Thomas Pesquet : l'interview en tête-à-tête

Marie Claire

Quand il est sur Terre, celui qui rêve de retrouver les étoiles et de son « petit pas » sur la Lune consacre son temps à aider les enfants à réaliser les leurs, de rêves, notamment via son engagement auprès de la Fondation Air France, qui, depuis sa création, a accompagné plus d’1,5 million d’enfants et jeunes en difficulté, malades ou en situation de handicap à travers le monde.  Les petites filles rêvent-elles autant d’espace que les petits garçons ? Et lui, quel était son rêve, enfant ? Rencontre inspirante avec le plus célèbre des spationautes français, passionné, passionnant et profondément généreux.

Transcript

00:00Il faut que les petites filles puissent s'identifier pour qu'ensuite ça devienne plus facile.

00:04Et c'est pour ça que c'est super important qu'il y ait des femmes astronautes.

00:06Surtout d'avoir des femmes dans ces métiers-là, pour nous, c'est vital.

00:10Et puis il en faut dans tous les métiers.

00:11On ne peut pas se priver de 50% des capacités de la population.

00:15C'est complètement débile.

00:16Hello Marie-Claire, c'est Thomas Pesquet.

00:18Quel était votre rêve ?

00:20Moi, mon rêve, alors si je dis que mon rêve c'était de devenir astronaute,

00:23évidemment, ça paraît un peu bête maintenant parce qu'au final j'ai eu la chance de le faire.

00:27Mais c'était vrai, mais j'en avais plein en fait.

00:29Je voulais jouer au basket, c'était ça aussi mon rêve.

00:31J'étais très mauvais dans le basket.

00:32Heureusement, j'étais un petit peu meilleur pour ma carrière aéronautique.

00:35C'était fou parce que ça me paraissait complètement dingue, complètement inatteignable.

00:39Et je ne savais pas comment orienter mes actions vers ce rêve-là.

00:42Parce que c'est assez stressant ça.

00:44Quand on est jeune, quand on a 16 ans, on dit qu'est-ce que vous voulez faire dans la vie ?

00:47On a l'impression qu'il faut donner la réponse tout de suite,

00:49qu'il faut trouver un chemin tout tracé alors que ça n'existe pas, un chemin tout tracé dans la vie.

00:52Et quand on est dans l'espace, est-ce qu'on a des rêves encore ?

00:55Oui, on a des rêves encore.

00:56On a des rêves pour soi, on a des rêves pour le monde.

00:59Mais il y a plein de choses à faire sur Terre.

01:01Je pense qu'il y a aussi, moi, même si je suis encore actif dans ma carrière d'astronaute

01:05et j'espère que je retournerai dans l'espace,

01:06ce que j'essaie vraiment de faire, c'est de faire de la transmission aussi.

01:09Au bout d'un moment, c'est ça qui est important.

01:11Ce n'est pas de vivre une expérience pour soi et la garder pour soi.

01:14Ça, c'est bien, mais ça ne nourrit pas sur le long terme.

01:16Ce qui est important, c'est peut-être ensuite de la partager,

01:19d'en faire quelque chose pour que ça serve au plus grand nombre

01:21et pour que ça aide des gens.

01:22Et ça, c'est vraiment là-dedans que je m'éclate le plus en ce moment.

01:26Justement, en parlant de transmission, quand vous les rencontrez,

01:29les petites filles, est-ce qu'elles rêvent autant d'espace que les petits garçons ?

01:32Non, non, non.

01:33Évidemment, on ne va pas se mentir.

01:35C'est sûr qu'il y a un petit delta d'ambition là-dedans.

01:38Mais dans plein d'autres domaines, c'est vrai aussi, malheureusement.

01:40Comment on essaie de corriger ça, c'est difficile,

01:43mais je pense qu'il y a une question de rôle modèle, en fait.

01:45C'est difficile de se projeter, pour une petite fille,

01:48sur un métier où les images sont essentiellement masculines,

01:51en fait, les top des héros, top gun, tous ces trucs-là.

01:53C'est ce qui nous a donné à nous, les petits garçons,

01:55on va dire, un peu l'envie de faire ce métier-là.

01:58Mais ça n'existait pas pour les filles.

01:59On leur propose autre chose.

02:00Et c'est dommage, il faut proposer un peu de tout.

02:02Il faut que les petites filles puissent s'identifier

02:04pour qu'ensuite, ça devienne plus facile.

02:07Et c'est pour ça que c'est super important

02:08qu'il y ait des femmes astronautes.

02:09Aujourd'hui, on a ma collègue Sophie,

02:11qu'on a recrutée il y a trois ans maintenant,

02:13qui va voler dans la Station Spatiale en 2026.

02:16Et c'est super important aussi,

02:17parce que ça permettra aux petites filles de se projeter.

02:19Moi, je me rappelle un des trucs les plus émouvants.

02:22C'est un papa qui est venu me voir

02:23et qui m'a dit que, en fait, sa petite fille

02:26avait compris qu'en fait, il y avait ce gars

02:28qui était dans l'espace, qui s'appelait Thomas Pesquet,

02:30que tout le monde regardait,

02:31que ça avait l'air d'être super important.

02:33Et puis, en fait, à ce moment-là de ma mission,

02:35le commandant de la Station Spatiale,

02:36c'était ma collègue Peggy Whitson, américaine.

02:39Et donc, la petite fille avait compris que,

02:41en fait, il y avait ce mec,

02:42mais la chef, c'était une fille.

02:44Elle, elle a dit, moi, je ne veux pas devenir lui, en fait.

02:46Je veux devenir elle.

02:47Et ça, c'était super important.

02:49On essaie de passer les bons messages,

02:51mais surtout d'avoir des femmes dans ces métiers-là.

02:53Pour nous, c'est vital.

02:54Et puis, il en faut dans tous les métiers.

02:56On ne peut pas se priver de 50% des capacités de la population.

03:00C'est complètement débile.

03:01Donc, on n'a pas envie de le faire.

03:02On essaie de l'éviter.

03:03Ce qui est le plus difficile pour moi,

03:04c'est de voir à quel point les enfants,

03:06parfois, les petites filles, surtout, s'auto-censurent.

03:08Enfin, s'auto-censurent.

03:10On dirait que je leur reproche.

03:11Ce n'est pas de leur faute,

03:11mais c'est parce que le message a un petit peu infusé,

03:14souvent, dans la famille, dans le milieu social,

03:16à l'école ou ailleurs.

03:18Il n'y a pas une cause sur laquelle on peut mettre le doigt,

03:20mais le résultat, c'est cette espèce d'infusion

03:21qui fait qu'on se dit, ce n'est pas pour moi.

03:24Ce n'est pas pour moi.

03:24C'est trop difficile.

03:26Moi, je vais plutôt faire autre chose,

03:28parce que quelque chose de plus simple,

03:29de plus près de chez moi, etc.

03:30Mais à chaque fois, moi, je dis vraiment, surtout aux filles,

03:32il faut rêver, il faut se lancer.

03:34Je sais que ça a l'air d'être des mots un peu vides comme ça,

03:36mais c'est vraiment en avançant sur le chemin

03:38qu'on découvre le chemin, en fait.

03:39Il n'y a pas de voie toute tracée.

03:41Il faut faire un pas,

03:42et puis on va percevoir un peu plus loin,

03:43puis un autre, puis un autre, puis un autre.

03:44On va avoir un embranchement qu'on ne voyait pas.

03:47On continue, on va en voir un autre, on continue.

03:49On n'arrivera peut-être pas forcément

03:50là où on avait prévu d'aller au départ,

03:51mais on arrivera quelque part.

03:52Moi, c'est comme ça que j'ai fait.

03:53Il n'y a pas d'école d'astronautes.

03:54C'est le résultat de tout un parcours,

03:56et il faut faire tous ces petits pas.

03:57Parfois, on dit, croyez en vos rêves, c'est vrai,

03:59mais parfois, il faut aussi ramener les choses à son échelle.

04:02Il faut se dire, qu'est-ce que je peux faire aujourd'hui ?

04:04Quel petit pas je peux faire aujourd'hui

04:05qui va m'amener vers mon rêve ?

04:06Il ne faut pas juste rester sur son canapé en se disant

04:08« Ah, ce serait super d'être astronaute,

04:10d'être champion du monde de foot,

04:12d'être pilote, d'être chirurgien, d'être j'en sais rien. »

04:15Il faut vraiment se dire, aujourd'hui,

04:17qu'est-ce que je peux faire ?

04:17C'est quoi le petit pas que je peux faire

04:18qui va m'amener vers ça ?

04:20Et peut-être un jour, il n'y aura pas de pas,

04:21ce n'est pas grave,

04:22parce qu'on a le droit aussi de se reposer.

04:24Mais petit à petit, c'est comme ça qu'on se rapproche.

04:26Ce n'est pas en une fois,

04:27en faisant un énorme sprint de plusieurs dizaines de kilomètres.

04:30C'est tous les jours en faisant des petits pas.

04:32Il faut vraiment se poser cette question.

04:33Et vous, c'est quoi votre prochain pas pour votre prochain route ?

04:36Mon petit pas sur la lune ?

04:37J'aimerais bien.

04:39Non, pour moi, c'est des choses bêtes.

04:41C'est un truc aussi bête que maintenant.

04:43Je me dis, j'essaie de faire du sport.

04:45Ça a l'air bête, mais je n'ai plus le temps

04:46parce que je voyage énormément.

04:48Je fais beaucoup de choses à la fois.

04:49Et je me dis, non, non, non.

04:50Moi, si je veux vraiment,

04:51mon objectif, c'est de repartir dans l'espace.

04:53Il faut que je reste en forme physique.

04:54Il faut que je reste en bonne santé.

04:56Donc aujourd'hui, mon petit pas,

04:57c'est de me dire, allez, je vais courir 30 minutes.

04:59Ce n'est pas grave.

05:00Ce n'est pas grand-chose.

05:00Ce n'est rien.

05:01Mais aujourd'hui, je vais me botter les fesses

05:03et je vais aller courir 30 minutes.

05:04Et puis si j'ai fait ça,

05:05ma journée, elle sera gagnée.

05:06Et puis demain, ce sera autre chose.

05:08Et voilà, tous les jours,

05:09il faut se trouver une petite motivation.

05:11Et puis tous les soirs, on se couche en se disant,

05:12voilà, aujourd'hui, j'ai fait un truc

05:13qui me rapproche de mon objectif.

05:14Et c'est comme ça qu'on est heureux, du moins.

05:16C'est comme ça que moi, je suis heureux.

05:17Sous-titrage Société Radio-Canada

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