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  • il y a 11 heures
Didier Varrod reçoit Bernard Lavilliers, symbole emblématique du chanteur engagé en France. Son titre "Les Mains d'or" illustre cette exaltation du travail et rend hommage à la lutte des ouvriers miniers pour préserver leur emploi. Ses textes profonds sont nourris de grands poètes comme Boris Vian ou Jacques Prévert et mêlent poésie et critique sociale, avec l'élégance de « dire des choses intelligentes sans en avoir l'air ». Bernard Lavilliers
nous montre en quoi une chanson peut naître d'un engagement sincère et devenir un puissant levier de conscience.

Embarquez Quai n°8 pour cette nouvelle émission de LCP. A bord du train, le paysage défile mais les mots, eux, prennent leur temps. Un journaliste, un invité et un trajet pour faire émerger ce qui ne se dit pas ailleurs. Dans un compartiment singulier, une conversation s'installe, explorant ce qui tisse un itinéraire, éclaire une pensée, porte un engagement. Chaque collection emprunte sa propre voie : Didier Varrod s'entretient avec des artistes pour qui la musique est aussi un acte citoyen. Yves Thréard fait revivre à des figures politiques le jour où leur vie a été bouleversée par un événement à résonnance nationale ou internationale. Laure Adler donne la parole aux féministes. Daphné Roulier interroge des personnalités du cinéma, reflet de notre société... Un format inédit, comme une invitation à penser autrement.

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Transcription
00:00Un cauchemar, highway, Patrick, fumée noire, une vente vorace qui est au fond d'un couloir.
00:09Je t'en sors pas, gaffa, Patrick, idée noire, avalée par l'espace, au fond de l'entonnoir, je veux m'enfuir.
00:21Bonjour Bernard Lavillier. Bonjour.
00:23Je suis content de vous rencontrer dans un train, c'est pas banal finalement, c'est beaucoup rencontré, mais jamais dans un train.
00:30On s'est croisés dans des trains. Voilà, on s'est croisés.
00:32En allant à La Rochelle ou des choses comme ça. Exactement.
00:34Il y a un paysage qui défile et je vous propose de revenir en 1983 avec un album qui s'appelait État d'urgence, qui parlait un peu de votre état d'urgence.
00:43Mais je me demande si c'est pas finalement le meilleur qualificatif pour désigner notre époque actuelle.
00:51Ah bah oui, mais c'était déjà pas banal en 83 à l'heure de rien. C'était le tournant de Mitterrand vers la rigueur.
00:58Moi, il y a pas mal de menaces à l'extérieur puisque tout ce monde qui était en train de se dégrader à l'est et pas de se bonifier à l'ouest, on va dire ça.
01:08Si je veux situer ça sur le plan géopolitique, c'était pas la joie, tout à fait, loin de là.
01:13Regan, enfin bon, donc moyen. Je veux dire, État d'urgence, c'est l'état du monde et c'est l'état de l'écrivain permanence qui doit être.
01:23Moi, je suis tout le temps en train de. C'est rare que je pense pas à traduire ou à capter, à noter un truc comme ça, deux phrases.
01:33Où es-tu quand tu es dans mes bras, par exemple ? C'est venu comme ça.
01:38Cet état d'urgence que vous décriviez en 1983, il est constitutif aussi un peu de vos origines parce que vous êtes le fruit parfait, en fait, de la transmission et de la conscience sociale.
01:54Une maman institutrice, un papa ouvrier. Ça donne Bernard Lavillier, forcément.
02:00Pas forcément. Un rêve, ça donne aussi des connards.
02:05C'est pas... Oui, non. Vous, je vous connais.
02:08Ma mère, institutrice, effectivement, lectrice de poésie, qui m'apprend à lire dans Paroles de Prévert, d'accord, qui écoute du Brahms.
02:17Mon père qui écoute des Cubains, qui est communiste.
02:19Qui est maquisard. Enfin, voilà. Un parcours.
02:22Quand je suis venu en 1946, les deux avaient subi la Deuxième Guerre mondiale. Très dur.
02:27Lui, il n'était pas là depuis des années, dans le maquis.
02:31Mais après, il est parti avec de la de Tassini, si vous voulez.
02:34C'est toute une histoire où les chansons d'amour, comme Bessa Memuccio, qu'on peut trouver ridicules, mettons, prennent un sens qui n'a aucun rapport.
02:43Alors maintenant, quand je chante ça, éventuellement, je me souviens de l'oreille attentive que ma mère prêtait à cette chanson.
02:49C'est vrai.
02:50Oui, parce que justement, ça a dit...
02:56C'est un peu comme j'attendrai ton retour.
02:58Le mec, il est parti dans des histoires spéciales, dans le Vercors.
03:02Il n'est pas là.
03:04Et il y a donc ça, la guerre, la Gestapo.
03:07Enfin, bon.
03:08Ils avaient quand même le maximum d'angoisse possible.
03:11Et les bombardements.
03:12Donc, ces chansons anodines, qui sont des chansons d'amour calme, dans un pays calme, dans des circonstances comme ça, elles prennent une autre couleur.
03:24Et je dirais qu'elles sont plus importantes que les chansons engagées, si on veut.
03:27Alors ça, c'est dingue, parce que vous rejoignez finalement Georges Brassens, qui disait un peu ça.
03:33Qui disait que la chanson de divertissement était finalement presque aussi politique que la chanson purement engagée.
03:39Oui, mais lui, Brassens, alors, oui, comme il ne se dévoilait jamais...
03:44Sa maman écoutait beaucoup de Kino Rossi.
03:46Non, mais oui, c'était l'époque.
03:47Mon père était aussi, ma mère détestait.
03:49Bon, voilà.
03:50Donc, ma mère aimait Léo Ferré.
03:52Mon père se méfiait de Léo Ferré.
03:55Mon père aimait Brassens.
03:57Il aimait...
03:57Il aimait Yves Montand.
04:01Puisque, voilà, technique, tout ça, communiste.
04:05Donc, mon père, ma mère, n'aimait pas Edith Piaf.
04:08Je le trouve ridiculement mélodramatique.
04:12Je n'étais jamais d'accord, ce qui fait un beau couple.
04:1470 ans de mariage, pratiquement.
04:16Ah oui, donc, dissonance permanente, mais équilibre...
04:19Une sorte d'équilibre entre le côté pragmatique du communiste, un peu rêveur aussi,
04:25et le côté anarchiste de ma mère, complètement.
04:29On le sait, à 16 ans, vous êtes à l'usine.
04:33Vous auriez pu faire comme votre maman et dire, je vais faire l'école normale
04:37et puis être instituteur.
04:39Vous, vous avez choisi l'environnement de votre père, plutôt.
04:44L'environnement social de votre père.
04:46C'est ça.
04:47Moi, je voulais travailler.
04:48Je trouvais que c'était...
04:50Je lisais, moi.
04:51Je me cultiveais tout seul, au fond.
04:54Et je voulais travailler.
04:56Ça voulait dire quoi, je voulais travailler, Bernard Lavillier ?
04:58Alors, travailler, c'était dans mon époque à moi, à Saint-Étienne.
05:04On venait à un homme quand on avait une paye et qu'on avait un travail.
05:08Voilà.
05:08C'est aussi simple que ça.
05:10Et le travail met quand même à l'abri de certaines...
05:13Moi, j'ai fait rencontrer des voyous juste avant, donc bon.
05:16Ça aurait pu devenir extrêmement bizarre.
05:19Donc là, pour le coup, l'idée d'apprendre un travail, dans l'usine où était mon père,
05:24donc un travail de haute précision, on faisait des armes de guerre, ça ne m'a pas ravi.
05:30Mais j'ai fini par m'y intéresser.
05:32Donc, très rapidement, je suis devenu un ouvrier haut niveau.
05:36J'ai toujours gardé l'idée de travailler de ses mains.
05:42C'est plutôt ma femme qui bricole.
05:43Moi, je suis au centième de millimètre.
05:45Attention, donc, c'est la même chose.
05:47Et à la fois, la fierté d'être un ouvrier.
05:52Oui.
05:53Vous vous remémorez souvent ces années de travail à l'usine où elles sont vraiment passées ?
06:00Non, je me souviens tout le temps.
06:01Tout le temps ?
06:02Oui, le réveil à 5h30 et tout ça.
06:05Et le fait d'être à 7h du mat' en bleu de travail, ayant pointé devant ton outil.
06:10Ça, une sorte de discipline et le fait, en plus, d'être contrôlé, parce qu'on travaillait dans une usine couverte par le secret d'État, de l'armée à l'époque, le FAMAS, tout ça.
06:24Donc là, pour le coup, il y a une sorte de discipline que je retrouvais avec les symphoniques où les gens sont très disciplinés.
06:32Donc, il y a quelque chose qui a dû m'aider à respecter le travail et à avoir envie d'aller au bout.
06:41Et même dans mon travail, j'ai cette espèce de discipline.
06:48Alors, ce n'est pas moi qui suis pas si menant.
06:51Moi, j'écris la nuit dans des barbes.
06:54En tout cas, d'arriver tout le temps à trouver quelque chose de nouveau et de me dire, il ne faut surtout pas que je refasse ce que j'ai fait la veille.
07:01En fait, vous n'êtes pas discipliné, mais quand vous vous mettez au travail, vous avez une discipline.
07:07C'est un peu différent.
07:08Un cahier des charges.
07:09Un cahier des charges, c'est ça.
07:10Plus ou moins élastique.
07:11Alors, comment ça se fait que vous n'étiez pas communiste ?
07:14Très vite, vous auriez pu être coco comme votre père, communiste comme votre père.
07:17Vous avez choisi l'anarchie.
07:19Je me suis fait virer, moi, du parti.
07:22Des jeunesses communistes, parce que je posais des questions.
07:25Ils ont trouvé que j'étais...
07:27Je posais trop de questions.
07:30La discipline du parti, c'est comme l'armée, comme la religion.
07:34Et bon, alors, peut-être que le mec de la cellule où j'étais, il commençait à m'emmerder.
07:39Il n'était pas assez intelligent.
07:41Donc, j'ai fréquenté les anarchistes de Saint-Étienne.
07:45Il n'y en a pas beaucoup, trois ou quatre.
07:47Alors, vous avez dit une fois, et j'ai ressassé cette phrase.
07:51Vous avez épousé l'anarchie à ce moment-là.
07:55Définition de l'anarchie, l'ordre sans le pouvoir.
07:58Oui, c'est ça.
07:59L'ordre moins le pouvoir.
08:01Oui.
08:01C'est l'ordre moins le pouvoir.
08:03Oui, synthétisé par les hauts ferrets.
08:05En fin de compte, moi, ce qui m'a fait arriver jusque-là, c'est les syndicats.
08:09Parce qu'au départ, les anarcho-syndicalistes n'étaient pas du tout bolcheviques.
08:12Donc, les grands syndicalistes étaient socialistes, socialisto-anarchistes, vous voyez.
08:18Donc, plus près, parce qu'après, les théoriciens, comme Staline ou comme Trotsky, même si on veut,
08:26étaient loin de cette histoire d'usine, justement, avec ce besoin de liberté qu'avaient tous les ouvriers.
08:33Moi, après, j'ai travaillé la nuit dans les laminoires.
08:36Ce n'étaient pas les mêmes, d'ailleurs.
08:37Et je veux dire, chez le peuple, il y a des prolétaires ou les classes moyennes inférieures,
08:44pas mal de petits bourgeois.
08:45Il ne faut pas non plus raconter l'histoire.
08:47Tout le monde ne fait pas la grève.
08:48Tout le monde n'a pas les mêmes idées que moi à l'époque.
08:50Ni même que mon père.
08:52Eux, ils votaient à droite à Saint-Etienne, on n'a pas oublié.
08:55Donc, je...
08:56On l'a un peu oublié, parce que dans l'imagerie populaire,
09:00Saint-Etienne, Bassin, Minier...
09:04Que des maires de droite du Raffour.
09:05Et en fait, non.
09:07Il n'y a pas une seule mère communiste.
09:08Donc, non, ce sont des pays...
09:09Les ouvriers étaient souvent conservateurs, plus que les bourgeois.
09:13Oui.
09:14Je sais, ça.
09:15Je ne le clame pas sur tous les toits, mais puisqu'on parle dans un train,
09:18on se connaît depuis un moment.
09:20Je ne leur reproche rien, ce n'est pas ça.
09:22Je me suis toujours demandé si, en entrant dans la poésie,
09:26et donc, en faisant de la poésie, une arme blanche politique, quand même.
09:32Ça a été ça, votre...
09:33Oui.
09:33Vous n'avez pas fait une forme d'entrisme dans le showbiz ?
09:39Ce n'est pas le premier.
09:41Avant moi, il y en a plein.
09:43Si on remonte à François Villon, je parle des poètes que je connais par cœur.
09:48Eh bien, si je suis la trajectoire...
09:50Donc, François Villon, d'ailleurs, j'adore, vous l'aviez dit un jour,
09:53« Je suis plus Villon que Claude-François ».
09:56C'est bien possible.
09:58Vous avez dit ça.
09:59Je devais avoir la langue bien pendue, ce jour-là.
10:02Ça dépend.
10:03Non, mais c'est vrai que je connais les poèmes de Villon.
10:06Il y a toute une tradition en France, en particulier,
10:09depuis la fin du Moyen-Âge,
10:10tous ces grands poètes comme Claude le Petit,
10:12des pamphlétaires, pas d'accord.
10:15Je pense que ce que disait François Villon,
10:18frères humains qui, après, nous, vivaient...
10:20Moi, quand je dis ce poème,
10:22« N'ayez le cœur contre nous endurci »,
10:24il est sous la potence, là.
10:26« Merci, pitié pour nos pauvres, avez du honorat plutôt de vous. Merci. »
10:29Donc, il dit aux bourgeois, « Priez pour nous ».
10:33Mais, on va prier pour vous aussi,
10:35parce que vous êtes trop riches pour être pendus,
10:39mais quand le diable va venir me chercher par la queue,
10:44pensez à nous prier pour nous, donc.
10:46Je ne suis pas aussi clean que ça.
10:47Alors, dans votre itinéraire, il y a des albums qui sont comme des bornes,
10:53et l'album « Pouvoir », vous allez y revenir.
10:56C'est un album que vous enregistrez en 79, je crois,
10:59et que vous reprenez.
11:01D'ailleurs, nous étions ensemble au moment de cette relecture au Francophonie de La Rochelle.
11:07Qu'est-ce qui a donné envie à Bernard Lavillier
11:09de revenir sur cette œuvre assez fondamentale dans votre carrière, « Pouvoir ».
11:15D'une part, parce que je n'ai pas pu le chanter assez, en entier.
11:22Je l'ai fait les 20 minutes de la phase A,
11:25parce que, je ne sais pas, en tout cas,
11:29le public n'était pas du tout prêt à ça.
11:32Ils attendaient que je fasse les vivants avec du rock'n'roll,
11:34et cette partie, ils ne comprenaient que dalle.
11:37On va être clair, ils ne comprenaient rien.
11:38Le disque ne s'est jamais vendu du tout.
11:41Oui, il n'a pas marché à l'époque ?
11:43Vous avez été incompris ?
11:44Ni avant, ni après.
11:46Tout le monde me cite « Pouvoir », mais personne ne l'a acheté.
11:48Donc, ils l'ont volé, peut-être.
11:51Pourquoi vous l'avez écrit, ce « Pouvoir », ?
11:53Qu'est-ce qui a motivé, à ce moment-là,
11:55l'écriture de ce disque et de ce manifeste, finalement ?
11:57C'était que j'étais pote avec des gens qui étaient de rentrer dans la lutte armée,
12:03les Italiens, et puis même Bader.
12:09J'étais dans les théories anarcho, la lutte armée,
12:13que je n'ai pas fait.
12:14Est-ce que cette fréquentation de ces milieux vous a donné l'impulsion pour aller ailleurs
12:23et finalement pour chanter, écrire et faire le choix de la poésie ?
12:27Moi, je l'avais fait depuis le début, moi.
12:29Attendez.
12:32Quand je chantais dans un certain restaurant,
12:35je chantais « Saint-Cycle et Zomvivre » d'Aragon,
12:38bien avant de connaître ces oiseaux de mer.
12:41Non, attention, je ne dis pas du mal de cette époque, des Brigades Rouges.
12:45Ils se sont gourés, on va dire ça.
12:47Ils ont été manipulés.
12:48C'était des apprentis par la mafia et tout ça.
12:51C'était généreux, sauf qu'il ne fallait pas tuer Aldo Moreau.
12:55Je ne suis pas du tout sûr que ce soit l'un d'entre eux.
12:57D'ailleurs, c'est quelqu'un d'autre qui l'a tué à tous les coups.
12:59C'est un peu comme tout ça, le Vatican.
13:02Mais, ça c'est que les hommes vivent à Léo Ferré, à Aragon.
13:07Moi, j'étais plus attiré par Prévert,
13:12d'ailleurs en or avec une montre en deuil,
13:14par Boris Vian,
13:16qui lui a fait quand même le déserteur
13:18en faisant des chansons très cocasses.
13:20Je suis attiré par ce genre-là, moi.
13:22Ce qui m'intéresse, c'est à la fois
13:24de dire des choses intelligentes sans en avoir l'air,
13:27des choses tristes tout en étant cocasses, complètement.
13:32Je ne voudrais pas crever le poème de Boris Vian,
13:34alors qu'il est mort juste après.
13:36Ça fait partie d'une forme, je dirais, d'élégance,
13:39de l'écriture qui permet de s'échapper du réel, en gros.
13:43Oui, il y a le voyage qui permet de s'échapper du réel.
13:47Trouver un autre réel.
13:48Et l'écriture qui, quand on est face à sa feuille blanche
13:53ou à son ordinateur, forcément l'imaginaire s'ouvre.
13:57Forcément.
13:58Oui, non, pas forcément.
14:00Ah non, il faut quand même un peu ramer des fois.
14:02C'est vrai ?
14:03Oui, c'est la discipline, voilà.
14:06C'est-à-dire que là, quel que soit l'heure, il faut y penser.
14:08Et ce n'est pas parce qu'on devient un tacheron en train de jeter.
14:13Moi, j'attends que ça me vienne.
14:16Je n'ai pas envie de raturer sans arrêt.
14:18Donc, il faut que ça m'arrive.
14:21Quand vous écrivez, par exemple,
14:24« La musique est un cri qui vient de l'intérieur »,
14:27ça vient facilement ?
14:29Oui, cette phrase-là, oui.
14:31Parce que je commence à écrire le reste.
14:34Je vais écrire un de mes amis qui lui a été tué, par exemple,
14:37un Chilien, par les militaires.
14:41Des Brésiliens, comme Gérald Lovandré,
14:44qui lui ont cassé les mains pour qu'il ne chante pas ses chansons.
14:48J'ai vécu tout ça.
14:49Donc, je pars de là en 1986 pour dire,
14:52« Attention, l'autre, il disait,
14:55« Goebel, quand on me parle de culture, je suis mon revolver ».
14:58Il y a toujours eu des moments comme ça
14:59dans les républiques démocratiques
15:01où il y a des tendances, comme en ce moment,
15:04il y a les crânes rasés qui se disent,
15:07« Ah, la culture, on va leur baiser la gueule »,
15:09des choses comme ça.
15:10Et j'ai commencé à construire,
15:13c'est une ville que je connais,
15:14une chanson que je chantais,
15:15« Il y a du sang sur le trottoir ».
15:16Pascal Nègre, il me dit...
15:18Pascal Nègre, qui était votre...
15:20Oui, qui était mon attaché de presse.
15:21Ah, il était votre attaché de presse.
15:23Oui, c'est lui qui a défendu Nord et Blanc.
15:25Il en a fait un tube
15:26qui était totalement invraisemblable,
15:28cette chanson.
15:29Cette chanson,
15:30elle est inscrite à ce moment-là
15:32dans son époque,
15:33mais on pourrait aussi
15:35la chanter aujourd'hui
15:37lorsque les Afghans,
15:40les talibans afghans
15:41disent que la musique est un crime.
15:44C'est un crime qui vient de l'intérieur.
15:46Oui, non, mais c'est valable.
15:47Je veux dire, c'est valable.
15:48Le chant étant l'art primal
15:51depuis nos ancêtres,
15:53il chantait.
15:55Il peignait, il chantait,
15:56en gros, je veux dire, c'est ça.
15:58Je veux dire,
15:59cette espèce de sentiment
16:00qui passe par la voix
16:01et même s'il n'y avait pas de parole,
16:04on se rend bien compte
16:04que la voix passe des choses
16:06de l'émotion pure.
16:09Quand quelqu'un a une voix,
16:10même quand il parle,
16:11ou qu'elle parle,
16:12tout à coup, une voix
16:13comme César Évora,
16:14moi, ça me...
16:15Ou Zongo Soul.
16:17Ou Zongo qui chantait là,
16:18ce truc.
16:19Oui, absolument.
16:20Donc la voix humaine,
16:21c'est comme a écrit Cocteau.
16:23C'est quand même
16:24ce qui est le plus bouleversant.
16:27Ça ne peut pas être...
16:28J'ai pété l'IA,
16:30elle ne peut pas reproduire
16:31l'émotion que produit quelqu'un
16:32qui chante la moindre chanson.
16:35Comment vous expliquez
16:36que les mains d'or,
16:37cette chanson,
16:39est devenue probablement
16:41l'un de vos plus grands classiques.
16:44Est-ce que c'est parce que
16:45elle est en synchronicité complète
16:48avec l'image
16:49que les gens ont de vous,
16:51cet ancien ouvrier
16:52qui tout d'un coup
16:53épouse la poésie
16:54et qui quand même
16:55a connu la réalité du travail.
16:57Comment vous expliquez
16:58que cette chanson
16:59soit devenue un hymne ?
17:01Oui, mais alors là,
17:02ça fait partie de...
17:04Il y a Les Barbares,
17:05il y a Fensh Valley.
17:06Quand je suis au Lamy Noir,
17:08je vois que tout ferme.
17:09Donc quand j'écris Fensh Valley,
17:10je suis dans l'Est,
17:12là, chez les deux Vendelles.
17:14Oui.
17:15Et quand Arouillot
17:17me fait cette mélodie,
17:18c'est vraiment la fin.
17:19C'est-à-dire que je vais encore...
17:21Je les soutiens,
17:22je vais faire un concert
17:22dans l'usine occupée.
17:24Et je suis légitime
17:25parce que moi,
17:25j'étais comme eux
17:26au Lamy Noir.
17:27Donc,
17:29c'est pas une fusion
17:31entre l'idée
17:31qu'on se fait de moi.
17:32Moi, je suis très concerné
17:33par ce qu'ils se passent.
17:35C'est pareil.
17:35C'est pareil.
17:37Alors,
17:38Hollande,
17:38il leur dit
17:39on va s'arranger,
17:40ils se sauvent
17:40par la porte de derrière
17:41et moi,
17:42j'y retourne.
17:43Ah non, non, non.
17:44Non, je veux dire,
17:45c'est...
17:46De toute façon,
17:47il n'y a rien à faire
17:47quand les mecs te rencontrent,
17:49ils savent si tu viens
17:50pour faire de l'oseille
17:51et dire
17:52oh là là,
17:52ou alors si t'es en vrai.
17:56Et dans cette chanson,
17:57vous exaltez quand même
17:59la valeur travail.
18:00Ben oui.
18:01Ben oui.
18:02Ben je vous ai expliqué pourquoi.
18:03Travailler.
18:04Travailler encore.
18:05Encore.
18:06Ben moi, je travaille encore.
18:10Donc, ça s'adresse à moi aussi.
18:12Oui.
18:12L'idée qu'on supprime
18:13le travail de quelqu'un,
18:15même s'il le déteste,
18:17c'est terrible.
18:18On lui supprime son autonomie,
18:21il ne saura plus quoi faire
18:22de son temps.
18:24Alors,
18:24qu'il y ait des philosophes
18:26dans le genre,
18:27bon,
18:28plus ou moins fils de bourgeois
18:29qui puissent raconter
18:30le droit à la paresse,
18:32je suis d'accord.
18:33Moi, je ne suis pas
18:34un bolchevik, attention.
18:35La paresse, c'est très bien.
18:36L'ennui,
18:37ce n'est pas si mal
18:38au fond, des fois.
18:40Moi, j'aime bien m'ennuyer,
18:41mais je n'aime pas
18:41perdre mon temps.
18:42Attention,
18:42il y a une sorte de nuance.
18:45Donc là, pour le coup,
18:47l'idée du travail
18:48par rapport au respect
18:49et qu'on n'est pas
18:50à tendre la main
18:51pour toucher une subvention,
18:53voilà, moi, je pense ça.
18:54Alors, quand on te vire
18:56de l'usine
18:56et que tu es obligé
18:57d'aller toucher le chômage,
18:58il ne faut pas croire
18:58que ces gens-là,
18:59ça leur plaît.
18:59Ça ne me plaît pas.
19:01Est-ce que vous êtes encore
19:04pétri d'espoir ?
19:05Vous avez fait une chanson
19:06magnifique en duo
19:07avec Jeanne Chérald,
19:08L'espoir.
19:10Est-ce que L'espoir,
19:11c'est un moteur
19:12chez Bernard Lavillier
19:13pour continuer
19:14à écrire des chansons
19:15et pour continuer
19:16à transmettre ?
19:17Alors, l'espoir,
19:20vous pouvez bien écouter
19:21ce que je dis.
19:21Tu ne me croiras jamais.
19:22Si l'espoir revenait,
19:24il y a quand même
19:25une hypothèse d'école,
19:26la chanson.
19:27Donc, j'aimais bien
19:28des bémols en disant
19:29et si l'espoir revenait,
19:30tu ne me croiras jamais.
19:32Donc, je dis que
19:33dans quel espoir ?
19:34Je mets dans la passion,
19:37dans l'amour fou.
19:39La passion, c'est l'écriture.
19:41La passion, c'est l'aimer la vie.
19:43Donc, si vous voulez
19:45que je vous dise
19:46que je suis un éco-optimiste,
19:49j'aurais du mal
19:49à vous confirmer
19:50que je suis vraiment optimiste.
19:52Je suis un pessimiste.
19:53C'est un optimiste
19:54qui a de l'expérience.
19:56Mais je ne suis pas
19:56forcément pessimiste
19:57parce que ce n'est pas
19:57très intéressant.
19:59La fin du monde
20:00ne m'intéresse pas du tout.
20:03Depuis l'an 1000,
20:04on dit que ça va être fini.
20:06Donc, si vous voulez,
20:07en réalité,
20:09j'aime bien me lever
20:10même à midi
20:12avec un truc à faire
20:13et voir
20:14des enfants
20:16ou ma femme
20:17autant.
20:19Est-ce que les causes perdues
20:20que vous avez chantées
20:21pour les musiques tropicales,
20:24est-ce que les causes perdues
20:24ne sont pas universelles,
20:26Bernard Lavillier ?
20:27Aujourd'hui,
20:29est-ce qu'elles ne vont pas bien
20:31dans tous les paysages
20:32et tous les rythmes musicaux ?
20:34Oui.
20:35Il y a des causes perdues
20:36chez Aristote,
20:37il y a des causes perdues
20:38chez Platon.
20:39Depuis le début,
20:40où les gens réfléchissent,
20:42puisque tout le monde meurt.
20:44Cette phrase-là,
20:45d'ailleurs,
20:45elle vient de François Mitterrand,
20:47un président de la République.
20:47Il m'avait dit ça.
20:48Il m'avait dit,
20:48vous faites quoi ?
20:49Je lui ai dit,
20:49je chante des causes perdues
20:51sur des musiques tropicales.
20:52Il m'avait dit,
20:53gardez ça,
20:53c'est excellent.
20:55Donc, oui,
20:55c'est un littéraire.
20:57Rien à voir.
20:58Ils ne sont pas très littéraires,
20:59les nouveaux.
21:00Aujourd'hui,
21:01vous ne savez pas encore
21:02quels vont être
21:03les grands thèmes
21:04d'inspiration
21:04de vos chansons futures.
21:09Je ne sais pas.
21:10J'ai écrit un bon.
21:12Oui.
21:13Je suis encore sur une chanson,
21:14je vous en parlais tout à l'heure.
21:16Je vais vous dire juste
21:17ce qu'on a dit,
21:18que sont devenues
21:19les belles chansons d'amour,
21:21celles qu'on fredonnait
21:22sans qu'on y pense.
21:24C'est tout.
21:25Ah, oui.
21:26C'est pas mal.
21:27C'est le refrain.
21:28C'est un bon début, ça.
21:30Oui, oui.
21:31C'est chiant,
21:31parce que...
21:32On tourne autour.
21:34C'est le problème,
21:35ce que disait Brassens.
21:37Quelques phrases.
21:38Et après,
21:39il faut remplir le vide.
21:42Parce que,
21:43dans une chanson,
21:44il y a quelques métaphores.
21:46Enfin, le reste,
21:47c'est comme dans les films.
21:49C'est comme dans une symphonie.
21:50C'est vraiment chiant.
21:52Donc, des chansons,
21:53quand j'ai trouvé
21:55que nous étions jeunes
21:56et larges d'épaule,
21:57bon, on dit,
21:57oui, bon.
21:59Ou alors,
22:01Marais Blanc,
22:02ou alors ce que vous voulez,
22:03les mains d'or.
22:04Si ça commence,
22:06si c'est très fort,
22:08le reste va paraître faible.
22:10Et on ne peut pas faire
22:10des chansons
22:11qu'avec des métaphores
22:11ultra puissantes.
22:13Tout le monde sait ça.
22:15Comme les poètes
22:16savent aussi ça.
22:17Donc, effectivement,
22:19Léo Ferré,
22:20il y avait pas mal de baratins.
22:21On ne peut pas toujours
22:23écrire avec le temps.
22:25Ça lui a pissé du bras,
22:26comme il disait.
22:27Donc, effectivement,
22:28il n'y a rien à jeter.
22:30Comme un poème de
22:30l'enroge et Cossimon.
22:34Merde !
22:34Grand poète.
22:35Ah, un grand poète.
22:37Il m'est connu, mais...
22:38Bernard Dumais aussi.
22:39Bernard Dumais, pareil.
22:40Cette époque-là,
22:41de Montmartreuse,
22:43je pense que
22:44M. William,
22:45c'est un genre de...
22:46C'est la...
22:48Voilà.
22:48Il n'y a rien
22:49de plus beau que ça.
22:50Dans le genre.
22:51En plus, c'est drôle.
22:52Demain,
22:53vous allez repartir
22:56avec votre orchestre symphonique
22:58où c'est une aventure
22:59qui se termine.
23:00Et qu'est-ce qu'elle
23:00vous aura amené,
23:02cette aventure,
23:03de la relecture
23:04de vos chansons
23:05en symphonique,
23:06finalement ?
23:07Imaginez-vous ça,
23:09un jour,
23:10de devenir...
23:10Non, non.
23:11L'artisan
23:12d'une symphonie.
23:14C'est plutôt
23:15Sylvain Taillet
23:16qui m'a donné l'idée
23:17parce que moi,
23:19c'est en France Inter,
23:19ils m'ont demandé
23:20de faire un truc symphonique.
23:22J'avais la crève.
23:24Donc,
23:25on a écrit
23:25des arrangements
23:26et après,
23:27ils m'ont dit
23:28mais pourquoi...
23:29Donc,
23:29on a été en studio
23:30faire ce truc
23:32en direct
23:32où je n'ai pas fait
23:34d'overdope,
23:34j'ai fait
23:35trois interprétations.
23:36À l'ancienne.
23:37Voilà, c'est ça.
23:38À l'ancienne.
23:40Et après,
23:40je voulais faire trois concerts
23:41pour lancer le...
23:42Puis j'en ai fait 22.
23:44Je n'ai pas encore fini.
23:45Et ça vous...
23:47Ça vous a apporté
23:48quelque chose
23:48pour la suite ?
23:50Oui,
23:50un petit peu, oui.
23:51Ah.
23:52Mais il faut se débarrasser
23:54aussi
23:54de l'expérience
23:55qu'on a fait,
23:56de l'expérience,
23:58de travail
23:59et de discipline
24:02parce que
24:02il ne faut pas se permettre
24:04de dire
24:04excusez-moi,
24:04on reprend.
24:06Là, derrière,
24:07il y a des prix
24:07de conservatoire.
24:08Il faut être sérieux, là.
24:10Mais oui.
24:12Donc ça,
24:13l'émotion parfois,
24:14pas toujours,
24:15de temps en temps.
24:17Pour conclure,
24:18vous avez enregistré
24:19une chanson sur votre...
24:20Enfin, vous avez fait
24:21un album,
24:21le Stéphanois,
24:22et une chanson
24:23avec le groupe
24:23Terre Noire
24:24sur Saint-Étienne
24:25qui est une chanson
24:26magnifique.
24:27C'était naturel
24:29de revenir comme ça
24:30à vos racines
24:32avec ce jeune groupe ?
24:33C'était naturel, oui.
24:34Parce que
24:35ils parlent de la ville,
24:37de la leur,
24:38mais leur père
24:39qui est mort,
24:40leur oncle,
24:41leur grand-père
24:42qui était un espagnol
24:43travaillait dans la mine.
24:44Donc,
24:44très rapidement,
24:45on y retourne.
24:47On y est.
24:47Donc, moi,
24:48je leur raconte
24:49mon Saint-Étienne,
24:50mon père,
24:51de moi,
24:52et pas mes enfants
24:53parce que, bon,
24:53ils n'ont jamais mis les pieds,
24:55mais de l'usine
24:56et tout ça.
24:57Donc,
24:58eux,
24:58ils prennent le nom
24:59Terre Noire
24:59qui est un quartier
25:00qui porte bien son nom,
25:01qui avait à la fois
25:02de l'acier
25:03et des mines.
25:05Ils étaient pauvres.
25:07Vous voyez,
25:07en général,
25:08c'est pas Bernard Ardeau.
25:10Donc,
25:11et on s'entend très bien
25:12et quand ils écrivent ça,
25:13ils écrivent trop.
25:15J'ai co-écrit avec eux
25:16et puis,
25:17et puis,
25:17je trouve que
25:18j'ai dit des choses
25:19dans cette chanson
25:19que je n'aurais pas
25:20moi-même écrit
25:21même l'histoire
25:22de ma guitare,
25:22de ma mère.
25:24Naturellement,
25:25je ne suis pas trop
25:25comme ça,
25:26mais avec eux,
25:27c'était normal.
25:29Ils sont très chaleureux,
25:30ils sont intelligents,
25:31ils sont beaux
25:31et je leur souhaite
25:32le meilleur.
25:34Merci, Bernard Lavillier.
25:36C'était très agréable,
25:37en tout cas.
25:38Eh oui ?
25:39Vous avez remarqué
25:40que je suis toujours
25:40aussi passionné.
25:43Sinon,
25:43je ne ferais plus ça.
25:45C'est un métier
25:46trop dangereux
25:46pour ne pas être passionné.
25:48Merci beaucoup.
25:52Sous-titrage Société Radio-Canada
25:57Sous-titrage Société Radio-Canada
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