- il y a 21 heures
Baptiste Morizot, philosophe, auteur de “Le regard perdu – À l’origine de l’art pariétal animal” (Actes Sud). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-grand-portrait/le-grand-portrait-du-jeudi-06-novembre-2025-1401628
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00:00France Inter, la grande matinale, Sonia de Villers.
00:07Qu'est-ce que la philosophie ? Cela consiste à fabriquer des concepts, c'est-à-dire des outils pour nous aider à penser.
00:14La particularité de Baptiste Morisot, c'est de fabriquer de la pensée en intégrant à ses travaux de longues phases d'immersion dans la nature.
00:23Morisot, le philosophe qui piste les animaux, celui qui danse avec les loups et qui, se faisant, remet l'humain à sa juste place.
00:30Un vivant parmi les autres, un vivant qui traverse le territoire d'autres vivants, un vivant qui guette des signes,
00:38un vivant qui, il y a 350 000 ans, savait voir, savait regarder, savait peindre, et dans cette peinture, savait faire exister d'autres vies que la sienne.
00:48Un jour, Baptiste Morisot a vu des ours et des grands cerfs surgir d'un mur de pierre.
00:54Et il a compris soudain que des grottes de la préhistoire, sur lesquelles nos ancêtres traçaient des silhouettes d'animaux,
01:01nous avions tout à apprendre, ou alors à réapprendre.
01:05Portrait numéro 42.
01:10Bonjour Baptiste Morisot.
01:12Bonjour.
01:12Soyez le bienvenu.
01:14Ce livre s'appelle « Le regard perdu » à l'origine de l'art pariétal animal.
01:19Il paraît chez Actes Sud.
01:21On va en parler, mais d'abord, est-ce que vous pourriez nous décrire le parc de Yellowstone aux Etats-Unis,
01:27pour ceux qui n'y seraient jamais allés ?
01:30Le parc de Yellowstone, c'est un immense espace.
01:35Je crois qu'il est à la taille d'un département ou d'une région française.
01:38Et son originalité, c'est que dans les vallées glaciaires, la partie nord, ça correspond à des écosystèmes stépiques,
01:46donc de steppes, donc des grands écosystèmes de prairies, où la vue porte très loin,
01:50et qui est habitée par des grands mammifères, des grands ongulés, des bisons, des cerfs, des élans, des loups, des ours,
01:59des animaux qu'on n'a plus l'habitude de voir en Europe, parce que pour la plupart, on les a éradiqués.
02:03Est-ce que vous pourriez nous raconter brièvement cette immersion quasi mystique sur les traces de ces grands animaux
02:11que vous venez de citer il y a quelques années, parce qu'elle a été déterminante dans le travail ?
02:16Oui, l'origine de cette intuition, c'est en effet une longue séquence d'immersion, un peu en autonomie en partie dans ces milieux.
02:26Et c'est très particulier parce que ça exige une attention intensifiée, on n'a pas le loisir d'être distrait sur son téléphone,
02:36parce qu'il faut être capable de reconnaître, de distinguer les animaux avant qu'ils nous voient, à distance.
02:42Et ça crée une ambiance animale où on est entouré au quotidien d'animaux plus grands, plus puissants que nous, très diversifiés.
02:49Il faut être capable de les distinguer avant qu'ils nous voient, parce qu'ils sont dangereux ?
02:53Parce que ça a été ça vivre pendant 300 000 ans d'humanité, avant qu'on se positionne dans des villes et qu'on amoindrisse la faune autour de nous.
03:05Le monde est complexe, c'est une géopolitique animale avec des créatures qui ont leur vie, qui peuvent nous manger.
03:13Et en conséquence, on est tout le temps tenu de sentir, de comprendre ce qui se passe pour agir intelligemment.
03:20Je vous propose d'écouter le philosophe Gilles Deleuze, dans son abécédaire, à la lettre A, c'est le mot « animal ».
03:27Les animaux émettent des signes, c'est-à-dire, au double sonde, ils réagissent à des signes.
03:33Par exemple, une araignée, tout ce qui touche sa toile, elle ne réagit pas à n'importe quoi.
03:39Elle réagit à des signes et ils laissent des signes, ils produisent des signes.
03:43Est-ce que c'est un signe de loup ? Est-ce que c'est autre chose ?
03:46C'est autre chose. J'admire énormément les gens qui savent reconnaître, par exemple, les chasseurs, les vrais chasseurs,
03:52qui savent reconnaître l'animal qui est passé par là.
03:56À ce moment-là, ils ont animal. À ce moment-là, ils ont avec l'animal un rapport animal.
04:01Si je veux vraiment me dire « qu'est-ce que c'est pour vous qu'un animal ? », je répondrai « c'est l'être aux aguets ».
04:07C'est un être fondamentalement aux aguets.
04:09Et comme l'écrivain ?
04:10Et l'écrivain ? L'écrivain, oui, il est aux aguets. Le philosophe, il est aux aguets.
04:16Voilà, je crois que Maxime Morizot est à deux doigts de décéder dans le studio de France Inter.
04:21Ça va ?
04:22Bien sûr. Extraordinaire, c'est extraordinaire. Je ne me souvenais pas du tout de ça.
04:25Déjà, c'est émouvant pour moi.
04:26La fin de cet extrait est encore plus belle. J'aurais pu en diffuser dix minutes.
04:31C'est fascinant. En plus, c'est d'autant plus émouvant pour moi que j'ai été longtemps deleusien.
04:36J'ai énormément lu Deleuze et je suis toujours profondément ému par sa pensée.
04:42Elle a contribué à construire le cadre conceptuel.
04:45J'aimerais que vous nous expliquiez ce que c'est que pister, c'est-à-dire précisément guetter des signes.
04:51Parce que quand on écoute Gilles Deleuze, c'est presque une manière pour l'homme de devenir animal en réalité,
04:56c'est-à-dire de faire comme les animaux, émettre et guetter des signes.
05:00Si vous n'êtes pas trop ému !
05:02Ce qui est fascinant, c'est que je me souvenais, pourtant je l'ai entendu l'Abbé Cédère de Deleuze,
05:06mais je ne me souvenais pas du tout de ce parallèle qu'il fait entre quand l'animal est aux aguets,
05:12l'écrivain est aux aguets, le philosophe est aux aguets.
05:14Pour moi, c'est vraiment très profond parce que je crois que c'est une définition déjà animale du philosophe.
05:19C'est-à-dire que ça reconnaît que même en tant que penseur, on est un animal.
05:24Moi, je suis un primate et parmi les primates, j'active une puissance animale de mon corps qui est celle de penser.
05:32Et pour penser, la clé, c'est être aux aguets, c'est être sur le qui-vive.
05:39C'est-à-dire, c'est être sensible aux différences qui font la différence,
05:43aux tout petits détails qui jouent un rôle dans le monde de telle manière que la situation tourne d'une manière ou d'une autre.
05:52Et faire de la philosophie, à cet égard, c'est pister ces différences qui font la différence
05:57et c'est les prendre ensemble dans des schémas qui relient.
05:59C'est les deux formules magnifiques de Bateson.
06:01Penser, c'est trouver la différence qui fait la différence et trouver le schéma qui relient.
06:04Alors, qu'est-ce qui s'est passé quand vous êtes revenu à la ville ?
06:07Quand vous êtes revenu à la civilisation ?
06:10Comme on dit, vous étiez sale, vous étiez épuisé, vous aviez le cheveu en bataille.
06:18Qu'est-ce qui s'est passé ?
06:19Oui, donc après ces fameuses deux semaines de pistage au Yellowstone,
06:23je me retrouve en effet dans la petite ville de Jackson Hole et je m'assois sur un banc.
06:29Et je suis fatigué et sale en effet.
06:33Et devant moi, il y a une paroi de pierre neutre.
06:36Et mon oeil était tellement exercé à déceler la silhouette des grands animaux dans la steppe
06:43qu'à un moment, je vois ces silhouettes émerger à partir des reliefs à peine dessinés dans la pierre.
06:53Et ça me frappe.
06:54Je vois vraiment ces animaux.
06:55Je les prends en photo.
06:57Bien évidemment, après coup, il n'y a rien sur les photos.
06:59Il n'y a rien sur les photos.
06:59Et je suis absorbé dans cette contemplation.
07:03C'est marrant, il y a un couple de cow-boys qui passent derrière moi
07:05et qui regardent le mur parce qu'ils me voient fasciné par le mur.
07:08Mais bien évidemment, il n'y a qu'un mur.
07:08Non, mais c'est-à-dire qu'on aurait pu vous croire à ce moment-là
07:10ou vous auriez pu vous croire atteint de démence.
07:13C'est-à-dire après 15 jours seul dans la grande forêt extrêmement dangereuse de Yellowstone,
07:19d'un seul coup, vous regardez un mur et vous voyez apparaître un Wapiti.
07:22Et derrière, vous voyez apparaître un Grisli.
07:25Et derrière, vous voyez apparaître un loup.
07:28Et est-ce que vous n'êtes pas en train de devenir fou ?
07:31Je n'ai pas du tout eu ce sentiment.
07:33Et je soupçonne que ça faisait déjà longtemps.
07:36J'ai toujours été fasciné.
07:38Mon père, très enfant, nous emmenait dans les grottes ornées.
07:43Donc j'ai eu une fascination esthétique pour les grottes ornées très jeune.
07:45Qu'est-ce que c'est qu'une grotte ornée ?
07:46Ce sont les grottes dans lesquelles sont figures,
07:49les figurations, peintures, gravures, paléolithiques,
07:52que ce soit Lascaux, qu'on connaît très bien, Chauvet, Cosquer,
07:55mais aussi toute une série de plus petites grottes
07:58que j'ai découvert très tôt.
08:01Donc ce sont des souvenirs d'enfance ?
08:02Ce sont des souvenirs d'enfance.
08:03Ensuite, j'ai été fasciné par la littérature théorique là-dessus.
08:05Donc j'ai lu toute la littérature théorique préhistorique,
08:07mais je ne me posais pas la question de leur origine.
08:09Et dès l'instant où j'ai fait cette expérience,
08:11j'ai fait tout de suite le lien.
08:13Puisque le point qui n'est pas du tout anodin,
08:16c'est qu'un écosystème stépique,
08:18c'est-à-dire où la vue porte très loin
08:21et où il est peuplé de grands animaux diversifiés,
08:25en fait c'est l'écologie des sapiens d'Europe,
08:29au paléolithique précisément,
08:31puisqu'on hérite de la glaciation de Vure,
08:32mais que les paysages autour sont des paysages de stèpes
08:34dans lesquels il y a des grands animaux.
08:36Écoutez Alain Gibault, il parle de la grotte de pêche.
08:39Je crois qu'on prononce bien comme ça.
08:40C'est une grotte qui est dans le sud de la France.
08:42Vous imaginez rentrant dans la grotte,
08:44dans un espace très vaste,
08:46et au fond, ces chevaux ont environ pratiquement deux mètres,
08:50donc c'est assez immense et grandiose, je dirais,
08:53dans leur apparition.
08:55Par ailleurs, vous remarquez des couleurs et des taches rouges,
08:59et quand on prend un certain recul,
09:02la perception change,
09:03on a l'impression que les animaux bougent.
09:04Tout d'un coup, la grotte s'anime,
09:06ces animaux apparaissent, disparaissent.
09:09Il y a une présence vivante du cheval.
09:13C'est donc là, il y a une dimension théâtrale
09:15qui laisse supposer qu'il y a là tout un travail
09:18qui a précédé la création de cette œuvre d'art
09:22qui est absolument unique.
09:24Qu'est-ce que c'est que le « jiz » ?
09:26On prononce comme ça, le « jiz » ?
09:27Oui, on prononce comme ça.
09:28Qu'est-ce que c'est ?
09:29Le « jiz », c'est un concept qui est utilisé par les naturalistes,
09:33souvent les ornithologues,
09:35dont le métier, c'est de distinguer les oiseaux
09:37en un coup d'œil, en une fraction de seconde.
09:40Et pour ce faire, ils vont mobiliser,
09:43ils vont exercer leur regard
09:44à être capables de capturer la silhouette unique
09:48de chaque espèce.
09:50Et ils vont la nommer son « jiz ».
09:51C'est sa manière d'apparaître.
09:54Et je pense que les gens ont un rapport au « jiz ».
09:57Par exemple, si vous êtes capables de reconnaître
09:59les corbeaux, les grands corbeaux,
10:01dans les rues de Paris,
10:03vous avez quelque chose comme le « jiz » du « grand corbeau ».
10:06Ce qui m'intéresse, moi, c'est que
10:08ce regard qui est chez nous latent,
10:11on va dire en friche, en jachère,
10:13il était, à mon sens,
10:15dans les formes de vie des chasseurs-collecteurs
10:17du paléolithique, omniprésent.
10:18C'était le regard perdu.
10:20C'était une aptitude du regard,
10:21une manière de regarder qui était surexercée.
10:24Qui était votre façon de regarder
10:26à l'intérieur du Yellowstone,
10:28c'est-à-dire de chercher, de guetter des signes,
10:30des silhouettes,
10:30de pouvoir tout de suite interpréter une silhouette
10:33avant même que le cerveau se mette en marche.
10:36C'est une silhouette d'ours,
10:38c'est un danger,
10:39juste une esquisse et hop.
10:41C'est ça.
10:42Et c'est très intéressant,
10:43le « juste une esquisse »,
10:44« juste une silhouette »,
10:45l'une des étymologies de « jiz »,
10:47on considère que ça vient de la Royal Air Force
10:49et que c'était la capacité des pilotes d'avions
10:52pendant la Seconde Guerre mondiale anglais,
10:54qui étaient dans des avions souvent moins performants
10:56que les avions allemands,
10:57de reconnaître le type d'avions allemands
10:59qui arrivaient vers eux
11:00en une fraction de seconde
11:02pour pouvoir réagir intelligemment.
11:03Donc il y a cette idée de reconnaître très rapidement
11:06dans un éclair de foudre.
11:08Alors ce que je voudrais comprendre
11:09et ce que je ne comprends pas
11:11et que les auditeurs ne comprennent pas
11:12en même temps que vous nous le racontez,
11:14c'est quel lien vous faites entre le « jiz »
11:16et ces silhouettes d'animaux
11:18si puissantes
11:20qu'on peinte les hommes du Paléolithique
11:23sur ces grottes ornées ?
11:25Par exemple,
11:26il y a quelque chose qui frappe
11:27le spectateur dans les grottes ornées,
11:29c'est notre capacité de recognition immédiate,
11:33c'est-à-dire le sentiment d'évidence,
11:35de perfection que c'est un cheval,
11:36c'est ce qui était encore évoqué dans l'extrait.
11:38La perfection de la silhouette
11:40de l'ours des cavernes,
11:42la manière dont il signe son existence,
11:44dont il révèle son existence.
11:45Il y a mille manières de peindre des animaux.
11:47On peut peindre les pointes de terre
11:48simplifiées du Douani Rousseau
11:49ou les moutons qui dorment à la rose à bonheur.
11:52On peut faire des animaux schématiques en bâton
11:53comme on va le faire au Néolithique.
11:55Là, ce n'est pas tout l'animal qui est peint,
11:56ce n'est pas sa fourrure,
11:57ce n'est pas son visage,
11:59ce n'est pas des animaux d'histoire.
12:00C'est la pure silhouette
12:02qui se décolle sur un fond
12:04qui n'est pas figuré,
12:06pas de paysage, pas de sol.
12:07Et vous dites quelque chose
12:07d'extraordinairement émouvant,
12:09c'est que cette silhouette,
12:11ce n'est pas une représentation,
12:12c'est une présence.
12:14Absolument.
12:14C'est l'expérience de la mise en présence.
12:17Et en fait,
12:17ce que nous restituent ces œuvres,
12:19en partie,
12:20et en tout cas,
12:20à mon sens,
12:21au début de cette pratique,
12:23c'est la mise en présence
12:24avec l'animal
12:24dans cette expérience visuelle
12:26très caractéristique du GIZ,
12:27où vous allez prélever
12:30la silhouette d'une forme de vie
12:31pour l'identifier
12:32dans le moment de la rencontre
12:33en annulant le fond
12:34parce qu'il n'est pas pertinent
12:35à ce moment-là.
12:36Et 90% de ces figures
12:39représentées sur les grottes
12:41ornées du paléolithique,
12:43ce sont des animaux.
12:44Ça dit quelque chose pour vous,
12:45Baptiste Morisot ?
12:47Ça dit que l'être humain
12:49n'est qu'un vivant parmi d'autres
12:50et que ces grottes
12:52sont la trace d'une époque
12:56où précisément
12:57l'être humain
12:58n'était qu'un vivant
12:59parmi les animaux.
13:00Oui,
13:01ce qui est fascinant
13:02dans cette affaire,
13:02c'est que souvent
13:03quand on interprète
13:03le registre de l'art paléolithique,
13:05on s'interroge
13:06sur les capacités formelles
13:07de ces artistes
13:08mais on ne prend pas
13:09suffisamment au sérieux
13:10la raison pour laquelle
13:10c'est essentiellement
13:11des animaux qui sont peints.
13:12Ça veut dire que c'est
13:12une forme de vie
13:14dans laquelle,
13:15comme le dit John Berger,
13:16les animaux étaient avec nous
13:17au centre de notre monde.
13:19Les autres vivants
13:19étaient avec nous
13:20au centre de notre monde.
13:22Moi, je trouve ça émouvant
13:23parce qu'aujourd'hui,
13:24tout ce qu'on a mangé ce matin,
13:25tout ce que les auditeurs
13:26ont mangé ce matin,
13:27c'est du vivant,
13:28ça a été façonné
13:28par les forces du vivant
13:29et pourtant ça n'est pas
13:30avec nous
13:31au centre de notre monde.
13:32Donc quand vous dites
13:33le regard perdu,
13:34puisque c'est le titre
13:35de votre livre,
13:36et qu'il faut retrouver
13:37le giz,
13:38c'est bien plus
13:39qu'une manière de regarder.
13:41C'est une manière
13:41d'être au monde,
13:43d'accepter les autres,
13:44d'intégrer leur présence
13:45et de faire que
13:46la présence de l'homme
13:47ne vaille que si
13:51elle n'est vécue
13:52précisément
13:53qu'au milieu des animaux,
13:55que pour les animaux
13:55et avec les animaux,
13:56avec le vivant en général.
13:57Oui, avec le vivant en général
13:59parce que c'est lui
14:00dans cette diversité
14:01qui rend la planète
14:02habitable pour nous,
14:03qui rend notre vie vivable,
14:04qui fait l'oxygène
14:05qu'on respire,
14:06qui fait la vie qu'on mange.
14:08Et en effet,
14:09le regard perdu,
14:10ce n'est pas juste
14:10une question d'œil,
14:11c'est une question d'attention.
14:13Moi, ce qui me fascine,
14:14c'est à quoi
14:15prêtons-nous attention ?
14:16Qu'est-ce qui est important ?
14:17On voit bien,
14:18en plus,
14:18on est ici à la maison de la radio,
14:19c'est l'enjeu.
14:21Vers quoi on pointe
14:22l'attention collective ?
14:24À mon sens,
14:25l'humain ne peut pas
14:27avoir une image mature
14:28de lui-même
14:29s'il ne prend pas en compte
14:32la diversité du monde vivant
14:34qui le construit,
14:35qui la co-constituée,
14:36qui rend le monde
14:38habitable à chaque instant.
14:39Et si on ne fait pas entrer
14:41la vie dans sa richesse
14:42et sa diversité
14:43dans l'espace
14:44de notre attention collective ?
14:45Alors, il n'y aurait pas eu
14:46ce livre
14:46si vous n'aviez pas appris
14:48à pister,
14:48si vous n'aviez pas appris
14:49à guetter les signes,
14:51si vous n'aviez pas appris
14:52à reconnaître l'animal,
14:54à avoir cette attention
14:55très particulière
14:55à la simple silhouette.
14:57qui vous a appris à pister ?
14:58C'est quelque chose
15:03qui s'apprend beaucoup
15:04sur le terrain,
15:07c'est beaucoup
15:07des rencontres,
15:09ça a été des naturalistes
15:10à certains égards.
15:11Je me souviens aussi
15:12des rangers
15:13au Kyrgyzstan
15:15quand on pistait
15:16la panthère à cheval
15:17qui était incroyable,
15:18qui avait une finesse
15:19du regard.
15:20Ils n'avaient pas de jumelles
15:21et ils voyaient des animaux
15:22qu'on ne voyait pas aux jumelles.
15:23C'était vraiment très drôle
15:25de voir l'écart
15:26de l'exercice de l'œil.
15:29Mais après,
15:30plus largement,
15:31le pistache,
15:31c'est vraiment repeupler
15:33le monde,
15:34des présences
15:35qui le font.
15:36Et donc,
15:37en fait,
15:37avec des paysans,
15:38j'apprends à pister
15:39et notamment
15:41la faune,
15:42les pollinisateurs
15:43qui sont fondamentaux.
15:45Pister,
15:45c'est voir
15:46ce qu'on n'a pas
15:46l'habitude de voir.
15:47Pister,
15:48c'est voir
15:48ce qu'on n'a pas
15:48l'habitude de voir
15:49et c'est être attentif
15:52à ce qui est important
15:53dans ce qui fait le monde.
15:56C'est très étrange
15:57parce que ça fait
15:5820 minutes
15:59que je vous interview
16:00et ça fait 20 minutes
16:01que vous ne me regardez pas.
16:03Eh bien,
16:04c'est parce que
16:04je dois,
16:05pour réfléchir,
16:06en fait,
16:06je regarde à l'intérieur.
16:09Est-ce que vous pensez
16:09que ce regard,
16:10on peut le retrouver ?
16:12Oui,
16:13bien sûr.
16:14Je pense déjà
16:14qu'il est,
16:15le regard perdu
16:16dont je parle,
16:17il est vraiment
16:17très spécifique,
16:18il est très original,
16:18il a à voir
16:19avec cette écologie.
16:21mais le fait
16:24de faire rentrer
16:24le monde vivant
16:25dans l'espace
16:26de notre attention
16:27individuelle et collective,
16:28c'est omniprésent.
16:29Et en vérité,
16:30c'est une compétence
16:31qui a été dévaluée
16:32par la modernité
16:33parce qu'on considère
16:33que c'est secondaire,
16:34que c'est un truc
16:35des gens qui aiment
16:37les bêtes
16:37ou qui aiment
16:37les petites fleurs.
16:38Mais en vérité,
16:40la paysannerie,
16:41la foresterie
16:42et même toute compétence
16:44qui implique
16:45les forces vivantes
16:46autour de nous,
16:47c'est les voir
16:48et c'est réapprendre
16:50à les voir.
16:51Baptiste Morisot,
16:52l'homme qui aime
16:53les bêtes,
16:54les petites fleurs
16:54qui regardent
16:56à l'intérieur de lui,
16:57mais pas seulement,
16:58qui vient d'écrire
16:59le regard perdu
16:59à l'origine
17:00de l'art pariétal animal,
17:01ça paraît chez Actes Sud.
17:03Merci mille fois
17:04d'être venu jusqu'à ce studio,
17:06jusqu'à France Inter.
17:06Merci.
17:07Merci.
17:08Merci.
17:09Merci.
17:10Merci.
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