Emmanuel Carrère : "En tant qu’écrivain j’estime que je devrais dire quelque chose de tout ça"

Transcript

00:00Je crois qu'il y a deux façons de voir les choses aujourd'hui.

00:03La relativement optimiste et la radicalement pessimiste.

00:08Les relativement optimistes pensent que l'humanité traverse une phase de chaos

00:13tragique et effrayant, mais que ça est déjà arrivé dans son histoire

00:18et que justement elle la traversera.

00:22Les radicalement pessimistes pensent qu'un tel chaos, ça n'est jamais arrivé

00:27et que ça n'est pas une phase, c'est la fin.

00:32L'analyse de la situation n'est pas très compliquée.

00:35Il n'y a pas besoin d'être intelligent ni très informé

00:37pour avoir conscience de ces trois ou quatre phénomènes.

00:41Un, le désastre climatique qui, malgré les COP présidés par des pétroliers,

00:46est irréversible.

00:48Deux, la crise migratoire.

00:51Une moitié de la planète devient inhabitable.

00:53Alors les habitants de cette moitié veulent aller habiter dans l'autre

00:57et les habitants de l'autre disent qu'il n'y a plus de place, la barque est pleine.

01:03Trois, l'intelligence artificielle qui fond sur nous et va probablement nous dévorer.

01:10Alors on peut ajouter la fin de la démocratie, la fin de nos valeurs à nous,

01:14mais c'est moins important puisque ça ne concerne que nous.

01:16En tant qu'écrivain, j'estime que je devrais dire quelque chose de tout ça.

01:23Si c'est vraiment ce qui arrive, ça n'a pas de sens de parler d'autre chose.

01:28J'essaye.

01:29Je suis le procès des attentats du 13 novembre.

01:32Je vais en Ukraine.

01:34Mais en réalité, je n'y arrive pas.

01:37Je suis comme un lapin pris dans les phares.

01:40Alors qu'est-ce que je fais ?

01:41Je ferme les écoutilles.

01:44J'écris sur mon enfance, sur la jeunesse de mes parents.

01:49Ce n'est pas une solution, mais personne n'a dit qu'il y avait une solution.

01:51Je suis le procès des années.

01:56Je suis le procès des trois semaines.

01:58Sous-titrage Société Radio-Canada