C’est l’histoire d’un mec qui s’interroge sur les blagues qu’il raconte. Devenu humoriste sur le tard, il s’est fait connaître pour son humour noir, parfois acide. Sur France inter puis Canal +, en mercenaire de la blague, il offre ses services : on lui demande de dézinguer les autres, et il le fait, jusqu’à ce qu’il parte ou se fasse virer. A l’heure où il publie « Fini de rire » où il se confie sur ses déboires amoureux, au micro de Rebecca Fitoussi il revient sur son amour pour l’art dramatique. Que faire de la part de méchanceté qui sommeille en nous ? Comment manier les mots et leur pouvoir détonateur ? Quel regard porte-t-il sur les humoristes et l'état du rire en France ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Stéphane Guillon, dans l’émission « Un monde, un regard ». Année de Production :
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00:00Contrairement à ce que vous pensez, vous ne rirez pas avec mon invité aujourd'hui.
00:26On ne rit plus avec lui.
00:27Ou alors si.
00:28Mais plus de la même manière.
00:30On ne rit plus en se moquant des autres, on rit et il nous fait rire en se moquant
00:33de lui-même.
00:34En ironisant sur ses faiblesses, ses lâchetés, ses turpitudes, ses échecs amoureux.
00:39C'est son humour juif à lui, dit-il.
00:41Depuis la publication de son livre Fini de rire, il montre un nouveau visage.
00:45Celui d'un clown fragile, hypersensible, avec pas mal de regrets sur les vannes, que
00:50dis-je, sur les balles calibre 50 qu'il était capable d'envoyer dans le cœur des
00:53invités des plateaux télé ou radio.
00:55Un exercice qu'il a finalement un peu subi, qu'on lui a imposé parce qu'il était
00:59bon pour « désinguer les autres », comme il dit.
01:02Cet exercice, il l'a mis de côté pour revenir à son premier métier, choisi dès
01:06le plus jeune âge, celui d'acteur, d'acteur de théâtre.
01:09Dans un rôle sombre en ce moment, encore un, tiens tiens.
01:13Et oui, il est encore le méchant de l'histoire, à croire que ça le poursuit.
01:16Mais peut-être que cette fois-ci, il l'est au service d'une cause, au service de la
01:20grande histoire.
01:21Et puis, est-il le seul méchant de l'histoire ?
01:24Posons-lui toutes ces questions, bienvenue dans « Un monde, un regard ».
01:27Bienvenue Stéphane Guillon, merci d'avoir accepté notre invitation ici au Sénat,
01:30au Dôme tournant.
01:31À l'affiche d'un grand classique de la littérature épistolaire, inconnu à cette
01:34adresse, de Catherine Cressman Taylor, au Théâtre Antoine, mise en scène de Jérémy
01:38Lippmann.
01:39Je résume en quelques secondes, pour les gens qui ne connaîtraient pas l'œuvre.
01:41On est dans les années 30, Max et Martin, amis de longue date, prennent des chemins
01:45différents.
01:46Max est juif, il reste aux Etats-Unis, Martin repart vivre dans son pays d'origine, l'Allemagne,
01:51il assiste et il adhère au nazisme qui est en train de monter dans le pays.
01:55Nous assistons à la mort de leur amitié par correspondance, et pas seulement à la
01:59mort de leur amitié, et vous, vous jouez Martin, celui qui adhère à l'idéologie
02:03nazie.
02:04Vous êtes encore le méchant de l'histoire Stéphane Guillon, est-ce que c'est un hasard ?
02:08Oui, je pense que c'est un hasard encore que jouer les méchants, jouer les crapules,
02:19jouer parfois les doudingues, ce qui m'est arrivé aussi, jouer les valets, c'est toujours
02:26beaucoup plus intéressant, beaucoup plus truculent.
02:29La palette est beaucoup plus grande que de jouer des jeunes premiers qui parfois sont
02:36fades.
02:37Je pense en plus que ce qui est intéressant quand vous jouez un méchant, c'est justement
02:43de ne pas jouer un méchant, c'est de jouer quelqu'un d'ordinaire avec une sensibilité
02:51qui va être entraînée dans quelque chose d'ignoble, là, en l'occurrence, une idéologie
03:01fasciste et dévastatrice.
03:03Mais au départ, et c'est la force aussi de la mise en scène de Jeremy Lipman, les
03:09deux personnages sont très bonhommes, très joyeux.
03:13Mon personnage fanfaronne sur sa richesse, sa nouvelle installation en Allemagne, sa
03:20maison, ses écuries, ses dépendances, son personnel, ses meubles.
03:24La discussion est comme ça.
03:27Et peu à peu, notamment sur cette deuxième lettre, qu'il ne faut pas rater et qui est
03:34assez difficile à jouer, où il commence à se demander si cet homme qui arrive au
03:42pouvoir, Adolf Hitler, est quelqu'un de bien ou un doudingue, est-ce qu'il est bon
03:49pour l'Allemagne ? Est-ce qu'il est mauvais ? Est-ce qu'il va se transformer en ange
03:53de la mort ? Et il s'interroge.
03:55Et puis, peu à peu, au fil des correspondances, il va vraiment verser dans la face obscure.
04:03Oui, parce que je disais que vous étiez le méchant de l'histoire, mais c'est effectivement
04:06plus subtil que cela.
04:07Max, Martin, Martin, Max, finalement, l'autre devient aussi un peu le méchant de l'histoire
04:13puisqu'il va se venger de votre personnage.
04:16Vous nous expliquez pourquoi, comment ?
04:20J'ai eu une histoire d'amour avec sa sœur, Griselle, et elle arrive en Allemagne.
04:28Elle est comédienne, elle est juive.
04:32Elle va monter sur scène en Allemagne et elle va revendiquer sa judaïté, ses origines.
04:43Et ça va évidemment lui porter préjudice, même plus que ça, puisqu'elle va être
04:54harcelée, pourchassée par des S.A. qui vont la massacrer devant les portes de mon
05:01domaine, où elle vient à un moment donné, elle m'appelle au secours et je ne vais pas
05:09lui ouvrir la porte.
05:10Je vais la laisser se faire massacrer sous mes yeux, presque, quasiment.
05:15Et Max se vengera, de façon méthodique ?
05:18On ne va pas dévoiler comment, mais Max, de façon extrêmement intelligente, fine,
05:26se venge, m'envoie à la mort.
05:29Franchement, Max, je crois qu'à nombre d'égards, Hitler est bon pour l'Allemagne,
05:33mais je n'en suis pas sûre.
05:34Il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d'un fanatique.
05:39Mais je m'interroge, est-il complètement sain d'esprit ?
05:42C'est ce passage-là dont vous parliez tout à l'heure.
05:43C'est la deuxième lettre.
05:44Exactement.
05:45Et moi, quand j'entends ces mots, j'ai l'impression d'entendre des interrogations
05:49très contemporaines, venant de peuples français ou étrangers, sur ces orateurs, ces grands
05:56dirigeants ou futurs dirigeants, qui ont l'air de faire le bien pour leur peuple.
06:00Est-ce que ça vous semble contemporain ?
06:02Est-ce que ça vous rappelle des acteurs politiques d'aujourd'hui ?
06:05Ça peut rappeler, évidemment, Vladimir Poutine et d'autres, oui.
06:14De toute façon, quand on prend le pouvoir ou quand on essaye de prendre le pouvoir sur
06:22le rejet des autres, on crée une idéologie qui va se révéler très vite meurtrière.
06:34C'est évident.
06:36Mais sur la résonance de la pièce, je me souviens que, parce que je l'ai déjà jouée
06:40il y a une dizaine d'années, il n'y avait pas du tout la même résonance dans la salle.
06:45Et aujourd'hui, comme hier soir encore, où toute la salle était debout à la fin du
06:49spectacle, c'est vrai qu'avec Jean-Pierre Daroussin, on se regarde et même nous, je
06:58dois dire.
06:59Il n'y a pas un soir où on n'est pas cueilli par ce que nous renvoie à la salle.
07:06Et dans une carrière d'acteur, c'est très rare.
07:10C'est très rare de pouvoir avoir la chance à la fois de défendre un texte comme ça,
07:16de délivrer aussi quelque part un message.
07:19Puisque, je ne sais plus, il y avait eu un sondage comme quoi, aux sorties des écoles,
07:2560 % des élèves ne savaient pas ce que voulait dire le mot Shoah, donc il y a en plus une
07:29fonction didactique dans ce concept.
07:32Moi, je suis ravi qu'on ait des scolaires, par exemple, parce qu'il est quand même bon
07:37de rappeler aux gens, puisque certains veulent faire tout un travail d'effacement de la
07:45mémoire en terrorisant des professeurs dans les lycées, en faisant monter des négationnistes
07:53sur scène, suivez mon regard.
07:54Oui, nous, on a cette possibilité-là, aujourd'hui, dans un contexte très particulier, de délivrer
08:03un message fort, en disant finalement, la violence et l'intolérance qu'il y a aujourd'hui
08:08dans notre société, c'est la même qu'il y a 70 ans, et c'est très banal, une banalité
08:15de dire ça, mais finalement, on prend les mêmes et on recommence.
08:18Qu'est-ce qui a changé entre quand vous jouiez cette pièce il y a 10 ans et aujourd'hui,
08:22vous dites qu'on sent que ça entre en résonance, davantage aujourd'hui qu'il y a 10 ans,
08:26qu'est-ce qui s'est passé pour ça ?
08:27Je pense que le 7 octobre a beaucoup joué, parce que finalement, le 7 octobre, en tout
08:35cas c'est mon point de vue, le 7 octobre, moi si vous voulez, pardon, je fais une digression,
08:44mais j'ai souvent dit à des gens de la génération de mon grand-père, mais comment, comment
08:50vous n'avez rien vu ? Ça me paraissait fou.
08:53Et finalement, j'avais cette utopie de me dire que dans ce 21e siècle, on avait tourné
09:01une page.
09:02Et ce que disent finalement les événements du 7 octobre, c'est qu'on n'a pas tourné
09:09la page.
09:10C'est-à-dire qu'on est capable aujourd'hui, encore en 2024, 2023, d'organiser un pogrom,
09:18c'est-à-dire d'organiser un massacre de civils avec la plus grande violence.
09:24Et ça, je pense que c'est un marqueur très fort, c'est un retour en arrière, en se disant
09:31que la barbarie est toujours la même.
09:34Moi, ça m'a beaucoup interpellé.
09:39Et je pense que ça interpelle aussi les gens qui sont dans la salle, d'où la résonance.
09:45Menons-en à ce livre que vous avez écrit, Fini de rire, parce que vous avez un art oratoire
09:52que vous avez largement utilisé, parfois il a abîmé des gens, et vous avez confié
09:56vos regrets, notamment dans ce livre, qui est un succès en librairie, précisons-le,
10:02les papiers où vous étriez les artistes, notamment, vous les regrettez, je pense à
10:06Michel Delpêche et Vincent Delerme.
10:07Est-ce que ce livre a aussi été une façon pour vous de présenter vos excuses à ces
10:11gens que vous avez eu le sentiment de blesser ?
10:13Et est-ce que ces excuses ont été entendues ?
10:14Je l'avais fait avec Michel Delpêche, qui était revenu faire une émission, et je voyais
10:19qu'il était mal parce qu'il voyait que j'étais là de nouveau.
10:23Il avait peur ?
10:25J'ai été voir Delpêche, je lui ai dit que le papier était indigne, il était gratuitement
10:32méchant, et je m'en excuse.
10:35Et il m'a regardé et il m'a dit merci.
10:39Et du coup, il a fait l'émission très détendue.
10:42Enfin, beaucoup plus détendue.
10:43Et ce livre, ce sont des excuses à tous les autres ?
10:47Non, pas tous les autres, parce que moi, par exemple, je ne me suis jamais excusé,
10:51je pense que je n'ai pas à m'excuser face aux hommes politiques que j'ai étriés,
10:55parce qu'ils sont capables de se défendre.
10:56Après, Guy Bedos m'avait dit cette phrase qui a mis du temps à infuser dans ma tête
11:01« Méfie-toi de certaines cibles ».
11:03C'est-à-dire que face à des gens qui savent se défendre, vous pouvez porter le fer, mais
11:07porter le fer sur des gens, je ne dis pas que Michel Delpêche ne savait pas se défendre,
11:12mais voilà, il était dans un moment creux de sa carrière, où il chantait sur des paquebots,
11:18Croisière Paquet, et je l'avais épinglé là-dessus, ce qui était veul de ma part,
11:26dans le sens où, ce que je comprends aussi aujourd'hui, c'est qu'une carrière,
11:30et j'ai eu des traversées du désert, c'est ça, et que Michel Delpêche, ça reste un
11:35chanteur immense, et l'avoir épinglé sur un moment où il était dans le creux de la
11:39vague, c'était juste un coup de… Vous savez, ces petits chiens qui mordent au mollet, quoi.
11:43Les roquets, voilà.
11:44Sauf que, cet humour méchant, vous dites que vous l'avez fait sur commande, on m'a
11:48demandé de dézinguer les autres, je l'ai fait et j'y ai pris goût.
11:50Est-ce que c'est aussi, c'était aussi une époque où la télé avait envie de changer
11:56d'image, d'être un média moins flatteur, et d'être un peu plus trash, un peu plus
12:01rock'n'roll, et qu'on vous a demandé de participer à cela ?
12:04C'est drôle ce que vous dites, parce qu'en vérité, c'est vrai qu'on oublie, mais
12:08en 2003, quand je fais ce travail de détrier les invités, personne ne l'a fait avant
12:16moi.
12:17Et je me souviens que les attachés de presse, les artistes qui venaient, étaient totalement
12:21choqués quand Sylvie Vartan vient avec ses deux attachés de presse, qui sont devenus
12:26les miens après, et son fan club, parce qu'ils venaient, ils arrivaient dans les émissions
12:30avec les fan clubs.
12:31C'est-à-dire que les gens qui étaient dans le public, c'étaient des gens qui
12:33adoraient Sylvie Vartan, et que moi je désingue son autobiographie, il y avait une sorte
12:40de sidération, c'est-à-dire qu'ils me disaient, c'est qui ce jeune con, qui n'a
12:44jamais rien fait de sa vie, et qui se permet de dire que l'autobiographie de Sylvie Vartan
12:51est nulle.
12:52Mais ça plaisait à tout le monde, et ça arrangeait tout le monde, vous donniez un
12:54côté trash à la télé !
12:55C'était le début, mais j'ai l'impression que j'ai mis le verre dans le fruit, parce
13:03que l'émission de Stéphane Bern, elle était Bon Enfant, évidemment il y avait
13:11moi le sale gosse, mais ça restait Bon Enfant, et après on a ouvert une porte, je ne sais
13:16pas si c'est nous qui l'avons ouverte, une sorte de buzz pour le buzz, de désinguer
13:21les gens, de tribunaux médiatiques, qu'on peut voir dans certains talk-shows, avec l'absence
13:28de la personne, c'est-à-dire que la personne ne peut pas se défendre, alors que moi j'avais
13:30quand même l'invité en face de moi, et finalement je...
13:34Vous vous sentez une responsabilité ?
13:36Non, non, quand même pas, mais c'est vrai que la télé a pris ce virage-là à ce moment-là,
13:43parce que ça ne se faisait pas, il y avait une sorte de respect sacral, c'était les
13:49artistes et c'est sacralisé.
13:51Après le 7 octobre dont vous parliez tout à l'heure, Guillaume Meurisse, lui a été
13:55renvoyé de France Inter à cause d'un texte très violent sur Benjamin Netanyahou, qu'il
13:59n'a pas regretté et qu'il a refait, et alors c'est intéressant parce que vous dites d'un
14:03côté que vous ne l'auriez pas renvoyé, vous, Guillaume Meurisse, vous dites en revanche
14:07qu'il a peut-être mal choisi le moment et qu'il a manqué de talent, ça veut dire que
14:11dans votre logique à vous, toutes les blagues sont possibles, mais attention au moment et
14:16attention à qui la prononce, attention aux intentions derrière, c'est quoi la logique
14:19d'ailleurs ?
14:20La logique c'est que nous sommes des humoristes, nous sommes là pour faire rire, pour distraire
14:26les gens, et qu'on parlait de porosité à l'instant, quand les humoristes, certains
14:33humoristes sont devenus des éditorialistes, défendant parfois les idées politiques,
14:41et qu'à ce moment-là, pour moi, ils ne font plus leur métier, ça c'est la première
14:47chose, et je pense que celui qui a mis encore le verre dans la pomme c'est Dieu Donné,
14:51qui à un moment donné quitte l'humour pour faire des meetings, pour faire passer des
14:55idées, et parfois totalement nauséabondes, et après vous avez les artistes qui sont
15:02encartés politiquement, là aussi ils ne font plus leur métier, ils défendent une
15:06chapelle, j'estime, enfin je pense sans faire de théorie sur l'humour, que nous sommes
15:12des bouffons et qu'on est là pour taper sur la droite quand la droite déraille, taper
15:17sur la gauche quand la gauche déraille, et en aucune façon faire passer un message politique
15:21ou des idées.
15:22Oui, je ne l'aurais pas viré, pour répondre à votre question, parce que je suis pour
15:26une liberté d'expression totale, et je pense que quand on vire les gens, on en fait des
15:31victimes, on en fait des héros, et que c'est trop d'honneur, là, pour le coup, et qu'il
15:36fallait juste le garder, qu'ils continuent à faire ces textes, et puis voilà.
15:43J'ai un document à vous proposer, Stéphane Guillion, je vais vous le faire découvrir
15:48et puis je vais le décrire pour les gens qui nous écoutent, c'est un document qui
15:51nous vient de nos partenaires, les archives nationales, c'est une très vieille photo
15:54de la fée électricité, fresque de Raoul Dufy, évoquant symboliquement toute l'histoire
15:59de l'électricité, c'est l'un de ses chefs-d'oeuvre, à l'aide d'une lanterne
16:02magique, Dufy a projeté ses dessins et reporté leur contour à l'encre, puis peint à l'huile
16:07et à l'eau.
16:08Ce décor commandé par la compagnie parisienne de distribution d'électricité, il s'agissait
16:13alors de célébrer au pavillon de la lumière de l'exposition universelle de 1937, l'invention
16:18qui a éclairé notre quotidien, et je vous en parle parce que Raoul Dufy est un artiste
16:22qui a marqué votre famille.
16:24Mon père, enfin mon père, mon grand-père était le marchand de Dufy, mais ils étaient
16:32deux, et mon grand-père a fait le catalogue des peintures et des aquarelles et ma mère
16:37après, après, après la succession de mon grand-père, ma mère a fait le catalogue
16:40des dessins et des encres, donc oui, Raoul Dufy, il y en avait beaucoup sur les murs
16:46et il y avait beaucoup de peinture sur les murs.
16:50Les gens ne le savent peut-être pas, mais toute votre enfance, vous avez baigné dans
16:54l'art, dans la peinture, votre mère, Fanny Guillon Lafaye, était galeriste, le grand-père
16:58de votre mère était aussi un auteur dramatique.
17:00Oui, Jean-Carol.
17:01J'y vois quand même une continuité dans votre parcours, vous êtes un artiste aujourd'hui,
17:06finalement ça vient pas de nulle part.
17:07Oui, et puis le frère de ma mère aussi a fait une carrière d'auteur, chanteur, compositeur,
17:13donc oui, il y a eu pas mal d'artistes dans la famille et Jean-Carol a écrit des pièces
17:20pour Lucien Guitry, pour Sarah Bernard, d'ailleurs c'est drôle, mais le jour où j'ai perdu
17:27mon grand-père, je me promenais, j'adorais mon grand-père maternel, je me promenais sur
17:34le pont qui surplombe le cimetière Montmartre et mon regard a regardé deux tombes, mais
17:41vraiment, et c'était celle de Sacha et Lucien Guitry, donc il y avait une sorte de...
17:45J'aime bien ces moments de vie, ces signes qui vous sont envoyés, c'était très fort.
17:52L'art plutôt que l'école, puisque l'école c'était pas votre truc, vous étiez élève
17:56à Sainte-Croix-de-Neuilly, établissement d'enseignement catholique et vous avez tout
17:59de suite été perdu.
18:00J'étais très mauvais partout, on m'a même donné le prix de bonne volonté, comme l'eau
18:05de consolation, j'étais inapte au système scolaire, vous aviez tout de suite un côté
18:09un peu à part, un peu marginal, un peu rebelle.
18:12Je sais pas si j'étais à part et rebelle, mais en tout cas, oui, je me souviens avoir
18:19été totalement perdu dans ce système scolaire et qu'aucune solution de remplacement ne
18:27m'a été proposée.
18:28Et j'en ai nourri une colère très forte parce que ces époques incroyables où les
18:35enfants sont des éponges, j'aimerais lire la musique, j'aimerais jouer d'un instrument,
18:41j'aimerais parler trois, quatre langues étrangères, ce qui n'est pas le cas et ce qui aurait
18:46pu être le cas si on m'avait juste intéressé et on ne m'a pas intéressé.
18:51On m'a fait faire des équations au second, troisième degré qui ne me servent pas.
18:54Donc voilà, j'espère que l'école a évolué.
18:59Par exemple, la diction, c'est un truc qui est tellement important, la diction.
19:03Il n'y a pas de cours de diction, mais l'oralité.
19:05Moi, j'ai fait de la formation pour des gens qui montaient sur scène et tout d'un coup,
19:08ils ne savaient même pas parler, ils ne savaient même pas se tenir.
19:10Mais la façon dont vous vous présentez, dont je vous réponds déjà, ça s'apprend.
19:17À l'allure de celui que vous êtes aujourd'hui, quel conseil donneriez-vous au petit garçon
19:22que vous étiez ? Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'il ne se lance dans la vie ?
19:24De travailler et de ne pas se prendre au sérieux.
19:32Vous vous êtes pris au sérieux ?
19:36Ouais.
19:36À quel moment de votre vie ?
19:38Souvent.
19:39Et c'est fini ?
19:41J'espère.
19:42Vous n'en êtes pas sûr ?
19:44Non, parce que justement, l'idée quand on prend de l'âge, c'est de ne plus avoir de certitude,
19:50de juste avoir des espoirs et de comprendre.
19:54Finalement, c'est aussi tout ce qu'il y a dans mon livre, c'est à un moment donné,
19:59comprendre pourquoi on est parti dans un schéma affectif aussi compliqué,
20:06pourquoi on a fait des choix de carrière parfois aussi compliqués.
20:10Et sinon, si on recommence sans arrêt les mêmes erreurs, ça ne sert à rien, je pense.
20:19L'école étant compliquée, vous vous inscrivez à des cours de théâtre.
20:21Vous dites, j'avais envie d'être acteur, mais je n'avais aucune culture théâtrale.
20:25Vous essayez des rôles dramatiques, mais c'est consternant, dites-vous.
20:28Ce n'est pas moi qui le dis, c'est vous.
20:29Et le déclic, c'est quand vous faites rire tout un public pour la première fois
20:33en jouant le rôle d'un valet de comédie.
20:34Je voulais être Gérard Philippe, j'ai dû me résoudre au fait d'être un comique.
20:38Il y a presque du dépit dans cette phrase.
20:40Ce n'est pas déshonorant ?
20:41Non, il n'y a pas de dépit.
20:44Non, il n'y a pas du tout de dépit parce que j'adore faire rire.
20:47Oui.
20:48Et je trouve que d'abord, tout le monde n'est pas capable de faire rire.
20:54Mais les grands acteurs comiques ont été des grands acteurs dramatiques.
20:57Je parle de Michel Serrault, je parle de Coluche.
21:00Alors que l'inverse est beaucoup plus compliqué.
21:03Vous avez des grands acteurs tragiques qui sont incapables de jouer la comédie.
21:08Et en plus, je pense que ce soit dans La Flèche, dans La Varbe ou Sganarelle,
21:14ce sont souvent évidemment des valets de comédie,
21:17mais des personnages qui ont une fêlure très importante.
21:22Et c'est comme ça qu'il faut les jouer d'ailleurs.
21:24Le cours de théâtre, ça tourne pas très bien non plus.
21:27Vous êtes renvoyé par Jean-Laurent Cochet
21:28parce que vous refusez de suivre les cours de son amoureux,
21:31que vous trouvez très mauvais comédien et puis très mauvais prof.
21:33Résultat, vous dites, renvoyé du lycée, renvoyé de chez Jean-Laurent Cochet,
21:37renvoyé d'Inter, renvoyé de Canal, j'ai passé ma vie à être renvoyé.
21:40Vous êtes viré, mais vous revenez toujours.
21:42Vous êtes têtu, vous passez par une autre porte.
21:44Oui, je remets de mes cendres, c'est le phénix.
21:50Oui, mais c'était douloureux d'être viré d'un cours de théâtre.
21:53Parce que virer du lycée, c'était drôle.
21:56Mais virer de là où je voulais être, ça a été compliqué.
22:02Mais j'ai un problème avec ça, j'ai un problème avec l'indignation.
22:06C'est-à-dire que...
22:08Vous ne savez pas vous taire. Vous êtes indigné, vous le dites.
22:10Oui, je suis indigné, ça sort.
22:11Et c'est un problème de famille.
22:13Mon père était comme ça, mon oncle était comme ça.
22:15On a une sorte de truc comme ça qui boue en permanence.
22:18Et il y a des fois, maintenant, je me réfrène, je me dis, ferme ta gueule.
22:21Ne dis rien, tout va bien.
22:23C'est peut-être là où j'ai un peu progressé,
22:26c'est ce moment où je me dis, ouh là, attends.
22:30Tais-toi.
22:30Attends, tais-toi.
22:32Passe la nuit dessus.
22:34Tu verras si tu dissous l'Assemblée, mais d'or.
22:37Et puis, sans ces échecs, vous ne seriez pas là où vous êtes aujourd'hui.
22:43Oui, mais je serais ailleurs.
22:44Vous seriez où ?
22:45Je ne sais pas.
22:47C'est une question.
22:47À la comédie française.
22:49C'est ce que vous auriez rêvé de faire ?
22:50Oui.
22:53Ben ouais.
22:55Moi, j'aurais rêvé de faire une carrière classique.
22:58Il n'est peut-être pas trop tard, mais c'est tout ce que j'aime.
23:04J'ai des photos, maintenant, à vous proposer, Stéphane Guion.
23:09La première, c'est celle-ci, c'est celle de Paul de Saint-Cernin,
23:12jeune humoriste qui est un peu le sniper des plateaux du moment,
23:15un peu comme vous à une autre époque.
23:16Lui aussi, il envoie des vannes sans prévenir.
23:18Il peut faire mal à certains invités.
23:20Vous auriez un conseil à lui donner ?
23:21Le même que peut-être Guy Bedos ?
23:23Méfie-toi de certaines cibles.
23:25Non, je n'ai pas de conseil à donner.
23:27Non, je sais qu'il a beaucoup, beaucoup de succès.
23:29Et tant mieux.
23:30Tant mieux pour lui.
23:31Pas de conseil à lui donner ?
23:32Même pas d'attention ne reste pas trop longtemps dans ce rôle du méchant ?
23:35Mais vous pensez qu'il est vraiment méchant, lui ?
23:38Il est moins méchant que moi, j'ai l'impression.
23:39Il est peut-être plus malin que moi.
23:42La nouvelle génération est plus maline.
23:45Deuxième photo.
23:47Alors, il s'agit des tournesols de Van Gogh
23:49aspergés de soupe par des militants écolos
23:52au National Gallery de Londres.
23:53C'est la deuxième fois que ça se produit.
23:55Ceux qui l'ont fait la première fois ont été condamnés à deux ans de prison ferme.
23:59Et là, je m'adresse au fils d'une galeriste, amateur d'art.
24:02Quel regard vous portez là-dessus ?
24:06Je pense qu'il y a d'autres façons.
24:10Je ne pense pas que ce soit la bonne, vraiment.
24:15Heureusement, ces toiles sont protégées, je crois.
24:18Mais...
24:19Alors eux, ils disent qu'ils en arrivent là parce qu'on ne les a pas écoutées
24:23et qu'on a massacré une planète
24:25et qu'ils vont vivre maintenant avec nos déchets.
24:29Et nos manquements.
24:31J'entends aussi ce qu'ils visent, mais...
24:34Mais viser une œuvre d'art, non ?
24:35Non, je pense qu'il y a tellement d'autres moyens, vraiment.
24:40Tellement d'autres.
24:42Une dernière photo, il s'agit de Michel Barnier
24:44à la tête d'un gouvernement que vous aviez qualifié de retour vers le futur.
24:48Est-ce que le monde politique, en ce moment,
24:50vous inspire et vous inspire à un futur spectacle ?
24:53Oui, ça serait possible.
24:56Ça serait possible que ça m'inspire à un futur spectacle.
24:59Mais là, pour l'instant, je suis plus dans une sorte de désespérance.
25:02Alors après, le rire va prendre le pas, mais...
25:05Non, je...
25:08Je suis abasourdi par...
25:11par ce qui s'est passé dernièrement, ces derniers mois,
25:13par la dissolution, par tout ça.
25:17Par les désespérances ?
25:19Oui, je pense qu'on désespère les gens.
25:22On leur promet des lendemains qui chantent,
25:24souvenez-vous de tout ce que nous a dit Macron quand il s'est présenté.
25:28La fin des partis, la fin des combines,
25:31on allait faire de la politique autrement,
25:33on allait, on allait, on allait, il était jeune.
25:37Donc on s'est dit, tiens, il y a peut-être quelque chose qui...
25:40Et puis, finalement...
25:43Vous savez, je passe très souvent devant cette brasserie,
25:48la Rotonde.
25:50Mais régulièrement,
25:52notre président dîne à la Rotonde,
25:56dans une ambiance crépusculaire,
25:59avec au moins une centaine d'agents de sécurité autour,
26:02si je compte les cars, les motards, les CRS, les gens en civil,
26:07pour qu'ils puissent déguster sa sole meunière,
26:12qui nous coûte très très cher, sa sole meunière, en définitive.
26:16Quelques centaines de... Peut-être quelques dizaines de milliers d'euros.
26:19Et je pense, alors c'est encore une utopie,
26:23mais je pense la valeur de l'exemple.
26:27Ce qu'Hollande avait commencé à promettre
26:33et qu'il n'a pas tenu, la présidence normale.
26:37Comme on voit en Belgique ou dans les pays du Nord.
26:40C'est-à-dire que nos hommes politiques montent l'exemple.
26:44On ne peut pas à la fois nous dire qu'il y a ça de déficit
26:47et qu'on va prendre sur les retraites, sur les petits revenus,
26:49sur ceci, et se taper une seule meunière
26:55avec tout un cordon de sécurité,
26:58alors qu'on paye déjà la cantine de l'Elysée.
27:01J'ai une dernière question qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes,
27:04Stéphane Guilland. Nous sommes entourés de quatre statues
27:06qui représentent chacune une vertu.
27:08Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
27:13Est-ce qu'il y a une de ces vertus qui vous inspire plus que les autres ?
27:18Euh...
27:21La justice.
27:25Ce sera votre mot, votre vertu, la justice.
27:27La justice, oui, parce que je pense que c'est très important
27:31que les tribunaux jugent sur les faits et pas sur l'émotion.
27:39Merci Stéphane Guilland d'avoir été notre invité.
27:43Une interview pleine de messages et de valeurs.
27:45Merci beaucoup d'avoir été notre invité dans Un Monde, Un Regard.
27:48Merci beaucoup de nous avoir suivis comme chaque semaine.
27:50L'émission est à retrouver évidemment en replay sur notre plateforme publicsena.fr
27:54et en podcast. A très vite sur Public Sénat. Merci.