- il y a 2 jours
Yves Thréard reçoit Dominique de Villepin. Le 14 février 2003, Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Jacques Chirac, prononce un discours devant le conseil des Nations Unies affirmant le refus de la France de soutenir l'intervention militaire américaine en Irak.
Fruit d'un long travail diplomatique entre Paris et Washington, cette prise de position marque un tournant. Dans cet entretien, Dominique de Villepin livre à Yves Thréard l'importance de la réponse française guidée par la volonté « d'être le plus juste possible » pour faire avancer la paix et la diplomatie. Discours applaudi à l'ONU et encore d'actualité, ce moment d'histoire est un exemple que la guerre n'était pas le plus court des chemins à la paix avec l'Irak et l'importance d'éviter la confrontation des deux blocs : les Occidentaux face au reste du monde.
Embarquez Quai n°8 pour cette nouvelle émission de LCP. A bord du train, le paysage défile mais les mots, eux, prennent leur temps. Un journaliste, un invité et un trajet pour faire émerger ce qui ne se dit pas ailleurs. Dans un compartiment singulier, une conversation s'installe, explorant ce qui tisse un itinéraire, éclaire une pensée, porte un engagement. Chaque collection emprunte sa propre voie : Didier Varrod s'entretient avec des artistes pour qui la musique est aussi un acte citoyen. Yves Thréard fait revivre à des figures politiques le jour où leur vie a été bouleversée par un événement à résonnance nationale ou internationale. Laure Adler donne la parole aux féministes. Daphné Roulier interroge des personnalités du cinéma, reflet de notre société... Un format inédit, comme une invitation à penser autrement.
Fruit d'un long travail diplomatique entre Paris et Washington, cette prise de position marque un tournant. Dans cet entretien, Dominique de Villepin livre à Yves Thréard l'importance de la réponse française guidée par la volonté « d'être le plus juste possible » pour faire avancer la paix et la diplomatie. Discours applaudi à l'ONU et encore d'actualité, ce moment d'histoire est un exemple que la guerre n'était pas le plus court des chemins à la paix avec l'Irak et l'importance d'éviter la confrontation des deux blocs : les Occidentaux face au reste du monde.
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00:00Musique
00:00Bonjour Dominique de Villepin.
00:23Bonjour.
00:24Merci d'être dans ce compartiment pour voyager à la fois dans le passé, dans l'avenir.
00:28On va commencer par le passé avant de se projeter.
00:30C'est le 14 février 2003, une date qui restera gravée dans la mémoire des Français.
00:36Puisque c'est celle où vous prononcez ce discours aux Nations Unies, à New York, pour dire aux Etats-Unis,
00:42bien non, nous n'allons pas vous accompagner dans cette offensive belliqueuse contre l'Irak
00:48que vous voulez conduire deux ans après les attentats de New York
00:52et puis après aussi des campagnes d'attentats ici ou là dans le monde.
00:56Et vous dites, bien non, nous, la France, ce vieux pays appartenant à un vieux continent qui s'appelle l'Europe, on dit non.
01:04Comment vous avez construit ce discours et comment vous l'avez écrit ?
01:09Alors d'abord c'est le fruit d'un long travail diplomatique.
01:13Puisque en septembre 2002, nous avons réussi à embarquer l'administration américaine de George Bush,
01:21très réticente au départ, dans le travail des Nations Unies visant à essayer de répondre à la crise
01:30qui était naissante en Irak concernant le risque d'armes de destruction massive.
01:37Et donc il fallait convaincre les Etats-Unis, d'où le travail sur une résolution, la résolution 1441,
01:45qui a été votée à l'unanimité.
01:47En termes de laquelle on conduit des inspections.
01:49Exactement.
01:49Et ces inspections, à la surprise de beaucoup, donnent des résultats.
01:55Et donc nous sommes confortés dans l'idée que par les inspections, par la négociation diplomatique,
02:00on pouvait répondre à une crise aussi grave qu'une crise de prolifération d'armes.
02:06Et tout à coup nous avons vu peu à peu les Etats-Unis décrocher de cette stratégie.
02:11Manifestement désireux d'en découdre, désireux d'aller sur le terrain, désireux d'engager une intervention militaire
02:17et convaincus que le chemin de la guerre serait sans doute plus efficace, plus court peut-être, que celui de la diplomatie.
02:25Et donc c'était la vocation de la France que de leur expliquer que ce n'était pas notre conviction.
02:30Et donc ce travail sur le discours, c'est un travail qui s'est préparé pendant de longs mois.
02:36De longs mois où nous avons parlé aux délégations du monde entier,
02:41dans le cadre du Conseil de sécurité et dans le cadre des déplacements que j'ai effectués.
02:44Parce qu'il y a eu un très long travail préparatoire en Amérique latine, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient,
02:51rencontrant l'ensemble des responsables diplomatiques pour les convaincre
02:54qu'il fallait résister à tout prix, à la force et persister dans la voie de la diplomatie.
03:00Donc ce discours, il s'est construit naturellement à travers un argumentaire que j'ai rodé jour après jour,
03:06avec vos mots, avec mes mots et surtout avec les arguments qui me paraissaient à chaque étape les plus adaptés.
03:13Nous avions eu déjà plusieurs rendez-vous dans le cadre du Conseil de sécurité,
03:19et notamment au mois de janvier, puis dans les mois qui ont suivi.
03:22Donc la partie argumentaire, si je puis dire, elle était très rodée.
03:26Et puis au moment de terminer ce discours, je me suis rendu compte qu'il manquait quelque chose.
03:33Et que pour que ce discours puisse vraiment parler à la communauté internationale,
03:38pour qu'il puisse parler à ceux qu'il fallait convaincre, il fallait y mettre quelque chose de plus.
03:44Il fallait y mettre l'expérience de la France, nourrie de ma propre expérience, d'enfant, d'adulte.
03:52Votre culture.
03:53Oui, en tout cas du ressenti qui était le mien, de l'histoire, de la place de la France dans le monde,
03:59de la relation avec les États-Unis, de ce que signifiait l'Europe.
04:03Et donc j'ai senti le besoin d'écrire cela.
04:07Ça s'est passé dans les heures qui ont précédé, et en partie dans le Concorde qui nous a...
04:11Qui nous a conduit à New York.
04:12Qui m'a conduit avec ma délégation à New York.
04:16Parce que la question me trottait dans la tête.
04:19Il fallait être le plus juste possible.
04:20C'était la voix de la France, c'était l'honneur qui m'était conféré,
04:24sous l'égide de Jacques Chirac, de parler au nom de la France.
04:27Et donc il fallait être le plus juste, le plus pertinent, et aussi penser dans la durée.
04:35Et Jacques Chirac a relu le discours juste avant que vous le disiez ?
04:37J'ai envoyé la veille le premier jet de ce discours,
04:43que Jacques Chirac m'a renvoyé sans aucune correction.
04:47J'avais la chance d'une relation très privilégiée avec Jacques Chirac.
04:51Et puis en arrivant à New York, je lui ai re-renvoyé le discours que j'avais retravaillé,
04:54pour qu'il ait la version finale du discours avant même que je ne le prononce.
04:58Alors je crois savoir que les délégations étrangères qui étaient présentes,
05:03elles n'avaient pas le discours.
05:04Vous les avez pris par surprise.
05:06Pour une raison très simple, c'est que j'ai posé le stylo jusqu'au dernier moment,
05:10et je me rappelle être rentré dans le conseil de sécurité,
05:13mais tourné vers notre représentant permanent, monsieur de la Sablière,
05:18et en lui demandant est-ce que vraiment je ne vais pas trop loin quand je dis ce vieux pays.
05:24Je ne voulais pas allumer de polémiques inutiles.
05:27Je ne voulais pas me faire plaisir.
05:28J'étais soucieux d'être dans le rôle de la France,
05:31dans le rôle d'une voix qui n'avait qu'un but,
05:34qui était d'essayer de faire avancer la paix et la diplomatie.
05:39Alors vous avez été piqué au vif, si vous permettez l'expression,
05:43quelques semaines auparavant par un discours prononcé par le secrétaire américain à la Défense,
05:50Donald Rumsfeld, qui fait un discours depuis les Etats-Unis, je crois,
05:56où il parle de la nouvelle et de la vieille Europe.
05:59La nouvelle Europe étant plutôt favorable aux Etats-Unis, à la politique américaine,
06:04et la vieille Europe que vous incarnez, malgré tout,
06:07et qui, elle, ne souhaite pas du tout marcher dans la même direction.
06:12Ça, ça vous a vexé quasiment, non ?
06:16Je ne dirais pas vexé, d'autant que ce n'est pas contenté d'un discours.
06:22Il y a eu des actes, et en particulier deux pétitions, deux lettres.
06:26L'une qui a été écrite sous l'égide de l'Angleterre,
06:29l'autre en liaison avec les pays de l'Est de l'Europe,
06:32là où Jacques Chirac s'est un peu mis en colère en indiquant qu'ils auraient mieux fait de se taire,
06:38et qui, toutes deux, ces deux lettres, prenaient position très clairement en soutien des Etats-Unis,
06:45et donc en soutien de la guerre.
06:47Et il y avait, à quelques jours de cette réunion du Conseil de sécurité,
06:51où il s'agissait d'entendre M. Blix et M. ElBaradei,
06:55qui étaient les deux inspecteurs,
06:56qui tous les deux menaient les inspections,
06:58il s'agissait d'entendre la voix du terrain,
07:02c'est-à-dire que se passait-il sur le terrain,
07:04et fallait-il ou non continuer à travailler avec l'Irak ?
07:08Est-ce que l'Irak coopérait ?
07:10Et donc on y a vu une pression faite sur le Conseil de sécurité,
07:13une pression faite sur les diplomaties,
07:15et c'est en cela qu'il fallait aussi, donc, établir cette relation particulière,
07:21cette relation très ancienne entre la France et les Etats-Unis,
07:26et c'est pour ça que la référence est faite en sorte de clin d'œil.
07:30Alors, néanmoins, si vous me permettez,
07:34le discours échoue,
07:35puisque le 20 mars, les Etats-Unis entrent en guerre,
07:39déterminés contre, on ne va pas dire l'Irak,
07:41mais Saddam Hussein, qui veut absolument démettre,
07:45qui veut éliminer,
07:46et la France n'est pas aux côtés des Etats-Unis,
07:49il y a les Britanniques, de Tony Blair,
07:53qu'est-ce que vous ressentez à ce moment-là ?
07:56Alors, c'est un peu plus compliqué que ça,
07:58et je pense que les Etats-Unis n'en auraient pas autant voulu
08:02si le discours s'était contenté d'échouer.
08:06Le discours n'a pas permis d'inverser la détermination américaine,
08:10d'autant que nous savions, l'affaire était jouée,
08:15les Américains avaient décidé d'entrer en guerre.
08:17Là où le discours a réussi,
08:19c'est que le discours a convaincu la communauté internationale,
08:23qui a décidé de ne pas voter la résolution
08:26autorisant les Etats-Unis et l'Angleterre.
08:28L'Angleterre tenait beaucoup à ce que le Conseil de sécurité donne son accord,
08:32et donc nous n'avons pas conféré de légitimité.
08:35Guerre illégale.
08:36Guerre illégale, absolument,
08:37mais en plus, nous avions dit à ce moment-là ce qui allait se passer.
08:46Et donc ce discours, et c'est ce qui fait qu'il a été retenu,
08:50il a en quelque sorte préventivement, par anticipation,
08:54montré aux Américains que la guerre n'était pas le plus court chemin vers la paix,
09:00que le risque d'utiliser abusivement l'outil militaire,
09:05c'était le risque de créer le chaos et le terrorisme.
09:09Et de ce point de vue-là, la France a pris date avec les Américains,
09:13avec la communauté internationale et avec l'histoire.
09:16Le premier objectif que nous visions avec Jacques Chirac,
09:19c'était celui d'éviter un affrontement entre les blocs,
09:22entre l'Occident et le reste du monde,
09:25et en particulier le Moyen-Orient.
09:28Et donc l'objectif, c'était bien d'éviter cette confrontation de civilisation.
09:33Et de ce point de vue-là, nous n'avons pas raté notre cible,
09:35parce que le fait que la France, avec l'Allemagne, avec la Russie,
09:39avec l'immense majorité des pays du monde,
09:41du monde émergent, du sud global,
09:44se soient opposés aux États-Unis,
09:48a bien montré que ce n'était pas, d'un côté les Occidentaux,
09:51de l'autre, le reste du monde.
09:54Donc on a évité ce simplisme, cette tentation occidentaliste,
09:58qui est, à mon sens, si dangereuse pour l'avenir du monde.
10:01Et vous avez été applaudi, ce qui était très rare, d'ailleurs,
10:05dans l'enceinte des Nations Unies.
10:07Kofi Annan, qui était le secrétaire général,
10:08vous a dit que vous avez été brillantissime.
10:12Vous avez eu un collectif...
10:12Non, ce n'est pas ce qu'il m'a dit, exactement.
10:14Il s'est tourné vers moi avec un sourire.
10:15Et il m'a dit, tu sais, ça n'est jamais arrivé.
10:18Oui, voilà, des applaudissements.
10:20Et vous avez eu un collectif de femmes, je crois, en sortant,
10:24qui vous a offert des fleurs et des chocolats.
10:26Je ne sais pas si c'est la légende ou si c'est vrai.
10:27Oui, entre-temps, il y a eu le passage devant la presse américaine
10:31qui était extraordinairement remonté.
10:33On sentait une agressivité très, très forte.
10:37Enfin, il y avait un moment de tension et une rudesse.
10:42Il ne faut pas croire que tout cela se situait dans un environnement feutré.
10:45Et donc, il y avait beaucoup de résistance à tout ce que nous disions.
10:50Alors, il y a des leçons à tirer de tout ça,
10:52puisque nous sommes un peu plus de 20 ans après.
10:55D'abord, les États-Unis, comme je le disais, sont entrés en guerre.
11:00Les États-Unis ont rompu, d'une certaine façon,
11:03avec l'universalisme, avec le multilatéralisme,
11:07à partir de ce moment-là, finalement.
11:09Et on s'aperçoit que de Bush à Trump, aujourd'hui,
11:13finalement, il y a une continuité,
11:14même si la politique de ces deux hommes,
11:17à l'origine, ne se voulait pas la même.
11:19Si je ne me trompe pas, Bush voulait imposer la démocratie,
11:23ce qui était en soi, pourquoi pas, au Moyen-Orient,
11:25alors que Trump se dit isolationiste,
11:29ce qui n'est peut-être pas vrai, d'ailleurs.
11:30Ce sont deux approches différentes,
11:34quoique toutes les deux marquées par la volonté
11:36d'affirmer la centralité des États-Unis
11:38dans le jeu international.
11:40Aujourd'hui, c'est le MAGA.
11:42Hier, c'était le néoconservatisme américain,
11:45donc une doctrine, une vision du monde
11:48qui imaginait pouvoir imposer la démocratie par la force.
11:54Dans l'évolution que nous avons connue au fil des années,
11:59il y a des changements importants.
12:03La vision américaine de 2003
12:06est une vision qui voulait construire un nouveau Moyen-Orient.
12:12Et ce nouveau Moyen-Orient devait être réenchanté
12:14par l'intervention militaire, par la démocratie,
12:17et en cascade, par l'intervention militaire en Irak,
12:22eh bien, on imaginait que, comme un jeu de domino,
12:25en cascade, les autres pays allaient, eux aussi,
12:28devenir vertueux.
12:29Mais il y avait toujours la tentation d'utilisation de la force,
12:34parce que c'est un aspect négligé,
12:36et qui pourtant est devenu central,
12:39c'est que derrière l'Irak se profilait une autre intervention.
12:43Juste après l'intervention américaine,
12:45est revenue au centre de l'actualité la question iranienne.
12:48Et c'est donc à ce moment-là,
12:51juste après l'intervention, au mois de juin, juillet,
12:54que j'ai décidé avec mon collègue allemand et mon collègue britannique
13:01de me rendre à Téhéran pour engager le premier cycle de négociations
13:06sur la prolifération nucléaire et tenter de réduire le programme nucléaire iranien.
13:15Et c'est comme cela que nous avons sans doute pu éviter la tentation américaine
13:21qui se dessinait d'une intervention militaire également en Iran.
13:25En Iran ?
13:25Donc il y a bien eu, dès 2003,
13:28et un premier accord a été signé sur le renoncement des Iraniens
13:32à l'enrichissement de l'uranium,
13:33donc on voit bien qu'il y avait du côté français une vraie philosophie,
13:38une conviction que par la diplomatie,
13:41en anticipant la gestion des crises,
13:45il y avait la possibilité de désamorcer un certain nombre de risques
13:49et d'éviter la contamination de la violence.
13:53Alors on le dit souvent aujourd'hui,
13:54bon même si l'Iran est un pays qui n'est pas un pays arabe,
13:57qui est un pays musulman,
13:59on dit souvent, et pour le regretter parfois,
14:01on dit, mais où est la politique arabe de la France ?
14:05Alors j'ai envie de dire,
14:06où est la politique arabo-musulmane de la France ?
14:08On a souvent parlé de cette politique
14:10quand il s'agissait du général de Gaulle.
14:13C'était quoi la politique arabe du général de Gaulle ?
14:17Alors c'était d'abord un attachement à cette région
14:21et une responsabilité particulière que la France éprouvait
14:26vis-à-vis d'un certain nombre de pays,
14:28on citait des pays comme le Liban
14:32qui historiquement avait été dans une relation particulière avec la France
14:40mais aussi vis-à-vis de l'ensemble de la région,
14:43convaincus que nous étions depuis les années 60, 70
14:47que se jouait là une partie de l'avenir du monde,
14:50une partie de l'avenir économique, de l'avenir énergétique,
14:52que c'était une zone de conflit
14:54et c'est sans doute une des régions qui est le moins structurée,
14:57le moins organisée sur le plan régional du monde.
15:01Donc la présence de la France avait vocation à essayer
15:05en permanence, par petites touches, d'établir un équilibre.
15:10Nous étions sortis de la crise de 1956 très humiliée.
15:14Crise de Suez.
15:15Crise de Suez, intervention avec les Britanniques et Israël
15:18qui avait conduit à un véritable camouflet pour la diplomatie française.
15:22Le général de Gaulle arrivant en 1958,
15:25organisant la fin de la décolonisation
15:29et en particulier à travers la décolonisation douloureuse de l'Algérie,
15:34eh bien se poser la question, quoi faire après ?
15:37Et c'est là où, dans une vision très volontariste,
15:41la France voulait changer d'âge
15:43et avoir avec le monde arabe une relation forte, privilégiée,
15:50d'égalité et de responsabilité, en particulier concernant la gestion des crises.
15:55– Et qui s'est affirmée encore plus après 1967 ?
15:58– Absolument.
15:59– Et alors, justement, quelques années après,
16:032007, c'est Nicolas Sarkozy qui arrive au pouvoir,
16:06il a cette idée de créer, dans cette veine-là peut-être,
16:10l'union pour la Méditerranée,
16:11puisque on est autour du bassin méditerranéen.
16:13Est-ce que c'était une bonne idée ?
16:16– Oui, je pense que l'intuition de Nicolas Sarkozy était une très bonne idée.
16:20C'était une bonne idée, parce qu'il y a là un ensemble de pays
16:24qui, à travers l'histoire, ont loué des liens extraordinairement complexes,
16:29parfois très conflictuels.
16:31Et cela a été une des grandes difficultés pour faire avancer
16:34cette union pour la Méditerranée.
16:36Comment faire avancer la coopération entre ces pays ?
16:40Comment privilégier une coopération économique
16:42sans s'atteler aux conflits, aux crises,
16:46aux contentieux très nombreux ?
16:49Chypre, bien évidemment la question du Proche-Orient,
16:53la situation antagoniste des pays du Maghreb,
16:56comment éviter de mettre sur la table ces questions ?
16:59Dès lors qu'on essayait de ne pas rentrer dans ces conflictualités,
17:04bien évidemment on enlevait une grande partie de la substance
17:07et cela réduisait la capacité à avancer.
17:11Mais l'idée reste une grande idée.
17:13Sans doute, faudrait-il donner plus de corps
17:16à cette idée d'une culture commune ?
17:20Sans doute, faudrait-il donner plus de corps
17:22à l'idée d'une solidarité dans le domaine de l'innovation.
17:27Je pense que si on tournait cette union pour la Méditerranée
17:32vers un partage de technologies,
17:35vers un partage culturel,
17:37vers un partage de responsabilités
17:39dans notre capacité à agir ensemble,
17:42dans un esprit de coopération pour la justice et pour la paix,
17:45je crois qu'on pourrait assez vite tracer un agenda
17:48qui serait peut-être un peu moins irénique
17:52que celui qui avait été initié à l'époque.
17:55Parce qu'on peut dire qu'aujourd'hui, quand même,
17:57la situation est catastrophique.
17:58Les relations de l'Europe et de la France
18:03avec une grande partie du bassin méditerranéen
18:05sont quand même très compliquées.
18:07Pour des raisons à chaque fois différentes.
18:09Mais vous avez raison, il y a eu, en quelque sorte...
18:11Il y a eu des campagnes d'attentats terribles aussi.
18:13Absolument, c'est pour ça, pour des raisons successives mais différentes.
18:17Il y a une raison qui est liée à la violence, au terrorisme.
18:21Il y a une autre raison qui est liée à l'immigration.
18:23Il y a une troisième raison qui est liée à le sentiment d'une vision
18:30ou d'une empreinte encore néocoloniale de la France
18:32par rapport à beaucoup de ces pays.
18:35Il y a une vision d'interventionnisme militaire
18:38qui a été mal comprise.
18:39Comment, pour ces États, comprendre que la France dise
18:43qu'il n'y a plus de France-Afrique
18:44alors que la première caractéristique de la France-Afrique
18:48pour tous ces États,
18:50c'est l'interventionnisme militaire ?
18:52Et donc, on n'était pas crédible.
18:55Dire qu'il n'y a plus de France-Afrique
18:56et en même temps avoir une grande campagne
18:59organisée au Mali, au Sahel,
19:01tout ça n'est pas sérieux.
19:01Par Cannes.
19:02Par Cannes.
19:03Donc, je pense qu'il faut reprendre tout ça.
19:06Il n'est pas pensable que dans les prochaines années,
19:09cette relation privilégiée de la France avec l'Afrique
19:11ne soit pas recrée.
19:12Je pense que dans notre diplomatie,
19:15c'est tout en haut de l'agenda.
19:16C'est une des priorités.
19:17Il y a une vocation africaine de la France.
19:19Il y a une attente des pays de l'Afrique,
19:21même s'il y a beaucoup de déceptions,
19:22beaucoup de désenchantements.
19:23Un ressentiment, peut-être.
19:25Vous avez raison.
19:26Aujourd'hui, quelle est la façon la plus facile
19:28pour un responsable africain de se démarquer
19:30et de marquer des points dans le jeu politique ?
19:33Eh bien, c'est de se dire contre la France.
19:35C'est quelque chose de très spontané et naturel
19:37parce qu'il y a un ressentiment,
19:39y compris populaire, une fois de plus,
19:41même s'il est fondé sur la déception.
19:43Donc, je crois qu'en nous y prenant bien,
19:47en sachant nourrir cette relation
19:51d'autre chose que de simples intérêts,
19:55et je crois que c'est en cela
19:57que la France a une capacité
19:59à parler avec ses États.
20:01Elle est singulière.
20:02Elle est singulière.
20:03Elle est riche.
20:04Elle est ancienne.
20:05Et quelque part,
20:08elle est attendue et nécessaire.
20:10Donc, je pense qu'il faut recréer,
20:12retravailler autour de ce lien
20:13sans du tout baisser les bras.
20:15Alors, si on se tourne vers les États-Unis,
20:17parce qu'on a été quand même...
20:18Il y a eu une brouille terrible
20:19avec les États-Unis après votre discours,
20:22après qu'ils sont entrés en guerre, tout ça.
20:24Il y a eu une...
20:25Je me souviens,
20:25il y avait eu du French-bashing,
20:27même aux États-Unis.
20:28Il y avait surtout,
20:29du côté de la diplomatie américaine,
20:31la volonté de faire un exemple.
20:32Voilà.
20:33Et évidemment,
20:33il fallait sanctionner le pays
20:35qui avait été le plus en pointe.
20:36Donc, on pardonnait à l'Allemagne,
20:40mais évidemment,
20:40il fallait que la France paye.
20:41Est-ce que ça a changé depuis ?
20:43Est-ce que...
20:44Mais ça a changé très vite après.
20:45Très vite, oui.
20:46D'abord parce que la diplomatie française,
20:48Jacques Chirac,
20:49a souhaité très vite
20:51tourner la page.
20:53Il n'a pas
20:54exprimé aucune forme d'acrimonie
20:57vis-à-vis des Américains.
20:59Il s'agissait maintenant
21:00de réparer les pots cassés
21:02et de faire en sorte
21:03que les choses puissent se réparer.
21:05Le mal était fait.
21:07Donc, on a essayé de jouer
21:09le rôle le plus positif possible.
21:11Donc, je pense que
21:11les choses se sont très rapidement
21:14corrigées
21:15au fil des mois,
21:16au fil des années.
21:16Ce qui a introduit
21:18un paramètre complètement nouveau
21:19en 2008,
21:21c'est la décision
21:22de Nicolas Sarkozy
21:23de revenir dans l'organisation
21:25intégrée de l'OTAN,
21:27qui a, en quelque sorte,
21:29enlevé
21:30de la spécificité
21:33à la position de la France,
21:34historique,
21:35et à la diplomatie française,
21:38donnant parfois même
21:38le sentiment,
21:39au fil des années,
21:41jusqu'à aujourd'hui,
21:42d'un risque d'alignement.
21:43– Alors, est-ce qu'aujourd'hui,
21:45vous redoutez
21:46une guerre des civilisations ?
21:48Parce que vous en parliez
21:48tout à l'heure,
21:49on voit que les Américains
21:50sont dans une attitude
21:52qui est assez peu rationnelle,
21:55finalement,
21:56qui est évolutive,
21:58qu'on a du mal à saisir,
21:59et on a le sentiment aussi
22:01qu'il y a une haine,
22:03quand même,
22:03on peut le dire comme ça,
22:04de l'Occident,
22:05qui a rarement été aussi vive.
22:07– C'est un immense risque,
22:09et c'est pour cela
22:10qu'il faut regarder
22:10avec beaucoup d'attention
22:12le retour des blocs.
22:15De ce point de vue-là,
22:16le retour des néo-empires,
22:19l'affrontement entre la Chine
22:21et les États-Unis,
22:23et la cristallisation
22:23autour de ces États
22:25d'un certain nombre
22:26d'autres pays,
22:27est un danger.
22:28Et sans doute,
22:30la plus grande responsabilité
22:31que nous avons,
22:32nous, Français et Européens,
22:33et Européens,
22:35c'est l'affirmation
22:37de la France et de l'Europe
22:39dans ce nouveau monde.
22:41Sans nous,
22:43ce monde
22:43sera un monde
22:45de déséquilibre
22:46et donc de conflit.
22:48Et donc,
22:48nous avançons,
22:49nous sommes dans une avant-guerre
22:50qui est en quelque sorte
22:51inévitable,
22:53sauf pour l'Europe,
22:54à être capable
22:55de nouer des partenariats
22:57avec l'ensemble des États,
22:58à commencer par les États
22:59du Sud global,
23:01choisir les pays émergents,
23:02les États pivots
23:03avec lesquels
23:04nous pouvons dialoguer,
23:05l'Inde,
23:06l'Afrique du Sud,
23:07le Brésil,
23:08le monde arabe,
23:09l'Afrique,
23:10être capable
23:11de montrer
23:13qu'il y a une alternative
23:14à cette cristallisation
23:16de la puissance
23:18autour des États-Unis
23:20et de la Chine.
23:21Oui,
23:21et ça,
23:22c'est ce qu'il faut redouter.
23:23C'est le risque le plus grand
23:24et c'est pour cela
23:25que nous sommes aujourd'hui
23:26et c'est là
23:27où il y a une code d'alerte
23:28qu'il faut suivre
23:29avec beaucoup de vigilance,
23:30c'est que
23:31dans cet affrontement
23:32de sociétés,
23:34de civilisations,
23:34de cultures
23:35et on voit bien
23:36dans la nouvelle politique américaine
23:39que les États-Unis
23:41entendent utiliser
23:43au maximum
23:43leur puissance
23:44et tous les atouts
23:45de leur puissance
23:45de façon illimitée
23:47et ne négligeons pas
23:48le fait que nous soyons entrés
23:49dans un monde
23:50de la rareté
23:50et dans un monde
23:51de la rareté,
23:52chacun essaye
23:53de capter,
23:53de capturer
23:54le plus grand nombre
23:55de ressources
23:56pour renforcer
23:57sa puissance.
23:58C'est ce que fait la Chine
23:59et elle s'est servie
24:00des terres rares
24:01dans les négociations
24:01sur les droits de douane
24:03très habilement
24:04face aux États-Unis
24:05mais les États-Unis
24:06quand ils marquent
24:06de l'appétit
24:07pour le Groenland,
24:08pour le Canada
24:08et pour d'autres pays,
24:10quand ils s'intéressent
24:11au Congo
24:11dans sa relation
24:13avec le Rwanda,
24:14à chaque fois,
24:15c'est les terres rares,
24:16c'est des ressources.
24:17Donc,
24:18il faut
24:18prendre en compte
24:20ce nouveau monde
24:21dans lequel nous sommes
24:22et essayer
24:23en permanence
24:25d'introduire
24:25une exigence
24:27multilatérale.
24:28Ce n'est pas
24:29parce que les États-Unis
24:30renoncent,
24:31tournent le dos
24:32aux multilatéralistes
24:33que nous ne pouvons pas
24:34continuer
24:35à travailler
24:36à travers des règles,
24:38à travers des organisations
24:39avec le reste du monde.
24:41Et de ce point de vue-là,
24:42j'allais dire,
24:43le combat continue.
24:44Il faut unir nos forces
24:45pour défendre
24:46un monde de règles,
24:47pour défendre
24:48un monde de justice
24:49et c'est en ça
24:50que la crise de Gaza
24:51est si importante
24:51parce qu'elle est symbolique
24:53pour une grande partie
24:54des peuples du monde
24:54et que notre capacité
24:56à montrer
24:57que nous ne jouons pas
24:58le deux poids deux mesures
24:59en Ukraine
25:00et au Proche-Orient
25:01marque notre volonté
25:04à avancer ensemble
25:05sur la paix,
25:06sur la justice,
25:08sur un ordre mondial
25:09qui puisse répondre
25:10aux besoins des peuples.
25:11Est-ce que vous êtes optimiste ?
25:13Oui, je le suis
25:14parce que je crois
25:14que nous avons
25:15la capacité d'agir
25:16et puis nous avons
25:17une responsabilité.
25:18Je crois qu'en situation
25:20de responsabilité,
25:21la France,
25:22les Françaises
25:22et les Français
25:23sont au rendez-vous.
25:24Les Européens
25:25doivent accepter
25:27que leur destin
25:27se joue maintenant
25:28en Europe
25:28et que le parapluie américain,
25:30le temps où on pouvait
25:31se tourner vers les États-Unis
25:33et dans le fond
25:34mettre la tête dans le sable,
25:36eh bien il est fini.
25:37Il faut agir.
25:38Merci Dominique de Vipas.
25:39Merci à vous.
25:39Merci beaucoup.
25:40Merci beaucoup.
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