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  • 07/03/2025

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Transcription
00:00Bienvenue au Coeur du Crime, un podcast ici des Archives d'Europe 1.
00:08Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la gendarmerie nationale ?
00:18Je m'appelle Jan Kermadek, je suis commandant de gendarmerie.
00:27Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:42L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:57J'accrains que vous n'ayez menti, M. Hastings.
01:06Dit doucement le lieutenant.
01:09Si doucement d'ailleurs que je ne comprends pas tout de suite ce qu'il dit.
01:13Mais avançant sur ma chaise, je tente de rencontrer son regard.
01:18Il me semble grand, les cheveux ébouriffés,
01:23un sourire ironique aux lèvres, les yeux cernés.
01:27Il a environ mon âge, c'est-à-dire une quarantaine d'années.
01:33Mais voyons, écoutez-moi, dis-je en m'efforçant de paraître aussi indigné que possible.
01:40Non, c'est à vous de nous écouter, réplique-t-il sèchement.
01:46Nous pouvons prouver que vous avez menti au moins sur deux points.
01:49Donc, Hastings, votre version pour nous expliquer la mort de votre femme cet après-midi, c'est raté.
01:54Votre alibi ne tient pas.
01:57J'examine le motif du tapis bordeaux et vert que j'ai sous les pieds.
02:02Je cherche le courage pour lutter contre la certitude familière de l'échec
02:07et au bout de quelques minutes, je me sens à cette force pour affirmer
02:12je ne vous ai rien dit d'autre que la vérité.
02:15Aucun des deux policiers, ni le lieutenant Schneider, ni le lieutenant Corsi ne daignent réagir.
02:22Nous sommes tous les trois dans le salon de mon appartement.
02:26Il est près de minuit.
02:29Je suis fatigué, très fatigué et inquiet.
02:34Bon, pas à cause de ce qu'on me reproche, non.
02:36Je n'ai pas encore réalisé que je peux fort bien être accusé du meurtre de ma femme.
02:43Le sergent Corsi se met à parler.
02:46C'est sa première intervention depuis que lui et son collègue sont arrivés une heure auparavant.
02:53Pourquoi ne pas nous raconter ce qui s'est vraiment passé ici ?
02:57Dites-nous ce que vous avez sur le cœur à Stinks, ça vous soulagera.
03:02Je secoue la tête.
03:05Bon, allez ça va, récapitulons.
03:08Intervient le lieutenant Schneider.
03:10Donc vous rentrez chez vous un peu après 17 heures.
03:15Votre femme n'est pas dans l'appartement.
03:17Remarquant que la porte de service de la cuisine est ouverte, vous sortez sur la véranda.
03:22C'est là que vous apercevez le corps de votre femme étendue au pied de l'escalier de service.
03:27Vous descendez quatre à quatre, mais une fois en bas, vous ne pouvez que constater sa mort.
03:32Mort que vous attribuez à sa chute.
03:35C'est bien ça.
03:37Je me passe la main sur le front.
03:40Mais tout ça, je vous l'ai déjà répété plusieurs fois depuis votre arrivée, mais vous persistez à m'interroger.
03:47C'est bien votre version des faits, à Stinks.
03:51Répète le lieutenant.
03:53Oui, c'est bien ça.
03:55Eh bien non, à Stinks.
03:57Votre histoire ne colle pas du tout.
04:00C'est à 16h30 et non à 17h qu'on vous a vu pénétrer dans l'immeuble.
04:05Écoutez, lieutenant, je peux me tromper légèrement sur l'heure.
04:09Ah oui, une erreur d'une demi-heure, c'est pas si léger que ça.
04:14Donc, trouvant votre femme au pied de l'escalier de service, vous tenez comme établi qu'elle a fait une chute.
04:20C'est bien ça.
04:22J'approuve prudemment.
04:25Eh bien, ça non plus, ça colle pas, dit le sergent Corsi.
04:31Oui, bien sûr, elle est tombée, mais elle était déjà morte.
04:37Je l'ai s'échapper à... Comment ?
04:39Mais oui, elle était morte quand on l'a poussée dans l'escalier.
04:45Et comment nous le savons, à votre avis ?
04:48Intervient le lieutenant Snyder.
04:51Eh bien, le médecin légiste est formel.
04:53Votre femme a été étranglée, monsieur Hastings.
04:57Sa mort remonte au début de l'après-midi, vers quinze heures,
05:00c'est-à-dire plus de deux heures avant le moment où vous dites avoir découvert son corps.
05:07Je sens de grosses gouttes de sueur perlées sur mon visage.
05:11Je n'avais absolument pas pensé à ça.
05:14Mon enfôlement a été tel que je n'ai pas réfléchi à ce que je faisais.
05:18Je me suis contenté de traîner le corps de Marie hors de l'appartement
05:22et de tout disposer de façon à rendre plausible une mort accidentelle.
05:27Et surtout, je vous en prie,
05:29épargnez-nous la version où on l'aurait tuée dans la cour arrière, en bas de l'escalier.
05:34Car les gens qui habitent l'appartement du rez-de-chaussée, au-dessous de chez vous,
05:37monsieur et madame Brown, ont emprunté ce passage quelques minutes avant 17h.
05:42Ils auraient donc dû normalement enjamber le corps pour atteindre leur propre porte de service.
05:48Alors, monsieur Hastings, que dites-vous de ça ?
05:53Je ne sais pas.
05:55Je cherche désespérément une échappatoire, mais mon cerveau me paraît complètement vide.
06:02Vous ne revelez pas sur votre déclaration, Hastings ?
06:06Non, non, je vous ai dit la vérité.
06:09Comme vous voudrez.
06:11Les deux policiers se lèvent,
06:14puis le lieutenant Snyder me dit, sur un ton solennel,
06:18« Monsieur Hastings, je vous arrête pour le meurtre de votre femme, Marie Hastings.
06:23Je vous précise que vous pouvez prendre un avocat,
06:26et que vous n'êtes tenu de faire aucune déclaration sans sa présence. »
06:31Il continue de parler, mais je ne l'écoute plus.
06:34Aussi incroyable que cela puisse paraître,
06:37je n'ai jusqu'alors pas imaginé qu'on puisse me soupçonner d'avoir tué Marie.
06:43Complètement hébété, je laisse les deux policiers éteindre les lampes
06:47et fermer la porte d'entrée de l'appartement.
06:51Ils m'encadrent, et nous descendons l'escalier.
06:56Pendant tout le trajet jusqu'au commissariat central,
06:59Corsi, qui partage avec moi la banquette arrière,
07:03ne cesse de me demander doucement,
07:06« Pourquoi vous l'avez tuée ?
07:09Vous vous êtes disputée violemment ? »
07:13Je tourne la tête et le dévisage, sincèrement stupéfait.
07:19« Mais sergent, je n'ai pas tué Marie.
07:22Je l'aimais plus que tout au monde.
07:24Je l'adorais. Comment aurais-je pu ? Et pourquoi ? »
07:30Au commissariat, je suis soumis à un interrogatoire très serré.
07:34Une question chasse l'autre.
07:36J'aime piéger à ce que mes réponses se contredisent.
07:39Je m'en tiens à la version des faits,
07:42admettant seulement avoir pu me tromper sur l'heure de mon retour à la maison.
07:46À une ou deux reprises, je remarque que le sergent Corsi
07:50me dévisage tout en fronçant les sourcils,
07:53exactement comme s'il tentait, mais en vain,
07:57de me faire comprendre quelque chose.
08:01C'est seulement vers quatre heures du matin
08:03que l'on finit par me conduire à la prison,
08:06où je suis enfermé seul dans une cellule.
08:10Bien que je sois à bout de force, je ne parviens pas à m'endormir.
08:15Assis sur le rebord métallique du bas-flanc,
08:17je reconstitue mentalement mon emploi du temps.
08:22Ma journée de travail a été pénible, comme d'habitude.
08:26J'ai vu successivement deux hommes d'affaires
08:28pour leur proposer les services de mon agence de relations publiques.
08:32Je suis passablement abattu et déprimé quand je rentre à la maison.
08:36Après avoir refermé la porte,
08:38la première chose que je vois est le corps gisant de ma femme,
08:41Marie, au pied du sofa dans le salon.
08:46La masse noire de ses cheveux m'empêche de voir son visage.
08:50Je crois d'abord qu'elle est endormie.
08:52En m'agenouillant près d'elle,
08:54je remarque qu'elle n'assurait elle qu'un déshabillé en dentelle anglaise
08:58que je ne l'ai pas vue porter depuis notre lune de miel.
09:01Un an et demi auparavant.
09:04« Marie ! » ai-je murmuré.
09:07« Marie, qu'est-ce qui t'arrive ? »
09:10C'est alors que je vois son visage
09:12et les légères meurtrissures qui souillent la peau blanche de sa gorge.
09:17Ayant attrapé son poignet, j'essaie vainement de trouver son poux.
09:22Mais elle est morte,
09:25ce qui confirme sa chair froide au toucher.
09:29Pendant un long moment, je reste là,
09:33accroupi près d'elle,
09:35regardant fixement son visage si beau,
09:40même dans la mort.
09:43Sorti enfin de ma torpeur,
09:46suffisamment du moins pour balayer la pièce du regard,
09:50je ne remarque qu'une chaise renversée comme trace de lutte.
09:54Mais sur la table basse, il y a deux verres de vodka à moitié vide
09:58et un sac à cendriers contenant quelques mégots.
10:01Ce ne sont pas mes cigarettes,
10:03et Marie ne fumait pas.
10:07Je me relève, je traverse lentement la pièce en direction de notre chambre à coucher
10:11dont la porte est ouverte.
10:13Le matin, avant de partir, j'ai fait impeccablement le lit.
10:17Or, maintenant, il est défait.
10:20« Oh non, non, non ! »
10:23ai-je murmuré en secrant la tête.
10:26Non.
10:29Une foule de détails auxquels j'ai refusé d'attacher de l'importance
10:32au cours des derniers mois s'impose alors à moi.
10:36Les réponses évasives et les regards fuyants de Marie,
10:39le mouvement d'impatience qu'elle a eu en apprenant seulement la veille
10:43que je passerai la journée hors de la ville.
10:46Mais je n'ai pas voulu admettre que Marie ait pu avoir un autre homme dans sa vie.
10:53Je n'ai pas voulu admettre qu'elle ait un amant.
10:58L'échec n'a cessé de couronner toutes mes entreprises,
11:01rien que des petites faillites agaçantes parce que minables.
11:06Et maintenant, après mes insuccès scolaires et professionnels,
11:12mon échec en tant qu'homme.
11:17Pourtant, mon Dieu, si j'avais admis être incapable de retenir ma femme,
11:22comme serait-il resté ?
11:25Rien.
11:28Absolument rien.
11:32M'étant rapproché du lit, j'ai alors rapidement arrangé les draps,
11:36recouvrant les oreillers et effaçant les plis les plus voyants.
11:40Puis, toujours dans un état de lucidité relative, je suis revenu dans le salon.
11:46Après avoir remis la chaise sur ses pieds, j'ai vidé et lavé le cendrier,
11:51puis les deux verres de vodka.
11:53J'ai enfin fouillé le reste de l'appartement, mais en ne trouvant rien d'anormal.
12:01Il ne reste plus que Marie.
12:06Je me suis agenouillé en disant,
12:09« C'est ma faute, mon amour. C'est ma faute.
12:13Je te demande pardon.
12:15Mais je t'aimais pas assez, sans doute.
12:20»
12:21Puis, en dernier ressort, je l'ai prise dans mes bras et portée dehors,
12:25dans la petite véranda de derrière.
12:28Là, après m'être assuré qu'il n'y a personne en bas, dans la cour carrelée de briques,
12:32je me suis planté en haut de l'escalier et,
12:36fermant les yeux,
12:39j'ai laissé dégringoler son corps définitivement inerte.
12:47De retour dans l'appartement, j'ai appelé la police.
12:49« Il a eu un accident, » ai-je dit, « un terrible accident. »
12:53Il est alors dix-sept heures quinze.
12:55Je ne me suis sincèrement pas aperçu que ça fait trois quarts d'heure que je suis rentré.
12:59La police est arrivée.
13:01Le lieutenant Snyder est en tête du cortège.
13:05Au début, lui et ses collègues sont très compréhensifs.
13:10Ils font peut-être semblant de croire ce que je leur raconte,
13:13à savoir qu'une fois sur la véranda,
13:16Marie a dû, pour je ne sais quelle raison,
13:19perdre l'équilibre et tomber à la renverse dans l'escalier.
13:26Les policiers sont partis vers dix-neuf heures.
13:31Je ne me rappelle toujours pas ce que j'ai fait ensuite
13:33entre leur départ et la seconde visite de Snyder et Corsi.
13:39Il me semble que j'ai arpenté l'appartement silencieux,
13:44pénétrant à plusieurs reprises dans la chambre à coucher
13:46pour regarder le lit de nouveau bien arrangé.
13:50Mais je ne suis pas très sûr de ma mémoire.
13:56Je suppose que j'ai dû essayer de me persuader
13:59que mon récit à la police était la stricte vérité
14:02et que le reste n'était que le fruit de mon imagination.
14:08Et surtout que, puisqu'il n'y a plus de preuves
14:11que Marie a passé l'après-midi là avec un homme,
14:15il ne s'est en définitive rien passé.
14:20Ce qui est étrange, c'est que je ne nourris aucune haine excessive
14:25ou fureur particulière envers l'homme qui,
14:29après avoir été son amant, a tué ma femme.
14:34Je n'ai d'ailleurs pas la moindre idée de son identité.
14:38C'est peut-être quelqu'un appartenant au passé de Marie
14:41ou même, pourquoi pas, quelqu'un que je connais
14:44et que je prenais pour un ami.
14:47En fait, je ne vois pas et, à vrai dire,
14:50je ne tiens pas particulièrement à savoir qui est ce quelqu'un.
14:58C'est la dernière pensée dont je me souviens
15:00avant de sombrer dans un sommeil agité sur la paillasse de ma cellule.
15:06On vient me chercher une heure plus tard.
15:08L'interrogatoire reprend.
15:10Au début, je m'efforce de répondre aux questions,
15:12mais bientôt je me contente de rester assis,
15:15les yeux dans le vague, dans cette pièce crasseuse et puante.
15:22Alors le lieutenant Snyder parle.
15:26« Hastings, regardons les choses en face.
15:29De deux choses l'une,
15:31vous vous avez tué vous-même votre femme
15:33ou bien vous essayez de couvrir son meurtrier,
15:35mais dans les deux cas, vous êtes coupable. »
15:41Comment vais-je réagir à une accusation aussi grave ?
15:45Est-ce que je vais me justifier, lui redire encore une fois la vérité ?
15:52Je pense que le lieutenant va être content de ma réaction,
15:57je vous demande quelques minutes avant de lui répondre.
16:09Quand je suis rentré chez moi,
16:12j'ai trouvé Marie, ma femme,
16:14que j'aimais passionnément,
16:17morte.
16:19J'ignorais qu'elle avait une relation avec un autre homme
16:22et plutôt que de laisser la police découvrir l'amant meurtrier,
16:27j'ai préféré simuler une chute dans l'escalier
16:30qui aurait causé sa mort.
16:33Mais mon récit ne convainc pas le lieutenant Snyder
16:36qui hésite entre deux hypothèses.
16:39Ou j'ai tué ma femme,
16:41Marie Hastings,
16:43ou j'essaie de couvrir son meurtrier.
16:47Je dois faire face à cette accusation.
16:56Oui, dis-je, me surprenant moi-même.
17:00Oui, oui, je suis coupable.
17:03Je suis coupable.
17:05Et maintenant, laissez-moi tranquille.
17:10Pendant la période de silence qui suit,
17:13mes yeux s'arrêtent sur le visage du sergent Corsi.
17:18Le regard qu'il pose sur moi,
17:20le même que la veille au soir,
17:23est celui de quelqu'un qui n'est pas convaincu,
17:26qui se creuse la tête pour essayer de comprendre.
17:30Mais cela ne m'inquiète pas outre mesure.
17:33Pour l'instant, je ne pense qu'à savourer pleinement
17:35la vague de soulagement qui m'envahit.
17:39Je suis coupable.
17:41Coupable d'avoir manqué de maturité,
17:43coupable d'avoir été plutôt grotesque,
17:46ridiculisé par une femme aimée à la folie.
17:50Et ça, pour moi,
17:52c'est pire que d'être accusé de meurtre.
17:58Après m'avoir permis de regagner ma cellule,
18:02on ne me dérange plus pendant plusieurs heures.
18:06Au moment de déjeuner, je me trouve suffisamment d'appétit
18:08pour faire honneur au plat froid
18:10qui m'est servi sur une assiette en fer blanc.
18:15Lorsque j'ai fini de manger,
18:16je bois à petite gorgée un café plutôt léger.
18:20Ensuite, je me sens presque,
18:23oui, presque bien.
18:27C'est difficile à expliquer.
18:30Comment est-ce qu'on peut être bien
18:32alors qu'on est inculpé pour meurtre
18:34et à peu près sûr de passer le restant de ses jours en prison,
18:38accusé d'un crime qu'on n'a pas commis,
18:40qu'il est impossible qu'on ait commis ?
18:45Ma vie est foutue.
18:48Mes parents et les quelques amis que j'ai vont me mépriser.
18:52Des milliers, des millions de gens
18:55qui ne m'ont jamais vu
18:56et qui n'ont jamais entendu parler de moi
18:58vont se mettre à me haïr et à me maudire.
19:02Moi, l'assassin.
19:06Mais je sais qu'aucun d'entre eux
19:08n'ira jusqu'à se moquer de moi.
19:10Je le sais.
19:13Quant à ce que pense le véritable meurtrier,
19:16j'imagine que la recherche d'un moyen
19:18de sauver sa propre peau
19:19ne lui laisse guère le loisir de se moquer de moi.
19:23Voilà pourquoi, malgré tout,
19:25je sens qu'une certaine quiétude s'installe en moi.
19:32C'est vers la fin de la journée
19:33qu'on vient me chercher dans ma cellule.
19:35Le sergent Corsi veut me parler.
19:39« Je voudrais vérifier un point avec vous »,
19:42me dit-il.
19:45J'observe son visage plutôt mince
19:48et au teint olivâtre.
19:51« Vous m'avez dit être rentré chez vous
19:53vers deux heures trente hier après-midi.
19:57Vous et madame Astings,
19:59vous vous êtes disputés à propos d'argent.
20:02Elle désirait s'acheter un manteau de fourrure, c'est ça ?
20:05Cette dispute vous a mis hors de vous,
20:08vous l'avez saisie à la gorge
20:11et vous l'avez étranglée.
20:14Et quand vous avez réalisé qu'elle était morte... »
20:19Je me suis affolé.
20:20Je suis sorti en courant
20:21et j'ai roulé en voiture sans plus m'arrêter
20:23jusqu'à ce que je trouve le moyen de m'en sortir au mieux.
20:27« Ah ! Et c'est ainsi que vous avez décidé
20:31de monter cette mise en scène de l'accident ?
20:35Vous vous êtes figuré que c'était mieux
20:38que de prendre la fuite.
20:40C'est à peu près ça, monsieur Astings ? »
20:45J'approuve d'un signe de tête.
20:48Corsi ne m'en demande pas plus.
20:50Il se lève de ma paillasse et sort sans un mot.
20:56« Ce qui s'est réellement passé ?
21:00Eh bien, je suis encore en banlieue la veille à quatorze heures trente.
21:06Mon dernier rendez-vous s'est achevé aux alentours de quatorze heures.
21:10Ensuite, je suis allé prendre une bière dans un bar
21:12où je suis resté près d'une heure à méditer.
21:15Mais c'est la première fois que je mets les pieds dans cet endroit,
21:18donc il n'y a aucune raison pour qu'on se souvienne de moi.
21:25Après la sortie du sergent Corsi, je hausse les épaules
21:28et je m'étends sur ma couchette.
21:31En attendant que le gardien m'apporte mon repas du soir,
21:35je me mets à penser à Marie.
21:39À Marie, si belle, si séduisante.
21:46J'ai peine à croire que je ne la reverrai plus jamais,
21:49que je ne tiendrai plus jamais dans mes bras son corps flexible.
21:55Oh, mon Dieu, que je l'ai aimée !
21:59Et maintenant, elle est à moi pour toujours.
22:04D'une certaine façon, notre intimité est même plus grande
22:09qu'elle ne l'a jamais été auparavant.
22:13Lentement, je me laisse retomber sur ma couchette.
22:17Je ferme les yeux et je vois Marie qui me sourit tendrement
22:23et qui s'approche de moi, les bras ouverts, les yeux brillants.
22:32La nuit s'écoule, puis la journée du lendemain, puis la nuit suivante.
22:38Personne ne m'approche en dehors du gardien qui m'apporte mes repas.
22:44Je commence à apprécier cette tranquillité que la prison est seule à pouvoir offrir.
22:50Je n'ai plus de décision à prendre, plus de soucis professionnels,
22:54ni de rendez-vous ratés.
22:56Même si je le voulais, je ne trouverai rien d'autre à faire dans aucun domaine.
23:02Je suis avec Marie pour toujours.
23:06Et je n'ai finalement aucune autre exigence.
23:12C'est presque avec plaisir que j'attends mon emprisonnement définitif.
23:19Le troisième jour de ma détention, après le déjeuner,
23:22deux policiers que je ne connais pas viennent me chercher.
23:26Ils se bornent à répondre à mes questions par des hauchements de tête,
23:30mais ils ne me paraissent pas mal disposés envers moi.
23:34L'un d'eux ne cesse de sourire tout le temps qu'il nous faut pour aller au commissariat central.
23:40La lumière me blesse les yeux quand nous traversons la grande pelouse qui sépare les deux bâtiments.
23:46Le lieutenant Snyder est là pour m'accueillir, son sourire est lugubre.
23:51Corsi est adossé au mur près de la porte.
23:55Snyder finit par parler.
23:59Le sergent Corsi a vérifié d'un peu plus près votre emploi du temps, Hastings.
24:04Au moment où on assassinait votre femme, il se trouve que vous étiez à l'auberge des Trois Chênes.
24:10Vous avez voulu acheter un paquet de cigarettes,
24:13et la serveuse vous a dit d'aller les demander directement au comptoir.
24:18Le barman se souvient de vous parce que vous n'aviez qu'un billet de vingt dollars
24:21et qu'il a été obligé d'aller faire de la monnaie.
24:26Je m'assois sur la chaise qui est derrière moi et j'enfouis mon visage dans mes mains.
24:33J'en déduis donc que si vous étiez dans cette auberge à quinze heures,
24:37vous ne pouvez pas être l'assassin de votre femme.
24:42Tamara Derrick, ça vous dit quelque chose ?
24:46Je secoue la tête en silence.
24:49Tamara Derrick est le meurtrier de votre femme,
24:53après avoir été son amant.
24:56La vérité est dure à entendre, Hastings, n'est-ce pas ?
25:03Je regarde loin, loin, par la fenêtre.
25:10Ce sentiment que je connais bien, ce sentiment de la défaite, m'envahit de nouveau.
25:18Je l'avais oublié pendant ces trois jours passés en prison.
25:23Une fois de plus, j'ai échoué.
25:28Vous êtes libre, Hastings, déclare avec solennité le lieutenant Snyder.
25:35Vous devez votre salut au sergent Corsi.
25:40Hastings, vous aimiez votre femme comme j'aime la mienne,
25:46me dit le sergent Corsi.
25:49Quand vous m'avez dit que vous l'aviez tuée, je ne vous ai pas cru,
25:54tout simplement parce que, voyez-vous, moi, jamais je ne pourrais tuer ma femme.
26:02Mais il est vrai que ma femme ne me trompe pas.
26:09Je me dirige vers lui.
26:12Merci sergent, merci infiniment.
26:15Oh, pour votre femme, j'espère que vous n'aurez jamais à changer d'avis sur elle.
26:23Je le regarde avec insistance, en souhaitant qu'il ait le temps de sentir ma haine peser sur lui.

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