Face à une Russie belligérante et une Amérique de moins en moins fiables, l'Europe a décidé de se « réarmer ». Mais comment s'affranchir de notre dépendance américaine en matière militaire ? Une Europe de la Défense est-elle possible ? Nos champions français ont-ils la taille critique ? Est-ce responsable d'investir dans le secteur de l'armement ? Les avions de chasse vont-ils devenir obsolètes à l'ère des drones ? Entretien exclusif avec ERIC TRAPPIER, le PDG de Dassault Aviation. Année de Production :
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02:49— Défendre les intérêts européens, comme les Américains, d'ailleurs, qu'on respecte beaucoup, défendre les intérêts américains de développer la stratégie européenne dans le domaine.
03:02Et qui doit le faire ? Voilà un ensemble de questions dans lesquelles, évidemment, je n'ai pas répondu, mais qui, d'une certaine manière, donne une tendance à la réponse qui devrait se formuler.
03:12C'est-à-dire que, de manière théorique, on a envie que les Européens puissent se défendre. De manière pratique, peuvent-ils le faire ? En ont-ils les moyens ?
03:19— Après ce désengagement partiel, pour l'instant, des États-Unis, de l'OTAN, peut-être qu'il est temporaire. Le successeur de Trump pourrait très bien y revenir pleinement ou ne pas être ambigu.
03:29Et donc, certains se disent, mieux vaut attendre 2028 pour s'assurer d'un éventuel désengagement définitif des Américains avant d'investir comme ça, nous, Européens, Français, des tombereaux de milliards d'euros, dizaines, centaines de milliards d'euros.
03:42— La tonalité avec le président américain Trump est un peu différente de ses prédécesseurs. Mais je ne suis pas sûr que la ligne stratégique soit très différente.
03:50C'est-à-dire qu'en réalité, l'Amérique défend les intérêts américains. Les intérêts américains, s'il y a des intérêts américains en Europe, les Américains défendront l'Europe.
03:59S'il n'y a pas d'intérêts américains en Europe, peut-être qu'ils évolueront différemment. Donc je ne crois pas au fait que demain, on ait un président différent du président Trump.
04:11Toute la philosophie militaire américaine change. Ce qui est sûr, c'est que l'aspect mercantile dont vous parlez, il a toujours existé.
04:21Les Américains ont toujours essayé de vendre, par exemple, leurs avions de combat en Europe.
04:26D'ailleurs, aujourd'hui, indépendamment de Trump, tous les pays européens qui achètent des F-35, les ont achetés avant Trump ou pendant Trump.
04:34Ça n'a rien changé. C'est-à-dire qu'en réalité, une partie des pays européens, une grande partie des pays européens comptent sur l'Amérique au sein de l'OTAN pour défendre l'Europe
04:43et du coup achètent des matériels américains. On pourrait voir si cette logique de l'OTAN peut évoluer ou pas.
04:51Et ça, c'est l'affaire des politiques des pays. Je crois plus à une Europe des nations en termes de défense qu'une Europe communautaire.
05:00C'est vrai qu'il y a eu des décennies de sous-investissement en Europe en matière de défense et en faveur des armées.
05:06Les 27 pays de l'UE réagissent avec cet objectif que l'Union puisse se défendre seule d'ici 2030.
05:12Est-ce que c'est crédible ? Est-ce que c'est possible ?
05:15– Écoutez, on a envie d'y croire. Maintenant, quand on était petit, on croyait au Père Noël aussi.
05:21Donc le problème n'est pas de croire ou de ne pas croire. Est-ce qu'on le fait ou est-ce qu'on ne le fait pas ?
05:26Est-ce qu'on peut le faire ou est-ce qu'on peut le faire ?
05:285 ans, c'est toujours très court pour arriver de passer d'une certaine philosophie à une autre, à une stratégie à une autre.
05:34Donc on est en 2025, 2030, c'est déjà demain. Il y a une prise de conscience très certainement du fait des déclarations du président Trump,
05:44mais aussi du fait de la guerre en Ukraine. C'est quand même ça le fait majeur.
05:48Et de savoir qui doit payer le soutien à l'Ukraine. Est-ce que c'est principalement les États-Unis ou est-ce que ça doit être les pays d'Europe ?
05:54Doivent-ils s'engager plus ? Je ne vois pas aujourd'hui une dynamique qui, à ce point, nous permettrait de dire qu'en 2030, on est totalement autonome.
06:05Maintenant, si on va dans cette voie-là…
06:07– Même si l'Europe parle de la Commission européenne à hauteur de 150 milliards d'euros.
06:12– Oui, mais la défense, ce n'est pas simplement un problème d'argent. C'est un problème d'argent, mais aussi de concept stratégique.
06:17Donc ce qu'il faut, c'est quel est le concept stratégique que l'Europe est prête à développer ?
06:22Est-ce que c'est entre les pays ? Est-ce que c'est au niveau de la Commission européenne ?
06:26Personnellement, moi, je pense que c'est plutôt entre les pays, parce que mettre d'accord 26-27 pays, c'est quand même complexe.
06:33– Donc on fait les choses à l'envers ?
06:35– Non, il faut les faire de manière pragmatique. Moi, je crois beaucoup au pragmatisme en matière stratégique et de défense.
06:41Il faut avoir une ligne. Ceux qui seront d'accord sur cette ligne, ils mettront des moyens.
06:46Si la Commission européenne, au titre de l'Union européenne, veut abonder un certain nombre de budgets pour aider l'Europe à justement aller vers une meilleure indépendance des pays en Europe.
06:59– Avec un noyau dur de pays ?
07:01– Avec un noyau dur de pays, peut-être, oui. Mais chacun pouvant y contribuer à la hauteur de ses moyens et de sa volonté.
07:08La France, de son côté, est prête à se rallier à cet objectif de 3,5% du PIB en dépense militaire d'ici 2032, contre 2% actuellement.
07:18Ça fait 50 milliards d'euros à trouver pour assurer notre sécurité.
07:21Est-ce que c'est réaliste, là aussi, quand on connaît le niveau abyssal et dégradé de nos comptes publics ?
07:26– C'est très certainement difficile. Mais encore une fois, la volonté politique doit s'appliquer.
07:32Je ne suis pas sûr que dans les années 60, je n'ai plus les chiffres en tête, le général de Gaulle, quand il décide de doter la France d'une dissuasion nucléaire avec des missiles nucléaires,
07:44la bombe, les avions de combat et les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin, il regarde la problématique d'un tableur Excel à Bercy.
07:54– Nos comptes publics ne sont pas aussi dégradés que le songeant.
07:55– Un peu. Donc si le président estime que 3,5% qui sont les niveaux d'effort qui ont été faits dans les années
08:03où il a fallu construire cette défense française, si la France veut revenir à ça après des décennies de baisse,
08:13basée sur la fin de la guerre froide, qui, de la même manière qu'à la fin de la guerre 14, il n'y en aurait plus d'autres,
08:20que c'était la DERDDR, reprend le chemin de l'effort de la défense, tant mieux.
08:26Et je pense qu'on peut y arriver, ça nécessite des arbitrages.
08:30– Il y a un chiffre assez édifiant, depuis 2020, 64% des armes achetées par les Européens viennent des États-Unis.
08:37Et là, cette dépendance aujourd'hui, elle devient vraiment problématique,
08:40dans le contexte, encore une fois, des engagements des Américains de l'OTAN, possiblement.
08:44– Oui, elle n'est pas problématique, c'est un choix.
08:47C'est un choix stratégique, politique, qui a été fait au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
08:52– Qui était un deal, quelque part.
08:53– C'est ça, un deal ou une dépendance, qu'importe, assumée par les Européens,
08:59à l'exception de la France, qui, à un moment donné, a dit, nous, on est dans l'Alliance,
09:04on contribuera à notre hauteur, à l'effort pour défendre l'Europe
09:09aux côtés des autres pays européens et aux côtés de l'Amérique,
09:12mais on veut avoir une capacité autonome d'indépendance,
09:16c'est la dissuasion nucléaire française.
09:19Donc ce noyau dur qui permet quand même d'assurer que le pays ne sera pas envahi du jour au lendemain,
09:26contrairement à ce qui s'est passé, par exemple, en Ukraine,
09:29c'est ça qui fait qu'aujourd'hui, on a une certaine indépendance.
09:33– La France est globalement moins dépendante des Américains que tous les autres pays d'Europe.
09:36– Bien sûr, à cause de ça, parce qu'il fallait développer une dissuasion nucléaire
09:40et donc une industrie qui permette de fournir cette dissuasion nucléaire
09:46de manière totalement indépendante de pays tiers.
09:48– D'ailleurs, ce sont les Rafales de Dassault qui portent,
09:52notamment avec les sous-marins lanceurs d'engins aussi, ces têtes nucléaires.
09:56– Absolument.
09:57– Puisqu'on parle des avions de chasse, 13 pays européens,
10:02Eric Trappier ont récemment passé des commandes d'avions de chasse F-35
10:05auprès du constructeur américain Lockheed Martin.
10:07Comment on fait, encore une fois, pour que nos partenaires de l'Union achètent plus de Rafale ?
10:12Il n'y a pas que le Rafale, il y a aussi l'Eurofighter, voilà, achètent européens.
10:14– Je pense qu'il faut continuer à poursuivre le fait qu'il y ait une préférence européenne.
10:20Je dis toujours qu'aujourd'hui, en Europe, il y a une préférence américaine.
10:24– C'est en train de changer ?
10:26– Je ne suis pas sûr, je suis quand même inquiet,
10:28parce que quand je vois qu'on a peut-être une prise de conscience d'indépendance,
10:34qu'au même moment, on a une guerre commerciale avec les États-Unis qu'il va falloir traiter,
10:37et qu'à ce moment précis, un certain nombre de pays en Europe disent
10:40« je vais racheter plus de F-35 », je cite ceux qui l'ont dit publiquement,
10:45c'est-à-dire le Danemark et la Belgique, je suis quand même surpris.
10:50– Après, il y a un avion de combat américain, l'F-35,
10:53et il y a trois avions de chasse concurrents en Europe.
10:55Ce n'est pas ça aussi le sujet, de voir si nos champions français de la défense
10:58ou européens ont la taille critique ?
11:00– Non, je m'inscris totalement en fou sur cette logique.
11:04Il pourrait n'en avoir qu'un que ce pays-là aurait continué à acheter américain.
11:08Et aux États-Unis, ils ont plusieurs fournisseurs d'avions de combat,
11:11le F-35, le F-22, ils ont maintenant Boeing qui va faire le F-47.
11:17Ça ne veut pas dire qu'ils n'achètent pas euro-américain.
11:21Donc ils ont une préférence américaine et c'est normal,
11:23ils font confiance dans leurs industriels américains.
11:26Et en particulier, s'il y en a un, deux ou trois, ce n'est pas très grave.
11:29Donc en Europe, on est au moins de la taille des États-Unis, voire plus.
11:33On a un pays qui maîtrise de A jusqu'à Z, c'est la France.
11:39Il n'y en a pas d'autre, les avions de combat, je suis désolé, il n'y en a pas d'autre.
11:41– Parce que les autres ?
11:44– Si vous prenez les autres, le Suédois, il a des moteurs américains.
11:47Je ne pense pas que ça veuille dire qu'on maîtrise de A jusqu'à Z.
11:51Et les autres, ils partagent un certain nombre de choses,
11:54dont principalement la Grande-Bretagne qui, je le rappelle, n'est plus dans l'Union européenne.
11:57Donc le seul pays qui est dans l'Union européenne qui maîtrise de A jusqu'à Z
12:01un avion de combat, y compris son moteur et son électronique, c'est la France.
12:05– Bon, et donc je reviens à cette idée d'autonomie stratégique européenne en matière de défense,
12:09ce n'est pas pour tout de suite.
12:10– Ça va prendre du temps, et ce n'est pas parce que ça va prendre du temps
12:14qu'il ne faut pas s'engager, mais il faut s'engager en sachant que ça va prendre du temps.
12:18– Bon, Europe de la défense, défense européenne ?
12:23Défense européenne, non, ça on n'ira pas.
12:25– Défense européenne, ça dépend de ce qu'on cache derrière les mots.
12:29Si défense européenne veut dire que l'Europe et certains pays d'Europe
12:33veuillent mettre des moyens militaires ou des moyens financiers
12:37ou des moyens industriels pour bâtir cette autonomie stratégique de demain, je suis pour.
12:44Si c'est pour dire du jour au lendemain, on enlève tout ce qui se fait dans les pays
12:48et on essaye d'inventer un truc au niveau de Bruxelles, je suis contre.
12:51– Et donc un Airbus de la défense, ça ne vous plaît pas ?
12:55– Pourtant dans l'aviation civile, c'est un succès Airbus ?
12:58– Oui, c'est le civil, c'est-à-dire qu'aérospatial qui est à l'origine d'Airbus
13:03maîtrisait les avions commerciaux et Airbus ne maîtrise pas les avions de combat.
13:07Donc quelque part, le mot de dire Airbus, c'est juste pour dire il y a une fédération.
13:12Airbus lui-même peut dire je voudrais un Boeing européen, mais ça n'a pas de sens.
13:16La fusion de société n'est pas créateur de valeur.
13:20Donc ce qui est important, c'est de prendre les compétences là où elles sont,
13:23bâtir des coopérations s'il le faut, pourquoi pas ?
13:26Au contraire, on a fait le neurone à six pays et ça a donné un objet qui doit être un objet opérationnel.
13:33C'est les militaires attendre un objet opérationnel.
13:35Si on est même militaires, diront vous êtes moins bons que les avions américains,
13:38donc on va acheter des avions américains, ils prendront le prétexte.
13:40Ils prendront plus le prétexte de dire qu'il y en a trois,
13:42ils prendront le prétexte de dire vous avez fait un avion en coopération qui n'est pas de bon niveau.
13:47Donc il faut bien que ce soit les compétences qui drive la coopération de demain.
13:51– Quelles sont les priorités, Eric Trappier, de la France pour se réarmer ?
13:55Qu'est-ce qu'il nous manque ?
13:56Je me suis un peu renseigné, on dit qu'il nous manque des satellites,
13:59des missiles balistiques conventionnels qui arrivent de frapper sur longue distance,
14:021000 ou 2000 kilomètres, des frégates, des rafales.
14:05– Oui, ce n'est pas à moi de dire ce qui manque ou ce qui ne manque pas.
14:08Ce qui est sûr, c'est que compte tenu des moyens français
14:11et compte tenu de la baisse des budgets à une certaine époque,
14:16il n'y a pas très longtemps encore,
14:18la remontée étant en train de se faire,
14:20mais avec la problématique du budget,
14:22la France ne pouvait pas tout faire.
14:24Donc il y a un certain nombre de missions
14:25qui étaient plutôt données à nos alliés par rapport à nous.
14:30Et donc nous, on s'est concentrés sur la dissuasion nucléaire
14:32qui assure à la France une certaine autonomie,
14:35qui donne lieu à un développement de matériel conventionnel.
14:41Après la quantité, je ne pense pas qu'on ait pensé la France
14:45comme étant un pays totalement engagé pour faire la guerre,
14:48par exemple contre la Russie, de manière conventionnelle.
14:51S'il y a une montée en puissance,
14:53il y a la dissuasion nucléaire pour l'arrêter.
14:55C'est pour ça que je dis qu'il faut d'abord rebâtir
14:57un concept stratégique pour l'Europe
15:00avant de savoir s'il faut mettre des moyens
15:02à droite, à gauche, effectivement.
15:04– Ou la question du partage du parapluie nucléaire.
15:06– Le partage du parapluie nucléaire,
15:08ça dépend du chef de l'État.
15:09C'est lui qui est le parrain et le garant
15:14de la doctrine de la dissuasion nucléaire.
15:17C'est à lui de savoir ce que veulent dire ces discussions,
15:19de dire que le parapluie français
15:20pourrait être utilisé pour les Européens.
15:23C'est une discussion qui n'aurait pas eu lieu encore
15:26il y a quelques années.
15:27– Preuve que les lignes bougent.
15:29– Preuve que la parole bouge,
15:33la ligne n'a pas bougé pour l'instant.
15:34– C'est la parole qui a bougé.
15:35– C'est la parole, mais c'est un début.
15:38– Le gouvernement d'ailleurs devrait a priori
15:39vous commander plus de rafales.
15:41Le ministre des Armées a parlé d'une trentaine d'avions.
15:44Est-ce que déjà le chiffre est correct ?
15:45– Le chiffre voulu par chef d'État, chef des armées,
15:50relayé par le ministre au sein du gouvernement,
15:53et sûrement le besoin exprimé par les militaires,
15:57principalement l'armée de l'air et de l'espace françaises.
16:01On attend donc la commande de la part de la DGA.
16:04– Les négociations sont en cours ?
16:06– Oui, parce que c'est 30 avions complémentaires.
16:09On a vendu une tranche de 42 avions il y a quelques années.
16:13Tout est prêt.
16:14Je veux dire, un contrat pour faire 30 avions
16:16par rapport à 42 avions, c'est quasiment instantané.
16:18Alors donc il y aura sûrement une discussion pour bien figer les documents.
16:24– Ça pourrait aboutir quand ?
16:26– Ah ben ça, il faut demander à ceux qui passent la commande.
16:29Moi je suis prêt.
16:31– Vous produisez avec Trapier aujourd'hui entre 2 à 3 rafales par mois,
16:35je crois que c'est 2,5 le chiffre.
16:36– Oui, on est en montée en puissance.
16:39– C'était 1 en 2020 de mémoire, non ?
16:41– C'était moins de 1 en 2020.
16:43– Voilà, vous serez capable, et quand, d'en produire 5 par mois
16:47dans vos usines en France ?
16:49– Pour l'instant, ce que j'ai dit, c'est qu'on était dans une montée en puissance
16:53qui passe de 1 à 4, et on est entre 2 et 3.
16:58Je précise, dans nos usines amonts, on est déjà à 3,
17:01dans les usines avales, on est à 2.
17:03Donc on est dans cette montée en puissance.
17:05– Quelle différence entre amont et aval ?
17:06– Amonts, c'est les pièces que vous faites avant
17:08pour arriver à l'assemblage final et livrer vos avions.
17:11Donc évidemment, à l'assemblage final, il faut que tout arrive au même moment
17:13pour être capable de le monter sur l'avion
17:15et de le livrer aux clients.
17:19Le passage, donc, de 2 à 3 est en cours.
17:23Nous avons lancé le passage à 4,
17:26et je suis en train d'étudier le passage à 5,
17:28si des commandes complémentaires arrivaient.
17:30– Comment vous faites concrètement pour augmenter vos cadences de production ?
17:33– Ce qu'on fait, c'est que d'abord,
17:35on vérifie qu'on a les surfaces de hangar,
17:38ce qui est le cas, ensuite, on achète, on développe un peu plus d'outillages
17:45pour pouvoir monter en puissance, et puis après, on embauche.
17:50Et on s'assure que nos sous-traitants font pareil,
17:53parce qu'il y a Dassault à la fin de l'histoire,
17:56mais il y a tout l'amont de nos usines et de tous nos sous-traitants.
18:00– Et autant Dassault Aviation avec Trappier n'a aucun problème,
18:04notamment pour se financer, autant la filière de la défense,
18:07ces nombreuses PME, 4 000 ou 4 500,
18:10sont beaucoup plus fragiles, parce que endettées, moins rentables.
18:15Qu'est-ce que… je crois que c'est le ministre des Armées
18:17qui chiffre les besoins des PME de la défense à 5 milliards d'euros
18:20pour répondre aux commandes publiques, notamment à venir.
18:24Comment on fait ? Qu'est-ce que vous faites pour les aider ?
18:26Comment on fait pour aider tout ce tissu de PME ?
18:28– Aujourd'hui, on est dans le court terme,
18:30c'est-à-dire qu'on essaye de faire en sorte que nos sous-traitants
18:33arrivent financièrement à monter en puissance,
18:36parce que quand vous devez fabriquer plus,
18:39vous devez d'abord dépenser plus avant de gagner plus.
18:42Donc on les aide dans ce domaine-là,
18:46et ils ont aussi des problématiques industrielles,
18:49et sur certains fabricants d'aérostructures,
18:52c'est-à-dire de pièces d'avion,
18:53on envoie des spécialistes de chez nous
18:55pour les aider à faire cette montée en puissance.
18:58La problématique que vous posez est différente,
19:00c'est la problématique du financement de ces sociétés-là.
19:02– Si nous sommes dans une économie de guerre,
19:06si la défense est une priorité nationale…
19:08– Jusqu'à présent, je vous coupe,
19:09les banques n'aimaient pas trop financer ce type d'entreprise.
19:11– Si, si, nous sommes encore dans l'ère du bateau.
19:16C'est quoi l'ère du bateau ?
19:17– La finance durable, quand vous êtes dans l'armement, c'est mal.
19:21Il y a le bien et le mal, vous savez, c'est dicté par certains,
19:24et le bien et le mal, l'armement est dans le mal.
19:27Alors c'est en train d'évoluer,
19:28mais ça a été tellement longtemps placé dans une zone,
19:31on va dire grise, pas noire,
19:33mais enfin on n'était pas loin du tabac et de l'alcool,
19:36eh bien ça reste dans le fléchage des fonds,
19:40en particulier qui peuvent financer un certain nombre de sociétés,
19:43ça reste le fait que l'armement, d'où l'appel du président
19:47et du ministre de l'Économie et du ministre de la Défense,
19:50des armées, de dire il faudrait qu'il y ait des fonds spécialisés
19:54dans la Défense pour venir en aide justement à ce tissu industriel.
19:58Ce qui prouve bien que si on a besoin de fonds pour la Défense,
20:01c'est que les fonds qui ne sont pas dans la Défense exclusivement
20:04ne veulent pas aller dans la Défense.
20:05Donc on est en train de démontrer que la finance n'a pas encore
20:09complètement basculé et que ça va prendre du temps.
20:11Je pense que la guerre en Ukraine ne sera pas finie avant,
20:14c'est une boutade, parce que même avec une guerre en Ukraine,
20:18il a été très difficile de faire bouger les lignes de la finance dans le domaine.
20:23Mais aux financiers qui pensent encore que l'armement c'est mal,
20:26vous leur répondez quoi ?
20:27Je leur réponds qu'au contraire, et ça devrait être la priorité absolue,
20:30puisqu'être capable de se défendre, être capable de fournir l'outil industriel
20:36qui sert les armées de son propre pays, devrait être une priorité
20:41que les financiers devraient aussi suivre.
20:43Donc ils vous disent oui, oui, mais là aussi, entre la parole et l'acte,
20:47il y a toujours un petit peu d'inertie.
20:50– Est-ce que le réelment de l'Europe, si vraiment il est enclenché,
20:53profitera à l'industrie française ?
20:55– Oui, a priori, il n'y a pas de raison que ça ne profite pas à l'industrie française.
21:01La problématique, c'est de savoir comment elle est faite, ce soutien.
21:06Si ce soutien est fait avec un certain nombre de règles
21:08qui nous empêchent de faire un certain nombre de choses,
21:11par exemple l'exportation, nous vivons grâce à l'exportation.
21:15Le fait est que les lignes uniquement pour la France sont insuffisantes
21:19pour avoir un outil de défense, c'est vrai pour les avions,
21:21c'est vrai pour les bateaux, c'est vrai pour les chars, c'est vrai pour tout le monde.
21:24Donc cet outil de défense existe en France
21:28parce qu'on a tissé des liens depuis de nombreuses décennies à l'exportation.
21:34Et donc il est absolument nécessaire que la liberté d'exportation
21:37soit contrôlée exclusivement par le pays, c'est-à-dire par le gouvernement.
21:44– Éric Trappier, la guerre en Ukraine est l'une des premières guerres des drones.
21:48Elon Musk qui appelle d'ailleurs à remplacer les avions de combat par des drones.
21:53Vous lui répondez quoi ?
21:54Je réponds qu'il s'occupe déjà de ces fusées SpaceX
21:57et que l'aviation de combat démontre encore tous les jours qu'elle est utile.
22:03Virgule, il faut lui adjoindre maintenant des drones
22:06car la combinaison des facteurs, comme on dit, en matière d'armement
22:11est la meilleure chose pour réagir à demain.
22:13Donc il y aura des drones de plus en plus, des tout petits,
22:16comme on peut voir aujourd'hui proliférer,
22:18mais aussi des gros drones qui soutiendront l'action des avions de combat.
22:24Et donc c'est bien dans cette voie qu'on s'est engagé…
22:25– À quel horizon ?
22:26– Donc on peut imaginer des avions pilotés…
22:28– 2035, 2033, exactement.
22:30– Par des humains qui commanderaient des drones ?
22:32– Oui.
22:33– Un essai de drones ?
22:34– Ça peut être un essai de drones, ça peut être un…
22:36nous, on est plutôt partis sur des drones furtifs
22:39qui seront capables de soutenir l'action d'un raid aérien,
22:45qu'il soit pour défendre le ciel ou pour attaquer au sol.
22:49C'est cette combinaison-là qu'on est en train de bâtir avec les armées françaises.
22:54– Mais pour 2032, 2035, c'est loin.
22:56– C'est ça.
22:56– Mais c'est le rafale du futur.
22:57– Ah non, c'est court.
22:58– Oui, c'est court, bien sûr.
22:59– Nous, notre échelle de temps, 10 ans, c'est court.
23:01– Et donc le rafale du futur 2032, 2035,
23:06il ressemble à quoi alors ?
23:08C'est un avion de chasse sans pilote, furtif, avec des drones ?
23:11– Non, non, 2035, c'est un avion de combat avec un pilote à bord,
23:15voire deux, puisque ça peut être des mi-places,
23:17qui aura des améliorations de l'ensemble de ses capteurs,
23:21radars, contre-mesures,
23:23qui prendra en compte le retour d'expérience
23:25qu'on peut observer de la part de nos militaires
23:27et qui nous le font savoir pour préparer justement l'avenir,
23:31avec des nouveaux armements
23:32et auxquels on adjoindra un drone furtif
23:36qui permettra une combinaison d'effecteurs,
23:41de capacité de rentrer dans les lignes ennemies
23:43et de survie plus forte.
23:46– Et in fine, c'est toujours le pilote
23:47qui prendra la décision ?
23:49– Dans tous les cas, c'est l'humain qui prend la décision.
23:51Cette décision est partagée entre la préparation de mission
23:54et le commandement,
23:56et le pilote qui effectue sa mission
23:58et qui est capable de savoir s'il doit tirer,
24:02où, comment et à quelle heure.
24:03– Dans le spatial militaire, d'ailleurs, comme dans le civil aussi,
24:07l'Europe semble en tout cas dépassée par les États-Unis.
24:10Est-ce que le combat, il est perdu ?
24:11Est-ce qu'on peut revenir dans la course ?
24:13– Non, je crois qu'il faut être optimiste
24:15sur les capacités en Europe.
24:17Certains pays n'ont jamais arrêté
24:20de développer des capacités.
24:22Je l'ai dit pour la France,
24:24mais les Suédois n'ont peut-être pas fait des moteurs,
24:26mais ils ont continué à développer un certain nombre de matériel en Suède.
24:28Je ne vois pas pourquoi l'Europe ne serait pas capable de le faire.
24:32C'est un problème de priorité.
24:33Par contre, on ne peut pas décréter du jour au lendemain
24:36qu'on veut le faire si on n'en a pas les compétences.
24:38Et les compétences, ce n'est pas simplement des compétences livresques,
24:41c'est une expérience qu'on accumule au fur et à mesure
24:44du développement, des problématiques qu'on a eu à régler,
24:47des problèmes qu'on a eu à régler,
24:49des retours d'expérience des militaires,
24:51j'en parlais tout à l'heure.
24:52Et c'est l'ensemble de ces facteurs
24:54qui font que vous, à un moment donné,
24:55vous avez des compétences.
24:56Donc la France a ses compétences parce qu'elle a fait le choix
24:59d'investir dans son outil de défense.
25:02D'autres pays l'ont moins fait.
25:03La Grande-Bretagne l'a fait,
25:05même s'il y a une forte dépendance avec les États-Unis.
25:08Si d'autres pays veulent se joindre
25:09et développer aussi des capacités,
25:13il n'y a pas de problématique.
25:14Mais vous ne pouvez pas, du jour au lendemain,
25:16si vous avez zéro expérience, dire
25:17je vais être à égalité avec un pays
25:19qui a beaucoup d'expérience,
25:21d'un point de vue militaire ou d'un point de vue industriel.
25:23– Un avion spatial, c'est quelque chose qu'on peut imaginer ?
25:26– Oui, c'est quelque chose qu'on imagine déjà.
25:29Il y en a qui ont le rêve de faire l'Europe de la Défense,
25:31mais on a le rêve de faire un avion spatial.
25:33Donc il faut alimenter les rêves
25:35et faire en sorte que le rêve devienne réalité.
25:39Donc ça prendra du temps.
25:40Par contre, l'avion spatial ne sera pas opérationnel
25:42dans les 10 ans qui viennent ni dans les 20 ans qui viennent.
25:44Je rappelle, notre stratégie,
25:46c'est 10 ans, le rafale et le drone de combat.
25:49Ensuite, c'est le futur avion de combat
25:51qui arrivera après le rafale.
25:53Et puis un jour, on aura besoin aussi
25:55d'aller et d'être capable d'aller opérer dans l'espace.
25:58Ça veut dire que les technologies pour y arriver,
26:00ça débute aujourd'hui.
26:02– Je ne vous sens pas fan, Eric Trappier,
26:03de cette Europe de la Défense.
26:04– J'ai une réserve qui est,
26:07y a-t-il une vraie volonté ?
26:09– Il y a des mots pour aujourd'hui ?
26:12– Pour l'instant, il y a des paroles,
26:13il y a une prise de conscience très certainement
26:15que les États-Unis ne sont pas forcément un allié
26:17pour l'éternité et que par conséquent,
26:20il va peut-être falloir prendre son destin en main.
26:22Mais prendre son destin en main,
26:23quand vous êtes un pays,
26:24ça prend du temps, c'est long.
26:26Mais être capable d'accorder les 26 pays
26:28pour prendre en main leur...
26:29Je pense que c'est très difficile.
26:31– Avec le risque, on ne le voit pas ?
26:33Parce que les commandes ne sont pas encore arrivées, c'est vrai.
26:35– Mais ce n'est pas qu'un problème de commandes,
26:36c'est un problème aussi de concept.
26:38Est-ce que le concept de quelqu'un
26:39qui habite à la frontière de la Russie
26:42est le même qu'un pays
26:44qui est en façade atlantique
26:45ou en Méditerranée ?
26:47On peut dégager sûrement
26:48une stratégie commune de défense,
26:53mais il faut le temps de le faire.
26:54Il faut accorder, il faut discuter.
26:56Donc c'est plus facile pour certains pays
26:59de dire, moi, attendez,
27:00je suis lié avec des Américains,
27:02les Américains viennent.
27:03Alors après, s'ils disent qu'ils ne viennent pas,
27:05effectivement, ça crée un vide
27:06qu'il va falloir remplir.
27:08– Donc à la question, à la double question,
27:10la France doit-elle se réarmer ?
27:12Et la France a-t-elle vraiment
27:13les moyens de se réarmer ?
27:14Vous répondez ?
27:15– Oui, il faut qu'elle se réarme.
27:18Elle l'est déjà.
27:19Elle a déjà un noyau fort
27:20bâti sur des décennies d'expérience.
27:23Donc elle a un avantage
27:25par rapport à d'autres.
27:26Il faut donc pousser cet avantage.
27:29S'il sert à la future Europe de la défense,
27:32tant mieux.
27:33Si l'Europe de la défense
27:34est faite pour neutraliser
27:35la capacité française, c'est non.
27:37Il faut que ça soit un équilibre
27:39qui se bâtisse,
27:40mais ça va se bâtir
27:40sur de nombreuses années.
27:41– Merci à vous, Éric Trappier,
27:43pour cet entretien exclusif.
27:45Vous êtes le PDG de Dassault Aviation.
27:47Merci.
27:48Voilà, c'est la fin de Pourvu que c'est dur,
27:50l'émission qui rend les co-responsables.
27:51Émission tournée depuis l'atelier Covivio
27:53à Paris.
27:54Pourvu que c'est dur,
27:54c'est aussi évidemment du replay
27:56sur Public Sénat.
27:57À très vite.
27:58– Sous-titrage ST' 501
28:07– Sous-titrage ST' 501