00:00C'est l'heure de votre chronique, Anne. Deux choses dans l'actualité vous ont inspiré une chronique sur l'humour.
00:09Oui, d'abord Salman Rushdie qui se confie dans la presse anglo-saxonne à l'occasion de la sortie d'un nouveau recueil de nouvelles.
00:17L'écrivain, objet d'une fatwa depuis 36 ans, apparaît désormais chaussé de ses curieuses lunettes ou un verre fait office de cache-oeil.
00:25C'est qu'il a réchappé à l'été 2023 à l'attaque au couteau d'un fanatique islamiste.
00:30Rushdie y a laissé un oeil, mais pas son sens de l'humour et il y tient.
00:36Auprès de The Economist, il fait même valoir que ça fait longtemps qu'il continue d'être drôle, mais que les gens ne prennent pas son humour au sérieux.
00:43Comme la fatwa n'était pas drôle, confie-t-il, on a supposé que mon livre, les versets sataniques, était dépourvu d'humour.
00:50Or, ça n'était pas vrai. Et voilà, 36 ans donc, qu'on n'envisage plus cet auteur merveilleux qu'avec un esprit de tragédie.
00:58Il insiste pourtant, l'humour c'est essentiel, non seulement parce que cela procure de la joie, mais aussi parce que c'est une arme de lutte contre l'oppression.
01:08Le manque d'humour est caractéristique d'un esprit étroit, dit-il d'ailleurs. Il y a très peu de dictateurs drôles.
01:15Ça, ce n'est pas faux Anne. Quelle est l'autre actualité qui vous a soufflé cette idée de chronique ?
01:20Eh bien, j'ai lu une autre information concernant celle-là Eva Illouz, sociologue française et israélienne, notamment à l'école des hautes études en sciences sociales à Paris.
01:29Précisons un préambule qu'on ne peut guère qualifier Eva Illouz de soutien à Netanyahou.
01:34Elle est si radicalement et si bruyamment anti-Netanyahou, Eva Illouz, qu'en mars dernier, le ministre de l'éducation israélien a publiquement interdit qu'un comité lui remette un prix scientifique prestigieux.
01:48Voilà pour la situer politiquement.
01:50Pourtant, cela n'a pas empêché l'annulation d'une conférence sur l'amour qu'elle devait donner à l'université de Rotterdam aux Pays-Bas.
01:58Dans le magazine de l'université, on apprend que le responsable du projet dans le cadre duquel Eva Illouz devait intervenir a contacté cette dernière pour lui préciser que la décision de l'annuler avait été prise démocratiquement.
02:13La réponse de la sociologue rapportée par le même magazine est un petit bijou d'ironie.
02:18Elle a rétorqué qu'elle était ravie, vraiment ravie, qu'une décision antisémite avérée ait été prise démocratiquement.
02:24Peut-être faut-il y voir un peu de politesse, du désespoir, mais plus encore, je crois que cet humour-là est une arme, une façon de ne pas se laisser écraser par le monde,
02:36de mettre à distance le tragique pour pouvoir respirer et se défendre.
02:41Quand j'entends cette phrase d'Eva Illouz et quand je lis la revendication de Salman Rushdie de continuer de rire,
02:48cela me fait penser au formidable passage sur l'humour dans « La promesse de l'aube » de Romain Garry.
02:53« L'humour, écrit-il, est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive. »
03:03C'est superbe. On se dit juste qu'on aimerait avoir en ce moment un peu moins d'occasion de rire.
03:09Merci Anne Rosanchère, directrice déléguée de la rédaction du magazine L'Express.
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