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Dans cette intervention de Jean‑Marc Jancovici, ingénieur diplômé de l’École Polytechnique et de l’École nationale supérieure des télécommunications, co-fondateur du cabinet de conseil Carbone 4 et président du think-tank The Shift Project, il aborde deux enjeux majeurs : comment remettre la science au cœur des débats publics et politiques et si une action collective forte peut s’établir dans un régime démocratique sans basculer dans l’autoritarisme.
Au cours du dialogue il souligne les difficultés à intégrer la science dans l’information journalistique, pointe le rôle des réseaux sociaux comme levier de changement, et insiste sur le besoin d’un consensus citoyen solide, d’un sentiment d’urgence et d’une légitimité démocratique pour mener un sursaut collectif. Il explore la question du modèle social sous-jacent : technocratie ou gouvernance partagée ?

#énergie #climat #science #politique #Jancovici

Catégorie

📚
Éducation
Transcription
00:00Ils savent mal, même quand ils parlent des faits, ce qui fait la légitimité d'un individu.
00:05Qu'est-ce qui fait que moi je suis légitime à vous raconter des trucs sur l'énergie ?
00:08C'est la réfutation par les pairs.
00:10Parce que je peux très bien avoir fait des études et faire comme Claude Allègre et vous dire
00:13le CO2 n'a pas d'effet sur le réchauffement climatique.
00:18Donc j'aurais toujours fait les mêmes études scientifiques et pourtant je vous dirais une connerie.
00:21Donc ça, le sujet de la réfutation par les pairs qui fait la légitimité technique de quelqu'un,
00:26c'est un truc que les journalistes n'ont pas comme réflexe.
00:30Comment est-ce qu'on fait pour remettre la science au centre de nos débats publics et politiques,
00:39de nos élus, chez nos dirigeants ?
00:43En fait, c'est plutôt, est-ce que ce que vous proposez repose pas sur un modèle social et politique de technocratie,
00:52voire de dictature éclairée ?
00:55Parce que finalement, je ne sais pas si c'est souhaitable, mais quel est le modèle social derrière
00:59qui permet de tenir la route ?
01:03Alors il y a deux questions très différentes que vous venez de me poser.
01:05Il y en a une sur la science au cœur des débats, enfin ou incluse dans les débats.
01:08Et il y en a une deuxième sur est-ce qu'on est capable de faire un grand effort collectif
01:12dans un régime qui ne soit pas un régime autoritaire ?
01:15Sur la première question, ce que j'ai coutume d'appeler un débat public, c'est quand le sujet est aux 20 heures de TF1
01:22ou bien quand ça fait 10 millions de vues sur YouTube ?
01:24Bon, c'est ça pour moi un débat public.
01:26Aujourd'hui, ça concerne beaucoup plus le foot que le changement climatique.
01:31Dans la partie médias, ça veut donc dire que ça passe par des gens qui sont souvent oubliés
01:40quand on parle des débats publics, qui sont les journalistes.
01:42Donc il y a une question qui est comment faire pour mettre la science dans l'information journalistique ?
01:49Bon courage.
01:51Moi, j'ai essayé pendant un certain nombre d'années, je continue à essayer à l'occasion.
01:56Ce n'est pas simple et ce n'est pas simple pour plein de raisons.
01:58La première, c'est que la science, c'est compliqué alors qu'aujourd'hui, dans la course à l'audience,
02:03si vous faites le buzz, si un joueur du Paris Saint-Germain a été pris dans un tournage de films porno,
02:10là où je n'ai pas suivi exactement les derniers développements, mais c'est un truc de ce genre-là,
02:14vous êtes sûr que ça va faire beaucoup plus vendre et donc c'est bien meilleur pour vos recettes publicitaires
02:18que de prendre la tête des gens en leur expliquant où sont les raies d'absorption du CO2 dans l'infrarouge.
02:24Donc, il y a un vrai sujet qui est d'arriver à marier le fait d'arriver à intéresser l'auditoire
02:33avec des trucs qui sont compliqués et techniques.
02:36Il y a un deuxième sujet qui est qu'aujourd'hui, l'essentiel des journalistes suivent des études littéraires.
02:40Donc, ça leur demande un effort d'apprentissage supplémentaire de s'emparer de ce genre de sujet ensuite
02:44dans la façon dont ils traitent l'information.
02:48Il y a un troisième sujet, c'est qu'aujourd'hui, on leur apprend mal les règles de processus
02:53qui permettent de différencier les faits des opinions.
02:57Et c'est ça aussi.
02:59Donc, en gros, à partir du moment où tout est une opinion, on peut débattre de tout.
03:03Or, quand on commence à débattre des faits pour revenir sur des choses qui sont acquises,
03:07ce n'est pas un débat sain, concret, c'est de la confusion.
03:11Vous avez un dernier sujet qui est qu'ils savent mal, même quand ils parlent des faits,
03:21ce qui fait la légitimité d'un individu.
03:24Qu'est-ce qui fait que moi, je suis légitime à vous raconter des trucs sur l'énergie ?
03:28C'est quoi qui fait que je suis légitime ?
03:30Est-ce que vous avez la réponse à cette question ?
03:33Pardon ?
03:34Non, ce n'est pas mes études.
03:38Oui, exactement.
03:39C'est la réfutation par les pairs.
03:41Parce que je peux très bien avoir fait des études et faire comme Claude Allègre et vous dire
03:45le CO2 n'a pas d'effet sur le réchauffement climatique.
03:49Donc, j'aurais toujours fait les mêmes études scientifiques et pourtant, je vous dirais une connerie.
03:53Donc, ça, le sujet de la réfutation par les pairs qui fait la légitimité technique de quelqu'un,
03:58c'est un truc que les journalistes n'ont pas comme réflexe.
04:00Donc, ils pensent qu'ils peuvent demander.
04:02Donc, du coup, c'est le micro-trottoir.
04:03Et enfin, il y a un dernier sujet au niveau de la presse.
04:06C'est la faiblesse des moyens.
04:08Et quand vous êtes en faiblesse de moyens,
04:09vous avez tendance à faire au plus court, au plus vite.
04:13Et donc, c'est le micro-trottoir qui remplace l'analyse sociologique.
04:17Moi, les micro-trottoirs, ça me gave.
04:19C'est vraiment le truc à la con par excellence.
04:22Ou bien, c'est le même journaliste ou la même journaliste
04:25qui va traiter à la fois les militants et les scientifiques d'un même secteur.
04:28Or, les scientifiques, ils sont en blouse blanche.
04:30Ils marmonnent dans leur barbe quand ils en ont une.
04:32Et ils racontent des trucs incompréhensibles.
04:34Alors que les militants, ils disent des trucs très simples,
04:36très faciles à comprendre, parfois parfaitement faux
04:38ou totalement exagérés ou totalement impraticables.
04:41Mais en attendant, c'est ce qu'on appelle des bons clients dans la presse
04:44parce qu'ils sont capables de s'exprimer avec des slogans qu'ils portent, etc.
04:48Et là, c'est pareil.
04:49La même personne qui va traiter les deux
04:51va se faire en général capturer par les militants.
04:54Et donc, elle va traiter la science dans la mesure
04:56où elle est raccord avec ce que racontera le militant,
04:57alors que ça devrait être l'inverse.
05:00Donc, il y a tout un travail à faire dans le domaine des médias.
05:02C'est un travail compliqué.
05:05Je pourrais vous sortir un milliard d'anecdotes.
05:07Mais c'est très difficile de mettre la science
05:10dans le débat public
05:13via les journalistes
05:16tant que ce n'est pas une demande du public.
05:18Alors, il y a une voie de contournement.
05:20C'est les réseaux sociaux.
05:21Je pense avoir contribué beaucoup plus.
05:24Alors, j'ai fait deux choses dans ma vie.
05:26Il y en a une qui avait été de faire une école d'hiver
05:28pour journalistes pendant 12 ans.
05:30J'ai fait ça avec un copain journaliste.
05:31Donc, on se disait, bon, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre.
05:33Si on garde les journalistes à Paris pour leur faire trois jours de cours,
05:36ils ne nous écouteront plus.
05:37Au bout d'une heure, ils barreront.
05:38Donc, on va les emmener dans un chalet sympathique,
05:40plein de boiseries à la montagne.
05:41Et là, on est sûr qu'ils ne se barrent pas pendant trois jours.
05:43On va les gaver de tartiflettes, de vin blanc
05:45et les emmener se battre avec des boules de neige.
05:47Et accessoirement, chaque jour, pendant cinq heures,
05:49on leur fera mal au crâne en leur expliquant
05:51ce que c'est que le pétrole, ce que c'est que le charbon,
05:53ce que c'est que le réchauffement climatique,
05:54ce que c'est qu'une éolienne et ce que c'est qu'un réacteur nucléaire.
05:57Et pendant dix ans, 12 ans même,
05:59on a fait ça.
06:00C'était super sympa.
06:01Et là, je pense que ça a beaucoup moins changé les rédactions
06:04que le fait qu'un jour,
06:06je décide de raconter des conneries sur YouTube
06:08et que là, ils se disent
06:10« Ah, les gens vont aller chercher ailleurs
06:13ce qu'ils ne trouvent plus chez nous. »
06:15Et donc, on va quand même essayer
06:16de raconter des choses intelligentes dans ce domaine-là.
06:18Et je pense avoir fait plus progresser le monde journalistique
06:21simplement en existant sur les réseaux sociaux
06:23qu'avec dix ans de cours organisés, structurés, etc.,
06:26qu'on n'avait plus tenté de faire avant.
06:28Donc, en fait, la pression des réseaux sociaux
06:30peut conduire la presse à changer.
06:31C'est un truc intéressant à savoir.
06:35Deuxième question.
06:36Est-ce qu'on peut faire un effort collectif important
06:38sans régime autocratique ?
06:40La réponse est
06:41il y a eu des précédents dans l'histoire.
06:43Je vais vous en citer deux.
06:44C'est la Grande-Bretagne et les États-Unis
06:45au moment de la dernière guerre mondiale.
06:48Ça demande par contre un consensus
06:49extrêmement fort dans la population
06:51sur la marche à suivre,
06:53le sentiment d'urgence
06:55et la hiérarchie des priorités.
06:58Donc, si on arrive à ce sentiment
07:00extrêmement fort dans la population,
07:02de la marche à suivre,
07:03de la hiérarchie des priorités,
07:05du sentiment d'urgence
07:06et du leader légitime
07:08restant démocratique,
07:10mais derrière lequel on se range,
07:12oui, on peut y arriver
07:13sans basculer,
07:14mais à ce moment, quelque part,
07:15la privation de liberté,
07:16elle a lieu de soi-même.
07:17parce que les Britanniques,
07:20pendant la guerre,
07:20ont accepté des tas de restrictions.
07:23Ils les ont acceptées d'eux-mêmes,
07:25j'ai envie de dire.
07:25Ils considéraient que c'était ça
07:26qu'ils devaient faire.
07:28Est-ce qu'on peut collectivement
07:30faire ce sursaut sans aucune restriction ?
07:32La réponse est non.
07:34Mais est-ce qu'on peut les accepter
07:35de nous-mêmes
07:36et pas avoir l'impression
07:38que notre destin nous échappe complètement ?
07:39La réponse est peut-être oui.
07:41En tout cas, il faut l'espérer.
07:42Et ça repasse par la même réponse
07:45que celle que j'ai faite tout à l'heure.
07:47Ça s'attaque par la base pour y arriver.
07:49Pour créer un consensus,
07:50il faut partir de la base.
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