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  • il y a 16 heures
Le caporal-chef Manuel Cabrita natif de St_priest-en-Jarez, blessé gravement au Mali après que son véhicule blindé a explosé sur un engin explosif le 31 juillet 2017. Sauvé de justesse, il a été amputé du bras et de la jambe droite. Manuel témoigne au nom des soldats français morts ou blessés au Mali, partageant son difficile parcours de reconstruction physique et psychologique. Malgré les épreuves, il ne regrette rien, ayant risqué sa vie pour protéger la liberté en France. De ses moments marquants, comme sa rencontre avec le Président et sa présence à la finale de la Coupe du monde, à sa lutte quotidienne, Manuel reste un soldat engagé, un héros du quotidien

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Transcription
00:00Je suis, les traces du véhicule qui est devant moi, et boum, ça pète.
00:07Ça m'a arraché le bras et la jambe.
00:10Je suis le sergent Cabrita Manuel et je vais vous raconter mon histoire.
00:30J'ai grandi dans la commune de La Grande Croix et je suis un pur produit de la Loire.
00:39Alors j'ai vécu sur la commune de La Grande Croix.
00:43J'ai grandi à La Bachasse, pour ceux qui connaissent.
00:46Ensuite, j'ai fini mon adolescence dans le quartier du Dorlais.
00:51Je suis issu d'une famille recomposée.
00:53J'ai un demi-frère, une demi-soeur et une petite soeur qui est venue après moi.
00:56Mon grand-père était un immigré italien, mon grand-père maternel était un immigré italien
01:01et mon grand-père paternel un immigré portugais.
01:06Je n'étais pas plus turbulent que n'importe qui à cette époque.
01:09Je n'étais pas non plus un ange, ça c'est sûr.
01:12Mais je savais me tenir, je fais partie d'une génération où on avait quelques valeurs.
01:17Je ne dis pas qu'aujourd'hui il n'y en a plus, loin de là.
01:18Mais il y a des petites différences et puis ça évolue.
01:22Voilà, après ce qui s'est passé pour moi, c'était un peu particulier parce qu'il me fallait de l'argent.
01:28J'étais jeune, il me fallait de l'argent.
01:30Et le seul moyen de faire de l'argent légalement, c'est d'entamer un apprentissage.
01:36Donc je devais normalement aller au lycée à Saint-Chamond.
01:39Mais je ne m'y suis pas présenté, j'ai préféré trouver un employeur, un maître d'apprentissage.
01:45Chose que j'ai fait, mais le problème c'est que j'avais 16 ans.
01:48Et quand on avait 16 ans, à cette époque-là, je ne sais pas comment c'est aujourd'hui.
01:51Mais on ne pouvait pas signer un contrat d'apprentissage.
01:53J'ai donc signé un contrat de pré-apprentissage.
01:56J'ai fait une année comme ça où j'étais moins payé qu'un apprenti, mais n'empêche que j'avais un salaire.
01:59Et ensuite, j'ai pu entamer à partir de 17 ans mon apprentissage.
02:04Ce qui m'a poussé à l'armée, c'est l'attaque du 11 septembre, l'attaque des tours du World Trade Center.
02:14L'impensable vient d'arriver.
02:16Un avion transformé en bombe volante vient de fondre sur la première tour du World Trade Center.
02:23Le cauchemar vient seulement de commencer.
02:2518 minutes plus tard, la deuxième des tours jumelles explose à son tour.
02:29Là, je pense que ça a marqué toute une génération et j'en fais partie.
02:33Je me souviens, j'étais bouche bée devant ma télé et je me disais, c'est dingue, on ne peut pas laisser faire ça, c'est fou.
02:41Et en fait, sur un coup de tête, direct dans la foulée, j'ai poussé les portes d'un centre de recrutement
02:47qui s'appelait à l'époque la Maison de l'Armée, qui se situe derrière l'université à Saint-Etienne.
02:53Et voilà, j'y suis allé en disant, moi, je ne veux plus qu'il arrive ça.
02:58J'ai 18 ans, je passe trois journées de tests au Quartier Général Frères à Lyon.
03:05Et en fait, à l'époque, je ne peux pas dire comment c'est fait aujourd'hui, puisque je ne suis pas un recruteur,
03:12mais à l'époque, en fonction des résultats des trois jours de tests, donc c'est des tests sportifs, de culture générale et de psychotechnique,
03:21on finit sur un classement.
03:23Il y a un classement et en fait, en fonction des résultats, on nous propose certains régiments.
03:31Donc, il y a des régiments qui sont plus pêchus que d'autres.
03:33Moi, je me souviens, le premier régiment qu'on m'a proposé, c'est le troisième régiment d'infanterie de marine,
03:40qui est basé à Vannes, en Bretagne.
03:44Donc, moi, à cette époque-là, j'étais déjà amoureux.
03:47Et j'ai dit à mon recruteur, je suis désolé, mais en fait, moi, je ne veux pas passer mon week-end dans le train.
03:53Quand je vais quitter le régiment et que je vais aller voir ma copine, un week-end, c'est court.
04:02Si je passe deux jours dans un train, je ne redescends jamais, en fait.
04:06Donc, il a été très compréhensif, en réalité.
04:08Il m'a dit d'accord.
04:09Il m'a proposé un second régiment qui se trouvait dans le sud de la France,
04:16qui était le 11e régiment d'artérie de montagne.
04:2011e régiment d'artérie de marine, pardon.
04:22Et je ne sais pas, je ne l'ai pas senti, je ne sais pas pourquoi.
04:28Donc, à ce moment-là, il a un peu haussé le ton, c'est normal,
04:30puisqu'on ne refuse pas des affectations, en règle générale.
04:34Il me dit, écoutez, ce n'est pas à la carte.
04:37Si je vous propose quelque chose, si vous voulez vous engager, il faut signer.
04:41Je dis d'accord.
04:41Moi, vu que j'avais eu pas mal de soucis dans le monde du travail, déjà,
04:46et que j'avais un certain aplomb du fait que j'ai eu une enfance
04:49où j'ai dû me prendre en main assez tôt,
04:50je lui ai dit, écoutez, c'est que ce n'est pas fait pour moi, je vous remercie.
04:56Désolé de vous avoir fait perdre votre temps.
04:58Et en fait, il m'a rappelé très rapidement.
05:00Il m'a proposé le 68e régiment d'artillerie d'Afrique,
05:04qui est basé dans l'Ain, à côté de Lyon.
05:08Ah ben voilà, on avait trouvé le bon compromis et me voilà engagé.
05:11Les classes, c'est simple, ça dure trois mois.
05:18Et en fait, pendant trois mois, on vous apprend le métier de soldat.
05:21Alors attention, ce n'est pas en sortant des classes qu'on devient soldat.
05:24Il faut deux ans pour faire un soldat.
05:26Pour faire un bon soldat, il faut deux années.
05:28Mais durant ces trois mois de classe, vous apprenez toutes les bases.
05:32Du matin au soir, même la nuit, on vous réveille.
05:37On vous fait des tas de choses plus ou moins rigolotes.
05:40Alors il y a des moments, c'est rigolo, des moments, c'est moins rigolo.
05:43Mais voilà, on vous aguerrit en fait.
05:47Ils essayent de déceler si vous êtes capable d'aller au bout.
05:51Il y a des gens qui ratent.
05:52Il y a des gens qui arrêtent de leur propre chef,
05:54qui estiment que c'est trop dur pour eux.
05:56Du coup, ils s'arrêtent, il n'y a pas de problème.
05:57Il y a des gens qui vont au bout des trois mois,
05:59mais où l'institution leur propose une seconde chance.
06:02C'est-à-dire, on leur propose de recommencer leur classe de trois mois
06:04pour prouver qu'ils vont être bons.
06:09Et il y en a, par contre, ils ne font pas l'affaire.
06:11Après, c'est la vie.
06:13Tu finis tes trois mois.
06:14Il se passe quoi ? Tu vas où ?
06:16Alors, moi, c'est particulier parce que durant mes classes,
06:21j'ai découvert la fonction d'artilleur,
06:24puisque le 68e régiment d'artillerie d'Afrique,
06:26c'est un régiment d'artillerie.
06:27Et j'avoue que je ne me suis pas trompé parce que ça reste l'armée,
06:35mais la spécialité ne me fait pas rêver.
06:39Je respecte tout à fait les artilleurs.
06:42Nous sommes tous les maillons d'une chaîne.
06:44Et ça fonctionne, c'est super.
06:46Mais moi, je ne voulais pas être ce maillon-là.
06:48Je ne voulais pas être un artilleur.
06:49C'est-à-dire que me retrouver à plusieurs kilomètres de la ligne de combat,
06:56ce n'était pas dans mon objectif.
07:00Moi, quand j'étais là devant ma télé et que j'ai vu cette attaque,
07:03je voulais en découdre, en fait, comme beaucoup.
07:06Et en fait, j'ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes
07:09durant mes classes, des cadres,
07:11qui m'ont proposé finalement la fonction de sauveteur au combat
07:15au régiment médical,
07:17qui était aussi basée dans l'AIM,
07:20puisque c'est la même base de défense.
07:22Donc, sur cette base de défense, il y a deux régiments.
07:24Et en réalité, quand j'ai découvert cette fonction de sauveteur au combat
07:27qui lie le métier de soldat, donc au combat,
07:30en première ligne,
07:32mais aussi cette fonction de sauveteur
07:35qui est particulière,
07:37puisque là, on ne parle pas d'un accident de la route,
07:39là, on parle de blessures de guerre.
07:42J'avoue que cette fonction-là m'a fait rêver.
07:44Et puis, c'était une grosse remise en question,
07:46puisque les examens à passer dans ce domaine-là
07:50sont poussés quand même,
07:52puisque en opération extérieure,
07:54on effectue des gestes
07:57que normalement, on en prend en médecine.
07:58Donc, c'est vraiment très poussé.
08:01Après, ce sont des gestes
08:02que le sauveteur au combat
08:04n'a pas le droit de faire sur le sol français.
08:09On n'a pas le droit.
08:10Mais par contre, sur toute opération extérieure,
08:13là, évidemment, on est formé à le faire.
08:23Ma première mission,
08:24ce n'était pas vraiment une opération extérieure,
08:25c'était une opération,
08:26c'était une mission de courte durée.
08:29Alors, ma première mission,
08:31c'était en Nouvelle-Calédonie.
08:32Nouvelle-Calédonie,
08:33on est parti pour quatre mois, en théorie,
08:35puisqu'on a fait plus.
08:38C'est surtout de la présence sur le territoire.
08:42On faisait pas mal de gardes
08:46pour protéger des sites sensibles sur l'île.
08:50Et pourquoi on a des bases
08:53vraiment concrètement dans ces endroits-là,
08:57c'est surtout,
08:58nous sommes des forces prépositionnées.
09:00Ma mission qui a suivi,
09:02ça a été la Guyane.
09:05Alors, la Guyane,
09:20pour quatre mois aussi.
09:23Donc là, par contre,
09:24c'était un peu plus opérationnel.
09:28C'était pour défendre les intérêts du territoire,
09:30notamment lutter contre leur paillage illégal.
09:32Donc là, j'ai passé énormément de temps en forêt
09:36sur quatre mois, sans exagérer.
09:38J'ai dû passer trois mois dans la jungle guillanaise.
09:42C'était très enrichissant, vraiment.
09:44C'était une très bonne expérience, vraiment.
09:46C'était physique, très physique.
09:49Et ça m'a apporté beaucoup
09:52parce que j'ai eu la chance
09:55de participer à des missions franco-surinamiennes
09:58puisque juste en face,
09:59il y a le Surinam.
10:00Et à cette époque-là,
10:01je sais pas si c'est toujours le cas,
10:02mais on avait des ententes,
10:03des accords de lutte contre leur paillage.
10:07Et on effectuait nos missions
10:09sur des pirogues,
10:10sur le Maroni, sur le fleuve Maroni.
10:12Et un coup, on dormait côté surinamien,
10:14un coup, on dormait côté français.
10:16Et j'ai pu voir des situations hallucinantes
10:19en plein milieu de la forêt.
10:21C'est dingue.
10:212012, Kosovo, 2015, 16, 17, Niger, Mali, Djibouti, deux fois.
10:29Donc là, c'est des missions qui sont un peu plus tendues.
10:34Là, on parle pas de passer trois mois dans une forêt
10:36et à combattre leur paillage illégal,
10:38même si c'est dangereux
10:39parce que les gens qui font ça n'ont rien à perdre.
10:41Concrètement, on s'est retrouvé plusieurs fois
10:43avec des gens qui ont des fusils de chasse.
10:45Les missions de l'OTAN,
10:47c'est une mission où on n'a pas peur des mots.
10:49C'est des missions de conflit.
10:51C'est des missions où la paix doit être imposée
10:54parce que les gens n'arrivent pas à s'entendre.
10:58Je fais ma carrière militaire.
11:01Alors, à l'époque où je m'engage,
11:03il fallait faire 15 ans et demi le minimum
11:05pour quitter l'armée.
11:08Enfin, pour quitter l'armée.
11:09Pas pour quitter l'armée,
11:10puisqu'on pouvait quitter l'armée
11:11à nos premiers contrats.
11:12Mais la limite longue de carrière
11:16pour un militaire durant,
11:17c'était 15 ans et demi.
11:18Après, c'est passé à 17 ans et demi,
11:20quelques années plus tard,
11:21puisqu'il y a eu des modifications gouvernementales.
11:26Et pour finir, sur la fin de ma carrière,
11:28c'était 19 ans et demi pour les militaires durant.
11:31En 2017, je n'approchais pas loin
11:33des 19 ans et demi de service.
11:35Et la question se posait,
11:37est-ce que je continue,
11:41donc je signe un contrat de sous-officier
11:42et je me relance dans une nouvelle carrière ?
11:47Ou alors, est-ce que je quitte l'armée ?
11:49Parce que quand on a 35 ans,
11:53je ne me trompe pas ?
11:54Non.
11:55Quand on a 35 ans
11:56et qu'il nous reste à peine deux ans à faire,
12:00ça amène à 37 ans,
12:0137 ans sur le marché de l'emploi,
12:04ça peut être compliqué
12:05dans la conjoncture du moment.
12:07Donc du coup, effectivement,
12:11grand regret pour moi,
12:12puisque l'armée, moi, j'ai toujours adoré.
12:14Mais pour l'avenir,
12:16je devais arrêter normalement à 19 ans et demi.
12:20Donc la mission du Mali,
12:23où j'ai été blessé,
12:25ça devait être normalement ma dernière,
12:27mon jubilé.
12:28Alors le 31 juillet 2017,
12:51ça faisait déjà presque trois mois
12:55que j'étais sur ma mission au Mali,
12:59dans l'est, nord-est du Mali.
13:03Nous avons fait un debrief,
13:05un briefing, pardon,
13:06un briefing de mission la veille
13:08où tout se passait bien.
13:11Donc le lendemain matin,
13:13très tôt,
13:14puisqu'on est parti de nuit,
13:16donc on a conduit,
13:18moi, j'étais conducteur ce jour-là,
13:19puisqu'on inverse entre,
13:21nous sommes deux secouristes au combat
13:23dans le véhicule,
13:24et on inverse,
13:24un coup, c'est lui qui conduit,
13:25et moi, je suis ce qu'on appelle
13:26un RT tireur,
13:27donc radio tireur.
13:29C'est celui qui est sur la tourelle
13:31du véhicule
13:32et qui a l'arme collective,
13:34qui utilise l'arme collective.
13:38Donc pour cette mission-là,
13:40c'était mon tour d'être conducteur.
13:41Donc on prend la route,
13:45lunettes de vision nocturne
13:48pour conduire,
13:49bien évidemment,
13:50puisque pour assurer la discrétion,
13:53on ne conduit pas avec les phares
13:54dans le désert.
13:56Tout se passe bien.
13:57On arrive sur le lieu
13:59de notre mission.
14:00Donc là, les gens qui,
14:02la spécialité qui ce jour-là devait,
14:06puisque nous, ce jour-là,
14:08nous étions en soutien,
14:11ceux qui devaient faire
14:12ce qu'ils avaient à faire
14:13s'installent.
14:15Ce qu'il y a,
14:15c'est que ce jour-là,
14:16il y avait un brouillard
14:16très fort.
14:18Donc on attend.
14:21Donc là, l'ordre est donné
14:22de rester sur la position
14:24et d'attendre
14:25que le brouillard se dissipe.
14:28Parce qu'il faut savoir une chose,
14:29c'est que c'est une zone de conflit,
14:31il y a des décisions
14:32de commandement
14:33qui sont importantes,
14:35qui engagent des vies, peut-être.
14:38Mais on ne laisserait rien au hasard.
14:39C'est-à-dire que si une règle
14:41très importante
14:42dans l'armée française,
14:45c'est être sûr de son objectif.
14:47Si nous ne sommes pas sûrs
14:48de tirer au bon endroit
14:50ou sur la bonne personne,
14:52on ne tire pas.
14:53Là, ce jour-là,
14:55pas de chance pour nous.
14:57Il y avait un brouillard
14:58vraiment très dense.
14:59Ce qui fait qu'on ne pouvait pas
15:01être sûr de notre objectif.
15:03Donc l'ordre est donné
15:04de tout remballer.
15:05et de nous positionner
15:09ailleurs.
15:10Puisque là,
15:11ça faisait déjà trop longtemps
15:11qu'on était sur zone.
15:13On avait été repérés.
15:14Il fallait qu'on parte.
15:16Donc,
15:17on remballe tout.
15:19Donc on reçoit
15:20des nouvelles coordonnées
15:21pour nous positionner.
15:25Et en fait,
15:26sur ce redéploiement,
15:27à ce moment-là,
15:28moi je suis le troisième véhicule
15:29de tête
15:30sur une rame de véhicule
15:31et je suis
15:34les traces
15:35du véhicule
15:36qui est devant moi
15:37et boum.
15:42Ma première réaction,
15:43ça a été de me dire
15:44« Ouah, je suis aveugle ! »
15:45Parce que
15:46je perds la vue en fait.
15:48J'ai les yeux
15:49qui brûlent
15:50et
15:51mais en même temps,
15:53je m'attends
15:54à ce qu'il y ait
15:55quelqu'un à l'extérieur
15:56qui me dise
15:56« Ok, les gars,
15:58c'est pas bon,
15:59on recommence. »
16:00Ouais, un peu comme si,
16:01mais complètement d'ailleurs,
16:02comme si on était
16:03à l'entraînement.
16:05Parce qu'on ne part pas
16:06au Mali
16:08les mains dans les poches.
16:09On s'entraîne
16:10des mois,
16:10des années avant.
16:11Et en fait,
16:12pendant des mois
16:12et des années,
16:13on s'entraîne
16:14à ce cas de figure.
16:16Et il y a des instructeurs.
16:17Et les instructeurs,
16:18quand ils estiment
16:19que c'est pas bon,
16:20quand ils estiment
16:20qu'on a roulé sur la mine
16:21ou qu'on n'a pas vu
16:22l'explosif,
16:23ils disent
16:23« C'est pas bon, les gars,
16:24on recommence. »
16:25On recommence jusqu'au moment
16:26où, en fait,
16:27on passe
16:29et on voit
16:30tous les dangers.
16:34Sauf que là,
16:34en fait,
16:35la petite voix,
16:35elle ne vient pas.
16:36Il n'y a personne
16:37qui dit
16:37« Allez, les gars,
16:38on recommence. »
16:39Donc, je me dis
16:40« On est dans la vraie ville,
16:41en fait. »
16:42C'est maintenant,
16:42ça vient de se passer.
16:43Mais, en fait,
16:44c'est hyper bizarre
16:45parce que
16:46dans les films,
16:48quand il arrive
16:48un accident et tout,
16:49on voit le temps
16:50qui s'arrête.
16:51On voit les choses
16:52qui explosent
16:53autour du gars.
16:54Et en fait,
16:54le gars,
16:54il est comme ça,
16:55il découvre ce qui se passe.
16:56Mais, en fait,
16:57dans la vraie vie,
16:57c'est un peu pareil
16:58parce que
16:59tout se déroule
17:00très vite
17:00mais, en fait,
17:01on se dit
17:02« Des tas de choses là-dedans. »
17:04Le cerveau, lui,
17:05il ne s'arrête pas.
17:06C'est hallucinant.
17:07Après,
17:07quand la poussière retombe
17:08et que, en fait,
17:09j'arrive à ouvrir les yeux,
17:10je me dis
17:11« En fait,
17:11je ne suis pas aveugle. »
17:13« Non, ça va. »
17:14Et puis,
17:14je regarde,
17:14en fait,
17:15autour de moi
17:17et là,
17:19je comprends direct
17:19qu'on a sauté
17:20sur un UED.
17:21Et puis,
17:22je vois mon bras.
17:22Mon bras,
17:23il était en lambeau,
17:24comme ça,
17:24avec la main
17:26qui pendait
17:27par un bout de chair
17:27ici,
17:28comme ça.
17:29Et je vois ça,
17:29je fais « Wow ! »
17:30Là,
17:31je comprends
17:31que je suis touché.
17:34Donc,
17:34tout de suite,
17:34là,
17:35ici,
17:35sur cette épaule-là,
17:36j'avais ce qu'on appelle
17:37une tique.
17:37Une tique,
17:38ça veut dire
17:38« Troupe in contact ».
17:39C'est-à-dire
17:39qu'en fait,
17:40dedans,
17:40il y a tout un kit
17:41de premier secours.
17:42Chaque combattant a ça.
17:43Après,
17:44nous,
17:44en tant que secouriste,
17:44dans notre sac à dos,
17:45on a beaucoup plus
17:46de matériel.
17:47Mais chaque secouriste
17:48a sur lui
17:49un garrot,
17:51de quoi poser
17:51une perfusion
17:52et une burette
17:54de morphine.
17:56Une petite dosette
17:57de morphine.
17:59Donc,
18:00là,
18:00tout de suite,
18:01je ne réfléchis
18:02même pas,
18:02en fait.
18:03C'est-à-dire que
18:03je fais les gestes
18:05machinalement.
18:06C'est vraiment
18:06du drill,
18:09le travail,
18:09le travail,
18:10le travail.
18:10On t'a entraîné
18:11pour ça.
18:12Voilà,
18:12c'est ça.
18:12Et en fait,
18:13je ne me dis pas
18:13qu'il faut que je pose
18:14mon garrot.
18:14Non,
18:15je prends mon garrot,
18:16j'essaye de me le mettre,
18:17mais cette main-là
18:18qui pendouille,
18:18elle m'embête.
18:20Alors,
18:20j'arrive quand même
18:22à le passer et tout,
18:23j'essaye de tirer dessus,
18:24mais c'est hyper compliqué.
18:25Je me rends compte
18:26que mon RT,
18:27radio tireur,
18:28il n'est plus là.
18:29Après,
18:30par la suite,
18:30je comprends
18:30que sur l'explosion,
18:32lui,
18:32il a fait comme
18:33un bouchon de champagne.
18:35Il a sauté en l'air
18:35par la trappe
18:36et il est retombé
18:37lourdement devant le véhicule.
18:39Mais physiquement,
18:40il n'a pas eu de blessure,
18:41donc ça va.
18:43Je vois ces flammes
18:44et je me dis,
18:45il faut que je sorte d'ici.
18:46Parce qu'à ce moment-là,
18:47je me dis,
18:47c'est con d'avoir survécu
18:49à une explosion.
18:51C'est quand même exceptionnel
18:52d'avoir survécu à une explosion.
18:54Mais il faut savoir
18:54que le VAB,
18:55il est très haut.
18:57Il y a des grosses roues.
18:58Et je me dis,
19:00en fait,
19:02il faut que je sorte de là,
19:03mais ça va être compliqué
19:04parce que j'ai mon gilet pare-balles.
19:06Là, ici,
19:07j'ai une arme
19:08qui d'ailleurs,
19:08dans l'explosion,
19:09toutes les munitions
19:10de mon armes de poing,
19:13mon pistolet automatique,
19:14elles ont explosé.
19:16Elles ont pété dans le chargeur
19:17et celle qui était dans la chambre,
19:19je ne sais pas où elle a été.
19:20Je ne sais pas,
19:20j'ai eu de la chance
19:21puisque le canon
19:23est orienté vers le bas.
19:25Donc,
19:26je fais,
19:28ok,
19:28donc tout se barde,
19:29le casse,
19:30tout ça.
19:30Je me dis,
19:30il faut que je sorte de là.
19:32C'est con d'avoir survécu
19:33à une explosion
19:34et de mourir brûlé vif.
19:36Je me dis,
19:36ce n'est pas possible,
19:37je ne peux pas ça.
19:38Donc,
19:38du coup,
19:39je vais pour sortir
19:40de mon véhicule.
19:42Ce qu'il y a,
19:42c'est que le mouvement
19:43ordinaire
19:44pour se lever
19:44du fauteuil,
19:46c'est,
19:47on s'avance,
19:48on se met vers l'avant
19:49et on pousse sur les jambes.
19:51Sauf que moi,
19:51en fait,
19:51à ce moment-là,
19:52je n'ai pas vu que ma jambe ici,
19:53elle est arrachée.
19:55Et je ne savais pas,
19:56à ce moment-là,
19:56que j'avais une fracture du bassin
19:57et une fracture du fémur gauche.
20:00Donc,
20:01en fait,
20:01j'avais beau essayer
20:02de me lever,
20:03il n'y a rien qui répondait.
20:04Il n'y avait rien.
20:06Donc,
20:06du coup,
20:06je me dis,
20:06mais pourquoi je ne me lève pas là ?
20:08Je ne comprends pas là.
20:09Alors,
20:10sur le côté,
20:11il y avait une poignée.
20:12Je saisis cette poignée
20:13et je me hisse,
20:14je force,
20:15mais l'adrénaline,
20:16avec mon bras gauche
20:18qui est mon bras faible
20:19puisque moi,
20:19j'étais droitier.
20:21Et là,
20:21j'arrive à sortir un peu
20:23de la trappe.
20:26Et tout à l'heure,
20:26je disais,
20:27le vape est très haut.
20:29Encore une fois,
20:30je me dis,
20:30alors,
20:31j'ai survécu à une explosion.
20:33J'ai essayé de sortir
20:34de ce véhicule
20:35en flamme
20:35pour ne pas mourir brûlé vif.
20:38Je ne vais pas me faire
20:39le coup du lapin
20:40en tombant de si haut quand même.
20:43Et les collègues sont où
20:44à ce moment-là ?
20:44Justement,
20:45les collègues,
20:45à ce moment-là,
20:46eux,
20:46la grosse crainte,
20:48c'est l'embuscade.
20:50Donc,
20:50eux,
20:50à ce moment-là,
20:51ils sont en train
20:52de faire une bulle de sécurité.
20:54Ils créent une bulle de sécurité
20:55pour que tout se passe bien
20:57et ils sont prêts au combat.
20:59À ce moment-là,
21:00ils sont prêts à répondre
21:01en cas d'embuscade.
21:03Donc,
21:03c'est pour ça que je dis
21:04tout va très vite.
21:05Tout ce que j'ai dit là,
21:06ça se fait en une minute.
21:09C'est très rapide.
21:12Et donc,
21:12du coup,
21:12à ce moment-là,
21:13je me dis,
21:13en fait,
21:14ça se trouve une croix-meur
21:15en réalité.
21:16Donc,
21:16il faut que je dise
21:17que je suis là.
21:17Donc,
21:17à ce moment-là,
21:18je crie.
21:19Je les appelle.
21:20Je les appelle
21:21et ça porte ses fruits
21:22puisqu'à un moment donné,
21:24je vois deux gaillards,
21:25le médecin du convoi
21:27et un légionnaire
21:29puisqu'il y avait aussi
21:30des légionnaires avec nous
21:32et ils étaient en soutien
21:32avec nous
21:33qui me saisissent
21:34une main de chaque côté
21:35et là,
21:36ils me tirent en arrière
21:37et là,
21:37je tombe comme un sac
21:38de pommes de terre par terre
21:40et ils m'emmènent
21:41loin du danger.
21:44Ils me mettent
21:44dans une bulle
21:47où ils peuvent me techniquer
21:49sans problème.
21:51Et là,
21:52du coup,
21:52quand je tombe seul
21:54et que je vois ma jambe,
21:56pareil,
21:56qui tenait pas un lambeau de chair,
21:58là,
21:59je me dis
21:59la jambe aussi.
22:00Et là,
22:01par contre,
22:01j'ai eu beaucoup de chance
22:02parce que j'aurais pu me vider
22:03de mon sang
22:04et ça n'a pas été le cas.
22:06Donc,
22:06l'artère,
22:07à mon avis,
22:07elle a dû tenir
22:08mais effectivement,
22:11encore une fois,
22:12j'aurais pu mourir
22:12vider de mon sang,
22:13c'est sûr.
22:18Donc là,
22:18j'ai été évacué
22:19par hélicoptère
22:20sur une base avancée
22:22au Mali
22:23où là,
22:24j'ai été pris en charge
22:25par une équipe
22:26de médecins,
22:27de chirurgiens militaires.
22:29Alors,
22:29c'est exceptionnel.
22:30Là,
22:30on parle du service
22:31de santé des armées.
22:32C'est top niveau
22:35parce qu'ils sont en mesure
22:36de vous opérer.
22:38Moi,
22:38ils m'ont opéré
22:38pendant plus de neuf heures
22:40sous une tente
22:41au milieu du désert
22:42dans les mêmes conditions
22:43d'hygiène qu'en France,
22:44dans un hôpital en France.
22:46C'est hallucinant.
22:47Il n'y a pas beaucoup
22:48d'armée dans le monde
22:48qui est capable
22:49de réaliser ce genre de choses.
22:52Donc moi,
22:52la première opération,
22:54arrivée chez eux,
22:54moi,
22:55je suis tombé dans l'inconscience.
22:56Ils m'ont mis dans l'inconscience
22:57quand je suis arrivé chez eux.
22:58C'est-à-dire qu'à ce moment-là,
22:59je savais que j'étais pris en charge
23:01par l'équipe de chirurgiens.
23:02À ce moment-là,
23:03mon travail était fini.
23:04À ce moment-là,
23:06je leur ai dit,
23:06c'est comme si je leur disais,
23:07allez-y les gars,
23:08c'est à vous de jouer.
23:09Moi, je ne peux plus.
23:10J'ai tout donné.
23:12J'ai fait en sorte
23:13de résister.
23:15J'ai travaillé
23:16pour résister
23:17et être ici.
23:18Maintenant,
23:18c'est à vous de jouer les gars.
23:20Et donc, du coup,
23:21à partir de là,
23:21ils m'ont plongé
23:22dans un coma artificiel.
23:23Ils m'ont opéré.
23:25Ça a duré plus de 9 heures
23:27sous cette fameuse tente.
23:28Ensuite,
23:29j'ai été évacué
23:29vers la France.
23:31À l'hôpital Persy,
23:32hôpital militaire
23:33à Clamart,
23:33à côté de Paris.
23:35Et en fait,
23:35il faut savoir que
23:36là où je dis
23:37le service de santé
23:38des armées
23:39est exceptionnel,
23:40c'est qu'en moins
23:41de 24 heures,
23:43j'ai explosé
23:44sur un IED
23:44en opération extérieure
23:46en Afrique.
23:48Et en moins de 24 heures,
23:49j'étais déjà
23:50en réanimation en France.
23:55La technique utilisée
23:56pour cet IED,
23:58c'est une technique
23:59de pression.
24:00Il existe différentes techniques
24:01pour déclencher un IED.
24:03À distance,
24:04mécanique,
24:05électronique,
24:05bref.
24:07Cette technique-là,
24:08c'est simple.
24:10Il faut savoir que
24:11l'allumeur de la mine,
24:15c'est un cercle.
24:16Et dans ce cercle,
24:18il y a un petit connecteur.
24:20Et en fait,
24:21quand on fait pression,
24:22normalement,
24:23il y a une partie
24:24qui est sur le cercle.
24:25Quand on fait pression dessus,
24:26tac,
24:26ça vient toucher ce connecteur
24:27et ça pète.
24:30Et bien là,
24:30en fait,
24:30ils ont remplacé
24:31cette partie au-dessus
24:32par une pierre
24:34qui est légèrement
24:35au niveau du diamètre
24:36qui est légèrement
24:38plus large
24:38que le cylindre.
24:41De façon à ce que
24:41quand le véhicule roule dessus,
24:43le premier véhicule,
24:43paf,
24:44ça va tasser la pierre.
24:45Le deuxième,
24:46paf,
24:46ça va tasser la pierre.
24:47Jusqu'au moment
24:48où en fait,
24:48il va y avoir ce contact
24:49avec le connecteur.
24:51Et moi,
24:51j'étais le troisième véhicule,
24:52je ne suis pas assez tôt.
24:53Il a fallu trois véhicules
24:54pour que ça connecte.
24:56Donc après,
24:56ça m'est arrivé à moi,
24:57ça aurait pu arriver
24:58au premier directement,
24:59ça aurait pu arriver
24:59au cinquième,
25:00au dernier,
25:02ou alors,
25:02on serait tous passés dessus
25:03et en fait,
25:04la pierre qu'ils avaient utilisée,
25:05elle était beaucoup trop dure,
25:06elle ne s'enfonçait pas
25:07et il n'y aurait rien eu.
25:13Il faut savoir que moi,
25:14je n'en veux pas des masses
25:15à cet acte en fait.
25:17Moi,
25:18j'ai beaucoup de traumatismes
25:20aujourd'hui,
25:21certes,
25:22qui sont dus à cet accident
25:23mais aussi
25:23à ma carrière,
25:26on va dire.
25:27Mais c'est vrai
25:28que de ce côté-là,
25:29j'ai la chance
25:29de ne pas en vouloir
25:30à la personne
25:30qui a posé l'IUD
25:31dans le sens
25:32où je me dis
25:32c'est un soldat comme moi,
25:33il a existé.
25:34On ne se bat pas
25:35pour les mêmes raisons,
25:36ça c'est certain,
25:37mais il a exécuté
25:39ses ordres en fait.
25:40Voilà,
25:40il m'a eu.
25:43Aujourd'hui,
25:44je suis encore soldat,
25:44je n'ai pas encore
25:46été réformé.
25:47Aujourd'hui,
25:47je suis sous-officier
25:48de l'armée de terre
25:49et je suis fier encore
25:51de porter cet uniforme.
25:52J'ai adoré ma carrière,
25:54j'ai adoré ma carrière.
25:56Si là,
25:57vous me dites
25:57écoute,
25:59tu as 18 ans là,
26:01tu signes à l'armée,
26:02à la fin,
26:03ça va se terminer comme ça.
26:04Tu fais quoi ?
26:04Tu signes ou pas ?
26:06En fait,
26:06c'est con à dire
26:07parce que
26:07moi aujourd'hui,
26:09comme je dis,
26:09je vis avec mes démons,
26:11je vis avec
26:11toutes ces choses
26:13qui m'ont marqué
26:13mais en fait,
26:15l'armée a fait
26:17l'homme que je suis aujourd'hui
26:17et l'homme que je suis aujourd'hui,
26:19je l'aime bien en fait.
26:20Donc,
26:21je re-signe tout de suite.
26:22En vérité,
26:23c'est comme ça.

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