45:18parce qu'on a vu
45:19les petites mains
45:21les accusés
45:22c'était des petites mains
45:23on a même pas eu
45:24nos tortionnaires
45:25qui étaient déjà morts
45:26et on a surtout pas eu
45:28les cerveaux
45:28de l'opération
45:30la seule fois
45:32où j'y suis allée
45:33c'est parce que
45:34ça me témoignait
45:34et je finis quand même
45:36par jeter un oeil
45:38au box des accusés
45:39rapide
45:40et en fait
45:42ce que je me suis dit
45:43pendant tout ce temps
45:43que j'ai passé
45:44dans cette salle d'audience
45:45comment est-ce que
45:47des gens aussi
45:49lambda
45:51ont pu avoir
45:56un impact aussi
45:59énorme
46:02sur
46:04des centaines
46:07des centaines
46:07de personnes
46:08tout un pays
46:10il y avait un décalage
46:12j'avais préparé
46:15mon intervention
46:16et au bout
46:17de quatre lignes
46:18j'ai levé
46:19les yeux
46:19vers les accusés
46:20et j'ai commencé
46:22à balayer
46:23le regard
46:23et à raconter
46:24réellement
46:25ce que j'avais vécu
46:27de l'intérieur
46:27et le procès
46:30a permis
46:32de déposer
46:33faire une déposition
46:35ça porte bien son nom
46:36c'est à dire qu'ensuite
46:37on a un poids
46:37qui s'enlève
46:38moi le procès
46:41m'a surtout servi
46:42à écouter
46:43les témoignages
46:43des autres
46:44c'est
46:45ça a été
46:45ma réparation
46:46j'avais besoin
46:47de savoir
46:48comment aller
46:48les autres
46:48en fait
46:49ma fille est née
46:57en juin 2016
46:59sept mois
47:00après les attentats
47:01quand elle est née
47:04j'avais encore
47:07des moments
47:07où ça allait pas
47:08j'ai jamais étouffé
47:10ma peine
47:12mes angoisses
47:13tout en essayant
47:14de la préserver
47:14bien sûr
47:15et puis après
47:18en grandissant
47:19je me suis quand même
47:20demandé
47:21comment est-ce que
47:22je lui en parle
47:23en fait
47:24parce que je voulais
47:24pas que ce soit
47:25une révélation
47:26je voulais que ce soit
47:28un sujet
47:28qui soit là
47:29qui existe
47:30et donc du coup
47:32en fait
47:32ça a jamais été tabou
47:33et là typiquement
47:35pour aujourd'hui
47:36je lui ai dit
47:39que j'allais
47:40du coup être interviewée
47:43pour un documentaire
47:44elle m'a dit
47:45mais qu'est-ce que
47:45tu vas répondre
47:46si jamais
47:47on te demande
47:48comment ça va
47:49aujourd'hui
47:49et
47:52je lui dis
47:55bah je sais pas
47:56je répondrais
47:56que ça va
47:57que
47:57mais que
47:58j'avais du mal
47:59à trouver mes mots
48:00et c'est elle
48:01qui me dit
48:02oui que
48:03tu gères quoi
48:04et donc je lui suis dit
48:06et voilà
48:06c'est maintenant
48:07Charlotte
48:17elle est arrivée
48:18à un moment
48:19où j'avais aucun espoir
48:20de sortir vivant de là
48:22et c'est ce geste là
48:24où j'ai deux vies
48:27entre mes mains
48:27qui m'a poursuivi
48:29dans ma reconstruction
48:31quelque part
48:32donc la femme enceinte
48:33Charlotte
48:34c'est quelqu'un
48:36c'est une soeur aussi
48:37c'est une soeur de sang
48:38quoi
48:39c'est quelqu'un
48:39qui est très important
48:41même si on se voit
48:41très peu
48:42Caro et moi
48:45on a décidé
48:46de se marier
48:46tout de suite
48:47alors qu'on est des punks
48:49on a foutu du mariage
48:50on a vécu
48:52on a vécu
48:52et on est sortis
48:53de l'enfer
48:54voilà
48:55pour ma part
48:57moi je suis sorti
48:58de ce passage là
49:00c'est une deuxième naissance
49:00clairement
49:01et ouais ouais
49:02bien sûr
49:03ça nous a unis
49:03c'est clair quoi
49:04on aurait tendance
49:07à penser
49:07que
49:08dans l'adversité
49:09ou le traumatisme
49:10on va
49:10se réunir
49:12et traverser le truc
49:12ensemble
49:13mais
49:13c'est pas forcément vrai
49:15en fait
49:15ça peut aussi séparer
49:16il suffit de pas vivre
49:17les choses
49:17de la même façon
49:18et à la même vitesse
49:19on essaye de sauver le couple
49:20alors que
49:21juste après les attentats
49:22on voit bien que
49:23ça va nulle part
49:24de toute façon
49:30on a été séparés
49:30par les balles
49:31quelque part
49:31ces images
49:38pour moi
49:40sont importantes
49:40pour l'histoire
49:41parce que sans ça
49:43ça aurait manqué
49:45de concrets
49:46je peux être tout à fait
49:48conscient
49:49que ça a été mal vécu
49:50par d'autres rescapés
49:51qui pensent que
49:52c'est du voyeurisme
49:54oui je t'en ai voulu
49:58mais pas à toi
50:00du coup
50:00j'en ai voulu
50:01à la personne
50:02qui avait filmé
50:02mais
50:04je lui en voulais
50:08parce qu'en fait
50:09ça m'avait volé
50:12l'annonce
50:12de ma grossesse
50:12en fait
50:13à plein de gens
50:16qui n'étaient pas
50:16encore au courant
50:17le témoignage
50:19fait partie de l'histoire
50:20c'est une preuve
50:21c'est un document
50:25c'est précieux
50:26c'est comme donner
50:28une réalité au truc
50:30c'est bien que
50:34le témoignage existe
50:35pour pas qu'on oublie
50:37c'est justement
50:37c'est pas
50:58les étoiles dansent
51:01sur le parquet
51:02la fête commence
51:04en bon histoire
51:05plein de mystères
51:07vendredi noir
51:08mon vrai lumière
51:10vendredi soir
51:17les lumières
51:18de la ville
51:21vendredi noir
51:23sans fin
51:24le rêve fragile
51:26dans le silence
51:29l'amour s'en va
51:31sans bruit
51:33loin du fracas
51:36la mort
51:38nous éblouit
51:42oh oui
51:48les désirs montent
51:54des lus d'ivresse
51:56bonheur fragile
51:57roc et tendresse
51:59la vie
52:00la vie des îles
52:00comme un éclair
52:02la peur qui rôde
52:04et saine la colère
52:07rappelle-toi
52:12nous nous sommes tant aimés
52:15maintenant l'heure
52:19est de se quitter
52:21ce soir
52:25je ne veux plus rêver
52:28l'amour s'en va
52:31l'amour s'en va
52:34l'amour s'en va
52:35l'amour s'en va
52:37c'est de se quitter
52:39l'amour s'en va
52:40l'amour s'en va
52:41l'amour s'en va
52:43la vie
52:45l'amour s'en va
Écris le tout premier commentaire
Ajoute ton commentaire

Recommandations