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  • il y a 28 minutes
Retrouvez "La chronique d'Ahmed Sparrow" dans Zoom zoom zen sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/ahmed-sparrow-moi-ce-que-j-en-dis

Catégorie

😹
Amusant
Transcription
00:00Nora Hamadi, il ne la connait pas mais il l'aime déjà car comme lui, elle vient de
00:03banlieue, elle travaille sur France Inter et comme lui, elle n'est pas vendéenne de
00:06souche sur douze générations comme Bruno Retailleau, voici Ahmed Sparrow.
00:09Bonjour Nora, alors vous avez grandi à Longjumeau, une ville dont le plus grand succès culturel
00:15avant vous c'était les to be free.
00:16Mais quel succès, Ahmed, vous êtes jaloux hein ?
00:19Oui, de ouf.
00:20Alors quand t'as grandi dans une ville connue pour les to be free, t'as pas de rêve,
00:23t'as des traumatismes.
00:24Je sais pas ce que tu pouvais leur dire aux petits pour les motiver.
00:26Tu sais Kader, si tu continues à être sérieux, tu pourras devenir comme Philippe.
00:29Voilà.
00:30Parce que moi aussi j'ai grandi en banlieue, moi aussi je suis d'origine algérienne,
00:34tout pareil, sauf que moi j'étais le dernier une fratrie de douze, douze c'est pas une
00:37famille c'est une association, ok ? Carrément le maire de la ville il venait chez nous
00:41récolter des voix parce qu'il savait que si on votait tous, il serait élu.
00:44Quand t'es le douzième, t'es pas un enfant, t'es un recyclage humain.
00:47Moi j'avais des jouets d'occasion, d'occasion, d'occasion.
00:50Ma PlayStation c'était juste une station, il n'y avait pas le play.
00:53Non les gens ils disent, ah les familles nombreuses c'est la joie, la solidarité, ouais bah
00:56viens partager un yaourt à douze, tu vas voir la solidarité, t'as pas de place, pas
00:59de calme, pas de prénom, ta mère elle t'appelle toi là, le petit, le truc.
01:03Je te jure des fois je me faisais gifler avec un autre prénom, j'ai rien compris.
01:06Non mais douze enfants, douze ! Moi je suis sûr, faut savoir que moi déjà je suis sur le
01:11deuxième livret de famille puisqu'il n'y avait plus de place sur le projet.
01:13Même ton prénom, t'as l'impression qu'ils l'ont trouvé à la fin quand il n'y avait
01:16plus d'idées.
01:17A la base mon prénom c'était pas Ahmed, moi c'était « Ah merde ». Parce qu'à l'hôpital,
01:20quand ils ont demandé à mon père comment il voulait m'appeler, il a répondu « Ah merde,
01:23j'ai plus d'idées là ». Alors pour les anniversaires, oublie, quand t'es douzième
01:27il n'y a plus de budget gâteau.
01:28A douze ans ma mère m'a passé une bougie, elle m'a soufflé dessus.
01:30Et puis va essayer de te préparer à l'école quand t'as qu'un seul miroir pour douze.
01:35Je me coiffais dans le reflet d'une cuillère, j'avais la coupe à Rich Forrester dans les
01:38feux de l'amour.
01:39Aujourd'hui je vois des gens qui font du développement personnel.
01:43Frère, moi j'ai fait du développement collectif.
01:45T'apprends à vivre dans le bruit, à esquiver une gif et faire une sieste sur un canapé
01:48déjà occupé.
01:49J'étais jaloux de mes camarades de classe T, je les entendais dire « J'ai hâte
01:52d'être dans mon lit ».
01:53Ton lit ?
01:54Nous on est quatorze dans un T5.
01:56Nous on jouait à Tetris, il y avait des matelas sur les murs.
01:59Et puis il y avait la télé, une seule télé.
02:01Tu passais de Canal Algérie pour mes parents à Dragon Ball Z pour mes frères et Hélène
02:04et les garçons pour mes sœurs.
02:05Je te jure, j'avais le cerveau en vrac dans ma tête, ça faisait « Salam alaikum »
02:08« Kamehameha » mon cri-cri d'amour.
02:10Dans votre livre, Nora, vous dites « J'ai grandi entouré de débats politiques ».
02:14Moi aussi il y avait des débats, sauf que chez moi les débats c'était « Qui a
02:17pris mon yaourt ? »
02:18Ben ouais, parce que les yaourts se vendent par douze, on est quatorze.
02:21Moi j'avais toujours un frère qui se servait avant tout le monde.
02:23Le mec c'était pas un enfant, c'était un prédateur alimentaire.
02:25Il ouvrait le four avant la fin de la cuisson.
02:27Une fois je l'ai vu manger un gratin encore congelé.
02:29Non, mon frère il mangeait pas, il prenait de l'avance sur la faim.
02:32J'ai grandi en banlieue comme vous, Nora, et j'en suis fier.
02:34La banlieue, pas celle des séries Netflix avec des meufs en talons dans les halls.
02:36Moi c'était la cité où le marchand de glace il arrivait en Renault et Staffette.
02:40Mais Jean-Marle !
02:41Le gars klaxonnait comme s'il livrait un rein.
02:43Et nous on courait à cinquante derrière lui.
02:46C'était pas pour manger, nous on arrivait à le rattraper.
02:49C'était même pas pour manger une glace, c'est juste pour regarder les autres manger une glace.
02:52J'étais là « Ah ouais, la glace à la pistasse c'est la meilleure ».
02:55J'en avais jamais mangé !
02:56A l'école vous dîtes être rentré à la maternelle sans parler un mot français, moi pareil.
03:00Jusqu'à mes 13 ans je croyais que l'huile d'olive ça se disait zi zi toune.
03:02C'est pour vous dire à quel point j'étais perdu.
03:04Alors merci Nora, merci parce que ton livre m'a rappelé que la banlieue c'est pas une erreur, c'est une école.
03:08Et qu'entre une fille de long jumeau qui écrit pour Flammarion et un mec de Champigny qui écrit sur France Inter,
03:14il n'y a qu'un mur de HLM Descartes avec écrit dessus « Qui a pris mon yaourt ? »
03:18Merci beaucoup Ahmed Sparrow, on vous retrouve la semaine prochaine évidemment dans ZoomZoomZ.

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